Bonsoir à tous,
Les circonstances de la perte du cargo mixte Amiral-Hamelin,
survenue le 7 octobre 1915
I. ― Rapport de mer succinct de Jean-Baptiste Guibert, capitaine au long-cours, commandant l’Amiral-Hamelin (8 octobre 1915).
ÉTAT-MAJOR GÉNÉRAL
1re Section
21 octobre 1915
RAPPORT du Capitaine de l’Amiral-Hamelin
Je suis parti de Marseille le 2 octobre à 6 heures du soir ayant à bord 306 passagers militaires et 48 hommes d’équipage.
Je me rendais à Salonique en suivant la route conseillée par la Marine, cette route passant près du cap Bon, Sud de Pantellaria et de Malte. J’avais passé cette dernière île dans la nuit du 5 au 6 vers 11 heures du soir et je faisais route sur le passage de Cérigo.
Le 7 octobre vers, 5 h. 45 du matin, me trouvant à environ 120 milles de Cérigo, un sous-marin fut aperçu près du navire et commença à canonner aussitôt à environ ½ mille. Ce sous-marin portait le pavillon autrichien.
Je fis aussitôt changer de route pour fuir en lui présentant l’arrière.
Je subis sans stopper cette canonnade jusqu’à 6 h. 20 environ, puis constatant la grande supériorité de marche du sous-marin, je me décidai à stopper afin de pouvoir mettre mes canots à la mer avant de recevoir une torpille. Je fis hisser le signal « Je suis stoppé. »
Le débarquement s’opéra sous le bombardement. Une embarcation fut coupée en deux et tous ceux qui la montaient furent tués.
Toutes les embarcations de tribord furent criblées de balles et eurent de nombreux tués et blessés.
Le sous-marin tirait aussi sur tous les groupes aperçus à bord. Les canots réussirent cependant à s’écarter du navire mais furent encore bombardés au large.
Peu après, le navire fut torpillé dans la cale 2 et le feu de déclara dans la cale 1. Le sous-marin tournait autour des embarcations et demanda à l’une d’elles en français quel était le navire, le nom du capitaine, la nature du capitaine, la nature du chargement et le lieu de destination. Les soldats répondirent : « Chargé de munitions allant à Salonique. »
Le sous-marin revint près du navire et lui envoya une 2e torpille dans la cale n° 3. L’Amiral-Hamelin sombra immédiatement à 7 h. 30. Toutes les embarcations se groupèrent tout en recueillant quelques survivants sur les débris du navire.
Vers 4 h. 30 du soir, des fumées furent aperçues à l’horizon. Peu après, deux contre-torpilleurs français, accompagnés du navire anglais hôpital Dunluce-Castle, qui prit à son bord tous les naufragés, arrivèrent.
Les contre-torpilleurs firent des rondes et sauvèrent encore quelques survivants. Le Dunluce remit en route pour Malte à 7 heures du soir et rentra en rade le lendemain vers 4 heures du soir.
Malte, le 8 octobre 1915.
Le capitaine.
II. ― Rapport de mer complémentaire de Jean-Baptiste Guibert, capitaine au long-cours, com-mandant l’Amiral-Hamelin (Non daté).
RAPPORT du Capitaine de l’Amiral-Hamelin.
Je suis parti de Marseille le 2 octobre à 6 heures du soir ayant à bord 306 passagers militaires, 48 hommes d’équipage.
Je me rendais à Salonique en suivant la route conseillée par la Marine, cette ligne passant près du cap Bon, Sud de Pantellaria et de Malte.
J’avais passé cette dernière île dans la nuit du 5 au 6 vers 11 heures du soir.
Je faisais route sur le canal de Cérigo.
Le 7, à 5 h. 45 du matin, le 2e capitaine de quart aperçut un sous-marin en demi-plongée qui commença à canonner le navire.
Je fis aussitôt changer de route pour fuir en lui présentant l’arrière. Le sous-marin se trouvait à environ 800 mètres.
Je subis sans stopper cette canonnade jusqu’à 6 heures 20 environ ; puis, constatant la grande supériorité de marche du sous-marin, je me décidai à stopper afin de pouvoir mettre mes embarcations à la mer avant d’être torpillé et je fis hisser le signal « Je suis stoppé. »
Le sous-marin, certain que l’Amiral-Hamelin était sans défense, avait émergé complètement, arborant le pavillon autrichien, et s’était rapproché tout en continuant le bombardement qui faisait à bord de nombreuses victimes.
Je donnai l’ordre d’amener les embarcations et d’abandonner le navire le plus tôt possible ; le feu s’était déclaré dans la cale 1 dans laquelle se trouvaient des obus et du fourrage.
