GAULOIS - Un cuirassé aux Dardanelles, l'attaque des détroits
Re: GAULOIS - Un cuirassé aux Dardanelles, l'attaque des détroits
2 mars.
Canonnade intermittente sur des forts, dont aucun ne répond, à la hauteur des lignes de Boulaïr. Le terrain est zébré de profondes tranchées qui zigzaguent, inoccupées vraisemblablement depuis la dernière guerre balkanique, mais toutes prêtes pour une défense en cas de débarquement.
Tandis que, dans le sillage de notre dragueur, nous reprenons notre marche à faible allure, le Bouvet s'applique à détruire un pont jeté sur la rivière Kavak.
3 mars.
La division de complément continue à croiser dans le golfe de Saros, accompagnée de ses chalutiers. De grand matin, plusieurs coups de canon tirés du troisième pont me précipitent à bas de ma couchette. Qu'est-ce ? A-t-on aperçu un navire ennemi, un rassemblement de troupes à terre ? Mais, dans ce cas, pourquoi n'a-t-on pas sonné le branle-bas de combat ? Il s'agit simplement d'un baril de galère qui flottait le long du bord, et que l'on a coulé par prudence, pensant que ce pouvait être une mine. L'inoffensive épave, qu'a dû semer quelque voilier caboteur, a pirouetté sous la gerbe du projectile et disparu dans un remous aux acclamations de l'équipage. But bien misérable, et qui pourtant divertit les pointeurs, que le formidable bombardement de ces jours derniers semblait emplir d'indifférence. Quel psychologue expliquera la disproportion de ces deux sentiments ?
Le Suffren et le Bouvet rallient Ténédos, nous laissant seuls dans le golfe avec le Charlemagne.
L'écho de la canonnade du 25 serait-il parvenu jusqu'à Stamboul ? Et les Turcs, pris de terreur, comprendraient-ils qu'il ne s'agit pas d'une simple démonstration navale ? Le T. S. F. reçu de Lyon signale des symptômes d'insurrection à Constantinople ; mais cette nouvelle est peut-être encore passée par Athènes…
4 mars.
Toujours dans le golfe de Saros, où, sur un ordre télégraphique de l'amiral, nous recherchons des points de débarquement. Sans qu'une seule batterie ennemie nous inquiète, nous défilons lentement le long de la côte. Tout semble désert, les tranchées qui dévalent vers la mer, les villages assoupis – Krithia, Bouïouk, Kisik – d’où ne s’exhale aucune fumée, les pacifiques fortins qu’apprivoise encore le crépuscule.
Nous sommes prêts à repartir bientôt pour Ténédos. Nous pensions rencontrer la Queen-Elizabeth en train de faire du tir indirect sur les forts de Chanak, mais notre espoir est déçu.
En doublant le cap Tekeh, un feu violent d'artillerie troue la nuit d'éclairs rapides. Hé ! Quoi, les forts de l'entrée résisteraient-ils encore ? La silhouette de plusieurs croiseurs et cuirassés se profile sur la rive d'Asie, qui s'illumine par endroits de lueurs pareilles à des feux follets. Mais au-dessus de Koum-Kaleh, un rougeoiement persiste, s'étend et monte comme une aurore.
(à suivre...)
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Le cœur des vivants doit être le tombeau des morts. André Malraux.
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Re: GAULOIS - Un cuirassé aux Dardanelles, l'attaque des détroits
5 mars.
L'arrivée du général d'Amade avec des troupes est annoncée. Les convois d'avant-garde seront dans nos eaux demain ou après-demain. La coopération par voie de terre s'impose de plus en plus.
Hier, les Anglais ont tenté un débarquement sur la côte asiatique, pour détruire les dernières pièces de Koum-Kaleh. Mais les Turcs, cachés dans le village, les ont accueillis à coups de mitrailleuses. Les Anglais ont dû faire appel au feu des navires pour protéger, la tâche accomplie, leur rembarquement. C'est là l’explication de la canonnade qui nous avait surpris en passant au large des Détroits. Plusieurs officiers seraient manquants. Le Lord Nelson compte dans sa compagnie de débarquement cinq morts et deux blessés. Les grosses pièces des cuirassés ont rasé complètement les murs encore debout de la vieille redoute et incendié le village de Koum-Kaleh, que l'escadre avait épargné - peut-être à tort - le 19 et le 25.
