Bonjour à tous,
MOULOUYA
Rencontre avec un sous-marin le 26 Mai 1916
Rapport du Capitaine THIEUX, commandant du MOULOUYA au CA commandant Marine Marseille.
Parti de Tunis le 24 Mai 1916 à 18h20 avec 2 passagers, 300 t de marchandises diverses et 7600 moutons à destination de Marseille, j’ai suivi les routes recommandées. Le 25 Mai à 21h50, j’ai fait route au N 26 W pour passer à 10 milles au Sud de Porquerolles.
Le 26 Mai à 10h55, par 42°34 N et 06°25 E, étant moi-même sur la passerelle avec le second capitaine Monsieur METAYRON, le maître d’équipage SIKO et le passager Roger SAVON, nous apercevons à 2000 m au S60W un sous-marin qui venait d’émerger et n’avait que son capot hors de l’eau.
Venu tribord toute immédiatement pour lui présenter l’arrière, mis la machine à toute puissance et l’équipage au poste de combat. Envoyé le premier message de détresse. Fait route au N65E en présentant exactement l’arrière au sous-marin qui nous gagne un peu de vitesse car son capot grossit.
A 11h15, le sous-marin cherche à nous gagner sous le vent, car la mer, assez grosse de NW, nous bat le flanc bâbord et le sous-marin a lui-même son capot couvert par les lames. Venu au N45E pour maintenir le sous-marin au vent de l’arrière, vitesse moyenne 12 nœuds.
A 11h30, le sous-marin est à 1500 m de nous, mais ne gagne plus de vitesse. La grosseur de son capot reste constante, mais il cherche à nous passer sous le vent. Venu au Nord et à cette route nous le maintenons à 2 quarts sur bâbord arrière. Vitesse 13 nœuds.
A 11h45, nous percevons nettement qu’en maintenant cette vitesse nous gagnons sur le sous-marin car la grosseur de son capot diminue. Continué à envoyer des appels au secours en indiquant notre position. Malheureusement, un orage très fort nous empêche d’entendre les réponses. A peine parvient-on à comprendre notre indicatif.
A 11h55, le sous-marin abandonne la chasse et disparaît d’un seul coup en plongée. A 12h00, envoyé le télégramme indiquant « Echappé ».
Fait alors route en zigzags pour gagner Porquerolles. N/S à 3 milles à 15h50. A 16h00, stoppé à deux reprises par le travers de Toulon pour répondre à l’arraisonnement de deux torpilleurs, un chalutier et un remorqueur. Arrivé à Marseille à 21h00.
J’attire votre attention, Amiral, sur la conduite exemplaire et digne d’éloges de tout mon équipage, hormis les chauffeurs et soutiers indigènes. Les chauffeurs européens, quand j’ai donné l’ordre de forcer la vitesse, sont tous descendus dans la chaufferie et ont pris la chauffe d’un fourneau par homme. Le restant du personnel machine était dans la soute pour approvisionner avec le meilleur charbon. Les matelots, après avoir disposé les embarcations, ce qui a pris au maximum 2 minutes, sont venus se mettre à proximité de la passerelle pour exécuter mes ordres le plus rapidement possible.
Le second capitaine, Monsieur Metayron, est allé sur la dunette prêt à faire ouvrir le feu en cas d’attaque et après mes ordres. Le lieutenant, Monsieur Battistini, est monté immédiatement à la passerelle à mes ordres et est resté près de moi pendant toute la poursuite servant d’intermédiaire pour transmettre mes messages TSF au poste du télégraphiste situé sur la dunette. Tous les officiers mécaniciens étaient dans la machine, occupés à différentes surveillances sous la direction de leur chef Monsieur Chaix.
Je ne saurai passer sous silence la belle conduite de Monsieur Savon qui, sur la passerelle quand nous avons aperçu le sous-marin, ne m’a plus quitté et est resté plus d’une heure jumelles à la main, observant le sous-marin. Il m’a ainsi aidé à confirmer ses appréciations sur les distances maintenues entre le sous-marin et moi. Pas une minute de trouble n’a paru sur sa figure et ses appréciations ont toujours été conformes aux miennes.
Je signale aussi qu’un voilier mâté en goélette était à 5 milles au Nord de l’endroit où nous avons aperçu le sous-marin. A 12h30, deux autres voiliers à la cape se sont trouvés à 3 milles de notre route.
Signé THIEUX
Le sous-marin rencontré
N’est pas identifié.
