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Re: Le mutisme des anciens "poilus" après guerre

Publié : ven. oct. 26, 2012 9:57 pm
par stefbreizh56
Bonsoir à toutes et à tous,
Bonsoir HH,

Je ne pense pas que 14-18 soit globalement clos, bien au contraire.

Au delà des récits des combats, de la situation de sépultures, de l'identification de photos ou de l'appartenance à un régiment, il y a quand même d'autres thèmes qui méritent largement d'être abordés et débattus avec notre sensibilité d'aujourd'hui comme le sujet proposé par Laurent. Sujet complexe d'ailleurs qui amènent une réflexion particulière sur la condition de l'homme-soldat de 14, de ses rapports avec une autorité militaire toute-puissante sur l'individu mais aussi avec son environnement social et culturel où il a grandit et où on lui a appris ce qu'il devait être.

Comme l'a écrit Laurent, tout le monde ne s'inscrit pas à un forum pour la vivre cette guerre et réduire l'intérêt de cette période à un unique groupuscule d'internautes me parait franchement exagéré. Justement, évitons de regarder par l'oeilleton et tâchons d'ouvrir carrément certaines portes.
Dire que 14/18 est globalement clos est très réducteur pour celles ou ceux qui y travaillent dans le but d'apporter des éclaircissements sur la conditions de vie des hommes durant cette période. On en apprend toujours, tous les jours. L'activité de chercheurs, d'enseignants universitaires, de maîtres d'école, de guide-conférenciers ou même d'amateurs-autodidactes qui s'y appliquent chacun à son niveau, avec ses moyens et sa propre passion se résumerait alors à des histoires qu'on raconte ? On a fait le tour de toutes les questions dans leur globalité ?

A mon (très) humble niveau, je suis tout de même convaincu que nous subissons encore les outrages de cette folie meurtrière. Malgré les années, même si les monuments aux morts n'inspirent plus toujours un profond respect parmis "les jeunes", ils ont encore le pouvoir d'attiser la curiosité et donc le questionnement. Leurs ombres sont dans toutes les villes, dans tout les villages, presque tout le monde s'y arrêtent un jour où l'autre. Quelle ville n'a pas sa rue de Verdun ? Ce conflit est celui qui doit être le plus présent dans l'esprit de la population car il est visible, parfois de manière monumentale parce que nos aïeux ont souhaité qui le soit. Même le promeneur, qui n'éprouve aucun intérêt pour la période, se rend compte finalement que les listes de noms sont longues, très longues. Il va même chercher de manière distraite si son nom de famille y apparaît...

Je considère la Grande Guerre comme un véritable traumatisme subit par des millions d'individus, qu'ils soient français, allemands, européens, américains...Un traumatisme subit par une personne peut mettre des années à guérir, si tant est qu'il puisse guérir un jour. Alors, imaginons un peu l'impact à l'échelle d'une histoire commune à plusieurs millions d'hommes transmise à trois, quatre, cinq générations. Très peu de temps écoulé en fait et tellement de choses à apprendre, à comprendre et à transmettre.

Pour conclure, je ne veux pas généraliser en évoquant l'idée d'une névrose latente depuis 14/18. Non, pas à ce point, mais l'ombre de 14 plane toujours avec tout ce qu'elle a de brutale et de géant, dans le sens de la démesure des moyens et des énergies engagés, quelqu'ils soient.

Une réponse donc qui n'engage que mon point de vue et uniquement sur la Grande Guerre. Je me garderais volontiers de me prononcer sur d'autres conflits. En aucune manière, je ne souhaite jouer la surenchère victimaire même s'il est très compliqué de rester objectif dans ce que l'on écrit quand on ne connaît pas tout ou que l'on a pas vécu. Il y a évidemment une part de sensibilité qui peut mener à se créer des fantasmes pour un combler un espace vide d'expérience. Me concernant, je l'admet et je le reconnais très volontiers.
Et surtout, ne nous privons pas d'en parler,. Le terrain de la Grande Guerre est assez vaste pour chacun y trouve son"compte" Je le fais donc sans volonté de blesser qui que ce soit, juste une envie de pousser la réflexion et de m'exprimer avec mes propres moyens. C'est un sujet qui ne sied peut-être pas tout le monde mais...vive la liberté d'expression.

Bien à vous, Stef.

Re: Le mutisme des anciens "poilus" après guerre

Publié : ven. oct. 26, 2012 11:02 pm
par Achache
Bonsoir,

Je vois que mes menus propos ont été mal, très mal compris ;) ; dommage, mais ça ne m'étonne pas et ça n'a du reste aucune importance...
Comme je n'ai pas l'intention d'écrire un livre (il faudrait au moins ça, pour esquisser le thème proposé...), et que ça n'en est pas le lieu ici, je ne répondrai pas point par point aux diverses remarques qui m'ont été faites. Veuillez m'en excuser.

