Bonjour
Je suis d'accord avec vous tous. Je déplore cependant certains commentaires sirupeux bien conformes avec les idées persistantes et fausses ayant trait au conflit. Parmi les formules dont je me souviens encore ce matin :
"..laissant des veuves hébétées, inconsolables d'avoir perdu un mari de vingt ans avec un enfant de vingt mois"
Sur les 170 pupilles de la Nation recensés sur ma commune à ce jour, aucun n'avait un père de vingt ans quand il avait vingt mois. Vous me direz que je chipote, que c'est une expression. Sauf que j'estime que ces expressions-là tronquent la vision donnée en pâture aux non connaisseurs. On est en plein dans le cliché du : tous les soldats avaient vingt ans.
"..les tirailleurs sénégalais sont embarqués sur des bateaux surchargés comme autrefois les négriers"
Cette allusion était-elle utile au documentaire et pertinente pour l'image ?
".. Les soldats des colonies vont-ils sauver Paris?"
Comme 95 % des autres soldats... Cette réplique renvoie un tantinet au cliché du soldat africain sacrifié, chair à canon, le seul à l'être.
"...ces échecs sanglants n'entament pas le patriotisme des combattants"
A l'époque, ce n'était pas un crime d'aimer son pays, quelles que soient les circonstances.
Bref, ce sont mes pensées à chaud. Un discours feutré mais qui sent fortement la prise de parti politique via la voix d'un MK dont on connaît les positions. Pour ma part, quand je fais de l'Histoire, aucune influence politique ne guide ni mes pas, ni mes discours. Finalement, je regarderai le prochain épisode sans le son.
Dommage car il y avait des éléments intéressants, des évocations de combats mal connus comme ceux d'Afrique ou d'Asie, l'exode des civils allemands..
Cordialement
Yannis
Bonjour Yannis,
Bonjour à tous,
Le discours et le ton employés pour évoquer la Grande Guerre dans Apocalypse sont résolus contemporains de notre époque : ils ont pour but de donner une vision globalisée du conflit et illustrent notre système de pensée de la Première Guerre mondiale en ce début de XXIe siècle : un conflit aux contours et aux motivations de moins en moins nets (pourtant bien expliqués par les protagonistes et historiens eux-mêmes entre l'entrée en guerre jusque dans les Années Soixante), le questionnement sur la puissance des sentiments qui ont pu conduire les deux tiers du monde à s'engager dans ce conflit et à tenir malgré toute l'horreur des combats, une approche résolument sociale et économique, qui entraîne inéluctablement le recul de l'intérêt pour le fait militaire lui-même (l'histoire-bataille ayant été fendue en brèche vers la fin des années 70 ou 80 pour céder désormais la place à une approche plus "culturelle" et "théorique", ou théorisée du conflit, qui en entrant dans des aspects souvent pointus fait perdre la vision globale, pourtant nécessaire à la bonne préhension et compréhension de ce conflit et de ses enjeux). En arrière-plan, les enjeux du monde actuels entrent aussi en ligne de compte dans le commentaire historique lu par Mathieu Kassowtiz, comme le rôle des colonies, dont le problème des migrations et de l'assimilation des populations que les pays européens notamment ont aujourd'hui à gérer, est une des lointaines résurgences... Il y a de toute évidence une volonté de prise de conscience du rôle du soldat africain, en particulier pour la France, de celui de l'Asie et de l'Orient pour les pays anglo-saxons, que les auteurs ont décidé de mettre en avant dans cette série... On ressent par moment très fortement cette volonté d'impliquer nos contemporains - y compris ceux que la Grande Guerre n'intéresse pas particulièrement - et de faire à tout prix le lien entre l'histoire de la Grande Guerre, retracée d'un point de vue global, et les enjeux actuels, à travers certaines tentatives d'allers-retours, au fil du récit, non sans faire appel à des clichés parfois un peu gros, voir grossiers, destinés précisément à relier les enjeux de l'époque et les enjeux auxquelles nos sociétés contemporaines sont aujourd'hui directement en prise. Au demeurant, n'oublions pas non plus les enjeux économiques de cette production cinématographique : destinée à être vendue non seulement en France et en Europe mais dans le monde, elle doit pouvoir concerner tous les pays potentiellement acheteurs, et plus seulement un public national, strictement hexagonal, comme c'était le cas des productions de l'ORTF, dont sont issus les deux grandes séries déjà précitées (Les Grande batailles et Les Grandes Batailles du Passé, ou encore L'Histoire de l'aviation (1978), d'où est tiré l'extrait ci-dessus), et de France Télévisions ou TF1 (La guerre du Vietnam : Images inconnues, La guerre du Golfe : images inconnues, Les oubliés de la Libération, La traque des nazis, 8 Mai 1945)...
