Bonjour,
Il y a des choses intéressantes à creuser sur la photo présentée par François et identifiée par Alain comme photo de propagande.
Cette photo est prise à la nouvelle et très moderne usine de Chilwell, près de Nottingham en Angleterre, qui débute son activité en janvier 1916.
Elle bénéficie des nouvelles formes d’organisation issues des Etats-Unis (tout comme l’usine d’obus Citroën du quai de Javel) : parcellisation des tâches, rationalisation des espaces, adaptation du matériel, propreté, sécurité. D’où une abondance de clichés de « propagande ».
Cette usine (en fait, un complexe de 6 ateliers), est consacrée au chargement des obus en explosifs, Lyddite ou Amatol, l’équivalent de notre mélinite.
Ces explosifs de couleur jaune produisent des poussières qui teintent tout, à commencer par la peau des «
munitionettes » - le terme est utilisé en Angleterre, avec un « n » en moins - qui sont surnommées «
canaries ». Des autopsies montreront que cette pigmentation se retrouve jusque dans les muscles et les organes internes.
La photo nous montre une étape du marquage à la peinture des obus, après leur chargement.
Ceux-ci arrivent sur les wagonnets que l’on voit en arrière-plan (du moins il me semble qu’il s’agit de wagonnets, que l’on voit sur d’autres photos prises dans cette usine).
Les ouvrières 1 à 3 font basculer les obus à plat sur le plan incliné : opération difficile car ces obus de gros calibre (on dirait des 8. ou 9.2 inch) dépassent les 100 kilos !
La 4e ouvrière semble stopper l’obus, la 5e applique une marque à la peinture (stencil) aidée par la 6e. Les 4e et 6e tiennent une manette qui doit servir à bloquer les projectiles. Les 7e et 8e les reprennent ensuite sur un diable.
La seule marque apposée semble être le cercle sur l’ogive, cercle qui doit être rouge et indique que l’obus est chargé.
Les ouvrières, mal assises sur des caisses à munition, sont obligées d’effectuer leur travail à mauvaise hauteur, ce qui implique des efforts inutiles et des TMS à long terme.
Il existe d’autres photos colorisées de cette scène, avec des couleurs différentes pour les tenues : kaki ou bleu ! Ce qui montre les réserves à avoir sur tout document retouché…
La sécurité dans cette usine modèle impose le port de tenues de travail : salopette, bonnet, gants de caoutchouc,
boots de caoutchouc, ces dernières pour éviter tout frottement sur le sol qui pourrait faire détoner des poussières d’explosif. Cette photo prise à Chilwell se veut exemplaire :
Pourtant, on peut constater sur l’opération de marquage à la peinture que les ouvrières ne portent pas de gants, qui ne seraient pas inutiles si l’une d’elles se faisait coincer un doigt entre deux obus ! De même, l’ouvrière qui appose la peinture ne porte pas de boots mais des chaussures à talon ; tandis que les ouvrières qui poussent les diables chaussent bien les boots.
Toutes ces mesures de sécurité n’empêcheront pas une catastrophe. Le 1er juillet 1918, un atelier saute, provoquant la mort de 134 personnes, dont seulement 38 pourront être identifiées…
Pour en savoir plus sur l’usine de Chilwell, un lien intéressant sur le site de l'Imperial War Museum :
http://www.iwm.org.uk/history/9-women-r ... ns-factory
Cordialement,
Régis