Bonjour à tous,
Naufrage du 5 Janvier 1918. Rapport du capitaine
Chalutier à vapeur SAINT MATHIEU. 54 tonnes. Monté par 13 hommes d’équipage. Armé d’un canon de 47 mm placé à l’avant.
Armateur Monsieur Caillé, demeurant à Brest, 66 rue du Château.
Quitté Brest le 2 Janvier 1918 à 08h30 et passé le raz de Sein à 11h30, route au SqSW pour me rendre sur les lieux de pêche. Réduit avant ½ le 3 janvier à 02h00 le temps étant très mauvais et resté en cap toute la journée ; impossible de travailler.
4 Janvier : même temps
5 Janvier au matin, beau temps et mer belle. Le canonnier Labour étant de vigie sur la passerelle du canon, j’aperçois à 10h30 un point à l’horizon par tribord arrière. Aux jumelles, j’aperçois comme une voile arrière de chalutier. Quelques instants plus tard, un obus siffle au dessus du SAINT MATHIEU. Plus de doute, c’est un sous-marin. Branle-bas de combat et coupé les funes. Le sous-marin se trouvait à 7000 m. Mis le cap dessus et tiré avec hausse à 6500 m. Le sous-marin continue à tirer en se rapprochant de nous. Je fais diminuer la hausse de temps en temps. Un obus passe à tribord de la passerelle enlevant la partie supérieure de celle-ci et brisant les vitres. Le compas tombe sur la tête de l’homme de barre Jossin lui faisant une blessure assez sérieuse. Un autre obus du sous-marin tombe sur l’avant et, voyant que son tir est bien réglé, je fais une embardée sur bâbord tandis qu’un de nos obus tombe à toucher le sous-marin. J’encourage mes hommes à tirer le plus possible, leur disant que le pointage est bon. Le sous-marin se trouve à environ 2000 m. Quelques obus tombent à tribord sans nous toucher, mais un obus tombe sur l’avant blessant mortellement trois hommes : le servant de la pièce Cuidu, l’approvisionneur Pleumeur et le novice Rollando. Ce dernier, âgé de 16 ans est atteint à la tête. Elle blesse à l’œil le chargeur Sicallac. Le canonnier continue à tirer quelques coups, chargeant lui-même sa pièce.
N’ayant plus de munitions et les éclats d’obus continuant à tomber en faisant beaucoup de dégâts, les hommes étant soit blessés soit épuisés, j’ai stoppé la machine pour disposer les embarcations. J’ai hissé le pavillon à mi mât, mais il a aussitôt été enlevé par un éclat. Le sous-marin continuait à se rapprocher en tirant. Il était à 1100 m et nous nous disposions à mettre le canot à l’eau quand un obus a frappé le second au côté, le blessant mortellement, et cassant le bras du matelot Sicallac. On réussit enfin à mettre le canot à la mer.
Je jette à la mer les papiers confidentiels que j’avais à bord dans un sac en toile avec un plomb de 2 kg. Après avoir vérifié que les hommes étaient morts et que tous les autres étaient dans le canot, je me suis décidé à abandonner le bateau. J’avais 4 tués et 4 blessés grièvement sur 13 hommes d’équipage. Tous les autres et moi-même étions plus ou moins atteints de petits éclats.
Nous nous sommes éloignés du bateau et quand le sous-marin nous a aperçu, il a cessé son tir et a fait route sur nous, nous faisant signe de l’accoster.
Il a demandé nom du bateau, jauge et longueur et si j’avais les papiers du bord. J’ai répondu non. Le commandant a aperçu u vieux pavillon français dans le canot et a fait signe de le lui remettre. Il m’a ensuite dit que nous étions libre et m’a fait signe de partir. Il s’est rapproché de SAINT MATHIEU et a recommencé son tir pour le couler. Au bout de quelques coups, SAINT MATHIEU a disparu et j’ai fait route sur la terre. Il était 11h45.
