Bonjour,
Je n’ai pas l’habitude m’immiscer dans des discussions qui doivent demeurer libres et je m’en serai bien gardé si je ne m’étais senti quelque peu agressé par certains courriers. Je passe sur ceux qui m’accuse de « malhonnêteté intellectuelle » en reconnaissant qu’ils n’ont pas lu le livre, cela ne mérite pas de commentaires. Je voudrais juste apporter, avec mesure et correction, quelques réponses à la violente diatribe dont mon livre est l’objet par Denis Rolland. Je commencerai par dire que je n’ai pas compris la passion de M. Rolland, ou plutôt j’ai compris qu’il ne savait pas quel était le sujet de mon livre. En effet, ce n’est pas un livre sur les 600 fusillés de la Grande Guerre, mais un livre sur les fusillés réhabilités, sur la cinquantaine d’erreurs judiciaires qui ont conduit de braves poilus à la mort la plus infamante alors qu’ils étaient innocents. Si Larousse n’a pas retenu mon titre « Les fusillés réhabilités », c’est que le titre comme la 4e de couverture n’appartient pas à l’auteur, c’est peut-être déplorable mais c’est ainsi. Cependant, il n’y a pas que le titre de l’ouvrage pour savoir de quoi un livre parle ! Il aurait simplement fallu lire l’introduction (je sais, c’est banal, mais il faut commencer ainsi) :
« Après Nicolas Offenstadt qui livre dès 1999 un travail sur la construction de la mémoire des fusillés au cours du siècle passé, le général André Bach entreprend une étude factuelle, précise et détaillée, des conditions dans lesquelles plus de 400 hommes ont perdu la vie, fusillés par leurs camarades, de septembre 1914 à décembre 1915.
Notre propos n’est pas ici de refaire ce qui a déjà été fait mais, plus modestement, de mettre l’accent sur la cinquantaine de soldats tombés sous les balles françaises et qui, par la suite, ont été officiellement réhabilités. Pour ce faire nous avons conçu un livre en deux parties : la première replace le combat en faveur de la révision des sentences de la justice militaire dans son contexte politique et social, quand la seconde entreprend le récit biographique de toutes ces affaires de condamnés déclarés innocents après coup. L’une est indispensable à l’autre et toutes deux s’éclairent mutuellement. Dans l’entre-deux-guerres des ouvrages militants avaient déjà tenté de raconter la trajectoire dramatique de quelques fusillés par erreur, mais ils n’avaient ni ambition à l’exhaustivité ni démarche historique et les titres retenus, Les crimes des conseils de guerre, Quand on fusillait des innocent ou encore Les damnés de la guerre ne dissimulaient pas leurs drapeaux. Ces récits de vie s’apparentaient tout bonnement à un long martyrologe antimilitariste où les fusillés jouaient le rôle de saints pacifistes crucifiés sur l’autel du militarisme. L’idée même d’erreur judiciaire était contestée, il n’y avait que des crimes conscients commis par des officiers sadiques. »
Ainsi, le livre parle des erreurs judiciaires et il ne devrait donc pas y avoir de polémiques puisque la justice a tranché, à moins qu’il y ait des individus aujourd’hui pour justifier la mise à mort d’innocents ce que je ne crois pas puisqu’il n’y en avait pas dans les années vingt et trente. Je voudrais rappeler que l’armée a reconnu ses erreurs, et qu’il n’y a donc pas, comme pour l’affaire Dreyfus, un combat opposant la justice d’un côté à l’honneur de l’armée de l’autre, car il ne peut y avoir d’honneur sans justice. Je voudrais rappeler que toutes les associations d’anciens combattants ont mené le combat pour la réhabilitation des innocents. Je voudrais rappeler enfin que le Parlement a voté à l’unanimité, de l’extrême droite royaliste aux communistes, l’article 20 de la loi du 29 avril 1921 permettant la réhabilitation des fusillés sans la procédure habituelle du fait nouveau, et que les députés ont encore voté à l’unanimité la proposition du socialiste Valière en 1928 instituant un tribunal d’anciens combattants pour examiner les questions litigieuses. Les députés et sénateurs n’avaient pas le sentiment d’attenter à l’honneur de l’armée et l’armée ne le prenait pas comme cela non plus donc Denis Rolland ne devrait pas le prendre ainsi.
Mon contradicteur se trompe donc carrément de sujet en croyant que je parle de tous les fusillés, d’où l’accusation de partialité : il me renvoie à la série BB24 (demande de grâce) que je n’aurai pas dépouillé et me reproche d’avoir vu la série BB 18 (contentieux judiciaire). Mais comme mon sujet porte sur les réhabilités, il faut que je travaille sur la série BB18, alors que les fusillés coupables qui ont été graciés, ou non de la série BB24 ne m’intéressent pas. Même chose pour les archives militaires du SHD où l’on m’accuse de n’avoir vu que quelques cartons. Oui, c’est vrai, j’ai vu les cartons correspondant à la cour spéciale de justice militaire qui, de 1933 à 1935, a examiné 28 dossiers de condamnés à mort et en a réhabilité 18. Encore une fois, ne m’intéressant qu’à la réhabilitation des condamnés innocents, je n’allais pas dépouiller autre chose.
Maintenant, pour les petits coups de griffe et les petites erreurs par ci par là, je voudrais répondre que si je n’ai pas la prétention de ne pas faire d’erreurs, ce que l’on me reproche ici est bien injuste :
- Pour les copeaux de bois, je n’invente rien et vous renvoie au dossier SHD 11 J 3215.