Décidément les Turcs commencent à juger grave la situation. Voici qu'ils essaient de nous intimider en faisant circuler chez les neutres des nouvelles dans le genre de celle-ci, que nous dépêche par sans-fil l’Amiral Charner : « Deux sous marins attendent la flotte alliée et sont prêts à l'attaquer dans la mer de Marmara. » C'est au moins ce qu'apprend, d'après des renseignements « de source autorisée », notre consul de France à Dédéagatch.
6 mars.
Au mouillage nord de Ténédos, pour embarquer des munitions. Demain commence la deuxième phase des opérations. Nous devons pénétrer dans l'intérieur des Dardanelles et bombarder les ouvrages de Dardanus, installés à 18 milles environ de l'entrée, un peu avant la pointe Képhez. L'officier canonnier du bord, qui revient d'une reconnaissance dans les Détroits sur un contre-torpilleur, annonce qu'un très grand nombre de batteries de campagne sont établies sur la côte d'Asie, tirant sans relâche sur les chalutiers-dragueurs, qui n'en continuent pas moins à repêcher les mines. Plusieurs gros projectiles de la Queen-Elizabeth sont tombés sur Chanak.
(à suivre...)
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Re: GAULOIS - Un cuirassé aux Dardanelles, l'attaque des détroits
7 mars.
A 9 heures du matin, le Gaulois lève l'ancre avec la division de complément. Sans doute, le combat qui va se livrer aujourd'hui entre les navires et les batteries sera-t-il plus chaud que celui du 25 février, car l'attaque doit se faire à plus courte distance, et les canons ennemis, plus ou moins dissimulés derrière des plis de terrain, essaieront de nous couper la route.
A 10 h. 34, la division, conduite par le Suffren, pénètre dans les Détroits. Par un sabord, je regarde à la jumelle la côte d'Asie. Les trois cavaliers d'Oranieh se détachent nettement dans l'ardente lumière : trois sortes de tertres étalés en plateaux et séparés par des encoches, où des volées de canons, émergeant de la terre retournée se dressent, à demi détruites, vers le ciel. En face, Seddul-Bahr, où, dès les premiers jours, s'alluma l'incendie, n'est qu'un amas de ruines encore fumantes : la vieille forteresse au ras de l'eau, les casernes trouées d'immenses ogives, et, plus à l'est, le bourg abandonné dont pas une maison n'est debout.
Mais il sied mal de s'attarder ainsi à la vue de ces ruines. Avant même que le clairon n'ait sonné le branle-bas de combat, les premiers obus tombent autour de nous : deux batteries, qu'on ne peut repérer, nous ont visés de la côte asiatique. Le Suffren répond à cette attaque, bientôt suivi par le Bouvet. Quelques nuages blancs éclatent sur la route de Koum-Kaleh à Aren-Keui, et les batteries cessent presque aussitôt leur feu.
Quand le cuirassé-amiral a terminé son tir sur Dardanus, le Gaulois, qui s'était jusqu'alors tenu à l'arrière, se rapproche du fort à 7 200 mètres, et commence à 1 h. 15 le bombardement. A 1 h. 20, le duel est engagé. Outre les pièces de Dardanus, qui vigoureusement ripostent et nous encadrent, nous sommes harcelés par des batteries de campagne, dont il est impossible de deviner l'emplacement. L'une d'elles est installée, croit-on, sur un chemin qui descend d'Aren-Keui vers la mer. D'autres se défilent derrière des abris naturels et peut-être se déplacent. A 1 h. 27, quelques éclats d'un projectile tombé près du Bouvet viennent frapper le Gaulois, sans dommage. Du poste que j'occupe au-dessous de la tourelle avant, la canonnade me paraît intense. Les 305, sans arrêt crachent deux par deux leurs redoutables obus, ébranlant les cloisons de fer et d'acier, vous souffletant, à chaque déflagration, le visage. Des hommes armés de fusils montent à 2 heures sur le pont pour couler des flotteurs suspects que l'on a signalés. Une grosse bouée grise - une mine sans doute - et, derrière elle, une bouée rouge munie d'antennes, ont été vues défilant à 200 mètres du bord. Des gerbes d'eau s'élèvent, nous apprend-on, de toutes parts : le tir de Dardanus, étant réglé, nous atteint.
Du couloir qui descend aux chaufferies, auprès duquel je suis maintenant, une âcre odeur de roussi me prend à la gorge. Nous venons de recevoir un projectile dans la batterie, à l'étage au-dessus, mais personne, assure-t-on, ne s'est trouvé sur son passage. Un autre obus, sans éclater, s'est arrêté miraculeusement sur la plate-forme de l'atelier des machines.
