Re: PAVOT - Patrouilleur ex-chalutier japonais
Publié : sam. juin 12, 2010 7:12 pm
Bonjour,
C'est bien le 5 novembre (à 14H45) que le PAVOT a sombré.
Ci-dessous le rapport de l'EV (R) BEROARD, commandant le PAVOT :
Rapport de l’Enseigne de Vaisseau de réserve BEROARD, commandant le PAVOT
J’ai l’honneur de vous adresser mon rapport sur la perte du chalutier dragueur PAVOT sauté sur une mine dans le golfe d’Alexandrette, le 5 novembre 1918 à 14h45.
Sous les ordres et la direction de Monsieur le Lieutenant de Vaisseau TILGER qui se trouvait à bord du PAVOT, nous avons appareillé d’Alexandrette le 5 novembre à 14h15, en compagnie du VULCAIN, avec mission de draguer une zone de 1 mille et demi nord et sud à l’est de la bouée n° 3 qui se trouvait à 7 encablures au N.85 W. du phare.
Arrivé à un demi mille au nord 45 W. de la bouée ayant mis cap au nord, nous nous disposions à mettre nos dragues à la mer, lorsque le VULCAIN qui devait nous précéder et était devant nous à environ 300 mètres, nous signale à bras : « Nous avons vu un objet suspect à basse immersion et avons mouillé un flotteur ».
Effectivement, l’on voyait à ce moment légèrement par tribord à nous et dans le sillage du VULCAIN à environ 150 mètres du bord, un morceau de bois à la surface.
Stoppé aussitôt la machine qui tournait à 60 tours. Au même instant, l’une des deux embarcations qui éclairait la route du VULCAIN, bâtiment de tête, à une centaine de mètres de son avant, se dirigea sur le flotteur pour repérer exactement l’objet aperçu.
Après quelques moments de recherches, voyant que l’embarcation ne trouvait rien, le Capitaine TILGER me dit : « Je vais appeler le youyou et aller moi-même me rendre compte ».
Au moment où il poussait du bord avec le youyou, je dis au Capitaine TILGER : « J’aurais l’intention de faire en arrière pour prendre du champ et me permettre de mettre ma drague à la mer afin de venir ensuite passer dans les environs du flotteur. S’il y a quelque chose de suspect, nous devons forcément le trouver ».
Ce à quoi le Capitaine TILGER me répondit : « Bien, parfaitement, vous avez raison, faites en arrière pour mouiller votre drague ». A ce moment, je n’avais à la mer absolument que mes flotteurs, ce qui me permettrait de manœuvrer librement.
Je commandai en arrière doucement. Il n’y avait tout au plus une minute que la machine était partie, lorsque le quartier-maître CANEVET, de vigie dans le nid de pie, me crie plusieurs fois répétées : « Commandant, en avant, en route, nous avons une mine derrière », en me faisant signe de la main. Par sa direction, j’ai pu constater qu’elle se trouvait légèrement par bâbord à nous. J’ai aussitôt commandé ; « En avant, en route, à gauche toute », de façon à dégager immédiatement l’arrière de la mine. La machine obéit instantanément et le quartier-maître mécanicien LE HUEDE de quart, a accusé la manœuvre en signalant : « La machine est en avant, en route ».
Pendant le peu de temps qu’a demandé cette manœuvre, l’homme de vigie n’a cessé de crier : « En avant, en route, en avant, nous sommes dessus, elle a passé sous le flotteur de bâbord ». A peine venait-il de terminer cette phrase, qu’une formidable explosion se produisit sous la hanche bâbord derrière, et la moitié du navire jusqu’à l’arrière de la cabine de T.S.F. volait en éclats, pendant que la partie avant s’engloutissait instantanément.
Je me suis trouvé projeté à la mer et, au moment où je suis remonté à la surface, j’ai peu voir l’étrave du navire qui disparaissait dans le remous. J’ai été recueilli un quart d’heure ou vingt minutes après par le youyou du VULCAIN dans lequel se trouvait le Capitaine TILGER qui avait quitté le bord quelques minutes auparavant pour repérer la mine qui nous avait été signalée sur l’avant. Environ une demi-heure après l’explosion, tous les survivants avaient été recueillis par nos deux embarcations et celles du VULCAIN.
