Bonjour à tous,
Voici quelques documents complémentaires sur le naufrage du SEEADLER à Mopelia.
Tout d'abord, une photo de von Lückner et de ses 5 compagnons, lors de leur arrestation à Suva (Iles Fidji)
Et le récit du capitaine américain Andrew Petersen, de l'A.B. JOHNSTON, sur les circonstances exactes du naufrage du voilier.
"Le 31 Juillet 1917, dans la matinée, nous arrivâmes à Mopelia par calme plat, la mer ne brisant pas sur les récifs.Un canot fut envoyé pour sonder la passe et revint annoncer qu'elle n'était pas praticable. Le commandant nous fit alors appeler (les 3 capitaines américains) et nous demanda s'il y avait danger à ancrer son navire près des récifs.
Etrangement surpris par une telle question qui ne pouvait être posée que par un homme peu renseigné sur la navigation, nous n'hésitâmes pas à lui affirmer que nous avions toujours l'habitude de procéder ainsi dans ces parages, et qu'il était d'usage courant de maintenir le navire par des amarres placées sur le récif et d'établir un pont léger faisant communiquer avec la terre.
Le capitaine Kling s'opposa de toutes ses forces à une pareille manœuvre, mais le commandant ne s'en remit qu'à nos informations.
Dès lors, nous étions certains de la perte du navire à la moindre saute de vent. Notre crainte d'être emmenés prisonniers à Hambourg, comme nous l'avait annoncé à plusieurs reprises le commandant, s'évanouissait donc.
Ayant aperçu trois indigènes sur l'atoll, il envoya le canot explorer l'intérieur du lagon. L'après midi, il descendit lui-même avec le docteur faire une partie de chasse sur l'îlot situé à droite de la passe où il y avait beaucoup d'oiseaux. Revenu à bord très heureux de sa promenade, il ordonna de mouiller contre le récif, du côté de cet îlot.
Le 1er Août dans la nuit, SEEADLER, mal ancré, dérapa et au petit jour, nous étions à 6 ou 7 milles de terre. Décidé à reprendre son premier mouillage, il revint au même point, mais plaça préalablement une ancre à l'entrée de la passe pour laisser ensuite dériver le bateau qui vint de lui-même se ranger contre le récif.
Voici la position exacte du navire.
Cette opération terminée sans incident grâce à l'état de la mer, il descendit dans la matinée à terre avec le docteur et 5 de ses hommes pour explorer le pays.
A son retour, il se déclara enchanté de sa visite, disant que l'île n'était habitée que par trois Tahitiens et un jeune garçon, qu'il y avait de nombreux porcs et poulets, et qu'il s'emparait de l'île devenue, la seule il est vrai, mais la plus charmante colonie allemande. Il était si satisfait qu'il nous invita le lendemain à un pique-nique qu'il organisait au campement des Tahitiens.
Voici les marins allemands en compagnie des Tahitiens de Mopelia.
Le 2 Août, la nuit s'étant passée sans incident, nous partîmes avec le commandant et tous les officiers, sauf le lieutenant Preiss, désigné pour assurer le service à bord. Cet officier exprima alors ses fortes inquiétudes quant à la sécurité du SEEADLER, et déclara qu'il déclinait toute responsabilité. Le commandant lui répondit qu'ayant pris conseil des Américains, ses craintes n'étaient pas justifiées.
Mais un quart d'heure après, alors que nous arrivions au campement tahitien, un coup de canon partit du voilier. Nous fîmes demi-tour, lorsqu'un deuxième coup fut entendu. Le commandant fit accélérer l'allure. Il était convaincu qu'un navire était en vue et se réjouissait déjà de sa capture. Quelques instants plus tard, son enthousiasme tomba. Poussé par le courant dont la direction avait changé, le SEEADLER se mettait au plein et talonnait avec force.
Sans nous adresser de reproches, mais certainement vexé d'avoir ainsi été trompé, il essaya de dégager son navire par des manœuvres complètement incompréhensibles. Le moteur fut mis en marche, ce qui occasionna la mise hors service de l'hélice, brisée par les coraux. N'obtenant aucun résultat, il demanda à nouveau notre avis. Certes, il était possible de sauver le navire et des marins de métier y seraient sans doute parvenus, mais nous nous gardâmes bien de le renseigner. Au contraire, nous lui assurâmes que le bateau étant en fer, il n'y avait, à notre connaissance, aucun moyen de le déséchouer."
Commentaire
Ce récit recoupe en grande partie celui du lieutenant Karl Kircheiss.
Les capacités de marin de von Lückner sont fortement mises en doute par les Américains, et même s'il peut y avoir exagération, il est certain que ses décisions relèvent d'un grand manque de sens marin.
Le mouillage est la situation la plus ambigüe pour un navire, soumis à des forces diverses et en position très instable. Le moindre courant, la moindre saute de vent, peuvent le faire déraper. La plus grande vigilance est donc de rigueur.
Il est aberrant qu'un commandant quitte son navire en pareille situation, à fortiori quand il est tout proche de récifs. Dans d'autres situations, on constate que Lückner laissait déjà à ses officiers le soin de manoeuvrer son navire, en particulier lors des attaques menées contre d'autres voiliers, préférant pour sa part se déguiser en passager...
Mais Lückner n'avait pas eu réellement une formation d'officier de navigation. Mousse ou matelot sur des grands voiliers, il ne prenait aucune décision. Sa formation à l'école navale de Lubeck, si elle en avait fait un officier de marine, n'en avait pas fait un bon manœuvrier. C'était surtout un véritable aventurier, hors du commun et, il faut le reconnaître, ayant d'autres mérites et qualités.
Il a certainement trahi la vérité dans son récit du naufrage en affirmant qu'une vague gigantesque avait balayé le SEEADLER comme un fétu, le jetant sur le récif et faisant tomber la mâture.
On sait que la mâture ne fut abattue que le lendemain par le lieutenant Preiss, car elle signalait très loin la présence du navire. C'est d'ailleurs en faisant exploser de la dynamite pour la faire tomber que Preiss mit le feu aux vapeurs de gasoil qui s'étaient répandues dans la cale, ce qui entraîna l'incendie complet du voilier.
Source : "Le Mémorial Polynésien " Philippe Mazellier Edition Hibiscus Papeete
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