Bonjour à tous,
■ Le sauvetage de l’équipage du voilier britannique Garsdale (12 septembre 1905).
• Annales du sauvetage maritime, 2e Fasc. 1906, Avr.~Mai~Juin, p. 191 à 195.
PRIX ÉMILE ROBIN DESTINÉ AUX CAPITAINES AU LONG-COURS
Médaille d’or du Baron de Joëst.
Médaille d’or de Mme la marquise d’Estampes.
Le 12 septembre dernier, le trois-mâts
Bérengère, commandé par le capitaine
Beaubouard, et appartenant à la
Société anonyme des Voiliers dunkerquois, se trouvait à 180 milles dans l’Est du cap Horn, faisant route pour l’Europe, lorsque vers 6 heures du matin, la vigie signala un navire démâté, portant son pavillon en berne. La route fut changée immédiatement et la
Bérengère mit le cap vers le bâtiment, qui demandait du secours et qui se trouvait être le
Garsdale, de nationalité britannique.
Au moyen de signaux, le capitaine anglais fit savoir qu’il avait besoin de secours immédiats, déclarant qu’il était obligé d’abandonner son navire. Celui-ci, en effet, n’était plus depuis plusieurs jours qu’une épave destinée à disparaître à bref délai.
Parti le 26 juin de South Shields pour Portland
(Orégon), le
Garsdale arriva vers le 6 septembre, dans les parages du cap Horn et y rencontra un assez mauvais temps dans lequel il eut plusieurs voiles emportées ; le lendemain, le vent augmenta de violence, et d’énormes vagues balayaient le navire de l’avant à l’arrière. A un moment donné, une rafale d’une fureur exceptionnelle s’abattit sur le navire ; c’est alors que le grand mât se rompit au ras du pont et tomba par-dessus le bord. L’équipage allait faire le nécessaire pour déblayer les débris, lorsque, dans un coup de roulis effrayant, le mât de misaine tomba à son tour, suivi à quelques minutes d’intervalle par le mât d’artimon.
Impuissant dès lors à se conduire, ballotté par une mer en furie, le navire était à chaque instant menacé d’avoir ses parois éventrées par le choc répété des mâts et des vergues pendant le long du bord et battant la muraille comme à coups de béliers. Au dedans, le danger n’était pas moins grand, car sous l’influence des énormes roulis, les tonnes de marchandises étaient projetées dans l’entrepont de bâbord à tribord et auraient fini par passer à travers la coque.
Le 9 septembre, le cœur des matelots fut réjoui par la vue d’un navire passant à grande distance ; jugeant impossible de mettre une chaloupe à la mer, ils eurent l’espoir que les deux navires se rapprocheraient ; mais dans la nuit ils se séparèrent, et le
Garsdale se retrouva seul le lendemain.
A bord le désappointement fut amer, car, de jour en jour, le navire était entraîné loin des routes fréquentées ; si l’équipage échappait à la noyade, il entrevoyait avec effroi une mort plus terrible encore, celle par la faim et la soif. Aussi l’on peut se figurer l’émotion et la joie de ces pauvres gens quand ils virent la
Bèrengère et qu’ils furent certains qu’ils allaient être assistés. Le capitaine
King fit savoir aux sauveteurs qu’il ne lui restait plus qu’une seule embarcation, avariée par la mer.
Laissons parler ici le capitaine
Beaudouard :
«
Animé du désir de secourir ces malheureux, je m’empressai de virer de bord pour me mettre le plus près possible sous le vent de l’épave, et, en même temps que j’assurais au capitaine et à son équipage qu’ils pouvaient compter sur moi, je faisais disposer la baleinière de sauvetage.
« Pendant cette opération, j’eus à lutter contre mille difficultés par suite de la grosse mer et du violent roulis du navire ; à chaque instant je m’attendais à voir cette embarcation écrasée le long du bord ; mais non, le succès couronna nos efforts, et, après une heure de pénible travail, la baleinière armée par sept hommes courageux, munis de ceintures de sauvetage, se dirigeait vers l’épave sous le commandement du lieutenant, M. Laillou. (*)
« Il n’est que juste de donner les noms de ces braves : Faugeras, second maître, et Le Cren, Argoat, Depays, Guibey, Robin, matelots.
« Dans le but de me tenir le plus près possible de l’épave, et pour assister la baleinière dans son parcours et ranimer, de ce fait, le courage de mes hommes luttant avec énergie contre les vagues, j’ai évolué continuellement avec mon navire autour de l’embarcation afin de parer à toute éventualité. Nos regards, fixés sur les sauveteurs, suivaient avec anxiété les plus légers mouvements de la baleinière qui s’était approchée du Garsdale, sans pouvoir l’accoster. Ce dernier, livré au gré des flots, et continuellement couvert par les lames, donnait des coups de roulis tellement effrayants qu’à chaque instant notre embarcation était menacée d’être submergée dans son remous.