Les rescapés ont été dirigés aussitôt sur l’ARBELETTE tandis que le Capitaine TILGER et moi restions jusqu’à la nuit sur les lieux de l’accident pour faire des recherches. Aidés dans nos recherches par la baleinière et un youyou de l’ARBALETTE arrivée sur les lieux quelques instants après la disparition du navire.
Le navire a dû couler à 1 mille 2 dans le N.67 W. du phare d’Alexandrette par trente mètres de fond.
Tous les documents secrets et la caisse du bord (500 frs environ) sont restés enfermés dans le coffre-fort qui se trouvait fixé sur le bureau de ma cabine. Seul, l’Allied signal Manuel était sur la passerelle pour le service.
Etant donné que le fort tirant d’eau de mes deux dragueurs (4,60 m et 4,80 m) ne leur permettait pas de passer sur des mines d’immersion normale sans risques pour eux, j’avais pris le maximum de précautions pour la garantie de mes chalutiers et leurs équipages.
Le Capitaine TILGER et moi avions décidés de faire marcher à 60 mètres environ sur l’avant du dragueur de tête VULCAIN et dans son axe, deux embarcations armées de 4 et 6 hommes pour veiller les mines et éclairer sa route. Ces deux embarcations étaient fournies l’une par le VULCAIN, l’autre par le PAVOT.
Le PAVOT devant gouverner un peu à droite du « cochon » bâbord du VULCAIN était garanti par sa drague.
Pendant tout le temps de nos dragages, la veille était assurée de façon sérieuse et soutenue par :
- 1 homme de vigie dans le nid de pie,
- 1 quartier-maître élève chef de quart et un homme sur le gaillard à l’étrave,
- 1 sous-officier chef de quart et moi sur la passerelle,
- 1 homme de veille pour la drague sur la ferme arrière.
Ma grande embarcation, que j’avais à bâbord sur le pont, dont la mise à la mer était très laborieuse, était à l’eau depuis le commencement de nos dragages.
Pour cela, j’avais fait installer par des moyens de fortune, un petit tangon à bâbord sur le gaillard pour ne pas gêner par ce canot la mise à la mer de mon flotteur avant.
Tous les objets susceptibles de flotter : radeaux, planches, dalles, drome, etc. étaient libres sur le pont.
A part un ou deux hommes, tous étaient munis de leur ceinture de sauvetage. A ce propos, comme certains d’entre eux paraissaient négliger cette mesure, quatre ou cinq jours auparavant, je les avais tous réunis pour rappeler leur attention et leur passer la consigne formelle sur l’intérêt et la nécessité qu’il y avait plus que jamais à ne pas se démunir de leur ceinture, étant donné la mission délicate que nous devions remplir.
Si une grande partie de l’équipage qui se trouvait à l’arrière à la manœuvre de la drague a pu être sauvée, c’est grâce à l’alerte donnée par l’homme de vigie, qui a permis à ces hommes de gagner l’avant, sans quoi, tous seraient restés sous le choc de l’explosion. C’est enfin grâce à toutes les mesures de précaution énumérées plus haut que nous avons pu sauver vingt-six hommes sur trente.
En mettant à part d’une façon toute particulière pour l’obtention d’une récompense les 4 hommes qui ont payé de leur vie leur dévouement et dont les noms suivent :
- le quartier-maître CANEVET Yves, en vigie dans le nid de pie qui, par une veille très attentive, a sauvé une partie de l’équipage en signalant la mine derrière,
- le quartier-maître mécanicien LE HUEDE Henri et le matelot chauffeur NOGES Pierre qui, même en percevant les cris d’alarme de leurs camarades, sont restés fermement à leur poste,
tous trois disparus victimes de leur devoir,
- puis le matelot mécanicien ZUNINO Paul, alité par suite d’une forte fièvre, tué par l’explosion.
Je tiens à faire remarquer la belle conduite de tout l’équipage qui, en toutes circonstances, chaque jour sans compter, a fait son devoir et a fait preuve d’une parfaite discipline.