Bien à vous,

[:achache:1]

Re: Le mutisme des anciens "poilus" après guerre

Publié : sam. oct. 27, 2012 1:14 am
par Yv'
Bonsoir à tous,

Je crois que je rejoints Stef car je pense que 14-18 et les guerres qui ont suivi ont forcément laissé des traces dans bon nombre de foyers français (et dans d'autres pays aussi, bien entendu). Nous-mêmes aujourd'hui ne sommes plus des traumatisés des tranchées (quoi que...), mais nous avons certainement hérité des souffrances de nos aînés. Comme pour tout ce qui touche au psychologique, difficile de quantifier cet héritage, mais il est probablement présent dans notre inconscient.
Pour ce qui est du mutisme des anciens combattants, qui semble largement répandu, certains ici ont déjà dit l'essentiel : le manque de mots pour exprimer l'indicible, le regard de la société, l'envie d'oublier.
On peut dire aussi que le mutisme est une des conséquences des traumatismes de guerre : de nombreux témoignages affirment que l'on n'est plus le même quand on revient du front.
Un exemple parmi tant d'autres : dans un récent documentaire américain (Wartorn) qui met en lumière 150 ans de traumatismes de guerre, un soldat raconte qu'après 1918, il s'est refermé comme une huître. Il avait réalisé que ses amis, ses concitoyens, parlaient une autre langue... Si cela vous intéresse, c'est à la 48e minute dans le lien ci-dessous (attention, le documentaire passe ensuite sans prévenir à un jeune vétéran d'aujourd'hui qui passe son temps à regarder ses insoutenables photos prises en Irak).
http://youtu.be/KaX-pvae4gw

Cordialement
Yves

Re: Le mutisme des anciens "poilus" après guerre

Publié : sam. oct. 27, 2012 8:03 am
par stcypre
Bonjour,

Pour moi qui ai connu beaucoup d'anciens Poilus je dirais que ces anciens combattants évoquaient leur guerre car "je les comprenais"... et puis je rappellerais cette phrase de M. Genevoix: Nous avons connu l'incommunicable.... Tout est résumé.
Mais aussi dans mon enfance combien de fois j'ai entendu "tais toi pépé, tu nous ennuis avec ta guerre"... et à la fin d'un repas familial: "Ça y est le pépère recommence avec sa guerre... il a un peu trop bu !!!"
En fait, et c'est mon avis ces poilus ont eu la crainte de ne pas être compris, et puis certains aveux étaient terribles. Par exemple comment dire que mon grand père et ses camarades, au fort de Vaux, avaient bu leur urine!!!
J.Claude

Re: Le mutisme des anciens "poilus" après guerre

Publié : sam. oct. 27, 2012 10:49 am
par air339
Bonjour,

Très intéressant sujet lancé par Laurent.

La psychothérapie est balbutiante en 1918 (Freud écrit "Deuil et Mélancolie" en 1916, deux de ses fils seront tués à la guerre).

Pour être traités, les traumatismes demandent l'intervention d'une personne perçue comme neutre, hors de tout jugement. Le cercle familial répond mal à cette approche : il est plus facile de se confier à son médecin qu'à ses enfants !

Régis


Re: Le mutisme des anciens "poilus" après guerre

Publié : sam. oct. 27, 2012 11:03 am
par MartineG94
Bonjour à tous,

Personnellement, je crois que le monde dans lequel nous vivons, que ce soit économiquement ou politiquement, serait tout autre si cette monstrueuse boucherie n'avait pas existé et qu'il n'est nul besoin d'être un "fondu" des années 14/18 pour se pencher sur cette période de l'Histoire.

Mais revenons au sujet!

Mes deux grand'pères avaient combattu l'un comme l'autre pendant toute la durée du conflit (respectivement classes 13 et 14, tous 2 titulaires de la Croix de Guerre), en étaient revenus et n'en parlaient pratiquement jamais.

L'un nous avait emmenés, mon frère et moi alors enfants, à Verdun lorsqu'il était allé chercher sa médaille. La seule anecdote qu'il ne nous aie jamais racontée, c'est que, comme il était grand (1m80), on le mettait toujours à l'avant lors des marches pour faire accélèrer la cadence!

Quant à l'autre, il avait jeté ses médailles au feu en disant qu'il n'avait rien fait de plus que n'importe lequel de ses camarades pour les mériter (ce qui avait eu pour conséquence de provoquer une brouille durable avec son père!). La seule autre anecdote concernait la mobilisation...

Ni l'un ni l'autre de ces hommes n'a parlé de "sa" guerre à ses enfants ou petits-enfants, aucune relation de combats, rien, nada!

