A titre informatif
M. Serge BARCELLINI, Directeur de la Mission Histoire du Conseil Général de la Meuse, répond à M. Sylvain LEBEAU, initiateur d’une pétition diffusée sur internet après la parution, le 29 janvier 2009, d’un article dans l’Est Républicain (« L’appel à l’archéologie »). Cet article évoque la possibilité d’utiliser les techniques d’investigation archéologique pour tenter d’identifier les corps de soldats exhumés sur les champs de bataille de la Grande Guerre.
SYLVAIN LEBEAU
Question n° 1. Si [votre projet] ne concerne que les corps retrouvés en cours d’année, « entre 20 et 50 sur les champs de bataille de la Meuse », pourquoi avoir convié ces gens [des spécialistes des problématiques mémorielles] et faire référence aux 80 000 corps du champ de bataille ?
SERGE BARCELLINI
Quelques rappels :
La gestion des nécropoles des guerres est confiée en France au Ministère des Anciens Combattants. Ce sont les agents qui ont la qualité d’agents de l’état civil et qui sont seuls habilités à découvrir et inhumés les corps retrouvés sur les champs de bataille. Ce travail se fait de manière respectueuse mais sans le souci de rechercher ce qui entoure le combattant. Très souvent le corps reste anonyme.
Depuis une vingtaine d’années, nous assistons à l’explosion des fouilles clandestines sur les champs de bataille Ces fouilles conduisent à la découverte de corps et souvent à l’abandon de ces ossements sur place.
En 1991, une fouille clandestine permit de localiser une fosse commune dans laquelle était supposée reposer Alain Fournier. Pour la première fois, la recherche a été confiée à une équipe d’archéologues de la Direction de Metz. Le travail réalisé par cette équipe a permis de donner une identité aux 21 combattants inhumés.
L’idée centrale
Chaque fois qu’un corps est retrouvé sur le champ de bataille, il pourrait être fait appel à une équipe d’archéologues afin d’examiner tous le matériel qui se trouve autour du corps et en particulier effectuer la recherche des plaques d’identité.
La mise en place de cette idée nécessite la signature d’une convention entre le Ministère de la Défense et le Ministère de la Culture. L’objectif de la réunion à Verdun, du chef du bureau des monuments historiques et des nécropoles du Ministère de la Défense et d’un archéologue de la Direction de Metz, était simplement d’étudier la faisabilité d’une telle convention.
Il n’a jamais été envisagé de mettre en place l’idée saugrenue qui consisterait à labourer tout le champ de bataille pour retrouver les corps des combattants disparus. La situation de Verdun n’a rien à voir avec la situation de l’Espagne. Les combattants de Verdun, français et allemands, ont été enterrés sur place, dans une terre qui a souvent été ravagée par les bombardements, les victimes du franquisme ont été enterrées dans des fosses communes dont on connait la localisation.
SYLVAIN LEBEAU
Question n°2 : Pourquoi faire référence à un supposé besoin des familles de retrouver « leurs » poilus. Citation [texte inséré dans l’article de l’Est Républicain] : « Aujourd’hui, chaque famille aimerait retrouver le corps de son grand-père sur le champ de bataille de la Grande Guerre, comprendre comment il a été tué et dans le cadre de quelle bataille ». Sur quelles informations vous basez-vous pour affirmer cela ?
SERGE BARCELLINI
Quelques rappels :
La passion généalogique se développe de manière exceptionnelle en France. On estime à plus de 5 millions les Français qui s’adonnent à cette passion. Cette passion conduit de nombreux Français à rechercher l’aïeul qui s’est battu pendant la Grande Guerre. Le Ministère de la Défense a souhaité favoriser cette recherche. A cette fin, il a créé un exceptionnel site Internet (Mémoire des Hommes) qui permet de découvrir l’identité de chacun des 1 million 300 000 Morts pour la France de la Grande Guerre.
Cette passion se traduit également sur les champs de bataille. Lorsqu’un corps est retrouvé et que son identité est prouvée, les familles sont systématiquement présentes pour l’inhumation (Cf. cérémonie à Vauquois en 2009).
Une idée centrale :
Epauler cette passion d’enracinement familial. A cette fin, outre l’idée de favoriser la recherche de l’identité des corps lorsqu’ils sont retrouvés sur le champ de bataille (en dehors de toute recherche systématique !), il est proposé de mettre en ligne sur le portail du Ministère de la Défense des 8 millions 500 000 fiches d’état signalétique des services des combattants de la Grande Guerre. Chaque français pourra « tout savoir » sur son aïeul combattant et… sera tenté de venir découvrir le lieu où il a combattu.