Signé : BEROARD
Source : Livre d'or de la Marine - guerre 14/18
Salutations à tous
Gilbert
C'est bien le 5 novembre (à 14H45) que le PAVOT a sombré.
Ci-dessous le rapport de l'EV (R) BEROARD, commandant le PAVOT :
Rapport de l’Enseigne de Vaisseau de réserve BEROARD, commandant le PAVOT
J’ai l’honneur de vous adresser mon rapport sur la perte du chalutier dragueur PAVOT sauté sur une mine dans le golfe d’Alexandrette, le 5 novembre 1918 à 14h45.
Sous les ordres et la direction de Monsieur le Lieutenant de Vaisseau TILGER qui se trouvait à bord du PAVOT, nous avons appareillé d’Alexandrette le 5 novembre à 14h15, en compagnie du VULCAIN, avec mission de draguer une zone de 1 mille et demi nord et sud à l’est de la bouée n° 3 qui se trouvait à 7 encablures au N.85 W. du phare.
Arrivé à un demi mille au nord 45 W. de la bouée ayant mis cap au nord, nous nous disposions à mettre nos dragues à la mer, lorsque le VULCAIN qui devait nous précéder et était devant nous à environ 300 mètres, nous signale à bras : « Nous avons vu un objet suspect à basse immersion et avons mouillé un flotteur ».
Effectivement, l’on voyait à ce moment légèrement par tribord à nous et dans le sillage du VULCAIN à environ 150 mètres du bord, un morceau de bois à la surface.
Stoppé aussitôt la machine qui tournait à 60 tours. Au même instant, l’une des deux embarcations qui éclairait la route du VULCAIN, bâtiment de tête, à une centaine de mètres de son avant, se dirigea sur le flotteur pour repérer exactement l’objet aperçu.
Après quelques moments de recherches, voyant que l’embarcation ne trouvait rien, le Capitaine TILGER me dit : « Je vais appeler le youyou et aller moi-même me rendre compte ».
Au moment où il poussait du bord avec le youyou, je dis au Capitaine TILGER : « J’aurais l’intention de faire en arrière pour prendre du champ et me permettre de mettre ma drague à la mer afin de venir ensuite passer dans les environs du flotteur. S’il y a quelque chose de suspect, nous devons forcément le trouver ».
Ce à quoi le Capitaine TILGER me répondit : « Bien, parfaitement, vous avez raison, faites en arrière pour mouiller votre drague ». A ce moment, je n’avais à la mer absolument que mes flotteurs, ce qui me permettrait de manœuvrer librement.
Je commandai en arrière doucement. Il n’y avait tout au plus une minute que la machine était partie, lorsque le quartier-maître CANEVET, de vigie dans le nid de pie, me crie plusieurs fois répétées : « Commandant, en avant, en route, nous avons une mine derrière », en me faisant signe de la main. Par sa direction, j’ai pu constater qu’elle se trouvait légèrement par bâbord à nous. J’ai aussitôt commandé ; « En avant, en route, à gauche toute », de façon à dégager immédiatement l’arrière de la mine. La machine obéit instantanément et le quartier-maître mécanicien LE HUEDE de quart, a accusé la manœuvre en signalant : « La machine est en avant, en route ».
Pendant le peu de temps qu’a demandé cette manœuvre, l’homme de vigie n’a cessé de crier : « En avant, en route, en avant, nous sommes dessus, elle a passé sous le flotteur de bâbord ». A peine venait-il de terminer cette phrase, qu’une formidable explosion se produisit sous la hanche bâbord derrière, et la moitié du navire jusqu’à l’arrière de la cabine de T.S.F. volait en éclats, pendant que la partie avant s’engloutissait instantanément.
Je me suis trouvé projeté à la mer et, au moment où je suis remonté à la surface, j’ai peu voir l’étrave du navire qui disparaissait dans le remous. J’ai été recueilli un quart d’heure ou vingt minutes après par le youyou du VULCAIN dans lequel se trouvait le Capitaine TILGER qui avait quitté le bord quelques minutes auparavant pour repérer la mine qui nous avait été signalée sur l’avant. Environ une demi-heure après l’explosion, tous les survivants avaient été recueillis par nos deux embarcations et celles du VULCAIN.