Le débarquement s’opéra avec ordre sous le feu, suivant le plan établi. La veille, il y avait eu exercice d’abandon, chaque homme muni de sa ceinture de sauvetage. Il y eu cependant à déplorer la perte de la baleinière dont la bosse fut larguée par un inconnu, et celle du canot 1, coupé en deux par un obus qui tua tous les hommes déjà descendus.
Le sous-marin, tout près du navire, à tribord, dirigeait son tir sur les canots de ce bord.
Il y eu dans ces embarcations de nombreux tués et blessés. Le 1er lieutenant, M. Cordier, fut tué sur le coup à son poste en commandant la mise à l’eau de son embarcation. Les canots réussirent cependant à s’éloigner du navire et se maintinrent à une certaine distance par crainte de l’explosion des munitions de la cale incendiée.
Le sous-marin tirait à la flottaison. Le navire restait toujours droit. Le sous-marin perdant patience lança une torpille dans la cale n° 2. Il était sept heures.
Pendant ce temps, j’avais groupé l’armement du canot 1 sur la dunette pour mettre à l’eau les deux radeaux de l’arrière.
Le sous-marin dirigea son feu sur le rassemblement ainsi formé et fit de nombreuses victimes. Après avoir rassemblé 4 ou 5 fois les soldats dispersés, je réussis à mettre ces radeaux à la mer. Je fus très aidé dans cette opération par le concours du sous-lieutenant de Cazenove.
Les hommes épargnés par ce bombardement se sauvèrent sur ces radeaux.
Il ne restait plus à bord que le capitaine Vigneron (Commandant d’armes) qui ne voulut quitter le navire qu’immédiatement avant moi.
Le navire était toujours droit ; je voulus faire rapprocher les embarcations et je hissai pour cela le pavillon de rappel.
Les embarcations groupées sous les ordres du second capitaine s’occupaient du sauvetage du canot 5 qui, criblé de shrapnels, menaçait de sombrer. Ce canot fut allégé de la moitié de son personnel par les canots 6 et 8 ; on put alors aveugler ses nombreuses voies d’eau.
Le sous-marin tournait autour des embarcations et accosta le canot 6 commandé par le chef mécanicien, M. Cuny, et demanda :

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Après cette conversation, il revint par le travers du navire et envoya une 2e torpille dans la cale n° 3 à tribord.
Le navire s’enfonça aussitôt, l’arrière le premier, se dressant verticalement.
Je fus entraîné par le navire et revins ensuite à la surface et je pus m’accrocher à un radeau flottant près de moi.
Le 2e capitaine ramena alors toutes les embarcations sur le lieu du naufrage, donnant l’ordre au youyou, plus maniable, de contourner toutes les épaves à la recherche des survivants. Le youyou fit de nombreuses rondes et sauva 38 hommes.
Je fus recueilli par le canot du 2e capitaine.
Le reste de la journée se passa en préparatifs de toutes sortes : confection d’ancres flottantes, répartition des effectifs, appels, etc.
Je regrettai alors vivement de n’avoir pas eu la T.S.F. pour signaler notre périlleuse situation car mes embarcations surchargées n’auraient pu résister à une mer un peu plus forte. Je conservai cependant l’espoir (qui se réalisa) d’être signalé par un navire aperçu à l’horizon alors que j’avais le feu à bord.
A 15 heures 45, des fumées furent aperçues à l’horizon venant de l’Est ; à 16 heures 15, les contre-torpilleurs Mameluck et Aspirant-Herbert nous annoncèrent l’arrivée du navire-hôpital anglais Dunluce-Castle qui devait nous recueillir.
A 17 heures 30, le Dunluce-Castle embarquait tous les naufragés. Les torpilleurs, sur notre indication, continuèrent les recherches du youyou et ramenèrent encore les derniers naufragés.
Le Dunluce-Castle remit en route à 19 heures et arriva à Malte le lendemain à 15 heures. Nous eûmes à nous louer de l’accueil cordial des marins anglais qui prodiguèrent à nos blessés les soins les plus empressés ; ils nous procurèrent des vêtements secs.
Tout mon équipage fut mis en subsistance le soir même sur le Tourville et fut embarqué le lendemain, 9 octobre, sur le Djemnah.
En cette triste circonstance, j’eus le plaisir de constater la parfaite tenue de mes officiers et, en général, de tout l’équipage.
Je dois cependant signaler tout spécialement la belle conduite de M. Cariou, 2e capitaine, qui, par son autorité, sut maintenir le calme et grouper les embarcations, tout en sauvant de nombreux naufragés.