Il est 2 h. 30. Le combat prend fin. En regagnant ma chambre, je me heurte à une vaste crevasse qui a éventré le plancher de tôle. Dans la salle d'armes, un grand trou béant, près de l'échelle de descente des officiers supérieurs, marque la sortie du projectile. Les fusils en faisceaux dans leurs panoplies ont été coupés en deux, le bois de la crosse laissant encore pendre ses fibres. La troisième chambre de bâbord a sa porte défoncée et sa cloison en tôle gondolée criblée d'éclats. Le projectile - car il ne s'agit, en somme, pour ce trajet si compliqué que d'un seul obus - a été ramassé dans l'échelle qui mène à l'atelier de la machine, et dont il dégringola quatre à quatre les marches, interrompant le commissaire en train de déchiffrer des télégrammes... C'est un fort bel obus de 150 mm qui, ayant perdu son culot, a fusé en arrière sans exploser. Il a percé la coque à bâbord dans le premier entrepont, près d'un canon de 47, a labouré la tôle du premier pont, bouleversé, en les incendiant, des caissons à sacs, traversé la salle d'armes, et, à bout de souffle, est venu mourir, en ricochant, sur la plate-forme blindée du panneau de descente des machines.
On l'a ramassé avec précaution (de peur de l'abîmer), chacun lui rend visite, et on lui prépare un socle d'honneur dans la salle d'armes.
Ma chambre, où je pénètre, a été complètement saccagée, probablement par le vent de la tourelle de 305 arrière. Les taquets du sabord ont été arrachés, le plafond d'amiante, effondré, jonche le parquet dans un indescriptible désordre, avec mille objets que je n'ai pu mettre à l'abri.
(à suivre...)
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Re: GAULOIS - Un cuirassé aux Dardanelles, l'attaque des détroits
8-10 mars.
Ténédos.
Les journaux de France reçus avec le dernier courrier parlent avec enthousiasme du bombardement des Dardanelles. Il ne nous déplaît pas d'être mêlés à des événements, dont la répercussion doit être mondiale, mais chacun ici a conscience de la difficulté de la tâche entreprise. La destruction des défenses de l'entrée représente à peine le prologue du grand drame qui va se jouer, et dont le dénouement exigera peut-être de cruels sacrifices.
Le corps expéditionnaire français a dû arriver en rade de Sigri, si l'on en croit un télégramme adressé au général Masnou par l'amiral du Suffren. Il ne faut plus espérer voir la Grèce marcher à nos côtés, car le roi a refusé les 60 000 hommes que l'on escomptait pour prendre pied dans la presqu'île de Gallipoli, et dont il n'ose se démunir, par crainte de la Bulgarie (?).
Le débarquement des troupes anglo-françaises aux Dardanelles doit commencer vers la fin du mois, mais d'ici-là, a déclaré le chef d'état-major anglais, il est probable que nous aurons passé.
11-13 mars.
Nous allons croiser dans le golfe de Saros, pendant que l'escadre anglaise opère dans les Détroits. Le 11 mars, le Gaulois tire sur une batterie voisine du fort Napoléon. Pas de riposte de l'ennemi. Un cavalier seul surgit au sommet d'une crête, caracole un instant, puis disparaît.
La journée du 11 se passe au mouillage, en compagnie du Suffren et de quelques bâtiments anglais : le Dartmouth, l’Irresistible, l'Ark-Royal. Deux obus, partis des environs du fort Sultan tombent près du Dartmouth, stoppé sans méfiance à quelques milles de la côte. Les Turcs amènent évidemment des batteries sur ce point qu'ils croient menacé.
Pourtant, le 13 mars, le Suffren et le Gaulois, après avoir lancé quelques projectiles, s'approchent assez près du rivage, sans essuyer un seul coup de feu.
(à suivre...)
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Re: GAULOIS - Un cuirassé aux Dardanelles, l'attaque des détroits
14 mars.
Ténédos.
Mouvement inusité d'embarcations autour du transport-hôpital français Canada. On amène des blessés du croiseur anglais Amethyst, qui se trouvait cette nuit dans les Détroits¹.
¹ Ce croiseur réussit, cette nuit-là, à couper le câble télégraphique entre Kilid-Bahr et Chanak.
