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Re: Fusillés pour l'exemple dans les toupes d'élite ?

Publié : mer. juil. 27, 2005 5:00 am
par julien lirot
Bonsoir messieurs,

Je viens de lire vos différents messages. :) :D

Merci encore des réponses et de pour ce petit débat sur lequel je pense tout le monde est d'accord :
On ne peut pas considérer qu'une arme spécifique (je comprends aussi les différents types de troupes militaires) ai plus souffert qu'une autre lors de cette guerre.
Elles ont, pour la plupart, toutes eus des troupes qui ont horriblement souffert, et toutes eus des troupes qui se sont comporter héroïquement et plus encore.

Cela dépendait des troupes allemandes en face, de la tactique des grands généraux et GQG, du moral, des officiers, des entraînements faits, des combats subits, de la qualité des préparations, des fortifications, des relations entre les différentes troupes et de temps d'autres paramètres.

Certes (en tant qu'homme de fin du 20e siècle et du début du 21e, dans un pays maintenant privilégié par rapport à beaucoup d'autres, qui ne subit la guerre que sur des terres éloignées pour remettre « l'ordre dans le monde », par l'intermédiaire de troupes pro. ( !) que l'on voit par images filtrées qui passe à travers la télé), nous comprenons très bien que nos brave poilus se soient « révoltés » contre ces nombreuses et suicidaires attaques en ligne, face à des objectifs imprenables dans les conditions présentes à l'époque, et contre ces conditions de vie et de guerre qui ne devaient "plus avoir lieu en ce début de 20e" et tant d’autres choses. :?
En disant cela je ne veux pas justifier les conseils de guerre :evil: et autres exécutions :evil: :evil: , loin de moi cette pensée mais je veux justifier le fait que les conditions extérieures, intérieurs et d'appréciations ne sont plus les même qu'à l'époque.

Pour ma part, une grosse part de ces "rebellions" et autres actes engeandrant des conseils de guerre et de discipline (hormis ceux de droit communs et ceux de trahison) sont dues au manque d'adaptation de la hiérarchie militaire aux nouvelles conditions de guerre entre autre (il y à tellement d'autres raisons (politiques, culturel, civils et militaires ....). Mais je ne parle que pour moi :x

La réponse de cette même hiérarchie n'a, à mon avis, pas était adéquat (tirage au sort pour les exécutés, exécutions sommaires lors des premiers temps de la guerre, exécutions tout court, etc., etc...) mais que faire? :?: (c'est une question que je pose et non une justification de ces faits irrespectueux de l'homme, des hommes, et de leurs sentiments (de peur) et ressentis).

En bref, et ceci n’engage que moi, les grands chefs français ont eu une, voir plusieurs guerre de retard (Comme 25 ans plus tard d’ailleurs) notamment dans une grande partie de la guerre (14, 15, 16et 17), et ça doit être du à leur cours et explications qui venaient des grands penseurs de la tactique militaire et autre grandes écoles militaires de l'époque (?). :x

Et quelle que soit la valeur des hommes et des troupes, ça à faillit faire la différence.
Là encore, je pense qu’il faut remercier les hommes pour leurs combats acharnés afin de ne plus céder un pouce de terre Française, certain officiers et sous-officiers qui ont porté à bout de bras leurs troupes et certains grands officiers qui ont fait changer les choses et les mentalités (notamment des autres grand officier) et tout, et tout, et tout.
Mais bon je m’éloigne et me laisse embarquer par les sentiments. :cry:

J’avais lu un texte à peu prés similaire dans l’esprit, sur les bataillons de chasseurs que le message de Patrick, d’où mon qualificatif d’élite. Je suis assez d’accord avec vous deux (Stéphan et Patrick) sur le fait que la différence entre déplacements et techniques de combat entre les bataillons de chasseur et l’infanterie s’estompe puis disparaît pendant la guerre (même si les spécificités de certains régiments et bataillons ont permis a certain de ce différencier notamment avec la guerre en montagne (Vosges, Italie), et là je recentre sur des choses que je connais un peu plus, c’est pas mal, non ? 8)

Pour "encadrer" les actes de mutineries, on fit donc appel à des chasseurs ; je ne le savais pas et je le note aussi.

