Bonjour à tous,
Télégrammes du 17 Juin 1917 De Commandant Marine Bayonne à Marine Paris (Secret)
15h10
ANJOU vient de sauter sur une mine
17h45
CACATOIS rentre ramenant 33 survivants ANJOU et 2 tués. Pas de blessés. 5 disparus
21h40
Le capitaine commandant d’armes Bayonne a téléphoné que commandant ANJOU est parmi les survivants
23h25
Aujourd’hui à 14h00, le vapeur dragueur ANJOU parti à 5 milles au large de Bayonne pour détruire des mines flottantes dont la présence avait été signalée a heurté une de ces mines et a coulé. Il y avait à bord 40 hommes. 7 ont été tués par l’explosion, dont 5 ont disparu. Les autres ont été ramenés à Saint Jean de Luz et les 33 survivants viennent de rentrer à Bayonne.
Je vous fournirai incessamment des renseignements sur la situation des familles des victimes.
ANJOU était en temps de paix un vapeur faisant le service des passagers entre France et Angleterre. Je saisis cette occasion pour vous confirmer l’appréhension des populations de nos côtes, suite aux agressions incessantes des sous-marins allemands qui menacent leur sécurité et leur ravitaillement. Il en résulte un état d’esprit regrettable auquel il importe de remédier par des mesures de défense de plus en plus énergiques dans les plus brefs délais.
Rapport du commandant DUKERS
Appareillé du Boucau où le bâtiment avait charbonné ce jour à 13h00. Entré en dragage dès la barre de l’Adour franchie. Fais route sur un groupe de mines aperçu quelques jours plus tôt à marrée basse à 6 milles dans le N10W de la Tour des Signaux, et dont 3 avaient ultérieurement été coulées.
A 14h00, le 1er maître pilote Bricon me signale une mine en surface à 1,5 mille par notre travers bâbord. Mis le cap sur elle avec l’intention de couper l’orin et de la faire couler à coups de fusils par le chalutier CACATOIS qui nous escortait.
A 14h13, étant sur la passerelle supérieure et ANJOU se trouvant à 4,5 milles de la côte dans le N006W de la Tour des Signaux, entendu une détonation sourde, profonde, perçue dans tout le navire avec un ébranlement relativement modéré. J’ai eu d’abord l’impression qu’une mine avait explosé, non au contact immédiat de la coque, mais dans la drague, très près de l’arrière du bâtiment. Descendu à la passerelle inférieure et donné l’ordre de stopper les machines pour rentrer la drague. La machine bâbord avait déjà stoppé d’elle-même. Celle de tribord s’était emballée, l’explosion ayant probablement rompu son arbre.
Je m’aperçu que le mât arrière était tombé et le gabier Girard vint me prévenir que le bâtiment faisait eau par l’arrière.
Donné ordre de mettre en marche le grand cheval (nota : pompe d’assèchement principale) pour lutter contre l’envahissement, de remettre les machine en route, et venu sur la droite pour me rapprocher de la côte et y échouer l’ANJOU, si besoin était. Envoyé des signaux aux chalutiers LABRADOR et CACATOIS qui étaient près de la côte entre Bayonne et Biarritz. Ni la barre, ni les machines n’ont répondu.
La situation, stationnaire jusque là, empira très vite. La cloison étanche arrière de la cale arrière ayant cédé, cette cale d’un volume considérable se remplit avec une extrême rapidité et l’eau arriva sur le pont par les écubiers arrière. Rien ne pouvait plus être tenté pour maintenir le navire à flot.
Donné l’ordre au personnel mécanicien et aux chauffeurs, jusque là à leurs postes, de monter sur le pont, de mettre radeaux et embarcations à l’eau et d’évacuer le dragueur. Ce personnel put exécuter cet ordre puisque le chauffeur Guéno, resté le dernier pour assurer l’alimentation, put regagner le pont, suivi par le Sd maître mécanicien Silenne.
Mais l’explosion avait projeté le youyou dans la cale et l’embarcation et le radeau de l’arrière étaient démolis par la chute du mât arrière et du mât de charge. Seule la baleinière put flotter.
Entre l’explosion et l’engloutissement du navire, il s’est écoulé 4 minutes. La mine a du heurter l’ANJOU près du presse-étoupe arrière.
La plus grande partie des survivants s’est rassemblée au radeau de sauvetage avant, resté intact. Ils ont été recueillis par CACATOIS et LABRADOR, accourus à toute vitesse.
J’ai le très profond regret de vous informer que 7 hommes ont succombé. (Le commandant donne alors leurs noms). La conduite de l’équipage a été excellente. J’attire tout spécialement votre attention sur
- 1er maître pilote Bricon, avec un oubli complet de lui-même, m’a secondé, a dirigé la mise à l’eau du radeau de l’avant, y a rassemblé les hommes autour de lui et n’y a embarqué que le dernier
- 1er maître mécanicien Le Tessier, par son calme et son sang froid, a fait régner l’ordre dans la machine
- Sd maître de manœuvre Rondeau et Zoonekynd, avec de l’eau jusqu’à la ceinture, ont assuré avec beaucoup de courage la mise à ‘eau de la baleinière. Je rappelle que Rondeau a déjà sauté sur une mine à bord du dragueur AUVERGNE, et qu’il était chef de quart sur le SUSSEX quand celui-ci a été torpillé.
