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Re: CHEMIN DES DAMES 15 avril

Publié : dim. mai 27, 2007 2:19 pm
par serge
6 juillet 1917

"Après ces dures journées, le régiment compte être relevé de jour en jour. Les barbes ont poussé, les figures sont amaigries, les yeux sont jaunes; on n'a pu se laver. C'est l'épuisement, on reste quand même, mais l'esprit devient de plus en plus mauvais.
Il y a 25 jours que mon bataillon tient le secteur. Nous devons être relevés par le 10e Btn qui remonte encore une fois en ligne.
A une heure du matin, personne. On apprend que les hommes ne veulent pas retourner en ligne. Puis, vers trois heures du matin, alors que le jour va se lever, il en arrive par petits groupes de quatre, cinq. Enfin, vers quatre heures, les récalcitrants ont été ramenés à la raison, la relève peut se faire, mais dans quelles conditions. Le jour s'est levé. Les avions boches planent au-dessus de nous et signalent les mouvements de troupe. C'est un déluge d'obus de tous calibres. Les tranchées n'existent plus. Il faut franchir les espaces en pleine vue; on s'en va courbant le dos sous les rafales de mitrailleuses".


7 juillet 1917

"Ma compagnie est de nouveau en réserve à la tranchée Bartan. Pas un abri, pas un coin pour se mettre, il faut passer les jours et les nuits dans le boyau, à la belle étoile.
De relève, il n'en est pas question: on avait dit 4 juillet, puis le 6; à présent, on parle du 8, puis du 10, du 11 ou du 12. C'est fou de laisser un secteur pareil sous la garde d'hommes épuisés à ce point et avec un pareil esprit!
Et chaque soir, on s'attend à une attaque sur le front du régiment. Les défenses n'existent plus, les tranchées bouleversées ne sont pas défendables. Nous nous attendons à chaque instant à être appelés en renfort ou à contre-attaquer. C'est l'angoisse perpétuelle.
Les ravitaillements sont à peu près impossibles; plusieurs chevaux ont été tués et non remplacés, les hommes exténués, diminués, ne peuvent plus faire les 10 ou 12 kilomètres sous les bombardements intenses pour aller chercher les vivres. L'eau manque. Depuis un mois, on est sans sommeil, sans linge, on vit dans la terre, dans une saleté repoussante, en pleine vermine. Les hommes sont couverts de poux. Le moral est de plus en plus bas.

Dès le soir, l'artillerie se fait de plus en plus formidable".

Re: CHEMIN DES DAMES 15 avril

Publié : lun. mai 28, 2007 5:39 pm
par serge
8 juillet 1917: Funeste journée pour le régiment


Communiqué du 8 juillet:

Entre les Bovettes et la ferme de Froidmont, l'attaque ennemie s'est développée sur un front de 3 kms. Après une lutte de plusieurs heures, nous avons réussi à rejeter l'ennemi d'une partie de nos éléments de première ligne où il avait pénétré au premier choc.
Dans la région du sud de Filain, la lutte d'artillerie a atteint une grande violence.

Communiqué du 9 juillet:

Entre les Bovettes et l'Epine de Chevregny, nos troupes ont contre-attaqué les tranchées que l'ennemi avait occupées hier et l'ont rejeté sur un front de 1500 m environ. Ce brillant succès nous a rendu la majeure partie des avantages obtenus par l'ennemi. D'après des renseignements nouveaux, cette attaque adverse avait été conduite par des éléments appartenant à trois divisions différentes renforçées par des unités spéciales d'assaut, par des pionniers et des détachements de lance-flammes: au total un effectif d'une dizaine de bataillons frais.

