Bonsoir à tous,
Les circonstances de la perte du paquebot Calédonien,
survenue le 30 juin 1917.
I. ― Documents de bord du torpilleur d’escadre Lansquenet ― alors commandé par le lieutenant de vaisseau Louis Marie Xavier CHARÉZIEUX.
• Journal de bord n° 1/1917 ― 21 mai ~ 3 sept. 1917 ― : Service historique de la Défense, Cote SS Y 314, p. num. 304.
« Jeudi 28 juin 1917.
Milo
................................................................................................................................
12 h. 00 ― Appareillé avec le Thyella pour convoyer les paquebots français Général-Gallieni et Calé-donien. Service à la mer.
Vendredi 29 juin 1917.
Service à la mer.
Samedi 30 juin 1917.
Service à la mer.
10 h. 45 ― Rentré à Port-Saïd. Amarré à bâbord du Jauréguiberry.
Débarqué 158 naufragés du paquebot Calédonien. [...] »
• Journal de navigation n° 5/1917 ― 3 juin ~ 6 juill. 1917 ― : Service historique de la Défense, Cote SS Y 313, p. num. 801.
« Samedi 30 juin 1917.
Milo ~ Port-Saïd.
................................................................................................................................
Quart de 4 h. à 8 h.
4 h. 00 ― Formation de jour.
4 h. 40 ― Se former.
4 h. 55 ― Commencé les zigzags.
6 h. 35 ― Calédonien touche une mine (probablement) qui éclate sous son mât de misaine. Le bateau fléchit. 5 minutes après environ, l’avant coule à pic. (*)
L'arrière flotte jusqu'à environ 7 h. 15, heure à laquelle il s’engloutit en crachant beaucoup de vapeur par le couronnement.
De 7 h. à 8 h. 10, Lansquenet et Thyella repêchent les naufragés isolés et ceux embarqués des canots et radeaux. »
________________________________________________________________________________________
(*) Au droit de l’indication de l’heure de l’explosion ― 6 h. 35 ―, est indiquée la position suivante : 31° 44' N. ~ 32° 11' E.
_________________________________________________________________________________________
II. ― Documents de bord du torpilleur auxiliaire Thyella ― alors commandé par le lieutenant de vaisseau Joseph Augustin ADRIEN.
• Journal de bord n° - /1917 ― 3 juin ~ 18 juill. 1917 ― : Service historique de la Défense, Cote SS Y 484, p. num. 128.
« Le 30 juin 1917.
En mer.
De 0 h. à 4 h.
Service ordinaire à la mer aux postes de veille.
4 h. 00. ― Changé la bordée de quart.
De 4 h. à 8 h.
Service ordinaire à la mer aux postes de veille.
6 h. 30. ― Branlebas.
6 h. 45 ― Explosion à bord du Calédonien son avant coulé. Rappelé aux postes de veille renforcés. Pris toutes les dispositions pour le sauvetage des naufragés sur l’eau. Les embarcations commencent le sau-vetage. Recueilli 223 naufragés et deux noyés.
De 8 h. à 12 h.
8 h. 13. ― Terminé le sauvetage. Route sur Port-Saïd. Service ordinaire à la mer aux postes de veille.
10 h. 15. ― Dîner des tribordais.
11 h. 15. ― Amarré le long du Jauréguiberry. Fait les tentes. Transbordement des naufragés sur le Jauréguiberry. [...] »
• Journal de navigation n° 5 /1917 – 11 juin ~ 2 juill. 1917 – : Service historique de la Défense, Cote SS Y 484, p. num. 254.
« Le 30 juin [1917].
De Milo à Port-Saïd.
.................................................................................................................................
Quart de 4 heures à 8 heures.
5 h. 00. ― Commencé les zigzags.
6 h. 00. ― Cessé les zigzags. Gallieni signale changement de route.
6 h. 45. ― Le Calédonien saute et, coupé en deux par l’explosion, commence à s’enfoncer. L’avant coule en 3 minutes, arrière en 35 minutes. Manœuvré pour recueillir les naufragés. 223 sont recueillis à bord et deux morts.
L. = 31° 46’ ; G. = 32° 22’. »
Quart de 8 heures à 11 heures.
10 h. 30. ― Diverses routes pour entrer dans le chenal de Port-Saïd. Pris le pilote.
Arrivé devant le Jauréguiberry à 11 h. 00. Amarré et débarqué les rescapés. »
III. ― Rapport de mer du lieutenant de vaisseau Joseph Augustin ADRIEN (30 juin 1917).
• Torpilleur auxiliaire Thyella, Registre historique de la correspondance intéressant le personnel et le matériel du bâtiment : Service historique de la Défense, Cote SS Y 484, p. 118 à 120 [p. num. 378 à 380].
