Bonjour à tous,
SAINT JEAN II
Naufrage du 22 Mars 1918
Rapport du 2e capitaine Louis AILLET (remplaçant le capitaine disparu)
Destination Messine puis Corfou avec 2300 tonnes de charbon.
Navire réquisitionné avec contrat d’affrètement.
Appareillé de Sidi Abdallah le 20 Mars à midi, avec le pilote. Franchi les jetées et fait le chenal de sécurité. Débarqué le pilote à 13h45. A 17h30 commencé les zigzags conformément au graphique n° 4. Jolie brise de NW, mer un peu clapoteuse.
J’ai pris le quart à 22h00. A 23h35, je regardais du côté bâbord depuis le milieu de la passerelle quand je fus soulevé tandis qu’une forte détonation provenait de tribord. Me retournant, je vis une gerbe d’eau s’élevant à hauteur du maroquin et arrachant la baleinière tribord. Le navire prit immédiatement une forte bande sur tribord. J’allais mettre la main sur le télégraphe de la machine, quand je m’aperçus que celle-ci ne tournait plus.
Je criai « Tout le monde à la baleinière bâbord ». La baleinière étant prête, je donnai l’ordre à l’homme de barre et à l’homme de veille de quitter leur poste. Je sautai sur le spardeck et essayai d’ouvrir la porte bâbord du capitaine. Mais elle était fermée à clé. J’allai alors à la porte de tribord et lui criai : « Vite, vite, le navire cabane ». Puis je me déhalai à bâbord en m’aidant des batayolles avant du spardeck. J’étais rendu sous l’échelle de la passerelle quand je fus précipité à la mer par un fort rouleau.
De la détonation à la disparition complète du navire, il s’est écoulé moins de trois minutes. Je présume que le capitaine, qui devait mettre sa ceinture de sauvetage a été bloqué dans sa chambre et n’a pas pu en sortir.
Lorsque je suis remonté à la surface, j’ai mis la main sur un panneau. Le navire avait déjà complètement disparu. Quelques instants après, j’étais recueilli par le WIMEREUX.
Rapport de l’officier mécanicien de quart Pierre BONIFACE
Le 22 mars 1918 à 23h36, pendant mon quart, une voie d’eau s’est déclarée par le travers de la chambre de chauffe, occasionnée par une forte explosion. L’eau envahissant le compartiment de la machine, et la rupture de collecteurs de vapeur s’étant produite, j’ai stoppé immédiatement la machine en isolant les deux chaudières par les soupapes d’arrêt, sans attendre l’ordre de la passerelle.
Avec de l’eau jusqu’à la ceinture, je suis monté prévenir le chef mécanicien et le 3e mécanicien qui s’apprêtaient à sortir de leurs cabines. L’eau était déjà rendue à la moitié du pont du navire. J’ai sauté à la mer par le côté bâbord et, quand je suis revenu à la surface, j’ai vu le bâtiment disparaître en quelques instants. Je présume que le chef et le 3e mécanicien, ainsi que le chauffeur de quart Parquiou ont été entraînés par le remous, et que le chauffeur de quart Hamon a été tué à son poste par l’explosion.
Rapport du CF de PENFENTENYO, commandant la 3e escadrille de patrouille, au CV Chef de Division
J’ai l’honneur de vous transmettre les rapports des commandants des chalutiers SAINT JEAN I, FRIEDLAND et WIMEREUX qui escortaient le charbonnier SAINT JEAN II quand il a été torpillé le 22 mars vers 23h30.
Les postes que devaient occuper les escorteurs étaient les suivants :
- FRIEDLAND en éclaireur sur l’avant à distance de visibilité.
- SAINT JEAN I sur la droite à 500 m
- WIMEREUX sur la gauche à 500 m
Le commandant de SAINT JEAN I, chef d’escorte, émet l’avis que le sous-marin devait suivre le convoi et qu’il a profité de l’embardée sur tribord du charbonnier pour lui lancer sa torpille. Cette hypothèse me paraît très vraisemblable.
Je n’ai personnellement aucune confiance dans l’efficacité de la protection d’un convoi par zigzags. Pour un bâtiment isolé, la question peut se discuter. Mais pour un bâtiment encadré d’une forte escorte, ce qui était le cas, je crois le bâtiment mieux protégé par ses escorteurs s’ils se tiennent bien à leur poste à 500 m que par les changements de route successifs, d’autant plus
L’ennemi ne peut ignorer la direction générale de la route suivie.