"Journée mémorable pour le régiment. En Champagne (1915) les pertes en officiers avaient été de 22. En 1916 à Verdun de 23. Demain, on comptera 32 officiers et deux bataillons (5e et 10e) avec leur commandement disparus presque en entier.
On savait que les Boches tenteraient une attaque sur notre front; le nivelage des tranchées l'indiquait et l'ennemi devait fatalement compléter sa prise des derniers jours pour avoir des vues sur nos positions. Le bombardement très violent s'était ralenti.
Soudain à 3 heures, une canonnade effroyable ébranle l'air; tout s'embrase. Sur le front du régiment, sur ses arrières, c'est un déluge de feu!
Comment arriverons-nous à franchir les barrages pour arriver aux premières lignes ?
A 3h10, le téléphone est coupé, rien ne marche plus, rien que les coureurs.
A 4h15, je recois un pli du colonel me disant d'alerter ma compagnie et le peloton de mitrailleurs qui est avec moi. Ce pli est parti du PC du colonel en avant de nous, à 3h15.
A 4h55, second pli parti à 4h10 me disant de venir de suite. Minute angoissante. Et, en même temps arrive comme un fou un homme qui nous raconte qu'il a pu se sauver des mains des boches, que toute la ligne est prise, que le 5e et le 10e bataillon sont prisonniers.
C'est donc la contre-attaque qui nous attend. Personne ne bronche, pas un murmure.
A 5h05, tout le monde a démarré. En longue file, nous franchissons les boyaux éboulés, il faut passer par la ferme Gerlaux où un barrage incessant de 210 sème la panique, puis un ravin où se trouve le PC du colonel; c'est un enfer de feu.
Comment avance t'on comment pouvons-nous passer, comment n'est-on pas assommé à chaque pas. On va trébuchant, ça pète de partout, on se couche, on se relève, il pleut, on nage dans la boue mais on va, pressés de sortir de cette fournaise, pressés d'arriver pour trouver peut-être pire encore. A tout moment le boyau est comblé, il faut passer à découvert, on va quand même, ruisselant d'eau, de sueur, de boue, la respiration haletante, l'étreinte à la gorge. On nous attend, on va, on va.
Nous arrivons au ravin du colonel".



La ferme Gerlaux vue de l'emplacement de la tranchée Bartan:

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La ferme en 1914:

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Re: CHEMIN DES DAMES 15 avril

Publié : lun. mai 28, 2007 6:30 pm
par serge
"La situation on ne la connaît pas, sinon que quelques échappés racontent que les boches tiennent nos lignes, que les deux bataillons n'existent plus, les commandants Grillot et Poli, leurs adjudants-major Caldeiron et Pipat, tous les officiers sont prisonniers, à l'exception de Sevez qui s'est échappé. Le front est découvert, le colonel n'a plus rien devant lui, ses papiers sont brûlés, il s'apprête à partir.
Lorsque j'arrive tout le monde pousse un Ouf!"


Ravin de la ferme Gerlaux où se trouvait le PC du colonel Mellier:

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"Un seul peloton disponible gardait l'emplacement des deux bataillons. Aussitôt trois sections de ma compagnie entrent en action, il faut connaître la situation exacte. Les obus tombent comme grêle, on est boulé à tout moment, c'est miracle d'avancer quand même.
Les deux autres compagnies du 6e Btn ont été demandées; elles n'arriveront que dans deux heures.
Trois prisonniers sont ramenés. On commence à savoir.

L'attaque a été instantanée et très violente avec des troupes spéciales. Elle a été facilitée par ce fait que nos compagnies avaient évacué la première ligne pour permettre à notre artillerie un tir de destruction sur les tranchées ennemies. Les Boches ne rencontrèrent là personne, poussèrent et arrivèrent de suite à la 2e puis 3e ligne où ils raflèrent tout le monde par surprise.

Le temps passe, le canon tonne de plus belle, c'est effroyable.
Je reçois mission d'organiser une ligne partant de ce qui reste de la première ligne à droite à la tranchée du départ, notre dernière défense.
Il faut procéder par infiltration en combattant à la grenade. Le Boche est partout, on en rencontre à chaque pas. J'ai sous mes ordres mes trois sections, deux de la 38e compagnie, une de la 22e, une de la 23e et quelques échappés qui viennent combattre.
Tenir c'est là l'essentiel; les hommes sont harassés, couverts de boue, on tient quand même. On refoule les fractions avancées de l'ennemi, on réoccupe une partie du terrain perdu.
Les heures sont interminables, le canon ne s'arrête pas, la terre tremble, tout vole autour de nous.
Les tués et les blessés sont nombreux.

A 16h, on apprend que la relève aura lieu ce soir, le 159e a été alerté et arrive en autos. Le 244e en réserve à Braine et la 68e DI refusent de marcher".