Si les deux premiers volets d' Apocalypse-la Première Guerre mondiale, brisent certains mythes, comme celui des fameux taxis de la Marne, dont la légende tenace voudrait encore faire croire (relayé largement par certains médias) qu'ils ont à eux tout seuls sauvé le sort des armées françaises, il reste dommage que le commentaire, principalement construit sur la base des images découvertes et montées dans cette série de films, prenne encore des raccourcis, dont certains soulevés par les forumeurs étant intervenus sur ce fil. On a parfois l'impression qu'il existe une volonté sous-jacente de construire de nouveaux mythes fondateurs, s'agissant, pour revenir, entre autres, à l'exemple cité au paragraphe précédent, des colonies qui, à elles seules, auraient permis, malgré l'esprit un tantinet colonisateur et négrier des Européens qui les ont une fois de plus exploités sans vergogne, de sauver les démocraties occidentales de la défaite et du chaos (Joffre qui remet à l'issue de la Marne des médailles aux troupes coloniales qui se sont particulièrement illustrées... Or chacun sait qu'en réalité, les troupes d'Afrique n'ont ni plus, ni moins payé l'impôt du sang que les autres combattants français, faisant partie intégrante de l'Armée française et ayant été appelées à se sacrifier comme toutes les unités combattantes sur tous les fronts de l'Occident, d'Orient et même d'Afrique, au même titre que les soldats métropolitains. Pour en finir sur ce point, un commentaire intéressant aurait été d'évoquer en une phrase ou deux l'impact du débarquement de ces troupes en métropole et leur relation avec les populations locales restées dans leurs villages du front, malgré le feu et la proximité du danger et qui ont découvert, en 1914, ces troupes qu'elles ne connaissaient pas, par exemple)...
Cela étant dit, je rejoins les intervenants de ce fil concernant un certain nombre de points intéressants quand même, notamment concernant les combats sur le front Est et en Orient, parents souvent très pauvres de la Grande Guerre à la télévision française (plus présents dans les documentaires anglo-saxons)...
Tout ce qui vient d'être écrit bien sûr ne porte là encore que sur des points de détails. Il ne s'agit pas de tirer sur les ambulances, lorsqu'on nous offre enfin à voir une série documentaire sur la Grande Guerre, où le travail de recherches reste malgré tout visiblement indéniable... Même si, pour ma part, je reste très nostalgique et influencé par l'ensemble des productions plus anciennes de Daniel Costelle, Henri de Turenne et Jean-Louis Guillaud, notamment, dont je regrette que plus aucun réalisateur ni documentariste ne soit à priori capable de reprendre le flambeau...
Je ne résiste pas au plaisir pour finir de vous mettre ce lien, qui vous renverra, pour ceux qui ne l'auraient pas déjà revu, au volet de la série "Les Grandes Batailles du Passé", série tournée entre la fin des années 1960 et 1974, et consacrée à "La Marne - 1914" (pas mal de clichés et de raccourcis également, mais un charme envoûtant du commentateur avec sa voie inimitable, des intervenants de qualité, des images superbes, même si marquées par le temps, et un montage des documents judicieux, même si je trouve que le déroulement de la bataille en elle-même est quelque peu tronqué vers la fin)... Autre temps, autre époque, autre vision de l'Histoire, qui n'a aujourd'hui, hélas, plus court...
https://www.youtube.com/watch?v=N_YxQKB3igQ
Bon visionnage.
Cordialement,
Jean-Michel