Re: Saint-Cyr. Promotion de " La Croix du Drapeau" 1913-1914
Publié : sam. févr. 07, 2015 7:10 am
Bonsoir à toutes et à tous,
CUZIN Henri Maurice François, né le 26 mai 1895, Grenoble (Isère)
Sous-Lieutenant au 11e Bataillon de Chasseurs à Pied
Tué le 13 août 1914 au col de Luschpach (Vosges)
<< Le lieutenant Cuzin s’est sacrifié pour le serment qu’ils avaient fait. Vous savez qu’il était un Saint-cyrien de la même classe que celui qui est devenu maréchal de France, là, vous savez...Le fils du gendarme qui est encore vivant ... Eh bien, nous sommes donc partis le matin du 13 août sur les bords du lac de Gérardmer...
Nous sommes partis au front précisément et nous sommes arrivés à la frontière, et de la frontière nous sommes revenus, nous avons fait une marche. Et la première attaque sur les bords du lac de Gérardmer. Et le lieutenant Cuzin, ce jeune sous-lieutenant, quand nous sommes arrivés là et qu’on nous a dit que nous allions attaquer, il m’a dit :
« Charat, prenez le commandement ! ».
Alors j’ai dit :
« Mon lieutenant, c’est pas à moi de prendre le commandement : vous êtes chef de section, moi je suis que caporal! ».
« Charat, allez, Charat, allez, je vous demande de prendre le commandement! ».
Alors il a fallu faire... De l’autre côté du lac, il y avait un hôtel qui était occupé par les Allemands, y avait une grande cour et des arbres, y avait une grande table, et les Allemands étaient en train de prendre le café ! Nous étions partis à minuit, il était à peine jour. Et ma foi, il a fallu prendre le commandement de la section et fixer la hausse ; j’ai fixé la hausse à 1800 mètres. Vous savez, c’est assez difficile pour le faire : y a rien qui vous indique quand il faut traverser...quand vous avez une pièce d’eau à traverser ; je connaissais pas la largeur du lac à cet endroit. Enfin, j’ai mis la hausse à 1800 m et puis j’ai commandé le feu. Et puis, ma foi, ça s’est précipité! Ils ont répondu! Nous avons eu les premiers blessés. Et nous avons fait donc demi-tour, puis nous sommes descendus pour contourner le lac, pour prendre les autres à l’envers, en bas!
E - Mais pourquoi le lieutenant Cuzin vous avait-il donné le commandement ?
T – Il m’avait donné le commandement parce qu’il venait passer ses vacances dans mon pays natal où il avait un oncle...
E – Est-ce qu’il se réservait une autre mission, lui ?
T – Il avait confiance en moi. Il m’emmenait...Nous avions fait plusieurs patrouilles rien que nous deux. Et il avait une confiance absolue en moi.
E - Vous dites qu’il a eu une mort héroïque guère de temps après ?
T - Oh! Ce jour du 13 août! Ce jour-là! Alors nous sommes descendus et nous sommes arrivés dans les bois de sapins qui étaient très hauts et très serrés. Il faisait nuit en plein jour! Et il y avait des herbes qui nous venaient jusqu’aux hanches. Et tout à coup, en avançant, j’ai entendu un grelot, un grelot comme les vaches dans la montagne. J’ai dit :
« Mais y a pas de vaches par là! ».
Eh ben, c’étaient des fils de fer que les Allemands avaient placés là! Et quand on a marché sur le grelot, eh ben ils ont ouvert le feu! Alors c’est à ce moment-là que le lieutenant a commencé à mettre ses gants, mettre son shako, son casoar ... Et je lui ai dit :
« Mon lieutenant, couchez-vous! Mon lieutenant, couchez-vous! Couchez-vous : vous allez prendre une balle! ».
Et il a continué, continué...Et puis il est mort comme ça. Il a reçu une balle et il est mort! Il est mort, c’est en France, c’est pour la France!
E – Quelqu’un de quel âge ? Un jeune lieutenant ?
T - Un jeune lieutenant, il avait un an de moins que moi!
E – Donc de la 13. Donc à 21 ans!
T – Voilà
La suite du témoignage indique par bribes que le sous-lieutenant Cuzin, faisant fonction de lieutenant, était originaire de Grenoble, qu’il a été le premier mort de guerre qu’ait vu Justin Charat, qui par ailleurs n’était pas informé à l’époque du serment des Saint-cyriens :
« J’ai su longtemps après qu’ils avaient fait le serment de prendre leurs gants blancs et leur shako à la première affaire. Et il est mort comme ça! ».
source : témoignage de Justin Charrat dans "Mémoires de la Grande Guerre" de Lucien Barou, recueil de témoignages mis en ligne sur le site des AD de la Loire (signalé par Eric Mansuy : pages1418/Pagesvecuesrecitstemoignages/ ... _838_1.htm)
Notes :
- Le maréchal Juin a appartenu à la promotion "de Fès" 1909-1912 ; Il était donc plus ancien de 4 ans.
- Serment des Cyrards. Seule une partie des deux promotions, Montmirail et La Croix du Drapeau, a prêté ce serment :
<< Alors, un certain nombre qui étaient restés groupés autour d'Allard-Méeus - il y avait de Fayolle, de Blottefière, Durosoy, Hachette, de Salins, d'Ampherney, Robert de Saint-Just, Perrault, Le Balle, Poussin, de Castelnau, de Brésis, de Rigaud et d'autres - furent pris tout à coup d'une pensée folle.
Oui, dit Allard-Méeus, jurons de monter la première fois à l'assaut en casoar et en gants blancs.