Merci Stéphan pour tes exemples sur le 74e qui nous font voir aussi que quel que soit les troupes, toutes étaient touché par ce sentiments de servir de « chair à canon » et cette envie de ne plus mourir pour rien, entre autre. :cry:

Pour en revenir aux hommes par eux même, merci encore pour les nouveaux exemples. (j’avais déjà lu ce d’Alain mais je ne souvenais plus qu’il s’agissait de chasseur) :wink:

Vivement d’autre triste histoire afin de mieux comprendre et de mieux perpétuer leurs souvenirs. :)
Encore merci à tous, désolé pour les fautes d’orthographe, et j’espère que vous comprenez aussi mon humour et que je ne vexe personne avec mes réponses. :wink: :wink:

A très bientôt pour d’autres messages.


Amicalement et cordialement.

Re: Fusillés pour l'exemple dans les toupes d'élite ?

Publié : jeu. juil. 28, 2005 11:24 pm
par Alex Labuissiere
Bonsoir,
Interview du général André Bach par Eric Pincas de la Revue Historia.
Un § concerne le 74e RI...
Cdlt
Dossier


Les mutinés de la grande guerre
140 000 dossiers épluchés pendant deux ans

INEDIT ! Historia publie les éléments clés de l'enquête menée par le général André Bach, ancien responsable du Service historique de l'armée de terre.

Par Eric Pincas


Historia - Qu'est-ce qui vous a conduit à entreprendre ce travail statistique et historique sur les fusillés de 1914-1918 et comment avez-vous procédé ?

Général André Bach - A la suite du discours de Lionel Jospin, à Craonne en novembre 1998, sur les fusillés de la Grande Guerre, j'ai voulu tirer les choses au clair une bonne fois pour toutes. En finir, si possible, avec les amalgames entre fusillés et mutinés, recenser le plus exactement possible le nombre de cas de soldats exécutés pendant le conflit. En tant que chef du Service historique de l'armée de terre, j'ai décidé d'étudier les données qui existaient. Cela a été à la fois facile et difficile. Facile, parce que les archives des conseils de guerre sont conservées au fort de Vincennes, où est installé le Service historique. Difficile, parce que cela représente 140 000 dossiers contenus dans 10 300 cartons. Avec l'aide d'un officier greffier, le capitaine Franckhauser, et la participation de quatre appelés (Arnaud Lamy, Judicael Chevalier, Nicolas Renaud et Sébastien Ottavi), historiens de formation, nous les avons tous passés au crible pour en dégager une étude statistique, reflétant le plus exactement possible la réalité des faits.

A partir des minutiers des conseils de guerre - qui sont des documents qui renferment les renseignements d'ordre d'état civil des inculpés ainsi que les résultats du jugement -, nous avons créé une base de données informatique. Pour chaque soldat passé en jugement, nous avons établi une fiche répondant à 28 questions : origines sociale et géographique, grade, nature de l'infraction, jugement, etc. (voir page 55) . Il a fallu deux ans et demi pour exploiter l'ensemble de ces documents. Mon but était d'avoir une vision réelle de la justice militaire de l'époque.

A la fin, nous avons dénombré, pour toute la durée du conflit, 2 300 condamnations à mort, 550 exécutions dont 27 pour faits de mutinerie.

H . - Comment pouvez-vous avoir la certitude que les condamnations à mort prononcées durant la Grande Guerre se limitent à ces 2 300 cas ?

A. B . - Je suis convaincu que ce chiffre est très proche de la réalité, bien qu'on estime que 20 % des archives de la justice militaire de 1914-1918 ont disparu. Mais pour compléter nos recherches, nous nous sommes servis d'autres documents : des témoignages de soldats, leur correspondance avec leur famille, des télégrammes, des comptes rendus d'état-major... Grâce à ces nouveaux documents, nous avons trouvé d'autres cas de fusillés. J'évalue à moins de 10 % la marge d'erreurs concernant les condamnations à mort et les exécutions.

H . - N'avez-vous pas eu trop de difficultés à obtenir les autorisations pour consulter ces archives, sachant qu'elles ne doivent pas être ouvertes avant 2014 ?