Un obus de gros calibre a explosé dans le lavabo des mécaniciens au moment du changement de quart : des tués et des blessés, ceux-ci en plus grand nombre. Dans le cadre léger, suspendu comme une nacelle, qui, du bastingage entr'ouvert, vient se poser au ras du flot, on hisse à bord doucement chaque blessé. Des bandages hâtifs, aux spires maculées, entourent des visages dont les yeux ne voient plus, des membres meurtris qui ne sentent pas la douleur. Sur un signal, accourent en renfort les médecins inoccupés de l'escadre. Les linges déroulés, la plaie apparaît, rutilante ou couleur feuille morte, dans son cadre de saine chair rose : muscles mâchés par les shrapnells, exsangues et béants, ou saillant, au contraire, en rouges hernies palpitantes, articulations perforées, grands os broyés dont chaque esquille est un nouvel éclat. Pas une plainte, pas un cri dans la salle d'hôpital. Devant les chirurgiens pensifs défilent à tour de rôle les blessés, et j'admire alors, moi qui les approche aussi, jusqu'où peut aller l'esprit de discipline de ces hommes. Aucun ne croit avoir droit à des soins plus rapides que son voisin, moins atteint peut-être. Couché sur la table de métal, le regard vers le ciel si les yeux sont intacts, chacun se prête, tacite et confiant, aux nécessités souvent pénibles de l'examen. Et l'on reste confondu parfois de la constance de cet état d'âme, que n'influence en rien la gravité de la blessure. Avant de nous être apporté, le blessé l'ignore, cette gravité, et rien n'est plus drôle souvent que de voir l'un d'entre eux, porteur d'une légère contusion, observer, avant qu'on ne l'éclaire sur sa bénignité, le même recueillement, la même touchante immobilité, puis, quand l'arrêt est prononcé, se lever d'un bond, le visage épanoui, et regagner en courant sa couchette. Sourire et humour chez les uns, stoïcisme serein chez les autres. Il n'a pas une seule fois maudit sa destinée, ce sous-officier dont on vient d'explorer longuement l'affreuse plaie, et que l'on emporte, livide sur son brancard, pour la plus mortelle des opérations.
(à suivre...)
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Re: GAULOIS - Un cuirassé aux Dardanelles, l'attaque des détroits
15 mars.
L'attaque de Chanak se prépare, les Détroits étant, jusqu'à la pointe Képhez, à peu près expurgés de leurs mines. Un filet, rempli de ces engins, est en train de dériver le long de la côte d'Europe. Le sous-marin Coulomb, qui revient des Dardanelles, a croché une mine au passage, l'a traînée avec lui, et c'est miracle qu'il ait pu s'en dégager sans qu'elle explose.
Les Anglais ont occupé Lemnos en dépit des représentations de la Grèce, à laquelle ils ont fait savoir qu'ils considéraient cette île comme appartenant à la Turquie. Ils aménagent le port de Moudros en base navale.
Depuis que l’Ark-Royal est revenu dans les eaux de Ténédos, chaque jour, à la même heure précise, les hydravions prennent leur vol. Attirés par le bourdonnement croissant de leur mise en marche, nous sortons aux abords nos têtes curieuses. Là-bas, sur la vaste plage nue de l'Ark-Royal, le bras oblique d'une grue tient en suspens un frêle biplan, et, avec d'infinies précautions, comme un pêcheur prudent jette sa ligne, le laisse choir au fil de l'eau. L'appareil bondit sous la crépitation du moteur ; il s'élance sur la piste unie, traçant avec ses flotteurs un double sillon d'écume. Sur la steppe luisante et figée, c'est un traîneau qui fend la glace de ses patins courbes. Avec quelle prodigieuse vitesse il mène, avant de s'élever, cette première course horizontale ! Comme il dépasse, dans son essor, les lourdes vapeurs des cuirassés, les agiles vedettes qui se garent ! On sent pourtant que, dans ce milieu qui n'est pas le sien, ses mouvements sont gauches et retardés. Mais, tout d'un coup, le blanc sillage s'interrompt, l'oiseau, doucement soulevé, tangue imperceptiblement. Au-dessus de la ligne nette qui marie le ciel et l'eau, les deux flotteurs montent, montent dans l'impalpable azur. D'un trait, maintenant, il gagne de vertigineuses hauteurs. Ses blanches élytres, sa longue queue qui sert de gouvernail se confondent en un rais clair qui bientôt se dissout, mais qui, à la jumelle, se discerne encore : deux ou trois hachures délicates, un H renversé, ou, si l'on veut, un double trait d'union, celui qui nous relie au mystérieux Détroit.