Le commandant de WIMEREUX me paraît avoir agi avec décision et rapidité pour le sauvetage de l’équipage du charbonnier coulé. Je réserve toutefois mon appréciation définitive jusqu’au moment où je connaîtrai les conclusions de l’enquête en cours.
J’adresse dès maintenant un témoignage de satisfaction au second maître BOUBENNEC et au QM chauffeur MORIN du WIMEREUX pour leur attitude au moment du naufrage.
Journal de bord du 1er maître GRALL commandant le chalutier d’escorte SAINT JEAN I.
24 Mars
En escorte du SHADWELL, navire torpillé, remorqué par CYCLONE. Remis au SURMULET les deux survivants du SAINT JEAN II que nous avions récupérés. A 10h45, repassé parmi les épaves du SAINT JEAN II et nous reconnaissons une embarcation abandonnée. A 13h15, aperçu à l’horizon deux objets suspects et mis au poste de combat, comme sur FRIEDLAND. Mais les objets disparaissent. A 18h45, FRIEDLAND demande à aller relâcher à Palerme pour faire de l’eau.
25 Mars
1) Route sur Messine. FRIEDLAND à tribord. WIMEREUX derrière.
2) 02h00 FRIEDLAND fait toute sur Palerme
3) 04h00 A 20 milles dans le S10W d’Alicuri
4) 12h00 NS Vulcano
5) 13h00 3 milles Nord Milazzo. Venu au N80W
6) 16h20 Venu au S58W. Communiqué avec Pelloro
7) 17h45 Entré dans le port de Messine
8) 18h00 Amarré à quai
9)
SAINT JEAN II a été torpillé par 37°55 N et 10°33 E à 23h30 le 22 Mars par le travers de sa chaufferie tribord au moment de son zigzag sur tribord à 30° de la route moyenne. Le sous-marin suivait sans doute le convoi et a eu le temps d’étudier les zigzags et la route. Il a profité du mouvement sur tribord qui lui présentait le travers plein du SAINT JEAN II. Le vapeur s’est incliné sur tribord dès le torpillage et a coulé en deux minutes avec une forte bande sur tribord et une petite pointe positive.
Rapport de l’officier AMBC
Les deux canonniers avaient pris le service à 22h00 et devaient le garder jusqu’à 02h00 du matin. Je relève les trois fautes suivantes :
- Les canonniers faisaient la nuit 4 heures de veille consécutives
- Les postes 1 et 3 faisaient double emploi et veillaient sur 180° au lieu de veiller un d chaque bord sur 90°
- Bien que la nuit fut éclairée et la lune haute (pleine lune le 27) il n’y avait aucun veilleur dans la hune. D’ailleurs, la veille haute n’était jamais assurée la nuit sur le SAINT JEAN.
Cette veille était donc totalement insuffisante et en contradiction avec les instructions ministérielles.
A l’enquête, les officiers interrogés et le QM canonnier ont argué de leur ignorance de ces instructions et ont prétendu qu’un rôle de veille avait été établi en Décembre 1917 par le centre AMBC de Saint Nazaire les autorisant à faire relever les canonniers de nuit toutes les quatre heures. Ceci n’est plus admissible pour les raisons suivantes :
- SAINT JEAN II a reçu le 11 Janvier à Bizerte un rôle de veille conforme à la dépêche ministérielle du 23 Avril 1917, rôle donné au 2e capitaine qui en a signé le reçu.
- Le 13 Mars, le 1er maître du centre AMBC de Bizerte a donné au QM Le Tiec, un rôle conforme et a demandé une veille haute par clair de lune. Le QM Le Tiec l’a alors donné au capitaine. Mais ni l’un, ni l’autre ne se sont préoccupés d’en assurer l’exécution.
Les relèves doivent se faire toutes les deux heures maximum. Par nuit sans lune, le poste 4 est supprimé. L’équipage commercial fourni le poste 4 le jour et le poste 2 la nuit.
Si l’effectif le permet, les poste 2 et 4 doivent être dédoublés en secteurs de 90° chacun. La veille permanente doit donc être de 6 hommes le jour et 4 hommes la nuit.
