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Re: Journal d'un fusilier marin

Publié : jeu. avr. 10, 2008 9:49 am
par Ar Brav
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Samedi 10. — Le 105 allemand ne nous laisse guère en repos aujourd'hui. Autour de ma seule section je compte plus de soixante marmites, sans avoir un seul blessé. D'ailleurs, nous avons calculé l'autre jour qu'en temps normal, en dehors des attaques, il fallait en moyenne cent dix obus boches pour blesser un de nos marins.

(à suivre...)

Re: Journal d'un fusilier marin

Publié : ven. avr. 11, 2008 8:38 am
par Ar Brav
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Dimanche 11. — Blotti de jour dans un angle extérieur du gourbi qui permet de ne pas perdre un seul rayon du bon soleil de printemps, je suis de l'oeil les évolutions d'une forte escadrille alliée qui va opérer quelque destruction sensationnelle dans les camps germains. Les flocons blancs des shrapnells s'éparpillent deux par deux, un coup long, un coup court... mais pas de coup au but. Dans le rayonnement du soleil couchant, les avions s’en retournent au nid, suivis des mêmes petits nuages. Aucun ne manque à l'appel.

(à suivre...)

Re: Journal d'un fusilier marin

Publié : sam. avr. 12, 2008 7:33 am
par Ar Brav
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Lundi 12. — Brusquement, l'après-midi, le bruit se répand que le Président Poincaré va traverser le village auprès duquel, cette nuit, nous avons repris notre cantonnement. Il passe, mais pas chez nous. Seul, nous arrive un obus égaré qu'on prétend lui avoir été destiné par les Boches, et dont les officiers de l'escorte achètent à bon prix les éclats. La légende se répand ensuite qu'on aurait ramassé une enveloppe de shrapnell portant une inscription : "Bienvenue au Président Poincaré". Beaucoup répètent ce bruit, mais je n'ai pu trouver un seul témoin oculaire ; les zouaves prétendent que l'obus est tombé chez les marins, nos hommes disent que ce sont les artilleurs qui l’ont reçu, ou bien les territoriaux.

(à suivre, le 14...)

Re: Journal d'un fusilier marin

Publié : lun. avr. 14, 2008 8:49 am
par Ar Brav
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Mercredi 14. — On m'a permis aujourd'hui d'aller en auto passer quelques heures à Dunkerque. Prendre un bain chaud, quelle joie alors même qu'il faut attendre son tour pendant deux heures, avec des numéros comme au tramway. Un camarade qui navigue me raconte sa fierté : « Les Boches ont encadré mon petit dragueur avec du 305 ! Du 305 pour un pauvre chalutier ! Ils ne feraient pas mieux pour un cuirassé d'escadre ! » Il exulte de cet hommage rendu à son obscure tâche de nettoyeur des mers.

(à suivre...)

Re: Journal d'un fusilier marin

Publié : mar. avr. 15, 2008 7:29 am
par Ar Brav
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Jeudi 15. — Aux tranchées, nous travaillons activement cette nuit : une nouvelle ligne qui nous rapproche de l'ennemi. Cela ne plaît pas à ces messieurs d'en face, car trois batteries de 77 crachent sur nous leurs feux croisés, toujours aussi inoffensifs.

(à suivre...)

Re: Journal d'un fusilier marin

Publié : mer. avr. 16, 2008 9:22 am
par Ar Brav
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Vendredi 16. — D'ordinaire, les mitrailleuses, aussi bien d'un bord que de l'autre, se terrent silencieusement jusqu'à l'heure de l'attaque : tirer sans nécessité, c'est, pour elles, le repérage à peu près assuré, et quelque gros « noir » venant tout démolir. Or, ce matin, un avion belge s'étant avisé de voler bas dans les environs des lignes allemandes, cinq mitrailleuses ont commencé à moudre leur café en son honneur. Quelles aubaine pour nous, qui pouvons ainsi vérifier et rectifier nos hypothèses et nos déductions.

(à suivre...)