16-17 mars.
Grâce à l'activité des hydravions qui, de l'altitude où ils évoluent, surplombent le transparent chenal, on a pu repérer exactement l'emplacement des mines fixes. Un filet de mines, dont quelques-unes sont vides et sans danger, a été rompu par les dragages, et, partiellement détruit, dérive, à quelques milles de l'entrée, le long de la côte d'Europe. Une aussière, à cause du courant, devait le maintenir tendu d'une rive à l'autre. En deçà, le long de la même côte, quelques mines détachées au-dessous de Képhez, ainsi qu'après Képhez, quelques autres arrêtées par la rive d'Asie, dans la baie de Sari-Siglar. Une mine très volumineuse est encore mouillée au milieu du Détroit entre Képhez et Chanak, et, sous Chanak même, dans le goulet, une douzaine de ces engins fait un barrage incomplet du chenal. Il y a donc un chemin libre que pourront suivre les cuirassés pour arriver à portée de Chanak et de Kilid-Bahr.
Grande nouvelle : l'amiral Carden, malade, a résigné ses fonctions, et c'est le contre-amiral de Robeck qui prend le commandement de l'escadre. La marche des opérations va-t-elle en être retardée ?
(à suivre...)
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Re: GAULOIS - Un cuirassé aux Dardanelles, l'attaque des détroits
Bonjour à tous,
Ce passage du récit est paru en novembre-décembre 1915 et tiré du tome sixième de la Revue de Paris, disponible sur Gallica.
A ce moment des opérations, une carte de l’attaque s’impose :

Source :
Histoire des marins français, Tome III, 1870-1940, du contre-amiral Hubert Granier
La manœuvre est conçue de telle sorte que les cuirassés de tête, ici le Suffren et le Gaulois, aient toute leur artillerie battante. Pour ce faire, ils se tiennent stoppés en travers du courant portant au sud. Lorsqu’ils sont emportés par le courant, ils sont remplacés par le Bouvet et le Charlemagne, puis à leur tour relevés par le Suffren et le Gaulois et ainsi de suite. Six cuirassés anglais prennent leur place au bout de quatre heures. C’est au cours d’une de ces manœuvres de dégagement derrière le Suffren que le Bouvet heurte une mine dérivante et coule, entraînant dans la mort la quasi-totalité de son équipage.
Cordialement,
Franck
Ce passage du récit est paru en novembre-décembre 1915 et tiré du tome sixième de la Revue de Paris, disponible sur Gallica.
A ce moment des opérations, une carte de l’attaque s’impose :

Source :
Histoire des marins français, Tome III, 1870-1940, du contre-amiral Hubert Granier
La manœuvre est conçue de telle sorte que les cuirassés de tête, ici le Suffren et le Gaulois, aient toute leur artillerie battante. Pour ce faire, ils se tiennent stoppés en travers du courant portant au sud. Lorsqu’ils sont emportés par le courant, ils sont remplacés par le Bouvet et le Charlemagne, puis à leur tour relevés par le Suffren et le Gaulois et ainsi de suite. Six cuirassés anglais prennent leur place au bout de quatre heures. C’est au cours d’une de ces manœuvres de dégagement derrière le Suffren que le Bouvet heurte une mine dérivante et coule, entraînant dans la mort la quasi-totalité de son équipage.
Cordialement,
Franck
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Le cœur des vivants doit être le tombeau des morts. André Malraux.
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Re: GAULOIS - Un cuirassé aux Dardanelles, l'attaque des détroits
18 mars.
Ce changement dans le haut commandement n'apporte aucun fâcheux contretemps, et c'est aujourd'hui, malgré le départ de l'amiral Carden, que doit avoir lieu l'attaque des forts du goulet. Il ne s'agit pas encore de forcer, mais de réduire par un violent bombardement les défenses de la portion resserrée du Détroit : Chanak sur la côte d'Asie, Kilid Bahr sur la côte d'Europe, défenses, à vrai dire, redoutables par le nombre et le calibre de leurs bouches à feu. Là, sur deux pointes opposées, distantes de 1 200 mètres, que la nature semble avoir rapprochées pour fermer aux ambitions occidentales le trop attirant couloir, toute la résistance s’est concentrée, et, plus encore que pour Seddul-Bahr, Hellès et Koum-Kaleh, il importe, avant d’aller plus loin, d’en écarter la menace.