- QM de manœuvre Grout et Prévost ont participé avec le plus grand dévouement à la mise à l’eau du radeau et de la baleinière.
- QM élève chef de quart Le Pivert a sauvé le maître d’hôtel Robinet, incapable de nager et l’a conduit jusqu’au radeau de sauvetage
- QM élève chef de quart Michel a soutenu le Sd maître Zoonekynd sur ses épaules jusqu’à ce que celui-ci puisse s’accrocher à une épave.
- Matelots chauffeurs Guéno et Le Cunff, de service dans la chaufferie, ne l’ont quitté que sur ordre et ont exécuté avec le calme le plus complet les ordres donnés par le 1er maître mécanicien
- Matelot cuisinier Laurans, n’a pas hésité à aller à la nage jusqu’au radeau de sauvetage et en est revenu avec un bout, l’empêchant ainsi de s’écarter du bord et facilitant l’embarquement du personnel.
Voici la signature du commandant Dukers
Récompenses
Inscription au tableau de la Légion d’Honneur
DUKERS Xavier Joseph Marie Capitaine de Corvette
A effectué depuis le début de la guerre de nombreux dragages de mines dans des circonstances difficiles et dangereuses, en particulier au voisinage des côtes de Flandres. Le 17 Juin 1917 au cours de dragages dans le golfe de Gascogne, l’ANJOU, qu’il commandait, ayant sauté sur une mine, a pris toutes les mesures permettant de sauver l’Anjou et son équipage. A été entraîné avec le bâtiment au moment où celui-ci chavirait. (Croix de Guerre avec palmes)
BRICON Louis 1er maître pilote Lannion n° 8
Officier marinier aussi bon marin que dévoué. Embarqué sur l’ANJOU a fait preuve du plus grand calme en secondant son commandant jusqu’au moment où le bâtiment a chaviré et a contribué pour une grande part au sauvetage du personnel. A pris place le dernier sur un radeau dont il venait de diriger la mise à l’eau.
Citation à l’Ordre de l’Armée
DUKERS Xavier et BRICON Louis pour les motifs ci-dessus
RONDEAU Edmond Paul Léon Sd maître de manœuvre Dieppe 5500
A fait preuve de belles qualités de sang froid et de courage. A contribué dans des circonstances difficiles au sauvetage de l’équipage.
S’est déjà distingué lors de la perte de l’AUVERGNE et de l’attaque du SUSSEX.
GUENO Louis Saint Brieuc 3007 Matelot chauffeur
LE CUNFF Jacques Lannion 3548 Matelot chauffeur
De service dans la chaufferie au moment où l’ANJOU heurtait une mine ont exécuté avec calme et jusqu’au dernier moment les manœuvres prescrites. N’ont évacué la chaufferie que sur ordre formel après avoir pris les dernières mesures de sécurité nécessaires.
BOSCHER Louis Marie Sd maître mécanicien Calais 1635
SILENNE Fernand Sd maître mécanicien 24315-1
BASTOEN Georges Alexandre QM mécanicien 27019-1
PENVERN Maurice Henri QM mécanicien 38116-1
MARGUERITE Marcel Auguste Matelot mécanicien 42507-1
GUERY Henri Gaston Pierre Matelot chauffeur Dieppe 174
GOULEY Louis Eugène Alphonse Matelot sans spécialité Dieppe 110
Embarqués sur l’ANJOU lorsque ce dragueur heurta une mine, sont restés à leur poste jusqu’au dernier moment assurant l’exécution des ordres. Ont été engloutis avec le bâtiment.
Citation à l’ordre du Corps d’Armée
LE TESSIER Jean 1er maître mécanicien Saint Malo 1214
Embarqué sur l’ANJOU, ce bâtiment ayant heurté une mine au cours de dragages, a contribué par son exemple et par les dispositions prises à faire régner le calme et le sang froid parmi le personnel de la machine.
ZOONEKYND Pierre Sd maître de manœuvre Dunkerque 3782
A contribué dans des circonstances difficiles à assurer le sauvetage de l’équipage de l’ANJOU. A fait preuve de belles qualités de calme et de sang froid.
Médaille d’Honneur du sauvetage en bronze
LE PIVERT François QM élève chef de quart 42232-1
A sauvé la vie d’un marin ne sachant pas nager en le conduisant jusqu’à un radeau
MICHEL Edmond QM élève chef de quart 107239-2
A dégagé un Sd maître qui se trouvait pris sous une baleinière et l’a ensuite soutenu jusqu’à ce qu’il puisse s’accrocher à une épave.
Cdlt