Nous avons navigué par beau temps jusqu’au 7 Janvier à 01h00 du matin, quand la brise a commencé à fraîchir et la pluie à tomber. J’ai fait diminuer la toile, puis rétablir la voile haute au jour. Mais vers 10h00, j’ai du prendre deux ris, la mer étant devenue grosse et menaçant de nous engloutir à chaque instant. Nous étions obligés de fuir à la lame. Vers midi (nous n’avions pas d’heure) les vents sont passés au NE avec mer très agitée et temps noir. La pluie tombait et nous grelottions de froid, nous serrant difficilement les uns contre les autres. Vers 14h00, dans une éclaircie, nous avons aperçu la terre, ce qui nous a donné du courage. Les vents sont tombés et j’ai fait établir la misaine haute et nager. Les vents étaient de Nord et quand les feux se sont allumés, nous avons vu que nous étions à 4 ou 5 milles des Cardinaux. J’ai voulu me rendre au Croisic, mais n’ai pu doubler le Four, les vents gagnant au NE. Nous étions exténués de fatigue quand vers 18h00 j’ai aperçu un bateau à vapeur. Nous l’avons hélé pour lui demander s’il acceptait de nous prendre et il a répondu oui.
J’ai fait renter la voile et lui ai demandé de faire arrière car il était proche de nous. Il n’a pas compris et a mis en avant. Le temps étant très noir, il ne pouvait voir le canot. Il a fait un tour et s’est rapproché par tribord. J’ai fait nager pour couper devant lui. Quand il a redressé sa barre, je lui ai crié de faire arrière toute et de venir sur tribord, mais il ne pouvait entendre. J’ai fait nager aussitôt, mais nous avons été gênés dans notre manœuvre par le matelot Jossin qui avait le cerveau atteint depuis le combat. Le vapeur nous a abordé par le travers, chavirant le canot et précipitant tout le monde à la mer. J’ai été sauvé par un aviron que l’on m’a tendu depuis le bord. J’ai dit au commandant du vapeur que nous étions 9 dans le canot. Il m’a répondu qu’il avait sauvé 5 personnes, son canot ayant été mis à la mer dès que le notre avait chaviré. Il avait récupéré le chef mécanicien Chupin, le matelot Jossin, le chauffeur Talarmin et le soutier Talarmin. Le commandant de ce chalutier convoyeur, le PIVOINE, a donné l’ordre à un autre convoyeur d’explorer les lieux. Mais ce fut sans succès. Sicallac, Quintin, Labour et Le Borgne s’étaient noyés.
Nous avons reçu sur PIVOINE tous les soins que nécessitait notre état et nous remercions chaleureusement le commandant Cadic et son équipage pour ces soins car nous étions à bout de force. L’abordage de notre canot ne peut lui être imputé car la nuit était très noire et un grain violent et la houle rendaient toute manœuvre d’accostage impossible. Nous n’avions plus de matériel pour faire des signaux lumineux.
Je remercie aussi tous mes hommes, du premier au dernier, aussi bien ceux qui ont péri que ceux qui ont survécu. Je les connaissais et savais qu’avec eux je pouvais mettre le cap sur l’ennemi. Malheureusement, notre petit canon ne pouvait étaler celui de l’Allemand qui nous a fait beaucoup de mal dès le début, à grande distance.
Nous sommes arrivés à La Pallice le 8 Janvier 1918 à 08h00.
Voici la signature du capitaine Le Coheleach
Autres dépositions
Tous les survivants, à l’exception du matelot Jossin hospitalisé à La Rochelle, ont été interrogés. Ils confirment le récit du commandant et affirment que si Jossin blessé à la tête ne s’était pas jeté sur eux dans un accès de délire, les empêchant de nager lors de l’accostage de PIVOINE, ils n’auraient pas été abordés.
Description du sous-marin
Pont du sous-marin formé de plaques de tôle assez petites, plus épaisses que celles des flancs. Plaques assemblées à franc-bord et à rivets arasés.
60 à 70 m de longueur
1 canon d’environ 105 mm sur l’avant du kiosque.
Equipage du sous-marin très jeune. Certains plaisantaient en regardant les blessés.
Le commandant parlait un très mauvais français.
Le capitaine a demandé s’il pouvait remonter à bord du chalutier pour prendre de l’eau douce et un compas, car le compas du canot et le fanal étaient tombés à la mer lors de la mise à l’eau. Le commandant allemand a tout d’abord dit non, puis a finalement dit oui. Mais il a été impossible de retourner sur le bateau, car il a ouvert très rapidement le feu pour le couler.
Voici la silhouette du sous-marin
Ce sous-marin était donc l’U 22 du Kptlt Hinrich Hermann HASHAGEN. Il commandera ce sous-marin jusqu’à l’armistice du 11 Novembre 18.