Les rescapés ont été dirigés aussitôt sur l’ARBELETTE tandis que le Capitaine TILGER et moi restions jusqu’à la nuit sur les lieux de l’accident pour faire des recherches. Aidés dans nos recherches par la baleinière et un youyou de l’ARBALETTE arrivée sur les lieux quelques instants après la disparition du navire.
Le navire a dû couler à 1 mille 2 dans le N.67 W. du phare d’Alexandrette par trente mètres de fond.
Tous les documents secrets et la caisse du bord (500 frs environ) sont restés enfermés dans le coffre-fort qui se trouvait fixé sur le bureau de ma cabine. Seul, l’Allied signal Manuel était sur la passerelle pour le service.
Etant donné que le fort tirant d’eau de mes deux dragueurs (4,60 m et 4,80 m) ne leur permettait pas de passer sur des mines d’immersion normale sans risques pour eux, j’avais pris le maximum de précautions pour la garantie de mes chalutiers et leurs équipages.
Le Capitaine TILGER et moi avions décidés de faire marcher à 60 mètres environ sur l’avant du dragueur de tête VULCAIN et dans son axe, deux embarcations armées de 4 et 6 hommes pour veiller les mines et éclairer sa route. Ces deux embarcations étaient fournies l’une par le VULCAIN, l’autre par le PAVOT.
Le PAVOT devant gouverner un peu à droite du « cochon » bâbord du VULCAIN était garanti par sa drague.
Pendant tout le temps de nos dragages, la veille était assurée de façon sérieuse et soutenue par :
- 1 homme de vigie dans le nid de pie,
- 1 quartier-maître élève chef de quart et un homme sur le gaillard à l’étrave,
- 1 sous-officier chef de quart et moi sur la passerelle,
- 1 homme de veille pour la drague sur la ferme arrière.
Ma grande embarcation, que j’avais à bâbord sur le pont, dont la mise à la mer était très laborieuse, était à l’eau depuis le commencement de nos dragages.
Pour cela, j’avais fait installer par des moyens de fortune, un petit tangon à bâbord sur le gaillard pour ne pas gêner par ce canot la mise à la mer de mon flotteur avant.
Tous les objets susceptibles de flotter : radeaux, planches, dalles, drome, etc. étaient libres sur le pont.
A part un ou deux hommes, tous étaient munis de leur ceinture de sauvetage. A ce propos, comme certains d’entre eux paraissaient négliger cette mesure, quatre ou cinq jours auparavant, je les avais tous réunis pour rappeler leur attention et leur passer la consigne formelle sur l’intérêt et la nécessité qu’il y avait plus que jamais à ne pas se démunir de leur ceinture, étant donné la mission délicate que nous devions remplir.
Si une grande partie de l’équipage qui se trouvait à l’arrière à la manœuvre de la drague a pu être sauvée, c’est grâce à l’alerte donnée par l’homme de vigie, qui a permis à ces hommes de gagner l’avant, sans quoi, tous seraient restés sous le choc de l’explosion. C’est enfin grâce à toutes les mesures de précaution énumérées plus haut que nous avons pu sauver vingt-six hommes sur trente.
En mettant à part d’une façon toute particulière pour l’obtention d’une récompense les 4 hommes qui ont payé de leur vie leur dévouement et dont les noms suivent :
- le quartier-maître CANEVET Yves, en vigie dans le nid de pie qui, par une veille très attentive, a sauvé une partie de l’équipage en signalant la mine derrière,
- le quartier-maître mécanicien LE HUEDE Henri et le matelot chauffeur NOGES Pierre qui, même en percevant les cris d’alarme de leurs camarades, sont restés fermement à leur poste,
tous trois disparus victimes de leur devoir,
- puis le matelot mécanicien ZUNINO Paul, alité par suite d’une forte fièvre, tué par l’explosion.
Je tiens à faire remarquer la belle conduite de tout l’équipage qui, en toutes circonstances, chaque jour sans compter, a fait son devoir et a fait preuve d’une parfaite discipline.
Signé : BEROARD
Source : Livre d'or de la Marine - guerre 14/18
Salutations à tous
Gilbert