Toutefois, la position très précise donnée par le capitaine Thieux permet de l’identifier à coup sûr. Il ne peut que s’agir de l’U 39 du Kptlt Walter FORSTMANN qui, la veille, avait coulé deux navires italiens pratiquement à cette même position.
MOULOUYA a eu beaucoup de chance car Walter Forstmann détient, après Von Arnauld de La Perrière, la deuxième place par le tonnage de navires coulés avec 400 000 t. C’est finalement le mauvais temps qui l’aura sauvé.
Rencontre avec un sous-marin le 24 Août 1916
Rapport du Capitaine FRANCESCHI, du MOULOUYA, au VA Préfet Maritime de l’arrondissement algéro-tunisien.
Quitté Marseille le 22 Août à 17h00 à destination de Tunis. A 06h30 le 23, sur le parallèle d’Ajaccio, changé ma route sur les Sorelles, au SE. A 09h10, croisé deux chalutiers et à 09h55, le vapeur TAFNA à contre-bord. A 22h15, doublé le feu de Sandalo (Sud Sardaigne).
Le 24 Août à 06h15, étant sur la passerelle avec le maître d’équipage, celui-ci attire mon attention sur un point qui venait d’apparaître dans le sillage du navire à environ 6 milles. Ayant reconnu un sous-marin, j’ai fait aussitôt doubler les quarts dans la chaufferie et donner au navire son maximum de vitesse. En même temps, j’ai fait lancer les signaux réglementaires par TSF. Le personnel, sous les ordres du second capitaine, a préparé les embarcations pour toute éventualité et a approvisionné en munitions les canonniers.
A 06h25, le sous-marin a ouvert le feu sur nous et son premier obus est tombé à 200 m de notre arrière. Son tir se rapprochait de plus en plus et, un moment donné, ses obus ont dépassé sur notre avant. Les derniers nous encadraient de très près. Notre canon était bien masqué et, notre canon n’ayant pas répondu, le sous-marin a pensé probable que nous n’étions pas armés. Il a augmenté de vitesse pour se rapprocher de nous. J’ai alors mis en avant lente pour le placer à portée de notre canon. J’ai commencé le feu alors que le sous-marin en était à son 23e coup.
Notre tir était bien dirigé, mais trop court. Le sous-marin continuait à nous encadrer. Pour dérégler son tir, j’ai navigué en zigzags, tout en me maintenant sur la route des patrouilles et en gardant le sous-marin le plus possible sur l’arrière.
Surpris par notre riposte, le sous-marin a paru avoir un moment d’hésitation et nous présenta le travers, cap à l’Est, mais reconnaissant bien vite que notre arme était insuffisante, il reprit sa poursuite et le feu devint plus violent. Ses coups de canon étaient espacés d’environ une minute.
De notre côté, le tir a été très espacé, notre but étant, vu l’impossibilité d’atteindre le sous-marin, de ménager nos munitions, de maintenir le sous-marin à grande distance et de permettre ainsi aux secours d’arriver.
A 07h10, nous avons aperçu la fumée d’un vapeur à un quart par bâbord avant. C’était un grand paquebot anglais à quatre mâts qui venait vers nous à grande vitesse. A 07h20, ce paquebot était à deux milles de nous et le sous-marin a tiré son dernier coup de canon. Il s’est immergé aussitôt cap à l’Est. Au même moment, le navire anglais est venu brusquement sur la gauche et a mis cap à l’Ouest.
Pendant la poursuite, le sous-marin a tiré entre 110 et 120 coups de canon. Les premiers étaient des obus en acier. Vers la fin, c’étaient des obus à éclatement. Plusieurs sont tombés à moins de 10 m du navire, arrosant le pont de leurs éclats. J’ai donné l’ordre à l’équipage de se tenir à l’abri. Deux obus sont tombés près de l’hélice, occasionnant de forts chocs dans la machine. Un autre est tombé par le travers de la machine à bâbord et a ébranlé le navire. Ses éclats ont percé le grand canot de bâbord. Les obus tombant près du bord ont inondé à trente reprises le pont arrière et les canonniers qui se trouvaient à leur pièce ainsi que les hommes d’équipage qui les approvisionnaient en munitions.
Pendant le bombardement qui a duré une heure quinze, l’équipage s’est montré discipliné et a gardé tout son calme. Les officiers pont et machine et le télégraphiste m’ont très bien secondé en cette circonstance et je n’ai qu’à me louer de leurs services.
Je signale en particulier l’attitude du quartier maître canonnier Simon TUFFIGO, Auray 4519, du matelot sans spé Emile LAUGIER 46190.5, du fusilier auxiliaire Joseph TRISTAN, Groix 1319, qui armaient la pièce, du maître d’équipage et de l’homme de barre.
