Forum PAGES 14-18

Bonsoir à toutes et tous, bonsoir Rémy

Travaillant dans une maison de retraite depuis plus de 10 ans, il m'est arrivé à plusieurs reprises d'écouter et d'échanger avec les résidents de cette maison de retraite sur la 1ere et la 2e guerre mondiale. effectivement, il y a la un potentiel de témoignage et l'idée de créer un atelier sur ce thème est intéressante (j'avoue que j'y pense moi même de temps à autres mais je n'ai jamais pris le temps de pousser plus loin cette idée...).
Je partage totalement les mises en garde citées par mes petits camarades (Confusions, on m'a dit que, mes vieilles histoires n'intéressent personne, histoire douloureuse,fatigue, manque de concentration au bout d'un moment, etc...) cependant, je pense que le jeu en vaut la chandelle. Nos anciens ont des trésors dans leurs mémoires mais aussi dans leurs tiroirs.
Personnellement à mon humble avis, dans un premier temps il faut les intéresser au sujet et, comme le dit Louis Le Bègue, il vous faut montrer que vous connaissez un tant soit peu le sujet. Cependant, si vous commencez par le récit d'une bataille ou d'un régiment, je ne sais si vous allez réussir à capter l'attention de tout votre groupe, a moins d'évoquer un combat qui à eu lieu dans la région. Généralement, il y a beaucoup plus de femmes que d'hommes dans les maisons de retraite et bien souvent, les femmes ne s'intéressent pas au batailles et régiments mais à l'histoire locale.
Personnellement je commencerais par me documenter sur ce qui s'est passé dans le village ou la région ou se trouve cette maison de retraite pendant la 2e guerre mondiale afin de préparer une petite conférence suivie d'un débat. Après cette première approche, proposer la mise en place d'un atelier de rencontre sur le sujet: l'histoire locale pendant la 2e guerre mondiale, c'est à dire leur vécu. Ensuite, petit à petit, les langues se délieront et le débat dépassera l'histoire locale pour aborder la guerre dans son ensemble. Vous entendrez de beaux témoignages sur la 2e mais aussi la 1ere guerre mondiale et les tiroirs s'ouvriront sur leurs trésors (Il m'est arrivé de voir des albums photos de la 2e guerre mondiale et, une fois, un carnet de guerre).
C'est un travail de longue haleine car les personnes âgées ne se livrent pas au premier venu. Ils faut qu'ils apprennent à vous connaître. Patience, patience, il faut que les personnes âgées vous "adoptent" avant qu'ils ne vous livrent leurs secrets.

Amicalement
Sophie

Bonjour,
Merci pour ces pistes et renseignements, je pense organiser le tout en plusieurs phases par exemple: collecter les infos sur la guerre dans le secteur, faire un exposé aux personnes, leurs proposer des entretiens individuels, les laisser raconter ce qu'ils veulent, sans trop les guider et une fois que cela sera terminer leur poser des questions plus précises, qui les guiderons davantage. Mais tout cela reste encore à réfléchir. Pourquoi pas aussi leur proposer un résumé de toutes les infos obtenues avec images d'epoque à la fin ect (mais cela est loin au vus de ce que vous dites).

Merci encore votre aide est précieuse,

Rémy

Bonsoir

Je pense que l'essentiel à été dit, alors juste le fruit de mon expérience. Toutes les méthodes sont bonnes mais à adapter en fonction de l'interviewé, surtout ne soyez pas trop rigide dans votre schéma, par moment laisser filer sans interrompre, même si le propos vous semble être une énormité, notez et revenez y… même plusieurs fois, quitte à passer pour être de la police, l'âge n'a pas à influer sur le témoignage, il est ou il n'est pas crédible. Le premier quart d'heure doit être consacré à la mise en confiance, à chauffer la voix, à faire tomber le mur de l'inquiétude. Par votre connaissance du dossier vous mettrez en confiance votre interlocuteur. N'acceptez pas les inexactitudes, revenez y et voyez si il n'y a pas contradiction avec d'autres témoignages déjà recueillis ou entendus, poliment, gentiment mais fermement. Un témoignage doit apporter quelque chose sinon c'est une discussion au coin du feu et vous perdrez votre temps. Ne pas confondre visiteur de mémoire et visiteur d'établissement gériatrique.