A 9 heures du matin, la division française lève l'ancre et met le cap sur le Détroit. Le cuirassé-amiral marche en tête, et, derrière lui, le Bouvet, le Gaulois et le Charlemagne. Dans le poudroyant lointain, tout près déjà de la jaune avancée du promontoire, cinq pinceaux de vapeur noirâtre, équidistants, teignent l’horizon d’une grisaille funèbre : les cinq cuirassés anglais qui nous précèdent, la Queen-Elizabeth, l'Agamemnon, l'Inflexible, le Lord Nelson, le Prince-George, qui, les premiers, à grande distance, doivent ouvrir le feu sur les forts du goulet.
(à suivre...)
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Le cœur des vivants doit être le tombeau des morts. André Malraux.
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Re: GAULOIS - Un cuirassé aux Dardanelles, l'attaque des détroits
A notre tour, alors que le grondement de la canonnade a commencé devant nous, nous allons franchir les Détroits. Avant de rejoindre les fonds, je regarde une dernière fois la mer irisée, les montagnes aux grandes ondulations, d'un rose de nudité, que des vallons ponctuent d’un capiton d’ombres mauves.
Il est 11 h. 25. Le Suffren tire quelques coups sur la batterie de la Ferme, mais nous devons attendre, avant de commencer notre feu, que la division britannique ait amorcé la réduction de Chanak et de Kilid-Bahr. Alors seulement nous nous rapprocherons pour l'appuyer, en attaquant les ouvrages ennemis à portée plus restreinte.
A 12 h. 15, le Gaulois, stoppé jusque-là, longe la rive d'Asie et se porte en avant de la ligne anglaise, ayant à 1 000 mètres derrière lui le Charlemagne. Les deux cuirassés devront alternativement changer de poste. Le plus rapproché de Chanak aura pour objectif Dardanus et les batteries d'obusiers et de canons de campagne de la côte d'Asie ; une fois ces batteries réduites au silence, il devra concentrer son tir sur Hamidieh, en avant de Chanak. Le cuirassé le plus éloigné doit répondre aux batteries volantes qui pourraient gêner le tir de l'autre.
(à suivre...)
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Re: GAULOIS - Un cuirassé aux Dardanelles, l'attaque des détroits
A 12 h. 30, le Gaulois ouvre le feu, à 8 400 mètres, sur Dardanus, avec sa grosse artillerie et ses 140 tribord. Feu par salves, puis continu, qui, dans l'espace de dix minutes, impose silence aux canons adverses : dans leurs lignes, deux obus de 305 viennent d’exploser. La première partie du programme est remplie : le Gaulois cède la place au Charlemagne.
A ce moment, notre feu ayant cessé, les batteries d’obusiers dirigent contre nous une canonnade nourrie. De la quille aux mâts, la grande carcasse d'acier frémit. Chaque obus qui, tout là-haut, par-dessus le quatrième pont, passe, inoffensif avec un bruit de tempête, on croit en percevoir, en bas, le frôlement, le souffle tiède et bref, moins brutal pourtant que celui de nos 305. En dehors, contre la cuirasse, des heurts et des explosions se succèdent, heurts tantôt secs et lourds, tantôt d’un clair tintement métallique.
La vibration est parfois si forte, et si proche le bruit de la déflagration qu'on n'en peut saisir l'origine. « Envoyons-nous ou recevons-nous ? » Telle est l’invariable question que chacun se pose en silence, et que fait deviner un chuchotement, une anxiété furtive du regard.
(à suivre...)
A ce moment, notre feu ayant cessé, les batteries d’obusiers dirigent contre nous une canonnade nourrie. De la quille aux mâts, la grande carcasse d'acier frémit. Chaque obus qui, tout là-haut, par-dessus le quatrième pont, passe, inoffensif avec un bruit de tempête, on croit en percevoir, en bas, le frôlement, le souffle tiède et bref, moins brutal pourtant que celui de nos 305. En dehors, contre la cuirasse, des heurts et des explosions se succèdent, heurts tantôt secs et lourds, tantôt d’un clair tintement métallique.
La vibration est parfois si forte, et si proche le bruit de la déflagration qu'on n'en peut saisir l'origine. « Envoyons-nous ou recevons-nous ? » Telle est l’invariable question que chacun se pose en silence, et que fait deviner un chuchotement, une anxiété furtive du regard.
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