- Pour l’affaire Vingré, je dis bien que c’est Lafloque qui est à l’origine de la plainte collective. Permettez-moi de me citer : « En correspondance avec toutes les familles de fusillés, il préconise l’unité d’action ». Après quoi je parle de la plainte des familles. En effet, la demande de réhabilitation ne peut être effectuée que par la famille (je vous renvoie à l’article 20 de la loi du 29 avril 1921). Lafloque a fait un travail formidable mais ce que je dis est vrai : « Le 28 mai 1919, les familles déposent un recours en révision commun ». Lafloque ne pouvait pas le déposer lui-même car il n’en avait pas le droit.
- Pour la citation « Elle est morte de chagrin et de honte » que vous trouvez contraire à la méthode historique, je vous renvoie au dossier de Désiré Maillet, réhabilité le 19 mai 1922 par un conseil de guerre (BB 18 6352 51 BL 7269) ou vous retrouverez cette citation que je n’ai pas inventé. Pardon de l’avoir reprise sans les guillemets ! Vous qui perlez de se remettre dans le contexte, imaginez ce que c’est d’être le père, la mère, l’épouse ou les enfants d’un fusillé !!
- Contrairement à vos dires, je dis bien que la peine de Cottet-Dumoulin a été suspendue (affaire Bersot) et qu’il est mort le 12 avril 1917 sur le front de Serbie.
- Vous dites que la tombe de Bersot est bien visible sur le bord d’une route ? Fort bien. Je dis simplement qu’il a été enterré comme un paria, hors du cimetière, sans même une croix, et que sa tombe a été proscrite aux soldats du cantonnements qui ont bravé l’interdiction pour planter une croix. C’était quelque chose de fréquent.
- La cour de cassation juge sur la forme et non sur le fond : ça c’est un peu fort, je n’arrête pas de le dire dans toute la première partie, c’est pourquoi d’ailleurs, après les échecs répétés de Flirey, Souain et Chapelant (les trois affaires les plus médiatiques) les députés ont décidé de voter la constitution d’un tribunal d’anciens combattants pour passer outre le blocage de la cour de cassation.
- Vous dites : « Il n’y a pas de déposition de Pierre Lardon dans le dossier BB 18 ». Je vous invite à aller le consulter aux Archives nationales. Vous y lirez ceci de sa part. Pierre Lardon BB18 6343 51 BL 6444 : « Devant le conseil, nous n’avons pas pu nous défendre comme nous aurions voulu… j’ai fait une déclaration identique à celle que j’avais faite au bureau de la compagnie, sentant bien que si je contredisais cette déclaration, c’était presque la certitude d’une condamnation. »
- Sur la gerbe de la municipalité de Paris, je vous remercie de rectifier une inexactitude fondée sur la lecture de la presse au lendemain du vote, car il y a bien eu ce vote du conseil municipal. Et puis, de grâce, ne faites pas comme celui qui regarde le doigt au lieu de regarder la montagne. Cet exemple (j’aurai pu en prendre d’autre, comme le vote d’un vœu du conseil général de l’Aisne, l’inauguration d’une rue, un nom ajouté sur un monument aux morts…) servait à illustrer dans ma conclusion la prégnance de la question de la réhabilitation des fusillés dans l’opinion aujourd’hui. D’ailleurs, si vous lisez bien cette conclusion, vous y verrez que je dresse le constat d’une mémoire dominante victimisante. C’est un constat et non un jugement. Constater n’est pas militer. Dans un article intitulé « le champ de bataille des historiens » paru sur le site « la vie des idées » où je levais le drapeau blanc entre les écoles historiques qui se divisent sur 14-18 (ce qui m’a valu une réponse « militante » puisque intitulée « retrouver la polémique » de quelques uns de vos amis du CRID), je disais d’ailleurs que l’effort des historiens était vain « face au rouleau compresseur d’une mémoire victimisante qui ne veut retenir que le sacrifice. On assiste même à un complet renversement de la figure du héros, les « sur-victimes » que sont les fusillés et les mutins prenant le pas sur tous les autres soldats qui ont suivi le troupeau jusqu’à l’abattoir quand d’autres ont eu le courage de dire non. Quant à la guerre, elle est devenue un chaos sans queue ni tête ou, au mieux, une guerre civile européenne. Si l’on peut considérer, en citoyen, que cette mémoire humaniste est utile et nécessaire au consensus politique fondant la réconciliation franco-allemande et la construction européenne, l’historien est plus réservé pour valider la pertinence de sa dimension pathologique qu’illustre, par exemple, le film Joyeux Noël de Christian Carion (2005). »
Enfin, vous avez raison de recommander la lecture des livres d’Offenstadt et de Bach, ce sont d’excellents livres. La lecture de celui du général Bach m’a d’ailleurs donné l’idée de mon livre et, sans divulguer la teneur d’une correspondance privée, celui m’a félicité chaudement à sa parution.
L’histoire est débats et interprétations, il est donc normal que nous ne soyons pas d’accord sur tout (ceci dit, il n’y a pas besoin de véhémence, la guerre est finie depuis longtemps !), mais je ne suis pas sûr que nous soyons vraiment en désaccord car j’ai bien vu que vous étiez victime d’une lecture biaisée. Je confesse juste de l’empathie pour les braves poilus qui ont été fusillés par leurs camarades alors qu’ils étaient innocents. Qui oserait dire qu’il n’en a pas ?
Avec mes salutations et mes félicitations pour ce forum,
JY Le Naour
PS : Je répondrai à toutes les questions de ceux qui le souhaitent directement sur mon site
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