Rares sont les personnes aptes à vous apporter un témoignage précis et étayé. Souvent de fois, même si ils ont vécu l'évènement, "ils se le racontent", comme ça, parce qu'ils l'ont lu, parce que le copain racontait mieux, et c'était tellement mieux écrit dans le journal que ce qu'ils auraient put le raconter qu'ils se sont approprié le récit, quand ce n'est pas ce qui est écrit dans votre livre précédent ! Prenez l'exemple de l'accident au carrefour avec trois témoins… et vous aurez trois témoignages quelque peu différents !

Hors témoignage individuel, vous n'obtiendrez rien de bien. Je met de côté les réunions stimulantes amont qui permettent de sélectionner vos candidats, je pense notamment aux "café mémoire" qui sur un sujet bien précis feront passer le pas à certains alors que si vous y aviez été bille en tête, vous auriez faire rompre à tout jamais le fil ténu qui aurait permis que cela se fasse.

Surtout, remettre tout témoignage en parallèle avec l'histoire. Si vous voulez faire du travail sérieux, je pense qu'il vous faut un historien à vos côtés, le binôme permet aussi de se répartir les rôles, l'un suit le témoignage et l'autre se consacre au matériel. Rien de plus gênant qu'un intervieweur qui change de cassette au moment essentiel, et rien ne dit que le fil de l'histoire repartira.

Je n'aborderai pas la coloration politique de l'interviewé… mais vous avez intérêt à connaître ses penchants, sans jamais faire apparaître les vôtres, ne jamais opiner, ne jamais conforter ses réponses, vous devez être neutre. Je souris tout de même et ne suis surement pas le seul, en pensant qu'il y a une vingtaine d'année ou plus, le témoignage oral était vilipendé alors qu'aujourd'hui il est recherché comme essence de tout bon reportage ou livre qui se respecte.

Dernier conseil. Ne fermez jamais votre appareil d'enregistrement lorsque vous concluez… car parfois, au moment du départ, on vous délivre des informations essentielles, par oubli peut-être, ou simplement parce que vous n'avez pas su poser la bonne question…

Bon courage !
JF Genet

Bonjour à tous.
Je suis d'accord avec E-Storial sur ce point : laissez filer....Il ne fautr pas abrutir de questions les anciens que vous rencontrerez. Quelques questions orientent les discussions, mais surtout, il faut laisser les personnes se raconter. Ne pas non plus poser des questions trop techniques (numéro du régiment, de la division etc.. ) Les personnes dans des souvenirs aussi lointains se rapellent surtout de souvenirs les ayant profondément marqués ou de datials insignifiants, la mémoire est ainsi faite. Si vous voulez l'organigramme du régiment, ne le cherchez pas dans un témoignage, vous ne l'aurez jamais. Par contre aussi les années qui ont passé peuvent déformer le souvenir au gré de la vie qu'ont pu mener ensuite les personnes. Surtout, ne pas oublier une chose : les souvenirs de ces époques tragiques font remonter des événements parfois difficiles que le temps avait enfouis, ou qui revienent régulièrement à l'esprit des narrateurs dans leurs pensées ou leurs cauchemards. La collecte de témoignage peut donc être difficile psychologiquement pour le narrateur.
Pour ma part au début des années 90 j'avais envoyé plus de cent courriers, eu des dizaines de conversations téléphoniques, pour rencontrer une vingtaine de personnes très âgées dont seulement une douzaine était véritablement des anciens de 14-18. Ceux qui m'ont reçu étaient d'abord méfiants, puis, certains se sont biens ouverts à mes demandes et je suis retourné plusieurs fois chez certains. La surprise était parfois pour l'entourage qui ne savait pas toujours que le grand-père "avait fait tout cela" pendant la guerre. Pour d'autres, l'entourage m'avait fait comprendre que le grand père avait définitivement muré sa mémoire de cette époque depuis son retour de la guerre. Il est vrai aussi que j'ai surtout rencontré surtout des combattants Mosellans et Alsaciens, partis sous un uniforme qu'ils portaient contre leur gré.
Mais surtout pour y revenir, ne demandez pas à la mémoire de faits d'il y a plus de 60 ou 70 ans une exactitude scientifique, car certains faits sont oubliés, d'autres modelés par le caractère et la sensibilité de vos narrateurs.
Mais cela reste une expérience pour moi formidable, d'avoir pu recontrer à trente ans des Messieurs de 93 à 100 ans chargés d'un passé si lourd et qui me passionnait tant alors. Le témoignage récolté, il faut alors le comparer avec les faits historiques, du livre d'histoire à l'historique régimentaire et parfois les faits évoqués se retrouvent dans un JMO et là, quelle émotion.

