Bonjour,
Grâce aux renseignements que vous m'avez transmis, j'ai pu avancer dans mes recherches. Voici la transcription des principaux passages tirés du Journal de la Marine Le Yacht, 30 septembre 1922, p. 457-458, article d’Henri Bernay, « La Marine française à Smyrne », site gallica.bnf.fr
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k8373174v/f1 :
Un journaliste du Journal de la Marine « Le Yacht » donne sa relation des faits d’après des « informations reçues directement de la direction navale du Levant » :
« La chute du grand port d’Asie Mineure n’était plus qu’une question de jours. […] Il fallait donc s’attendre à des événements graves à Smyrne. Or il y a dans cette ville une colonie française importante, de nombreux protégés français et notre pays y possède des intérêts moraux et matériels plus grands que ceux d’aucune autre nation, la Grèce exceptée. […] Le 3 septembre (1922), l’Edgar-Quinet, qui était seul à Smyrne avec quelques torpilleurs, envoyait un télégramme sans fil à l’amiral Dumesnil pour le mettre au courant de la situation ; en même temps un avis du gouvernement, expédié par le poste de T.S.F. de Nantes, l’invitait à passer par Smyrne au lieu de se rendre directement à Constantinople. Le lendemain soir, l’Ernest-Renan mouillait en rade et l’amiral transportait son pavillon sur l’Edgar-Quinet.
Il y avait à Smyrne les cuirassés anglais Iron-Duke et King-George-V, le premier portait le pavillon de l’amiral Brock qui avait devancé l’Ernest-Renan de quelques heures seulement, deux petits croiseurs italiens […] et quelques torpilleurs des deux nations. […] Dès le 5 septembre, l’amiral Dumesnil, après avoir pris l’avis du consul général de France, proposait à l’amiral anglais de réunir à bord de l’Iron Duke une conférence des commandants supérieurs.
Dans cette réunion , il fut reconnu que les chefs maritimes avaient reçu de leurs gouvernements respectifs des instructions à peu près semblables, consistant principalement à maintenir entre les belligérants une stricte neutralité, et à assurer la sécurité de leurs nationaux. […]
L’amiral Dumesnil décida que le soir même un détachement de ses marins occuperait le consulat de France. […] Ce furent trois sections de la compagnie de débarquement de l’Ernest-Renan qui prirent pied les premières sur le sol, qui allait redevenir turc. […] L’amiral Dumesnil télégraphia au Jean-Bart de le rejoindre immédiatement, et l’arrivée de ce cuirassé, le 7 au matin, lui donnait les moyens de porter l’effectif des postes à un chiffre plus convenable. […] Nos marins firent, sous la direction de leurs chefs, tout ce qui était humainement possible pour soulager la misère des réfugiés et pour améliorer les conditions pitoyables dans lesquelles ils se trouvaient entassés : le 12 septembre, ils étaient 15 000 répartis dans les divers établissements français et leur nourriture, comme leur hygiène, étaient les principales préoccupations de notre commandement. […] Les incendies restèrent localisés jusqu’au 12 septembre. […] Or, le 13, à 1h 30 de l’après-midi, plusieurs foyers furent allumés simultanément dans l’intention évidente de détruire la ville. […] Dans les rues, plus de 150 000 chrétiens s’écrasaient, fuyant les flammes et cherchant le salut vers la mer. […] A 9h 30, il devenait certain que le quartier français lui-même ne serait pas épargné, et l’amiral décida de faire embarquer tout le monde. A 10 heures, toutes les embarcations de la division furent envoyées à terre. […]
