BERNADETTE à quai à Pornic, le long du môle
La perte de BERNADETTE
Rapport du capitaine au cabotage Jules LUCAS
Le 15 Janvier 1917 à 16h45, BERNADETTE se trouve par 47°27 N et 03°50 W à 8 milles dans le S26E de Pentret (archipel des Glénans).
Mer belle. Vent faible d'Est. Ciel couvert. Visibilité 8 milles.
Entendu un coup de canon venant du Sud et aperçu aux jumelles un sous-marin qui arraisonne un vapeur. Celui-ci met deux baleinières à l'eau. Pour observer ses mouvements, je suis monté dans la hune. Arrivé près du vapeur, il a déployé le pavillon de guerre allemand. Aussitôt après avoir coulé le vapeur, il a mis le cap sur nous. J'avais les voiles hissées et s'il y avait eu du vent, j'aurais pu faire route en dedans de Pentret et lui échapper.
Le sous-marin stoppe à 30 m sur bâbord, à portée de voix , et le commandant crie : « Evacuez votre petit vaisseau et venez ici avec vos papiers ». Il y avait un autre vapeur dans le Sud et j'ai lofé pour essayer de lui échapper, mais je n'ai pu faire de signaux. Voyant que je ne pouvais m'échapper, j'ai fait mettre le canot à la mer.
Deux officiers, dont l'un était certainement le commandant, m'ont questionné. Ils parlaient tous deux bien le français. Ils ont pris l'acte de francisation et le congé, mais n'ont pas examiné les autres documents.
Le commandant m'a dit qu'il préférait couler des navires anglais plutôt que des navires français, car cette destruction était plus intéressante pour eux. Il m'a aussi demandé : « Quand cette guerre finira-t-elle ? »
« Avez-vous répondu à cette question ? » interroge alors l'officier enquêteur.
« Non, je leur ai juste fait des épaules un geste signifiant que je n'en savais rien » répond le capitaine Lucas. « Mais, à mon avis, ils paraissaient en avoir assez de faire ce métier .
Ignorant la nationalité du vapeur qu'ils venaient de couler, n'ayant pu distinguer ses couleurs, je l'ai demandée au commandant. Après un instant de réflexion, il m'a dit que c'était un Norvégien. »
(nota : il s'agissait du petit vapeur OTTO, 401 t, qui effectuait une traversée Middlesbrough – Saint Nazaire. Nous avons déjà rencontré ce vapeur qui, le 1er Décembre 1916, avait récupéré les naufragés du voilier RENE MONTRIEUX coulé par l' UC 19.)
Ayant récupéré notre canot, nous avons hissé les voiles et fait route sur Pentret.
L'officier enquêteur ajoute à la fin du rapport :
Pendant l'interrogatoire du capitaine, deux hommes et le mousse de BERNADETTE ont conduit deux Allemands porteurs de bombes cylindriques sur la goélette. Seul le mousse a pu remonter à bord du voilier. Il voulait récupérer le chat du bord. C'est un marin allemand qui a réussi à le saisir et le lui a immédiatement remis. Les deux marins ont visité la chambre arrière et le poste équipage, puis ont disposé leurs bombes contre les flancs de la goélette à bâbord et à tribord. Ils ont relié les mèches à deux bouts de filins, puis les ont amorcées par un choc sur le pont. Sans se presser, ils sont ensuite remontés dans le canot et sont revenus sur le sous-marin. Une explosion sourde s'est produite. La goélette s'est inclinée sur bâbord, puis s'est enfoncée rapidement.
Description du sous-marin
60 m de long pour 4 de large
Blockhaus avec un panneau de descente, sur lequel se tenait le commandant
Etrave surélevée
Passerelle allant vers l'avant, avec un garde-corps
Tubes lance-torpilles à l'étrave
Câbles allant de l'avant à l'arrière, mais pas vu d'antenne radio
Périscope rentré
Canon à poste fixe sur l'avant du blockhaus, d'environ 100 mm
Peinture gris-bleu
Manœuvrait avec une grande facilité
Voici la silhouette dessinée par le capitaine Lucas
Commandant
Taille inférieure à la moyenne. Blond, nez fort, bouche moyenne, rasé mais portait une barbe de quelques jours. Habillé d'une veste de cuir noir et d'un suroit. Aucun galon.
2e officier
1,70 m. Maigre, blond, nez moyen, rasé. Portait une capote cirée. Pas de galons.
Vu 4 hommes dont 1 avec casquette. Tous étaient habillés comme le sont ordinairement les marins par temps froid. L'un d'eux, qui avait un habit de scaphandrier, en caoutchouc, devait être le chef de pièce.
Le sous-marin attaquant
C'était l' UC 18 de l'OL Wilhelm KIEL, qui disparaîtra en Manche quelques jours plus tard, coulé par le Q-ship LADY OLIVE. (Voir fiche SAINT MICHEL)
Le capitaine LUCAS
Ce capitaine au cabotage pornicais, né le 3 Février 1877 à Sainte Marie (petite bourgade attenant à Pornic) avait aussi navigué au long cours. Il avait en particulier été embarqué, juste avant la guerre, comme lieutenant sur le grand trois-mâts GENERAL DE NEGRIER, comme on peut le voir sur cet extrait de son fichier matricule.
Il commanda ensuite BERNADETTE jusqu'à son naufrage.
Par la suite, en plus du petit sloop ALEXANDRE MARIE que l'on peut voir sur un post ci-dessus, il continua sa carrière comme capitaine d'un dundee pornicais, PRIMEROSE, dont voici une superbe photo prise à Pornic, le long du quai de Gourmalon, face au môle.
Sources :
« Pornic, l'âge d'or du port » de Gilles Fortineau et Alain Pittard. Edition Librairie Coiffard (un ouvrage magnifiquement illustré, paru en Juin 2010 ).
Archives de Vincennes
Archives de Rochefort
Cdlt