Bon travail!
Cordialement
P. Lamy

Bonjour,
Désolé pour les remerciements un peu tardifs. Votre aide sera aussi précieuse que les précédents messages. Je commence à y voir plus clair. D'abord faire des recherches sur l'histoire regionale voire locale sur la periode concernée, puis peut-être commencer par des reunions ou conférences ou débats pour mettre en confiance les personnes agées, (mais comment faire?)puis en venir aux entretiens individuels sans poser trop de questions mais en vérifiant les infos données.
Dans beaucoup de vos messages vous dites de mettre en confiance l'interlocuteur, je supose que cela ne se fait pas en une fois, mais en plusieurs et même sans doute plusieurs semaines. Mais que faire alors pour mettre en confiance ces personnes, comment? et quand savoir que le moment est le bon pour commencer les entretiens individuels.

Encore merci,

Rémy

peut-être commencer par des reunions ou conférences ou débats pour mettre en confiance les personnes agées, (mais comment faire?)
Rémy

Voici trois démarches différentes actuellement pratiquées sur trois communes différentes
1)- je me suis rapproché d'un "club des anciens" et la présidente organise deux fois dans l'année une réunion à thème (ex: l'incendie de la savonnerie et l'arrivée des allemands en 40 …) Je prépare quelques panneaux, fait une légère introduction et anime le débat. Bon, là, vaut mieux connaître le sujet.
2)- j'ai lancé avec l'aide d'une autre municipalité une réunion mensuelle sur la mémoire, appelé "café mémoire". Un historien local organise thèmes et débats aidé en cela par l'association des anciens et la mairie qui paie le café et s'occupe de la logistique. Je ne participe pas, je compte sur les organisateurs qui me signalent telle personne que je reverrai seul.
3)- autres, la dernière mise en place. Par le biais d'un adjoint sensibilisé à ma démarche, réunion municipale avec invitation d'anciens à s'exprimer sur les expulsions des Mosellans en novembre 40. Six étaient présents (dont deux sollicités directement par moi et qui m'avaient répondu négativement). Les deux premiers ITW, vendredi prochain.

Chose importante: les photos, les documents… beaucoup d'anciens auront des difficultés pour s'en séparer… photographiez les sur place, ensuite si ils acceptent de vous les confier, emportez les pour scanner mais… ramenez les illico ! Méfiez vous de leur mémoire car par la suite ils risquent de vous accuser de ne point leur avoir rapporté des documentes qu'ils ne vous ont jamais confié.

Bonne chasse
JF Genet

Bonjour à tous, bonjour Rémi,

Ayant fait pas mal de recherches en sciences sociales, je me permets de vous donner les grandes lignes des enquêtes de terrain pour éclaircir encore un peu plus le débat.

Vous pouvez avoir des résultats de deux ordres :

- plutôt qualitatifs (on met l'accent sur un petit nombre de personnes interrogées mais avec beaucoup d'éléments recueillis pour chacune).
- plutôt quantitatifs (on met l'accent sur un grand nombre de personnes interrogées, mais avec peu d'éléments recueillis pour chacune). Cela concerne des questionnaires, des sondages, avec des réponses dîtes fermées, où les personnes sondées n'ont pas le choix de réponses que celles proposées.