SYLVAIN LEBEAU
Question n°3 : Si l’on invite des professionnels sur un site avec 80 000 corps pour les convaincre d’une démarche d’exhumation et que l’on explique que cela c’est le souhait des familles… Que faut-il comprendre ?
SERGE BARCELLINI
Quelques rappels :
Le chiffre de 80 000 corps encore inhumés sur le champ de bataille est une pure approximation. En fait, nous pouvons considérer qu’environ 800 000 corps de combattants de toutes nationalités n’ont pas été retrouvés sur le sol français.
L’idée centrale :
Est-il besoin encore de vous le redire, ce n’est pas de lancer une politique d’exhumation mais simplement de réfléchir à l’idée d’une convention entre Ministère de la Défense et Ministère de la Culture. La rédaction de cette convention nécessitera de nombreuses démarches pour qu’elle soit acceptée car son coût n’est pas neutre, en particulier pour le Ministère de la Culture (coût des équipes d’archéologues).
Enfin, est-il nécessaire de rappeler que le Conseil Général de la Meuse n’a aucune compétence, ni en matière de nécropoles militaires, ni en matière d’exhumation et que la Zone Rouge appartient à l’Etat ! C’est donc l’état qui devra ou non reprendre cette idée.
Concernant les autres questions, se référer au rapport voté à l’unanimité par le Conseil Général de la Meuse le 3 juillet 2009.
SYLVAIN LEBEAU
Question 4 : Votre relance de la demande passe-t-elle en priorité par les familles ? Par le supposé besoin qu’elles ont de retrouver « leurs » poilus ensevelis à Verdun ?
SERGE BARCELLINI
Ainsi que je l’ai analysé, la politique de mémoire va connaître une crise dans les prochaines années car elle a favorisé l’offre (création de Mémoriaux, Historials, Cérémonies, colloques, etc.) au détriment de la demande. Or, l’offre engendre la concurrence. Les sites de la Meuse sont aujourd’hui concurrencés par des sites nouveaux et nombreux (Péronne, Meaux - en 2011-, l’Hartmannswillerkopf - en 2014 - …). Afin de développer une politique partenariale tout en favorisant une politique de mémoire en Meuse, il est en effet proposé de développer la demande autour de deux orientations :
favoriser le développement du tourisme mondial à travers l’inscription des champs de bataille de la Grande Guerre en Europe au patrimoine mondial de l’Unesco
développer l’intérêt des citoyens pour les champs de bataille de la Grande Guerre en favorisant la redécouverte des racines familiales (d’où l’idée de mettre en ligne les 8 millions 500 000 fiches d’état signalétique des services des combattants français et pour 2018 les 4 millions de fiches américaines et des millions de fiches allemandes ; mais aussi de mettre en ligne les recensements des communes meusiennes en 1911 ce qui favorisera le ré-enracinement des descendants de la Meuse qui habitent aujourd’hui sous d’autres cieux).
Ces projets sont déjà suffisamment lourds en termes technique et financier pour ne pas engendrer l’idée farfelue du labourage des champs de bataille à la recherche des corps ensevelis !
SYLVAIN LEBEAU
Question 5 : Il est alors malheureusement possible d’imaginer que l’exhumation des 80 000 corps de Verdun soit pensée dans ce cadre de relance de la demande. Aussi impensable que cela puisse paraître, les Espagnols sont en train de rechercher et d’exhumer les victimes de la guerre civile des années trente afin de leur redonner une sépulture digne. Ma question : pouvez-vous affirmer qu’aucun projet de ce genre n’est envisagé par le Conseil Général de la Meuse ?
SERGE BARCELLINI
A ma connaissance, le seul qui est imaginé, que l’on pouvait rechercher les corps disparus sur le champ de bataille de Verdun …. est l’animateur du site du modem en Meuse.
En conclusion, l’aspect positif de notre « petite polémique » est de me permettre de m’expliquer. Je suis disponible pour vous rencontrer et pour répondre à toutes les questions que pourraient se poser les personnes intéressées à la mise en œuvre de la nouvelle politique de mémoire. Ce qui est un enjeu en Meuse est essentiel. Dans le respect du sacré, la Meuse doit être en capacité de se servir de son histoire pour construire son avenir.
Je suis certain que nous partageons cette ambition.
Serge BARCELLINI
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Addendum
à noter que ne suis pas meusien et que je n'ai aucun intérêt particulier dans cette affaire, mais le souci de la préservation du patrimoine historique et la qualité des intervenants de ce forum, m'incite à leur délivrer une information juste et non détournée.
Je produis ce texte après avoir obtenu autorisation de la Mission Histoire du CG 55
Cordialement
JF Genet
www.e-storial-frontiere.com/