Re: CHEMIN DES DAMES 15 avril

Publié : lun. mai 28, 2007 6:47 pm
par armand
Bonjour Serge

Merci pour les photos. J'ai pu VOIR le parcours du 132

Le 16 avril, le 132e doit attaquer de la ferme de Metz en direction de la ferme Froidmont. Le départ pour l’assaut, le 16 à 6 heures. En première ligne, le 2e bataillon à droite, le 3e bataillon à gauche, en réserve le 1er bataillon. Les vagues sortent dans un ordre parfait avec le même calme qu’à la manœuvre. Mais après le franchissement de la tranchée d’Orsova, première ligne allemande, à 6 heures 10 un crépitement de mitrailleuses part de toutes les directions. Les mitrailleuses ennemies, que n’avaient pas fait taire notre artillerie, accomplissent leur terrible œuvre de mort. Le 2e bataillon est entièrement décimé, le Chef de bataillon Commandant Rivals, tous les commandants de compagnie tombent pour ne plus se relever. Les débris de ce bataillon sans chefs se cramponnent néanmoins au terrain. A sa gauche, le 3e bataillon, bien que décimé lui aussi, progresse lentement. Il a fallu relever les épaves du 2e bataillon pendant la nuit par le 1er bataillon. Le 17 avril au soir l’attaque est reprise. Avides de venger leurs morts, sans souci de leurs terribles pertes, le 3e bataillon à gauche et le 1er bataillon à droite attaquent sans arrêt, entrent dans les boyaux ennemis à la grenade, franchissent les tranchées, et après une série de combats de nuit ininterrompus arrivent au petit jour à s’emparer des Carrières et de la position formidable qui domine toute la vallée. Le Lieutenant-Colonel Theron, grièvement blessé, a été remplacé à la tête du régiment par le Chef de bataillon Perret commandant le 1er bataillon. 26 officiers dont un Chef de bataillon tués et 900 hommes tués ou blessés ont arrosé de leur sang les pentes qui mènent au Chemin des Dames vers la ferme de Froidmont.

Cdt
Armand

Re: CHEMIN DES DAMES 15 avril

Publié : lun. mai 28, 2007 7:00 pm
par armand
Et celui du 294

Le Régiment reste en réserve à Dhuizel les 16 et 17,puis est mis le 18 à la disposition de la 127ème D.I. dont il relève les éléments de gauche en première ligne (355ème R.I.). Le 20, le 4ème Bataillon s’empare des villages d’Aizy et de Jouy, puis des pentes Sud du Mont Sans Pain et du Mont des Roches. Ce succès nous rend maître d’un matériel très important comprenant notamment 6 canons et une très grande quantité de munitions d’artillerie.
Jusqu’au 4 mai, le Régiment s’organise sur le terrain conquis à portée d’assaut de la ligne Mindenburg. Le régiment, aile gauche de la Division, d’un élan magnifique, atteint tous ses objectifs et s’empare de toute la première position ennemie : tranchée de la Miche, le Panthéon, les Bovettes et la carrière des Bovettes, faisant 400 prisonniers et s’emparant d’un nombreux matériel dont 5 mitrailleuses.

Le Régiment relevé dans la nuit du 9 au 10 mai par le 172ème R.I. gagne par voie de terre les cantonnements de repos dans la région de Soisson. Le 19 mai, Septmonts est traversé par le 26 BCP.... (lire l'article de Denis Rolland dans le dernier numero de "14-18")

Le 22 mai, le Régiment remonte en ligne et relève le 172ème R.I. Le 25 une attaque allemande déclenchée au petit jour permet à l’ennemi de prendre pied dans nos éléments avancés du saillant de Bovettes. Appuyées par deux compagnies du 26ème Bataillon Sénégalais, nos fractions de réserve contre-attaquent aussitôt et nettoient d’ennemis les carrières de Bovettes, y faisant 40 prisonniers et s’emparent de 2 mitrailleuses. Les nombreuses tentatives faites par l’ennemi pour récupérer ces carrières échouent malgré une préparation d’artillerie intense.

Armand

Re: CHEMIN DES DAMES 15 avril

Publié : lun. mai 28, 2007 11:58 pm
par serge
Bonsoir Armand,

Le secteur des Bovettes est immédiatement à l'est de la position de la Chapelle Sainte Berthe sur la ligne Hindenbourg.
Voici une vue de Dhuizel.

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Pour l'épisode du 132e RI, la ferme du Metz n'existe plus. Elle se situait sur la rive ouest du canal sensiblement face à Moulin Brûlé qui est sur la rive est:

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Re: CHEMIN DES DAMES 15 avril

Publié : mar. mai 29, 2007 8:08 pm
par vincent le calvez
Bonjour à tous,

Merci mille fois Serge et Armand pour ces récits dans ce secteur.

Je posterai dans les prochains jours un message sur le 28e RI qui arriva début juin 1917 devant les Bovettes...