De ce que je comprends, vos allez plutôt opter pour des résultats qualitatifs. Il existe plusieurs types d'entretien :
- Vous avez les entretiens directifs, lorsque vous venez avec vos questions préparées et que vous les posez les unes à la suite, sans que les gens ne s'étendent sur autre chose.
- Vous avez les entretiens semi-directifs, lorsque vous venez avec une grille de questions qui laisse la place à l'expression libre de la personne interrogée,qui peut digresser sur un sujet.
- Vous avez les entretiens libres, qui sont plus aléatoires : il s'agit d'une discussion orientée sur un sujet, en laissant venir les thèmes sans chercher à les amener.
Vos entretiens peuvent se passer avec plusieurs personnes, une seule, ... Quelques remarques sur ce qu'il faut toujours faire à mon avis : expliquer aux personnes sondées l'objet de votre démarche, enregistrer leur propos avec leur accord, transcrire fidèlement par écrit leur propos, leur faire relire, éviter de citer des noms (les modifier ou les laisser anonyme).
Je vous conseillerai la méthode de l'entretien semi-directif, qui vous permet d'être structuré dans votre enquête,
tout en laissant la porte à l'expression imprévue de la personne interrogée. Vous verrez de toute façon, après plusieurs entretiens, que certaines questions sont pertinentes, qu'elles "font bien parler", et que, à l'inverse,d'autres "coupent court" à la conversation. Sachez aussi qu'un entretien a toujours des phases : il y a la phase "round d'observation", lorsque la personne interrogée se méfie, se demande où l'enquêteur veut en venir; il y a la phase de confidence, où les gens se livrent, il y a aussi les moments de lassitude, et les interruptions extérieures... Se pose aussi évidemment la véracité des propos tenus, leur cohérence, leur justesse... A vous de "sentir" les gens que vous sondez. De toute façon, vous savez bien (notre forum en est la preuve) que la grande majorité des faits historiques peuvent se vérifier.
Enfin, une petite astuce que les ethnologues utilisent. tenez un petit carnet de bord qui décrit les conditions de déroulement de l'entretien. Décrivez la chambre de la personne interrogée, sa manière de parler, sa tenue vestimentaire, tout ce qui vous passe par la tête, que ce soit important, ou pas...

Voilà, à votre disposition pour d'autres questions.


En tout cas, bravo pour votre démarche, la mémoire vivante actuelle que représente nos ainés est fondamentale, et doit être exploitée.

Bien à vous tous,

Christophe

Bonsoir
En relisant tout le fil, j'ai omis de préciser que tous mes interviews sont vidéos (380 à ce jour), il vous faut un matériel discret, qui n'impressionne pas, mais de bonne qualité, surtout au niveau de la sensibilité car il est hors de question de se munir d'éclairage complémentaire (j'ai abandonné la HD pour revenir au DV). Filmez la personne dans son univers familier où elle se sentira à l'aise, si vous êtes seul, posez la caméra sur pied, devant vous, à hauteur de menton. Essayez tout de même d'avoir un fond neutre et pas la porte de la cuisine ou le reflet de la glace du vaisselier.

Christophe abordait la question des autorisations… faites signer un papier vous autorisant à exploiter son témoignage et son image sous quelques formes que ce soit (si un jour vous publiez un livre, l'éditeur vous le demandera). Sur ce point, méfiez vous des enfants… ils pensent que l'histoire de leur parent fait partie de leur héritage et veulent le gérer alors que bien souvent de fois ils n'ont pas été capable de leur poser une seule question de toute leur vie.
Cdt
JFG

Bonjour à tous,
Merci encore pour ces conseils qui sont précieux, l'idée commence à faire son chemin dans mon esprit et j'y vois de plus en plus clair, étant donné que je travail durant les 2 mois de vacances, je pense profiter du mois de septembre, ou je n'est pas cours pour commencer le travail.
Je ne manquerai pas de vous tenir au courant. Merci encore!
Cdlt

Rémy

Bonsoir,
Je relance le sujet, car bientôt en vacance, après cette année de L3 je vais enfin pouvoir me consacré au projet.


cdlt

Rémy