Bonjour à tous,
A la lecture de certains de vos commentaires, je comprend qu’il ne sera pas facile de vous convaincre. C’est d’ailleurs tout à votre honneur.
Pour les obus Ni allemands, l’essai se fit directement sur le front, ce qui explique ce raté. Les français, en un même laps de temps, lanceront leurs premières munitions chimiques au chlorosulfure de carbone à la mi-juillet 1915 ! (
http://www.guerredesgaz.fr/Agression/ar ... tances.htm )
Il ne leur fallut pas plus de temps, ce fut donc tout à fait réalisable de l’autre côté du Rhin.
Je reviens une dernière fois sur les projectiles de chloracétone et bromacétone. Selon la formule de Haber, le produit létal est de 3000 et 4000, soit la toxicité de l’acide cyanhydrique… Celui du chlore, de 7500 (plus ce produit est faible, plus la substance est létale). Ces deux premières ne sont pas à l’évidence de simples substances lacrymogènes, mais des irritants et des suffocants, bien au-delà du chlore. Dans l’usage pour lequel ces projectiles sont destinés, utilisation dans un espace clos, la concentration obtenue est létale, en moins de 1 minute. En comparaison, celle du chlore sous forme de vague gazeuse l’est également, à partir de 20 minutes dans des conditions favorables.
Ensuite, si l’on cherche à déterminer la date à laquelle la guerre chimique fut initiée et l’identité de son initiateur, on ne peut pas fixer ce moment à celui de la première victime comptabilisée, mais bien à celui de la première utilisation de gaz délétère, létal ou non.
La France grande pécheresse, non bien sur. La démarche en Allemagne suivie des cheminements parallèles. Mais remettre « sur le dos » de l’Allemagne la responsabilité entière de la Guerre chimique, n’est pas un raccourci de l’histoire, mais bien un mensonge savamment préparé et préservé.
J’ai été certainement trop rapide à l’expliquer. Comment comprendre cette épuration des archives ? Tout comme il est impossible de s’apercevoir qu’il manque des pièces à un puzzle en vrac dans une boite, il est impossible de percevoir ici les manques, les trous qu’il existe dans l’histoire qui nous intéresse et qui correspondent à des trous dans les archives.
Ainsi, ce n’est qu’après avoir patiemment tout mis à plat, après avoir réuni chaque pièce à celles qui s’y assembles, après avoir progressivement reconstruit une histoire en assemblant des petits bouts aux autres et permettant d’avoir une vue d’ensemble, que les trous, les pièces manquantes du puzzle, sautent aux yeux.
Je ne vais pas énumérer ici tous les absences historiques des archives, mais essayer au travers de quelques exemples de vous faire prendre conscience du problème.
Quelques exemples :
Où sont passés les rapports sur les premières munitions chimiques françaises envisagées dès janvier ou février 1915 ? On ne retrouve l’évocation de ces travaux que de façon indirecte, au travers de documents annexes. Ils devraient se trouver avec les documents retraçant les premiers travaux, il n’en est rien.
Où sont passés les comptes-rendus des premiers tirs chimiques voulus létaux, de juillet 1915 ? Sur les opérations dites d’assainissement…
http://www.guerredesgaz.fr/Agression/ar ... tances.htm
On trouve la trace des essais de ce type de munitions, des rapports sur leur possible disponibilité et leur cadence de production, puis… plus rien. Quelques phrases laconiques dans différents rapports laissent supposer qu’ils ne donnèrent pas satisfaction. Par ailleurs, ces tirs ne sont retracés dans aucun travail historique. Forcément, pas d’archives, pas de travaux historiques… Ils étaient resté absolument inconnus de tous, absent de l’Histoire. Il faut aller fouiller dans les journaux de marche et opérations des unités (un travail titanesque !) pour pouvoir retrouver cette histoire des premiers tirs chimiques qui avaient pour objectif de tuer l’adversaire. Ils furent par ailleurs un fiasco complet.
Où sont passés les rapports sur les premiers tirs d’obus létaux français, les obus au phosgène n°5, en janvier ou février 1915 ? Pas un, je dis bien pas un document n’évoque l’introduction de ces munitions parmi les dizaines de milliers de rapports des archives ! On ne sait même pas à quel date fixer ce cataclysme que fut l’apparition de ces munitions qui signent nettement la violation des Conventions internationales et un pas considérable dans l’escalade chimique.
Des rapports sur l’introduction des munitions chimiques n°4 en juillet 1916 ? Aucun… Ou rien de bien sérieux…
Sur une des premières opération d’artillerie chimique remportant un plein succès, avec le pilonnage par obus n°4 et n°5 des entrés et puits d’aération du fort de Douaumont en octobre 1916 ? Rien…
Sur le développement des différentes techniques de l’artillerie française de 1916 à 1918… Quelques rapports oubliés… Mais l’essentiel ?
