Bonjour à tous,
Attaque par un sous-marin le 4 Mai 1917. Rapport du capitaine.
Je soussigné Louis Leprêtre, CLC, Lieutenant de Vaisseau auxiliaire, Commandant le paquebot HAÏTI, certifie ce qui suit :
Quitté Bordeaux le 3 Mai à 15h30, débarqué le pilote en rade du Verdon à 19h25 et sorti de la Gironde une heure après. A 20h35 pris la route au S51W vrai jusqu’au 4 Mai à 03h00, puis au N55W vrai.
A 07h55 le 4 mai, le navire étant par 45°27 N et 04°04 W Greenwich, venu à l’Ouest vrai pour m’éloigner d’un champ d’épaves plus ou moins suspect, pouvant être des flotteurs pour mines. Le 2e capitaine prend ce cap, puis passe le quart au 3e lieutenant Monsieur FRANCISCO. Il se dispose à quitter la passerelle lorsqu’il aperçoit émergeant de l’eau à 20 degrés de l’arrière et à 1200 m, un sous-marin.
Donné l’ordre à la machine de forcer de vitesse et fait une embardée sur la droite pour présenter seulement l’arrière du bâtiment. Donné l’ordre au canonnier de braquer la pièce de retraite.
Temps quelque peu brumeux, mer très calme, pas de vent. Pendant un court instant, vu entre deux eaux une forme allongée laissant derrière elle un sillage d’autant plus marqué que la mer était plate. Sillage parallèle à notre route. Puis tout disparaît. Fait plusieurs embardées sur les deux bords, puis repris allure normale vers 08h20.
Monsieur TERRIER, capitaine d’infanterie de marine avait pris sur ma demande le commandement de la pièce arrière. Monsieur CHEVALIER, Capitaine au Long Cours, 2e lieutenant, était l’officier canonnier spécialement chargé de la pièce avant. Tous les hommes préposés à l’artillerie s’étaient portés aux postes de combat. Monsieur BOUCHE, 1er lieutenant et le chef de timonerie KERGALL étaient montés sur la passerelle.
J’étais à la pièce arrière lorsque le graisseur BARRIERE me cria : « La passerelle prévient que le sous-marin émerge sur tribord arrière ». Le 2e capitaine m’indiqua la direction. Donné l’ordre de ne tirer que s’il y avait lieu, et à volonté, et regagné la passerelle. Venu à gauche toute pour mettre l’ennemi à 35° sur bâbord arrière. Le capitaine Terrier a ouvert le feu avec la pièce arrière et Monsieur Chevalier a suivi le but avec la pièce avant, et a ouvert le feu à son tour.
Pièces chargées avec des obus d’exercice. Hausse à 800 m. 2 premiers coups de chaque pièce courts. 2e , 3e , 4e et 5e coups de la pièce arrière et 2e coup de la pièce avant encadrent le sous-marin qui disparaît. Fait embarder le bâtiment d’un bord sur l’autre. Le sous-marin émerge à nouveau à 300 m sur tribord et le capitaine Terrier tire un obus qui semble l’immobiliser. La pièce avant tire à son tour, mais un peu court. Les deux pièces tirent alors avec des hausses à 600, 800 puis 1200 m et l’on aperçoit une flamme plus longue que haute sur laquelle la pièce avant tire un dernier obus. Elle est suivie d’une fumée épaisse et noire. Tout le monde a nettement l’impression que l’adversaire est touché. Il disparaît et ne nous inquiètera plus.
Vitesse du navire, 13,5 nœuds, mais les zigzags nous ont ralentis. Fait route à pleine vitesse et en zigzags jusqu’à 09h30. Puis repris route et allure normale.
Je suis persuadé que le sous-marin nous avait aperçus depuis un moment et était en position pour nous torpiller. Il a été dérouté par notre changement de route et est venu à fleur d’eau pour reconnaître notre nouvelle direction. Il s’est ensuite éloigné pour prendre le bâtiment sous un angle plus grand et lancer sa torpille. Heureusement pour nous, il a émergé un peu trop tôt et le tir précis de la pièce arrière, puis de la pièce avant, ainsi que notre vitesse l’ont empêché de mettre son plan à exécution.