Position du sous-marin : 37°29 N et 08°22 E quand la chasse a été levée.
Je vous informe aussi que pendant ma traversée de retour Tunis – Marseille, j’ai rencontré deux canots abandonnés paraissant appartenir à un navire coulé par un sous-marin. Ils étaient par 37°54 N et 08°20 E
Rapport d’enquête
Le rapport d’enquête reprend les éléments fournis par le capitaine avec les précisions suivantes :
Vapeur de 2123 tonnes. Compagnie de Navigation Mixte. Traversée Marseille – Tunis
Capitaine FRANCESCHI Jean-Marie, CLC, Bastia 170
Navire armé d’un canon de 47 mm modèle 1885 sur affût sans recul avec hausse allant jusqu’à 4500 m. (Nota : la portée de la pièce a été augmentée le 30 Août 1916 par chanfreinage jusqu’à 7000 m. Une hausse modifiée a été délivrée.)
Très beau temps calme d’ESE.
Au début du combat, un vapeur grec était en vue à 3 milles dans le Sud faisant route à l’Ouest. Il a disparu dans cette direction.
Dans l’Est, il y avait la fumée d’un autre vapeur qui s’est approché à 7 milles faisant route à l’Ouest.
A 07h10 un autre vapeur a été aperçu faisant route au Nord à contre-bord. Il était à 3 milles quand le combat a pris fin. Il avait 4 mâts, une cheminée, et était peint en gris. On a pensé que c’était un vapeur anglais de la Bibby Line. Ce navire a changé de route à 07h40, au moment où le sous-marin a disparu Il est venu à l’Ouest, puis est revenu au Nord une demi-heure plus tard.
Il résulte d’une lettre du capitaine de ce navire anglais :
- Que ce navire était le LEICESTERSHIRE de la Bibby Line
- Qu’il a assisté à la fin du combat entre MOULOUYA et un sous-marin allemand
- Que le vapeur dont la fumée a été aperçue dans l’Est au début du combat était le vapeur suédois DOMALD.
MOULOUYA a envoyé des signaux de détresse par TSF. Les postes de Sandalo et de Bizerte ont répondu tous deux qu’on venait au secours du navire. La disparition du sous-marin fut ensuite signalée à Bizerte.
Le sous-marin a tiré entre 110 et 120 coups de canon. Son tir de recherche a 10 minutes à raison d’un coup par minute. Le tir était encadrant et s’est accéléré jusqu’à atteindre 3 coups par minute, puis s’est ralenti ensuite jusqu’à la fin du combat. MOULOUYA n’a pas été touché malgré la précision du tir, mais le côté bâbord du navire a été rayé sur toute sa longueur par les éclats. Un morceau de la lisse a été enlevé et un éclat a pénétré dans la cabine TSF. Un canot situé hors de ses bossoirs sur bâbord milieu a été criblé d’éclats sur son côté tribord, c’est-à-dire en dedans. Les éclats ont aussi touché le mât de misaine et la toile de la passerelle, ainsi que le pont promenade. La pièce a été couverte d’eau par les gerbes des projectiles.
MOULOUYA a ouvert le feu avec hausse à 4500 m, mais le sous-marin étant à 7000 m, le tir fut franchement court. Le sous-marin n’a pas été touché. Ni tué, ni blessé, le personnel ayant été mis à l’abri sur le pont avant, sous la passerelle.
42 hommes d’équipage dont 1 Italien. Pas de passagers. Attitude parfaite de l’équipage.
Sous-marin d’environ 70 m équipé, d’après la fumée de départ des coups, de deux canons que l’on n’a pas vus, un sur l’avant du kiosque et un sur l’arrière. Blockhaus au milieu dans le sens de la longueur, formant brise-lames sur sa partie avant.
Peinture semblant gris clair et très propre.
Voici sa silhouette.
Conclusions de l’officier enquêteur
L’officier enquêteur estime que l’équipage tout entier de MOULOUYA a fait son devoir. Le capitaine et les officiers ont donné l’exemple du calme et de la discipline dans les circonstances critiques traversées. L’ordre le plus parfait n’a cessé de régner et le salut du bâtiment a été assuré par le dévouement de tous. . L’armement de la pièce s’est très bien conduit
Grâce à son capitaine, et pour la seconde fois, MOULOUYA échappe à la poursuite d’un sous-marin. Au mois de Mai dernier comme le 24 Août 1916, l’équipage a eu une conduite parfaite. Son dévouement et son esprit de discipline ont contribué largement à assurer la sécurité du navire.