« Tous les moyens employés par l’officier, tant à l’avant qu'à l’arrière, pour recueillir l’équipage, restèrent sans résultat ; ce n'est qu’après deux longues heures de tentatives inutiles, que le capitaine anglais réussit enfin, dans un coup de roulis à lancer à la mer son embarcation, dans laquelle vingt hommes avaient pris place ; mais ils ne purent s’y maintenir, car elle coulait bas d’eau ; douze d’entre eux embarquèrent dans la baleinière, qui les assistait dans cette manœuvre hasardeuse et escorta les autres jusqu’au bâtiment français.
« Vers 2 heures de l’après-midi (c’est toujours le capitaine
Beaudouard qui parle),
la baleinière étant de retour, le transbordement des passagers s’effectua à notre bord avec d’énormes difficultés ; j’ai dû prendre de très grandes précautions pour éviter des accidents toujours à craindre, étant données les fortes secousses imprimées à la baleinière par les roulis violents du navire : de ce fait, l’opération fut longue.
« Informé entre temps, par mon lieutenant, que le capitaine anglais était resté sur l’épave avec quatre hommes, je ne pouvais songer à les abandonner. Mon navire avait dérivé et s’était écarté considérablement ; la journée était déjà avancée, et il fallait éviter avant tout d’être surpris par la nuit dans une opération aussi périlleuse pour l'armement de la baleinière, d’autant plus que le baromètre, alors à 730 millimètres, baissait encore, tandis que le vent paraissait avoir des tendances à fraîchir. Je tirai donc une bordée pour me rapprocher de l’épave, et, après avoir pris la baleinière à la remorque et y avoir remplacé les hommes fatigués, je fis donner aux hommes, sans nourriture depuis la veille, un fortifiant bien mérité.
« Le deuxième armement de la baleinière comprenait : M. Laillou, premier lieutenant, le second maître Poupon, les matelots Grusson, Le Merdy, Le Gal, Penven, Courson.
« Vers 4 heures du soir, me trouvant en bonne position, je mis en panne ; l’embarcation se dirigea aussitôt vers le Garsdale, dont les cinq hommes restant à bord durent se jeter à l’eau et furent recueillis par nos sauveteurs.
« A 8 heures du soir, après douze heures de manœuvres pénibles, de fatigues et d’émotions de toutes sortes, l’équipage anglais en entier était réuni à bord sain et sauf, et y recevait tous les soins que nécessitait son état.
« J’ai rencontré dans l’embarquement de la baleinière les mêmes difficultés que dans la mise à l'eau ; mais, fort heureusement, cette manœuvre s'est accomplie sans accident de personnes. Nous avons repris ensuite notre, route vers le N.-E., laissant l’épave s’enfoncer dans les flots.
L'équipage naufragé a été débarqué à Greenock le 19 novembre, après avoir partagé pendant soixante-huit jours nos ressources de bord en vêtements et en vivres.
« Je suis d’autant plus heureux, nous écrivait le capitaine
Beaudouard,
d’avoir réussi à mener à bien cette opération, que j’ai été guidé et soutenu par le souvenir des actes de mon grand-père maternel, dont l’exemple m’est toujours cher, et qui a accompli 27 sauvetages au péril de sa vie, dans des circonstances qui lui ont valu le renom de brave et la croix de la Légion d’honneur. »
Au risque de blesser ici la modestie de M.
Beaudouard, nous pouvons dire que ce vaillant capitaine a noblement marché sur les traces de son aïeul ; aussi aurions-nous été fiers de lui décerner aujourd’hui le prix
Émile Robin, ainsi que la médaille d’or de M. le baron
de Joëst s’il avait pu venir à Paris.
M.
Laillou, premier lieutenant, recevra également pour sa belle conduite, la médaille d’or de Mme la marquise
d’Estampes.
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(*) LAILLOU Joseph Simon, né le 29 juin 1881 à Podenac
(Gironde) et décédé le 28 septembre 1959 à ...
(...). Capitaine au long-cours, Bordeaux, n° 705.
Commandait le cargo
Sylvie , bâtiment de 2.591 tjb de la flotte de la Société « Les Affréteurs réunis » (Jean Stern), qui fut torpillé le 25 janvier 1917 par le sous-marin allemand U-38 (Kapitänleutnant Max Valentiner) à 190 milles dans le S.-O. du Cap Matapan. Après guerre, inspecteur de la navigation maritime en fonction à Bordeaux. En 1927, domicilié dans cette ville, au 19, rue Collignon.
Chevalier de la Légion d’honneur au titre du Ministère de la Marine (Arr. 19 juill. 1921).
(Base Léonore, Dossier 19800035/0286/38375 —> http://www.culture.gouv.fr/LH/LH148/PG/ ... 561077.htm )
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• Annales du sauvetage maritime, 4e Fasc. 1905, Oct.~Nov.~Déc., p. 489.

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Bien amicalement à vous,
Daniel.