Re: Journal d'un fusilier marin

Publié : jeu. avr. 17, 2008 8:48 am
par Ar Brav
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Samedi 17. — Au point du jour, gros émoi pour la compagnie. Une section, qui travaillait au loin à de nouveaux fortins, encore intenables de jour, s'est laissé surprendre par la lumière au moment où elle traversait en terrain découvert. Les Mauser ne perdent pas une si belle occasion, et deux mitrailleuses se mettent de la partie. Une dizaine d'hommes, pris par la rafale, n'ont que le temps de se jeter à terre là où ils sont, en plein champ. Chaque fois que l’un d'eux essaye un mouvement, le « tacatacata » reprend avec une fureur nouvelle. On les voit absolument immobiles, le sac posé devant la tête. Rien à faire pour les secourir ; et toute la journée, ce spectacle angoissant reste dans le champ de nos jumelles. Combien sont morts ? Blessés ? Qu'est devenu le reste de la section ? A la nuit, le colonel, prévenu par téléphone, trouve moyen de se glisser jusqu'à nous ; le jour est lent à tomber..., n'y tenant plus, il franchit, en quelques enjambées, 40 mètres de terrain découvert, jusqu'au fortin suivant. Deux salves. Manqué ! L'obscurité s'établit petit à petit ; des ombres se glissent venant de l'arrière, les brancardiers, l'aumônier. Les balles sifflent, incertaines. Un par un, les hommes rentrent, le premier maître vérifie l'appel sur sa liste. Chose surprenante ! Trente hommes au moins ont été exposés au feu intense de la mousqueterie, dix sont restés là, devant nous, pendant quatorze heures, un seul est blessé, légèrement ; deux sont perclus de rhumatismes, étant demeurés dans l'eau ; des balles dans les sacs, dans les capotes, et c'est tout. Je crois décidément que notre compagnie a la veine.
Les Boches sont un peu énervés ce soir : sans doute ils croient nous avoir à moitié massacrés. A l'heure où l'on nous relèvera, il y aura de la casse. Les précautions sont prises, les hommes filent sans bruit. Je viens d'arriver, avec les derniers, hors de la zone la plus dangereuse, lorsque deux salves de 77, l'une percutante, l'autre fusante, s'abattent sur les environs de Saint-Georges. Un caporal mitrailleur tombe raide. Le même obus arrache le bras droit du jeune enseigne mitrailleur Tarrade. Celui-ci refuse l'unique brancard à portée : « Mettez mon quartier-maître dessus, il est plus grièvement atteint. » Et lui, toujours calme, s'engage à pied dans le long boyau qui mène au poste de secours, trouve encore la force de s'arrêter auprès du capitaine le plus proche pour rendre compte. Trois kilomètres plus loin, au poste de secours, il fallait pratiquer d'urgence une amputation.

(à suivre, le 21...)

Re: Journal d'un fusilier marin

Publié : lun. avr. 21, 2008 8:35 am
par Ar Brav
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Mercredi 21. — Fête de famille pour nous ce matin : notre chef de bataillon reçoit la rosette d'officier de la Légion d'honneur, et mon excellent capitaine a enfin la croix méritée depuis Dixmude. La revue se passe quelque part sur l'arrière. Le drapeau des zouaves, noblement déchiré au combat, le jeune drapeau des marins, défilent avec des représentants de chacun des corps, territoriaux, zouaves et marins, devant les nouveaux décorés que vient d'accoler le général Hély d'Oissel, tandis que la musique des zouaves, alerte, répète l'air enlevant : « Vous avez pris l'Alsace et la Lorraine, mais notre coeur vous ne l'aurez jamais. »
Cette petite revue, toute privée si j'ose dire, faite entre nous dans un coin perdu de Belgique, avec des troupes qui, hier, étaient au feu, qui y retourneront demain, avec le grondement tout proche du canon, c'est plus pénétrant, plus réconfortant pour ceux qui y prennent part, que les plus solennels défilés du temps de paix.
Faites ainsi sans grand luxe de préparation, d'astiquage, de répétitions énervantes, avec des troupes habituées, depuis des semaines, à combattre côte à côte, ces petites revues perdent leur caractère ennuyeux pour ne conserver que leur bon côté, pour n'être plus que des coups d'éperon donnés à l'enthousiasme, à la confiance et à l'ardeur.

(à suivre...)

Re: Journal d'un fusilier marin

Publié : mar. avr. 22, 2008 8:18 am
par Ar Brav
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Jeudi 22. — Au cantonnement. Le soleil invite à sortir ; les tennis de la plage ne chôment pas. Les officiers de marins voisinent avec leurs camarades des zouaves et des territoriaux.
L'après-midi, une grande séance sportive a lieu dans un pré entre équipes du 3ème bataillon de marins et zouaves. Boxe, lutte, joyeuse partie de football, voire même intermèdes comiques, ne manquent pas. Pour finir, une distribution des prix, et les capitaines des 10ème et 12ème compagnies, qui se sont procuré des gâteaux je ne sais où, réunissent en un thé, sans cérémonie, les officiers des deux bataillons de zouaves et de marins. Je cause un instant avec M. d'Humiéres, le traducteur de Kipling, qui a pris du service comme lieutenant de zouaves. Nous ne pensions pas, l'un et l'autre, que deux ou trois jours plus tard, l'attaque des gaz asphyxiants lui serait fatale.

(à suivre...)

Re: Journal d'un fusilier marin

Publié : mer. avr. 23, 2008 7:34 am
par Ar Brav
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Vendredi 23. — On apprend aujourd'hui qu'une forte attaque boche, précédée de gaz asphyxiants, a réussi à percer nos premières lignes du côté de Steenstraete et Ypres. Mes amis les artilleurs passent à cheval, courant vers le point menacé. Les joueurs de football d'hier, les zouaves, partent en renfort. Nous-mêmes sommes en alerte.

(à suivre...)