On se représente au milieu de quelles difficultés et de quels dangers nos marins conduisirent cette opération. Ils étaient seuls sur les quais pour assurer l’ordre au milieu de cette foule compacte et terrifiée qui tout entière voulait s’embarquer dans les canots. Le triage même de nos protégés était presque impossible dans ce tumulte et au milieu des bousculades terribles que provoquaient les explosions de l’incendie, l’arrivée incessante de nouveaux groupes et l’accostage des embarcations. D’abord les réfugiés du consulat, parmi lesquels se trouvaient la plupart des Français établis à Smyrne, furent conduits à travers la foule par groupes d’une vingtaine, encadrés d’hommes armés. Le torpilleur « Tonkinois », l’arrière au quai, l’éclairait de son projecteur. Les canots étaient accostés en pointe et solidement gardés. Mais beaucoup de Grecs trouvaient encore le moyen de s’y jeter, ou même de les rejoindre en sautant à la mer. Certains tiraient dans la foule des coups de fusils ou de revolver, est c’est ainsi que le lieutenant de vaisseau Alegoët eut le corps traversé d’une balle alors qu’il dirigeait la manœuvre de ses canots, auprès de l’amiral Dumesnil. On dut le ramener à bord dans un état grave. L’incendie gagnant toujours, et l’embarquement étant trop lent, l’amiral fit organiser à 11h 30 un barrage constitué par plusieurs rangs de marins coude à coude, qui purent résister à la pression et grâce auquel les réfugiés massés au consulat et dans ses environs purent être amenés jusqu’au bord de l’eau sans trop de peine. Les trains d’embarcations chargés autant qu’il était possible faisaient le va-et-vient entre le quai et le « Jean-Bart ». A 1h 30, du matin, le « Tonkinois » et la canonnière « Dédaigneuse », mouillés tout près du quai, prirent à leur tour un grand contingent de réfugiés. Il était temps d’en finir, le feu atteignait les premières maisons du quai. A 2h 30, le personnel du consulat et le consul général s’embarquèrent, et ensuite ce fut le tour des compagnies de débarquement qui rentrèrent à leur bord.
Pendant ce temps, l’évacuation des réfugiés de l’hôpital avait commencé au moyen des embarcations du torpilleur « Hova » mouillé en face. De ce côté, le personnel à évacuer exigeait plus de soins : il y avait les malades de l’hôpital, les vieillards de l’asile, les orphelins, avec les religieuses de tous les couvents voisins […] Mais là, aussi il y eut des bousculades dangereuses – dans l’une d’elles l’enseigne de vaisseau Lépine fut jeté à la mer – et les marins avaient grand ’peine à maintenir leurs barrages. A 3h 30 enfin, les embarcations des grands bâtiments, ayant achevé leur tâche devant le consulat, arrivèrent et l’opération put aller plus vite. Elle était terminée à 5 heures du matin. L’amiral Dumesnil et le commandant Morris, de l’« Edgar-Quinet », qui avaient passé toute la nuit sur les quais ou dans les canots, s’embarquèrent les derniers.
A ce moment, le spectacle était grandiose autant qu’horrible. La brise était tombée et le feu ne gagnait plus, mais le long de la mer le brasier avait plus d’un kilomètre de longueur ; les belles maisons du quai flambaient comme les maisons de bois du quartier arménien, et la foule restait là, dans une fumée suffocante, suppliant à grands cris qu’on l’embarquât. Malheureusement, nos navires étaient pleins et outre nos ressortissants ils avaient pris des milliers de Grecs que l’amiral fit embarquer dans la journée du 14 sur des bâtiments de leur pays pour les conduire au Pirée. Quant aux nationaux français, ils prirent passage sue le vapeur « Phrygie » qui partit le même jour pour Marseille […] ».
Vapeur « Phrygie » , paquebot français de la Compagnie Paquet, présent à Smyrne, est, en effet, intervenu. En témoigne un télégramme du Préfet des Bouches du Rhône au Ministère de l’Intérieur à Paris, daté du 20 septembre 1922 confirme une communication téléphonique avec le paquebot « Phygie » qui arrive à Marseille depuis Smyrne avec 913 passagers ayant tous fui devant l’incendie. Le Préfet demande au Ministère de l’Intérieur à Paris l’autorisation d’engager des dépenses pour organiser l’accueil des premiers réfugiés de l’incendie de Smyrne.
Encore merci
Bernard