U 22 avait coulé en Juin 1916 le grand voilier français FRANCOISE D’AMBOISE. (voir ce lien
pages1418/Forum-Pages-d-Histoire-aviati ... _1.htm#bas)
Notes de l’officier AMBC
SAINT MATHIEU, qui faisait route au Sud est venu cap au Nord pour mettre le but dans son champ de tir et a ouvert le feu avec une hausse de 6500m. Le capitaine a gardé le cap exactement sur le sous-marin pour diminuer la surface présentée à l’ennemi. L’inconvénient de ce tir dans l’axe est qu’il ne voyait pas les points de chute masqués par la plateforme de la pièce. Le matelot Sicallac signalait comment tombaient les coups.
A 2000 m, le sous-marin évita de façon à tirer à 45° de son arrière. Dans cette position, l’armement de sa pièce était protégé par le kiosque. On ne voyait aucun homme auprès d’elle. Les coups du SAINT MATHIEU tombaient très près du sous-marin, mais aucun n’a été vu au but. Le tir du sous-marin avait été long à se régler (20 coups) mais toutes les blessures et avaries ont été dues aux éclats. Trois hommes ont été tués d’un coup et 4 blessés. Le ravitaillement de la pièce a été interrompu, mais le tir a continué jusqu’à épuisement du parc. Le commandant a alors décidé d’évacuer.
Ce n’était pas la 1ère fois que SAINT MATHIEU rencontrait un sous-marin. Le 12 Juillet 1917, à 100 milles d’Ouessant, il avait aperçu un sous-marin attaquant un gros cargo. Il avait alors mis le cap dessus et l’avait canonné. Le sous-marin avait disparu presque aussitôt. Cette tactique encourageante, répétée une 2e fois, a malheureusement échoué. Elle aurait pu réussir si le capitaine, ayant reçu une instruction sur la conduite du tir, avait mieux dirigé le feu de sa pièce.
A la vue du pont du sous-marin, l’équipage pense que ce sous-marin était blindé.
(Nota : Le sous-marin rencontré le 12 Juillet 1917 pourrait avoir été l’U 87 du Kptlt Rudolf Schneider, mais sans aucune certitude)
Conclusions de la commission d’enquête
Son rapport reprend tous les éléments de celui du capitaine. Elle conclut :
La commission rend hommage à la décision, au courage et à l’énergie dont ont fait preuve le capitaine Le Coheleach et son équipage et prose pour eux des récompenses.
Récompenses
Citation à l’Ordre de l’Armée et Médaille Militaire
LE COHELEACH Georges Marie Capitaine au Cabotage
Courage, énergie, audace remarquable déployés au cours d’un combat violent au canon soutenu contre un sous-marin. N’a ordonné l’évacuation de son bâtiment qu’à la dernière extrémité, étant dans l’impossibilité de continuer le feu faute de personnel. Déjà titulaire de la Croix de Guerre avec étoile de vermeil pour avoir mis en fuite un sous-marin qui attaquait un gros cargo le 12 Juillet 1917 à 100 milles d’Ouessant
JOSSIN François Matelot
Homme de barre grièvement blessé à la tête et en traitement à l’hôpital de La Rochelle.
Citation à l’Ordre de l’Armée
CHUPIN Edouard Chef mécanicien
A montré beaucoup d’autorité et de sang froid au cours du combat. N’a cessé de seconder le commandant tant à bord du SAINT MATHIEU que dans le canot. Etait à bord du SAINT ANDRE quand ce cargo a obtenu un témoignage de satisfaction.
CUIDU Joseph 1er chauffeur
PLEUMEUR Pierre Matelot
ROLLANDO Anselme Novice
Tué à leur pièce au cours du combat
COLLET Joseph 2e capitaine Patron de pêche
Tué par un éclat d’obus au moment où il amenait le canot
LABOUR Norbert Fusilier auxiliaire
Chef de pièce, a continué le tir bien que blessé aux jambes. Noyé dans l’accident avec PIVOINE
SICALLAC André Matelot
Grièvement blessé par des éclats d’obus (un bras cassé et un œil crevé). Noyé dans l’accident avec PIVOINE
QUINTIN Pierre Matelot
Blessé à la figure par des éclats. Noyé dans l’accident avec PIVOINE
LE BORGNE Vincent Chauffeur
Blessé à la figure par des éclats. Noyé dans l’accident avec PIVOINE
Citation à l’Ordre du Corps d’Armée
TALARMIN Jean Chauffeur
TALARMIN Joseph Soutier
Qualités militaires réelles déployées au cours d’un combat sérieux au canon.
Cdlt