A Monsieur le Contre-amiral commandant supérieur à Port-Saïd.
Je vous rends compte des circonstances dans lesquelles le naufrage du Calédonien s’est produit le 30 juin 1917.
Le Calédonien faisait partie du convoi Général-Gallieni~Calédonien, escorté par le Lansquenet et le Thyella.
J’étais sur la passerelle au moment où l’explosion qui a détruit le Calédonien s’est produite mais n’ai pas vu ce qui s’est passé dans les tout premiers instants.
M. Fourgeot, officier en second (*), qui observait le Calédonien à ce moment, a vu et entendu le phénomène suivant :
1° ― Vu un peu de fumée noire à l’avant du bâtiment ;
2° ― Entendu une explosion sourde et forte ;
3° ― Vu une grosse gerbe de fumée noire par tribord à l’aplomb du mât avant.
4° ― Entendu une seconde explosion bien plus faible que la première.
Les premiers phénomènes se sont produits coup sur coup, le quatrième avec un léger décalage. Les quatre phénomènes se sont produits en moins de 10 secondes.
Il était environ 6 h. 45. La formation du convoi était la suivante au moment de l’explosion : Général-Gallieni en tête, Lansquenet par bâbord à lui, Calédonien à 600 m environ derrière le Gallieni et légèrement déboîté sur la droite, Thyella à 500 m par tribord du Calédonien et un peu sur l’avant de son travers.
Dès que j’ai connu l’explosion, c’est-à-dire moins de 10 secondes après qu’elle s’était produite, je suis venu en grand sur bâbord et suis passé à contre bord du Calédonien, à 100 m environ, par bâbord de lui ; l’avant était presque au ras de l’eau, la muraille tribord du bâtiment était déjà fendue verticalement. Manifestement, le bateau était coupé en deux en dessous. A bord du Thyella à ce moment, toutes les pièces de tribord étaient armées, les grenades prêtes à être mouillées. A partir de ce moment, ne constatant sur le Calédonien aucun signe d’affolement, ne voyant personne se jeter à l’eau, je concentrai toute la veille du bord pour chercher à découvrir le sous-marin possible ou le sillage de la torpille. Le temps étais très calme. Je puis ainsi faire un demi-tour complet par bâbord du Calédonien et assez loin de lui et ne découvris rien de suspect.
Ma route m’amena à élonger de près le bâtiment par bâbord ; de nombreux radeaux, une ou deux embarcations étaient déjà à l’eau ; l’avant du bâtiment n’existait plus. L’arrière flottait très franchement, presque dans ses lignes. Je hélai divers groupes, soit des embarcations, soit même à bord ; personne ne put m’indiquer si un sillage de torpille avait été vu. N’ayant rien vu moi-même, je me dirigeai vers les isolés et mit deux embarcations à la mer pour sauver les personnes qui se trouvaient à l’eau – elles étaient en petit nombre. Stoppé au milieu des épaves ; sauvé en leur jetant des bouts 99 hommes qui se trouvaient à proximité, recueilli le personnel de plusieurs radeaux et embarcations du Calédonien et embarcations des torpilleurs.
Vers 7 h. 25, ce qui reste du Calédonien s’incline brusquement sur l’avant – inclinaison de 40° environ. L’extrême arrière éclate, un fort jet d’eau en sort, et très rapidement l’épave coule. Terminé le sauvetage à 8 h. 13 sur signal du Lansquenet qui, de son côté, avait fait des manœuvres analogues ; hissé les embarcations et fait route sur Port-Saïd.
Le point du sinistre d’après l’estime reconstituée après l’atterrissage est L. 31° 46’ N. ~ 32° 22’ E.
Le nombre des hommes sauvés par le Thyella est 223 (pointage fait au débarquement), dont une vingtaine de blessés, un seul paraissant grave. Il faut ajouter à ce nombre deux hommes, dont l’un n’a donné à aucun moment aucun signe de vie et dont l’autre est mort très rapidement.
Autant que j’ai pu m’en rendre compte, tous les hommes sauvés par le Thyella étaient munis d’engins de sauvetage. J’ai fait distribuer du café chaud à ceux d’entre eux qui paraissaient en avoir le plus besoin (50 litres environ, un gros morceau de pain à tous). Quelques hommes ont donné des vêtements aux rescapés les plus démunis.
A l’arrivée à Port-Saïd vers 11 heures, j’ai transbordé tous les sauvés et les deux victimes à bord du Jauréguiberry.
Signé : Adrien. »
_________________________________________________________________________________________
(*) Henri Léon Jules Adolphe FOURGEOT.