Bien à vous

Vincent

Re: CHEMIN DES DAMES 15 avril

Publié : mer. mai 30, 2007 12:44 am
par serge
La relève:

"La nuit arrive, les tirs de barrage se succèdent; des deux cotés c'est l'énervement.
Derrière nous, dans le ravin du colonel c'est un déluge de 210. Je reçois l'ordre de contre-attaquer pour reprendre la tranchée de Scutari où sont encore des fractions ennemies. Des mitrailleuses me déciment une section; un feu d'artillerie nous plaque à terre. Par trois fois nous repartons à l'assaut, en vain, les hommes n'en peuvent plus.

Enfin la relève arrive, on ne connaît pas exactement les lignes, on ne sait où est l'ennemi. C'est la confusion. Et déjà les Allemands ont organisé leurs crapouillots qui tirent par batterie de 6 et pilonnent nos emplacements. Dans une seule section, j'ai sept tués en un clin d'oeil.
On part sous le feu et, une nouvelle fois, il faut traverser Ostel, la ferme Rochefort, Vailly effroyablement marmité: pas un mètre carré sans plusieurs trous d'obus, partout des cadavres d'hommes, de chevaux, la désolation, la ruine.

Nous sortons de la zone battue, on respire. Je suis brisé voilà des jours et des nuits que nous sommes en alerte, personne n'a mangé depuis trente heures. A la première pause, je me laisse choir et m'endors. Cependant, nous ne sommes pas arrivés, il faut repartir et ce n'est qu'à 9 heures du matin que nous atteignons les creutes de Chassemy".






Jusqu'à la fin de la campagne, le 359e portera le poids de cette journée. Le commandement lui fera grief de s'être laissé prendre deux bataillons. Cependant ceux qui restent, qui ont combattu, ont empêché l'ennemi de progresser, en sont-ils responsables ? Et ceux-là qui subissent la captivité, qui ont sombré sous l'attaque sont-ils responsables à ce point ?

La fatalité a sa grande part de responsabilité dans cette affaire. Le commandement savait qu'une attaque était imminente; pour essayer de l'enrayer, un tir d'artillerie avait été décidé pour le 8 juillet à 3 h sur les lignes ennemies. Ce tir avait pour but de bouleverser les organisations, de désorganiser ses troupes. En vue de ce tir, toutes nos troupes avaient été retirées des lignes à l'exception de quelques guetteurs. Tous les hommes - sur ordre- avaient été entassés dans les abris, peu nombreux, de sorte que les capitaines n'avaient plus aucune action.

A 3 h, en même temps que notre tir se déclenchait, l'ennemi opérait son attaque. Ce fut foudroyant et l'ennemi ne rencontrant aucun obstacle dans son avance, arriva jusqu'aux abris bourrés de monde. Des jets de grenades semèrent la panique, des groupes entiers furent faits prisonniers.
C'est ainsi que débuta la journée et pourtant l'Allemand n'alla pas plus loin; le soir la plus grande partie était reprise.

C'était un jour funeste pour le régiment, toute citation fut refusée à ceux qui avaient fait leur devoir. La guerre n'est-elle pas faite, pour l'un comme pour l'autre, de prise de terrain et de prises d'hommes ?

Oui, mais on avait constaté le mauvais vouloir du 10e bataillon à monter en ligne quelques jours auparavent. De là, à accuser ces troupes de s'être rendues, il n'y avait qu'un pas. Il fut vite franchi.


Ostel :
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Ancienne et nouvelle ferme de Rochefort:
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Vailly:
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Chassemy:
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Re: CHEMIN DES DAMES 15 avril

Publié : mer. mai 30, 2007 10:01 pm
par vincent le calvez
Bonjour Serge,

Est-ce que sur ta carte, on peut lire la localisation du boyau de la source ? Il doit se trouver près du boyau du Venin, entre les Bovettes et la ferme Royère ?

Merci encore pour tous ces récits !

Bien à toi

Vincent

Re: CHEMIN DES DAMES 15 avril

Publié : jeu. mai 31, 2007 11:40 pm
par serge
Bonsoir Vincent,

Il existe un boyau Sainte Berthe et une Source Sainte Berthe dans ce secteur, mais pas de Boyau de la source.
Quelle date est -elle concernée?
Cordialement
Serge



Ravin de Sainte Berthe:
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Ruines de Filain vues de l'Epine de Chevregny:
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Chapelle de Filain vue de La Royère:
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