Sur l’efficacité des tirs chimiques Yperite-Phosgène-Vincennite à l’été et l’automne 1918 ?
En somme, pour ne pas vous lasser en continuant cette liste, rien ou presque sur le développement de l’artillerie chimique… durant tout le conflit.
Changeons de registre ; centrons nous sur l’aspect technique ou industriel. Si vous allez faire un tour sur les pages consacrées à l’artillerie chimique allemande, vous verrez que, malgré l’absence d’archives officielles, nous pouvons retracer l’évolution technique des munitions chimiques allemandes. Nous possédons des schémas précis, des rapports sur les productions, sur les chargements, sur les productions industrielles, etc…
Et côté français ? Rien, il n’y a quasiment rien. Rien sur l’aspect technique (ou presque), rien sur les productions. Que sont devenues les archives des ateliers de chargement ? Comment mettre en lumière les rapports entre politiques et industriels de la chimie ? Evoquer certains aspects techniques des munitions françaises est… impossible… J’ai du retirer du site certains points jugés comme confidentiels encore aujourd’hui !! Les archives anglaises sont bien plus riches sur ce domaine, bien plus riches en documents français !
Résumons-nous… Des dizaines ou des centaines de milliers de documents des archives militaires, il n’y a quasiment rien sur l’aspect offensif français. Il manque surtout les points clef et ce qui a attrait à l’artillerie chimique.
Suis-je le seul à m’en étonner ? Non, évidemment… Olivier Lepick lui même dans son ouvrage La grande Guerre chimique, évoque l’incroyable pauvreté des archive françaises sur certains de ces aspects offensifs.
On peut comprendre que ces archives furent chahutées durant le Deuxième conflit mondial, sous l’occupation. Certains documents auraient pu être soustraits à l’ennemi, ou par l’ennemi. L’hypothèse tiens tout à fait, c’est la première envisagée.
Alors prenons un peu plus de recul historique.
Quand n’est-il des archives sur une période plus proche, non couverte par le secret défense ? Que connaissons-nous du programme français offensif sur la période qui s’étend de 1919 à 1940 ? Des aspects sont-ils volontairement écartés des documents aux archives, ou de l’Histoire « officielle » ? Peut-on déterminer si l’on peut retrouver une continuité dans ces « trous » de l’histoire qui pourraient appuyer cette hypothèse que certains documents ont été soustraits ?
Rassurez-vous, je vais faire court… La situation s’y prête bien. Si on veut faire le point, les archives militaires sur cet aspect tiennent en un dossier… ou presque. Rien, on n’a pratiquement rien… Cette fois ci, TOUT ce qui pu être épuré le fut, en tout cas au premier constat. L’aspect de la protection est peu développé, mais surtout, il ne reste que quelques rapports égarés sur l’aspect offensif. On peut même s’étonner d’y trouver ces quelques documents. Rien sur l’aspect industriel, rien ou presque sur l’aspect technique, quasiment rien sur les recherches agressives… Je ne parle même pas des munitions chimiques d’artillerie… cela n’aurait jamais existé et est de toute façon classé Secret défense.
Qu’a-t’on dissimulé ? Je vous suggère la lecture de cette page pour prendre mesure du problème :
http://www.guerredesgaz.fr/these/chap13/chap13.htm
Cette fois-ci, sachant que ces archives furent versées dans les années 70 et 80, la thèse de la disparition pendant la Seconde Guerre mondiale ne tiens plus vraiment.
Je ne tiens pas vraiment à développer ce sujet ici ; mais je dois aller jusqu’au bout. Alors que la loi sur les archives de 1979 ne limitait pas l’accès aux archives au-delà du délai de 60 ans, une modification intervient dans la loi de 2008. Deviennent ainsi non communicables, sans délai et sans dérogation, les « Documents comportant des informations permettant la fabrication, l’utilisation ou la localisation d’armes de destruction massive » (
http://www.cada.fr/archives-publiques,6093.html ). Seraient inclus les documents sur les « gaz de combat » de la Première Guerre mondiale ? Aucune pièce n’a été reversée. Pourquoi ? Peut-on penser que des documents sur l’utilisation de la chloracétone, datant de plus d’un siècle, pourraient porter atteinte à la sécurité publique ? Ou ceux qui manquent pour appréhender l’effort français au niveau offensif et industriel des années 20 à 1940 ? L’Allemagne fait encore aujourd’hui des efforts pour chasser les anciens nazis ; quand la France parviendra t-elle à faire la lumière sur certains points troubles de son histoire plus anciens ?
Si vous êtes arrivé à la fin de ce message, merci de m’avoir lu jusqu’au bout !!