Le capitaine Franceschi, relativement nouveau à bord, a continué la tradition de son prédécesseur. Par sa résolution, sa manœuvre méthodique autant qu’audacieuse, non seulement il a pu échapper à l’ennemi, mais avec des moyens réduits il a tenté tout ce qui était possible pour couler le sous-marin. Il a fait preuve de qualités militaires qui appellent une récompense. D’autre part, la simplicité des termes de son rapport témoigne en sa faveur. Si aucun obus n’a atteint le MOULOUYA, s’il est resté intact, et s’il n’y a pas eu de blessés, c’est une qualité militaire.
Récompenses
Croix de Chevalier de la Légion d’Honneur (décision du 12 Septembre 1916)
Citation à l’Ordre de l’Armée
FRANCESCHI Jean Marie Capitaine
Intelligente défense contre un sous-marin qui l’a attaqué le 24 Août 1916. A fait preuve des plus réelles qualités militaires : résolution, calme et habileté professionnelle, lors de l’attaque de son navire par un sous-marin dont il a réussi à se débarrasser après un combat d’une heure et demie.
Citation à l’Ordre du Corps d’Armée
CARBON Jean CLC 2e capitaine Agde 238 (40 ans)
Est resté sur le pont pendant toute la durée du combat. A maintenu un ordre parfait et donné à tous l’exemple du calme et du sang froid sous le feu de l’ennemi.
Citation à l’Ordre de la Division
BATTISTINI Jean-Marie CLC Bastia 182
Officier de quart pendant toute la durée du combat. Observait les points de chute en vue des embardées qu’il dirigeait. Attitude remarquable au feu.
Citation à l’Ordre de la Brigade
SISCO Antoine Maître d’équipage Bastia 1401
STRACHINO Nicolas Matelot Ajaccio 5117
HENRY Théophile Matelot Toulon 1182
Ont assuré avec un calme parfait sous le feu de l’ennemi le ravitaillement de la pièce de 47 arrière.
VITALI Pascal Timonier Bastia 5092
Etant à la barre pendant la durée du combat, s’est fait remarquer par son calme, son sang froid et son application.
Citation à l’Ordre du Corps d’Armée et proposition extraordinaire pour la Légion d’Honneur
CHAIX Ernest Chef mécanicien Marseille 5230
Citation à l’Ordre de la Division
POUMAREDE Georges Second mécanicien Narbonne 2770
ARNAUD Jules 3e mécanicien Marseille 8166
Citation à l’Ordre de la Brigade
MUZZI Mathieu Premier chauffeur Bastia 5888
Ont, par leur ascendant personnel maîtrisé l’effervescence qui semblait se dessiner au début de l’engagement dans la machine et la chaufferie et maintenu ensuite le calme pendant toute la durée du combat et assuré la parfaite exécution des ordres du commandant.
Messieurs Poumarède et Arnaud avaient été embarqués précédemment sur OMARA, de la même compagnie, coulé au canon par un sous-marin ennemi en Février 1916 près de Zembra.
Citation à l’Ordre de la Division
BATTISTINI Antoine Chauffeur Bastia 1526
FORCADE Pierre Chauffeur Narbonne 3072
N’étant pas de quart, sont descendus spontanément dans la chaufferie et ont aidé les officiers et le 1er chauffeur à maintenir l’ordre dans la chaufferie.
Citation à l’Ordre de la Brigade
DESTAVILLE Isidore Télégraphiste Marseille 8824
A assuré avec un calme parfait le service TSF sous le feu de l’ennemi. Sa cabine a été atteinte par un éclat.
Lettre du Conseil d’Administration de la Compagnie de Navigation Mixte au Ministre. 31 Octobre 1916
Nous avons reçu avec gratitude votre lettre du 25 Octobre. Elle donne aux valeureux marins du MOULOUYA des récompenses et des témoignages splendides qui ont été droit au cœur de ces braves gens. Je leur ai lu le texte et remis les croix et, en leur nom comme au nom de la Compagnie de Navigation Mixte, je vous exprime, Monsieur le Ministre, mes sentiments de respectueux dévouement et de reconnaissance entière. Je puis vous assurer que chacun, à bord comme à terre, continuera à faire son devoir.
Veuillez agréer….
Signé ; l’Administrateur délégué.
Le sous-marin attaquant
C’était donc l’U 34 du Kptlt Claus RÜCKER
Voici deux photos du vapeur anglais LEICESTERSHIRE dont l’arrivée à proximité des lieux incita l’U 34 à renoncer à son attaque.
Cdlt