Du chef mécanicien, M. Cuny, qui, par son sang-froid, maintint son personnel à son poste et facilita la tentative de fuite ordonnée par le capitaine.
De M. Huet, 3e mécanicien, qui, de son propre mouvement, descendait dans la machine pour aider son chef.
De M. Nedellec, 3e lieutenant, dont le canot bombardé pendant sa mise à l’eau eut 5 tués et de nombreux blessés, se maintint le long du bord jusqu’à ce qu’il eût embarqué son plein de passagers.
Du maître d’équipage Kerlau, patron du youyou, qui s’est activement dépensé toute la journée à la recherche des survivants, sut imposer son autorité à son armement, ramena 38 personnes et montra un entrain et une intelligence supérieurs en cette circonstance.
Les matelots Thouement, Guezou et le chauffeur noir Théo se sont particulièrement distingués.
J’eus malheureusement à déplorer la mort de mon 1er lieutenant, Monsieur Cordier, tué à son poste en commandant la mise à l’eau de son embarcation et qui, blessé à mort, recommandait à un chauffeur de se sauver rapidement.
Du maître d’hôtel, du cuisinier Chastan et du chauffeur Urvoy, du graisseur Clou et du Docteur du bord, tués par les obus dans mon embarcation.
Je signale avant de terminer la belle conduite du capitaine commandant d’armes, Monsieur Vigneron, qui ne consentit à quitter le bord que sur mon ordre et immédiatement avant moi et qui, étant à la mer, refusa de se laisser sauver par le youyou avant trois soldats ses voisins, quoiqu’il fut lui-même très épuisé et ne sachant pas si le canot pourrait revenir à son secours.
Le sous-lieutenant de Cazenove qui resta un des derniers à bord et, malgré le bombardement qui faisait beaucoup de victimes autour de lui, réussit à 5 reprises à ramener un groupe de soldats aussitôt bombardé et, enfin, à mettre à l’eau les deux radeaux de l’arrière.
En général, tous les officiers du pont et de la machine furent dignes d’éloges et surent maintenir le moral des naufragés qui se soumirent à leur autorité, ce qui permit d’éviter tout désordre et de sauver, malgré le bombardement, tous ceux qui avaient échappé aux blessures mortelles.

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Le Capitaine,
Signé :
Jean-Baptiste Guibert.
III. — Déposition du maître d’équipage Louis Marie Kerlau devant l’officier enquêteur (Document manuscrit non daté).
« Je suis monté sur le pont un peu avant six heures et aussitôt j’ai entendu un coup de canon et j’ai vu le sous-marin à assez grande distance.
Le Commandant a fait manœuvrer pour lui présenter l’arrière et en même temps, on prenait les dispositions pour amener les embarcations.
Le sous-marin tirait toujours, et les obus tombaient à bord.
Le Commandant fit stopper et amener les embarcations vers 6 h. 30. Une embarcation fut atteinte et des hommes tués.
J’ai quitté le bord avec le youyou et je me suis tenu à petite distance du navire en ramassant les hommes qui étaient sur des épaves. Je les mettais dans les grandes embarcations et je retournais. J’en ai ramassé ainsi trente-huit ; c’était des soldats, quelques uns blessés.
Kerlau, Maître d’équipage. »
L’Officier enquêteur,
Signé : Illisible.
IV. — Procès-verbal d’enquête (12 octobre 1915).
PROCÈS-VERBAL D’ENQUÊTE au sujet de la destruction
du vapeur Amiral-Hamelin, de la Compagnie des Chargeurs réunis
L’équipage du vapeur Amiral-Hamelin est arrivé à Bizerte le 11 octobre par le Djemnah.
Les circonstances de la perte de ce vapeur sont relatées en détail dans le rapport de mer du Capitaine Guibert, ainsi que dans les dépositions recueillies sous serment du 2e Capitaine, du Chef mécanicien et du Maître d’équipage.
Il n’a pas paru utile de recueillir d’autres dépositions, les faits étant indiscutables.
En résumé, l’Amiral-Hamelin, en route de Marseille sur Salonique avec des troupes, a été attaqué par un sous-marin autrichien dans les parages de Cérigo. L’attaque a été prononcée d’abord par le canon ; le sous-marin avait une vitesse d’environ 16 nœuds, très supérieure à celle du vapeur qui filait seulement 9 nœuds ; il était donc impossible à ce dernier d’échapper à son adversaire. La deuxième torpille l’a fait sombrer immédiatement.