Je ne saurais trop louer le calme et l’esprit de décision du capitaine Terrier, homme habitué à commander au feu. Cet officier a été un bel exemple pour tous ceux qui étaient auprès de lui.
Monsieur Chevalier s’est montré homme de sang froid. Gêné par la passerelle et les agrès, il a su tirer le meilleur parti de sa pièce. Il a fait feu toutes les fois que la position du bâtiment le lui a permis. Les chefs et les servants ont obéi avec beaucoup de calme et exécuter promptement et sans désarroi les diverses opérations qui leur incombaient.
Il n’y a eu aucune panique à bord et je remercie particulièrement Monsieur ROUSSELET, contrôleur des services maritimes postaux, et Monsieur LE FUR, commissaire, qui sont restés avec les passagers et ont su faire garder à la conversation le ton qu’il convenait.
Le chef de timonerie LE GALL a obéi aux ordres qui lui ont été donnés avec décision. Il est monté promptement à son poste sans y être appelé.
Si le sous-marin a été touché, ce ne peut être que par le 7e obus de la pièce arrière (Capitaine Terrier) ou le 4e obus de la pièce avant (lieutenant Chevalier).
Au cours du combat envoyé deux messages TSF :
- « Combattons un sous-marin »
- « Affaire bien terminée »
Voici la signature du commandant Lepretre
Description du sous-marin
Longueur environ 70 m
Vu un périscope et un capot distant de 7 à 8 m l’un de l’autre.
Peut-être silhouette U2 ou U4
Pas vu de TSF pas entendu d’appels TSF
Pas vu les canons.
Vitesse environ 14 nœuds (un peu supérieure à celle du paquebot).
Enquête
Le capitaine Terrier et le lieutenant Chevalier seront interrogés et leurs témoignages recoupent celui du capitaine.
Terrier précise qu’il a vu une flamme longue suivie d’une épaisse fumée persistante qui a enveloppé le sous-marin. Il attire l’attention de la commission sur le QM canonnier pointeur de la pièce arrière, Ernest LEON qui a manœuvré sa pièce avec beaucoup de calme et de sang froid.
Chevalier précise qu’il a également vu une longue flamme rouge horizontale au point de chute de son 4e obus (mais pas sur le sous-marin lui-même), suivie d’une fumée très épaisse.
Voici le signature du lieutenant Chevalier
Récompenses
Citation à l’Ordre de la Division
LEPRETRE Louis Jacques CLC LV auxiliaire Le Havre 352
Pour les qualités dont il a fait preuve et l’emploi judicieux de son artillerie lors d’une rencontre avec un sous-marin.
Citation à l’Ordre de la Brigade
TERRIER Capitaine d’Infanterie Coloniale
CHEVALIER Adrien Capitaine au Long Cours 2e lieutenant Dinan 108
Pour l’énergie et les qualités militaires dont ils ont fait preuve en dirigeant l’artillerie de leur bâtiment lors d’une rencontre avec un sous-marin.
Citation à l’Ordre du Régiment
HERRI Jean QM canonnier de réserve Morlaix 5556
LEON Ernest QM canonnier 90609.2
Pour leur sang froid et leur énergie lors de la défense de leur bâtiment contre un sous-marin.
TOS du Ministre
Pour la discipline et le calme qui n’ont cessé de régner à bord lors d’une rencontre avec un sous-marin le 4 Mai 1917.
Le sous-marin attaquant
N’est pas identifié et n’a pas été coulé.
Vu la position précise donnée par le commandant Leprêtre, on pourrait penser à l’UC 61 de l’Oblt Georg GERTH qui pourrait avoir été le plus proche de ce point…A vérifier par des spécialistes
Cdlt