SAINT JEAN II a formellement contrevenu aux instructions données et n’exerçait pas une veille sérieuse et attentive. Le capitaine, disparu dans le naufrage est le principal responsable de cet état de choses, mais j’estime que sa responsabilité est largement partagée par le QM chef de section Le Tiec qui n’ignorait rien des consignes relatives à la veille.
Les circonstances du torpillage n’ont pas permis l’utilisation de l’artillerie, mais les dispositions préparatoires de tir semblent avoir été prises.
Complément au rapport du second capitaine
Je fais ressortir à la commission d’enquête que concernant la mention faite par le capitaine de l’AMBC au sujet de la veille il nous manquait un homme depuis plus d’un mois et qu’il n’avait pu être remplacé par manque de personnel au dépôt.
Le service de veille réglé par le centre AMBC de Saint Nazaire n’avait pas été modifié lors de nos escales à Sidi Abdallah.
Je porte aussi à la connaissance de la commission que le matelot LE MEN Louis et le canonnier LE FLOCH Joseph, quoique épuisés, se sont portés avec la baleinière pleine d’eau au secours de trois de leurs camarades qui allaient disparaître et les ont ramenés à bord du chalutier. Je pense que quelques paroles d’encouragement récompenseraient largement l’acte de ces deux braves.
Rapport de la commission d’enquête
Elle reprend tout le déroulement des faits, signalant que le second capitaine a trouvé le commandant en train de mettre sa ceinture de sauvetage. Capitaine, chef mécanicien et 3e mécanicien ont probablement été engloutis n’ayant pu sortir de leurs cabines en raison de la rapidité du naufrage. Mais l’évacuation s’est effectuée avec tout le calme désirable et c’est grâce à cela que l’on a pu sauver presque tout le monde.
Elle souligne que la veille n’était pas faite selon la réglementation, mais cela ne veut pas dire que l’on aurait pu voir le sous-marin.
La commission estime que chacun a fait son devoir et qu’il n’y a pas lieu à sanctions, sauf réserves du rapport de l’officier AMBC.
Complément
Le Président de la commission demande personnellement au second capitaine s’il a des soupçons quelconques sur la divulgation et la transmission à l’ennemi du départ du bâtiment. Réponse négative. L’heure de départ n’a été fixée qu’après le retour des permissionnaires et la destination n’a été connue qu’après l’appareillage.
La commission constate que le rapport du WIMEREUX ne fournit rien d’intéressant et que ceux du SAINT JEAN I et du FRIEDLAND ne lui sont pas parvenus. Elle attire l’attention sur la fréquence des torpillages de nuit par clair de lune, malgré l’escorte et malgré les précautions prises. Les conditions d’éclairage sont tout à l’avantage du sous-marin. La commission estime regrettable que les escorteurs n’aient pu soutenir la vitesse prescrite par les instructions. A 8 nœuds, le convoi n’aurait pas rencontré le sous-marin. Il n’aurait pas perdu de vue le FRIEDLAND qui, trop éloigné, ne remplissait pas son rôle d’éclaireur de nuit.
Enfin, la commission souligne que le 2e mécanicien a bien agi en stoppant la machine, faute de quoi l’embarcation n’aurait pu être amenée et aurait été engloutie avec tout l’équipage. Le 2e capitaine a bien réagi, avec calme et sang froid, en ordonnant immédiatement l’évacuation. Tous deux méritent une proposition.
Récompenses. Sanctions
Citation à l’Ordre du Corps d’Armée
BONIFACE Pierre Second mécanicien 10069 Bordeaux
Qualités militaires réelles dans les mesures prises pour assurer le sauvetage en cas de torpillage, dans des circonstances particulièrement critiques.
Citation à l’Ordre du Bâtiment
AILLET Louis 2e capitaine Rouen 73
Sang froid et énergie dans les mesures prises pour sauver le personnel.
Trois mois de suspension de grade
LE TIEC Jean QM canonnier 99175.2
Ce quartier maître n’ignorait rien des consignes relatives à la veille et n’a rien fait pour en assurer l’exécution. Le service réglementaire aurait certainement été fait s’il en avait demandé l’exécution.
Le sous-marin attaquant
C’était l’UB 50 du Kptlt Franz BECKER.
(Franz Becker est décédé le 25 Décembre 1980, à l’âge de 92 ans.)
UB 50 était un sous-marin de type UB III (comme l’UB 64 ci-dessous). Il sera récupéré par les Anglais début 1919, puis démoli.
Cdlt