Tout le monde a fait son devoir et le Capitaine a quitté son bord le dernier, coulant avec son navire ; il a été recueilli ensuite par une embarcation.
Aucun papier de bord n’a été sauvé ; les documents confidentiels et autres ont été coulés avec le navire.
Il n’a pas été possible d’établir une copie du rôle d’équipage ; l’administrateur de l’Inscription maritime à Marseille pourra seul donner des renseignements précis à cet égard. Toutefois, le Capitaine de l’Amiral-Hamelin a fourni une liste de son équipage, avec la mention des hommes qui ont été tués à bord ; cette liste est jointe au dossier.
Sidi-Abdallah, le 12 octobre 1915.
Le Capitaine de frégate, Major de la Marine, chargé de l’enquête,
Signé : Illisible.
V. — Rapport du capitaine Maurice Charles Claude VIGNERON, commandant d'armes (15 octobre 1915).
Bizerte, le 15 octobre 1915.
RAPPORT du Capitaine Vigneron, du 38e Régiment d’artillerie, commandant la
41e bis S.M.A. du 17e Régiment d’artillerie à bord de l’Amiral-Hamelin
(destination Salonique), sur le torpillage de ce navire
Le 7 octobre 1915, vers 5 h. 45, deux coups de canon, presque simultanés, furent tirés sur le navire, sans l’atteindre.
Sortis immédiatement de nos cabines, mes lieutenants et moi aperçûmes à 800 mètres environ à l’arrière et à gauche du navire un sous-marin qui, au bout de quelques minutes, reprit son tir et, cette fois, atteignit le navire à l’arrière et dans sa superstructure.
Le signal d’embarquer fut donné presque aussitôt par trois coups de sirène et les hommes se rendirent de suite à leurs places respectives qui leur avaient été désignées la veille. Ils étaient tous munis de leur ceinture de sauvetage.
L’embarquement se serait opéré sans difficulté si, aux premiers canots amenés à l’eau (canots 3 et 5 de droite), le sous-marin n’avait repris son tir sur les embarcations mêmes. De ce fait, deux canots de droite ont été percés par des obus et plusieurs hommes tués à ce moment.
Les embarcations canonnées n’ayant pu être chargées autant qu’elles l’auraient dû être, un assez grand nombre d’hommes se trouvèrent sans place et comme ils erraient sur le pont à la recherche d’une embarcation disponible, le sous-marin reprit son tir sur le navire et tua encore, à ce moment, plusieurs hommes et trois sous-officiers.
Le Commandant de bord (Capitaine Guibert) et le Commandant du groupe (Capitaine Vigneron) se portèrent immédiatement, avec quelques uns des hommes valides, sur l’arrière du navire où se trouvaient deux radeaux fixés par des amarres. A l’aide de ces hommes, ils parvinrent à lancer les radeaux à la mer, mais l’ennemi ayant vu la manœuvre dirigea son tir sur l’arrière et tua ou blessa, à ce moment, presque tous ceux qui étaient là.
Les hommes étant tous casés en barques ou en radeaux, le Commandant du groupe et le Commandant du bord quittèrent le navire en se jetant à l’eau tous les deux ; une première torpille avait été lancée de côté, presque à bout portant sur le bateau et il commençait à s’enfoncer.
Le Capitaine commandant le groupe s’éloigna du navire en emmenant le plus loin possible un certain nombre d’hommes qui s’étaient jetés à la mer avec des planches ou des auges et auraient disparu dans les remous. Ils étaient environ à 200 mètres lorsque le navire fut atteint d’une deuxième torpille et presque littéralement coupé en deux. Une énorme colonne d’eau et de feu jaillit ; le navire se dressa, l’avant en l’air, tout enflammé (car le sous-marin avait tiré, à obus incendiaires probablement, sur cette partie du navire), et il disparut presque immédiatement.
Au dernier moment, le Commandant du bord était remonté sur le navire et on le vit faire des signaux. Il était à bord au moment de l’explosion finale et il disparut dans le remous mais il eut la chance de ne pas y rester.
Les disparus, presque tous tués, sont au nombre de 64 (équipage compris, 6).
Les blessés, dont une douzaine très grièvement, sont au nombre de 45 (l’effectif total en hommes était de 351).
Il n’a pas été possible de sauver quoi que ce fut en matériel, le sous-marin n’ayant presque pas inter-rompu son tir depuis le début. Le sous-marin avait le pavillon autrichien.
Signé : Vigneron.
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P.S. : Dispose-t-on d'un indice, aussi maigre soit-il, qui permettrait d'identifier les deux contre-torpilleurs français venus au secours des naufragés de l'Amiral-Hamelin ?