Et tous ceux qui se trouvaient là prêtèrent ce serment. >>
source "Le Gaulois" du 20 mars 1928 sur Gallica
Cordialement
Étienne
CUZIN Henri Maurice François, né le 26 mai 1895, Grenoble (Isère)
Sous-Lieutenant au 11e Bataillon de Chasseurs à Pied
Tué le 13 août 1914 au col de Luschpach (Vosges)
<< Le lieutenant Cuzin s’est sacrifié pour le serment qu’ils avaient fait. Vous savez qu’il était un Saint-cyrien de la même classe que celui qui est devenu maréchal de France, là, vous savez...Le fils du gendarme qui est encore vivant ... Eh bien, nous sommes donc partis le matin du 13 août sur les bords du lac de Gérardmer...
Nous sommes partis au front précisément et nous sommes arrivés à la frontière, et de la frontière nous sommes revenus, nous avons fait une marche. Et la première attaque sur les bords du lac de Gérardmer. Et le lieutenant Cuzin, ce jeune sous-lieutenant, quand nous sommes arrivés là et qu’on nous a dit que nous allions attaquer, il m’a dit :
« Charat, prenez le commandement ! ».
Alors j’ai dit :
« Mon lieutenant, c’est pas à moi de prendre le commandement : vous êtes chef de section, moi je suis que caporal! ».
« Charat, allez, Charat, allez, je vous demande de prendre le commandement! ».
Alors il a fallu faire... De l’autre côté du lac, il y avait un hôtel qui était occupé par les Allemands, y avait une grande cour et des arbres, y avait une grande table, et les Allemands étaient en train de prendre le café ! Nous étions partis à minuit, il était à peine jour. Et ma foi, il a fallu prendre le commandement de la section et fixer la hausse ; j’ai fixé la hausse à 1800 mètres. Vous savez, c’est assez difficile pour le faire : y a rien qui vous indique quand il faut traverser...quand vous avez une pièce d’eau à traverser ; je connaissais pas la largeur du lac à cet endroit. Enfin, j’ai mis la hausse à 1800 m et puis j’ai commandé le feu. Et puis, ma foi, ça s’est précipité! Ils ont répondu! Nous avons eu les premiers blessés. Et nous avons fait donc demi-tour, puis nous sommes descendus pour contourner le lac, pour prendre les autres à l’envers, en bas!
E - Mais pourquoi le lieutenant Cuzin vous avait-il donné le commandement ?
T – Il m’avait donné le commandement parce qu’il venait passer ses vacances dans mon pays natal où il avait un oncle...
E – Est-ce qu’il se réservait une autre mission, lui ?
T – Il avait confiance en moi. Il m’emmenait...Nous avions fait plusieurs patrouilles rien que nous deux. Et il avait une confiance absolue en moi.
E - Vous dites qu’il a eu une mort héroïque guère de temps après ?
T - Oh! Ce jour du 13 août! Ce jour-là! Alors nous sommes descendus et nous sommes arrivés dans les bois de sapins qui étaient très hauts et très serrés. Il faisait nuit en plein jour! Et il y avait des herbes qui nous venaient jusqu’aux hanches. Et tout à coup, en avançant, j’ai entendu un grelot, un grelot comme les vaches dans la montagne. J’ai dit :
« Mais y a pas de vaches par là! ».
Eh ben, c’étaient des fils de fer que les Allemands avaient placés là! Et quand on a marché sur le grelot, eh ben ils ont ouvert le feu! Alors c’est à ce moment-là que le lieutenant a commencé à mettre ses gants, mettre son shako, son casoar ... Et je lui ai dit :
« Mon lieutenant, couchez-vous! Mon lieutenant, couchez-vous! Couchez-vous : vous allez prendre une balle! ».
Et il a continué, continué...Et puis il est mort comme ça. Il a reçu une balle et il est mort! Il est mort, c’est en France, c’est pour la France!
E – Quelqu’un de quel âge ? Un jeune lieutenant ?
T - Un jeune lieutenant, il avait un an de moins que moi!
E – Donc de la 13. Donc à 21 ans!
T – Voilà
La suite du témoignage indique par bribes que le sous-lieutenant Cuzin, faisant fonction de lieutenant, était originaire de Grenoble, qu’il a été le premier mort de guerre qu’ait vu Justin Charat, qui par ailleurs n’était pas informé à l’époque du serment des Saint-cyriens :
« J’ai su longtemps après qu’ils avaient fait le serment de prendre leurs gants blancs et leur shako à la première affaire. Et il est mort comme ça! ».
source : témoignage de Justin Charrat dans "Mémoires de la Grande Guerre" de Lucien Barou, recueil de témoignages mis en ligne sur le site des AD de la Loire (signalé par Eric Mansuy : pages1418/Pagesvecuesrecitstemoignages/ ... _838_1.htm)
Notes :
- Le maréchal Juin a appartenu à la promotion "de Fès" 1909-1912 ; Il était donc plus ancien de 4 ans.
- Serment des Cyrards. Seule une partie des deux promotions, Montmirail et La Croix du Drapeau, a prêté ce serment :
<< Alors, un certain nombre qui étaient restés groupés autour d'Allard-Méeus - il y avait de Fayolle, de Blottefière, Durosoy, Hachette, de Salins, d'Ampherney, Robert de Saint-Just, Perrault, Le Balle, Poussin, de Castelnau, de Brésis, de Rigaud et d'autres - furent pris tout à coup d'une pensée folle.
Oui, dit Allard-Méeus, jurons de monter la première fois à l'assaut en casoar et en gants blancs.
Et tous ceux qui se trouvaient là prêtèrent ce serment. >>
source "Le Gaulois" du 20 mars 1928 sur Gallica
Cordialement
Étienne