Pour ma part, j'ai toujours été persuadée que ce qu'ils avaient vécu était indicible et incompréhensible pour "ceux de l'arrière", formatés par la propagande et qui auraient sans doute eu tendance à les considèrer à l'époque comme des lâches, voire comme de "mauvais" Français!

N'oublions pas non plus que leurs enfants ont connu la Seconde Guerre Mondiale et que la parole des aînés a, de ce fait, sans doute été étouffée.

Bien cordialement,

Martine













Re: Le mutisme des anciens "poilus" après guerre

Publié : sam. oct. 27, 2012 1:43 pm
par jean luc Pamart
Bonjour,
Effectivement, les anciens combattants se confiaient peu, j'ai eu des grands-oncles combattants de 39-45 qui m'ont jamais raconté leur périple. Je ne connais rien de la guerre d'Algérie de mon père.
J'ai rencontré des anciens combattants de 14-18, et pour certains, lorsque j'ai remis un document dactylographié de leur récit à leurs familles, les enfants étaient étonnés de savoir que le grand père avait "fait tout cela". Un autre m'a avoué avoir passé une mauvaise nuit après un entretien. C'est des mauvais souvenirs qu'ils s'efforcaient d'oublier, mais qui leur revenaient trop souvent à l'esprit.
Je crois que c'est Maurice Genevoix (ou Jacques Meyer) qui ont dit "Nous avons connu l'incommunicable".
Laurent à tout dit, les survivants de 14-18 pouvaient difficilement raconter ce qu'ils avaient vécu à leurs familles, mais en parlaient sans doute plus facilement entre vétrans dans les amicales d'anciens combattants.
Cordialement.
P. Lamy
D'où la réflexion de Jean Baptiste Duroselle sur son Père : INCOMPREHENSIBE
cordialement
Jean luc pamart

Re: Le mutisme des anciens "poilus" après guerre

Publié : sam. oct. 27, 2012 8:23 pm
par alain chaupin
Bonsoir
Vaste sujet que celui là.
Pour être très direct, à la guerre on s'entretue et horriblement pour celle ci.
Comment peut on en parler facilement quand on sait que l'on a pu tuer directement ou indirectement un être humain ?
Le silence est de rigueur afin de ne pas se culpabiliser un peu plus.
Ce n'est que mon humble avis.
Amicalement
Alain


Re: Le mutisme des anciens "poilus" après guerre

Publié : dim. oct. 28, 2012 9:30 am
par berry
Je n'ai pas la perception qui semble se dégager des échanges, les anciens combattants ne s'exprimaient pas...si ils s'exprimaient , si ils parlaient de leur guerre ! en particulier lorsqu'ils percevaient de l'intérèt. Les êtres humains sont ainsi, ils ont tendance à se taire lorsque personne ne s'intéresse à ce qu'ils disent et à parler lorsqu'on les écoute.
Rentrés chez eux, la vie reprenait et la vie va de l'avant .
Leur préoccupation principale nétaient pas de raconter leurs terreurs et leurs exploits et celle de leur environnement n'était pas de les questionner ni de les écouter. Leur préoccupaion aux uns et aux autres c'étaient la vie de tous les jours.
Ce qui ne veut absolument pas dire qu'ils étaient mutiques sur le sujet. A chaque fois que j'ai abordé le sujet avec des anciens combattants, puique je m' y intéressais, j'ai touvé des hommes qui s'exprimaient, non pas avec plaisir, mais sans forfanterie ni larmoiements, avec simplicité.
Par ailleurs, ce discours sur le prétendu "mutisme" des anciens combattants de 14-18, puisque c'est le sujet, va de pair avec la vision "victimaire" (ACHACHE a mis le doigt dessus).
Ces combattants de 14-18 furent aussi, vraiment, des combattants ! c'est à dire des gens qui se battaient, mordaient dans l'adversaire, ouvraient bien les yeux pour balancer leur grenade sur le nid de mitrailleuse qu'ils avaient repéré et bondissaient pour remplacer à son poste le camarade qui venait d'être tué. Comment croit-on qu'ils arrêtaient les attaques allemandes à Verdun et ailleurs, comment croit-on qu'ils les repoussaient ?.

Re: Le mutisme des anciens "poilus" après guerre

Publié : dim. oct. 28, 2012 11:05 am
par caravelle
Bonjour à tous,
Je pense un peu comme Berry.Car moi meme,j'ai agi en egoiste.
J'avais 12 ans ,un ami d'un membre de la famille ,à l'epoque devait avoir 80 ans passes.Je lui ai demande ,si il etait aveugle de naissance et pourquoi ces mains etaient abimees?
Ilm'a repondu "c'est à la guerre ,la Grande!"
Je lui ai repondu" c'est vieux ça,ça ne m'intereese pas"
En grandissant,j'ai compris que j'avais ete odieuse!
Je m'en suis voulue et meme aujourd'hui quand j'y pense ,ça me fait mal