A. B. - Tout ce qui relève de la justice militaire n'est pas consultable avant une période cent ans, sauf à obtenir des dérogations et que ce soit dans le cadre de travaux historiques. Mais dans tous les cas, vous ne pouvez révéler les identités et présenter les pièces produites lors du procès. Je suis de ceux qui pensent que cette loi est un peu trop restrictive pour ce genre d'événement hors du commun. Une loi est en préparation depuis trois ou quatre ans. Elle devrait permettre un accès plus facile à ces documents. Pour ma part, je m'en suis tenu à la lettre de la loi : ne pas divulguer le nom des soldats impliqués - même si certains sont de notoriété publique, comme celui du caporal Moulia lors des mutineries de 1917 au 18e régiment d'infanterie - et je n'ai pas eu besoin non plus de me plonger dans les pièces de procédures.

H. - En 1697, l'historien Guy Pedroncini publiait une étude sur les fusillés de 1917. Il avançait le nombre de 554 condamnations à mort, dont 49 pour mutinerie. Vous relevez 550 fusillés, dont 27 mutins pour l'ensemble du conflit ? Quels éléments nouveaux apportez-vous ?

A. B . - Pedroncini a en effet publié son étude [ Les Mutineries de 1917, Puf] en 1967. Il a été le premier historien à obtenir une dérogation pour consulter les archives militaires. Son travail est remarquable, d'autant plus qu'il l'a mené seul. Mais de son étude, il n'a pu dégager qu'une estimation, n'ayant pas eu la possibilité de consulter l'intégralité des dossiers. J'ai pu effectuer ma recherche avec beaucoup plus de moyens et de méthode. J'arrive à un total de 2 300 condamnations à mort, 550 fusillés sur l'ensemble du conflit - ses 554 condamnés ne portent que sur l'année 1917 - dont 27 pour mutinerie. Il avançait le chiffre de 49.

En ce qui concerne les mutinés, nous avons poussé nos recherches de façon beaucoup plus fines que celles de Pedroncini. Nous avons repris l'ensemble des dossiers et analysé ce qui avait un rapport direct avec les mutineries dans la période de mai, juin, juillet 1917. Sur les 50 ou 60 cas dégagés, 27 soldats répondaient réellement du chef d'inculpation de « révolte sous les armes ».

Trois quarts de ceux qui ont été exécutés comme « mutins » l'ont été après avoir pu formuler des demandes de grâce. Le délai de recours était presque d'un mois et demi. On en revient à une justice plus traditionnelle qui rompt avec les conseils de guerre spéciaux de 1914-1915 où l'accusé était immédiatement passé par les armes. Il faut bien remarquer toutefois qu'un quart des 27 soldats fusillés pour mutinerie, soit 7, appartenaient à deux mêmes divisions. Ils ont été condamnés et exécutés séance tenante sans pouvoir bénéficier du recours en grâce du président de la République.

H . - Les autorités civiles étaient-elles systématiquement tenues informées des condamnations à mort prononcées en conseil de guerre ?

A. B . - Oui, jusqu'au déclenchement de la guerre en 1914, non de septembre 1914 à avril 1916 et oui jusqu'à la fin du conflit, à l'exception de la période des mutineries.

La justice militaire, distincte de la justice civile, s'applique alors par le biais des conseils de guerre, institution dont l'existence remonte à Louis XIV, en 1665. Le code de justice militaire, en 1914, trouve ses racines dans l'esprit révolutionnaire de 1793, dans un contexte de patrie en danger. Il a été fortement structuré en 1857, sous Louis Napoléon Bonaparte, pour s'appliquer à la répression des délits au sein d'une armée quasi de métier. Ce mélange de rigueur idéologique révolutionnaire et de répression d'actes de soldats de métier en a fait un code très rigoureux, avec des infractions qui n'ont d'autre débouché que la mort. Cette sévérité s'est encore accrue pendant la guerre de 1870-1871. En effet, en 1870, après la chute du second Empire, et au moment où la IIIe République se met en place, le spectre de 1793 resurgit. A partir d'octobre 1870, des cours martiales sont instituées. Elles resteront en vigueur pendant deux mois et demi. Tout militaire qui n'obéit pas un ordre risque d'être exécuté. Durant la Commune, ne pas obtempérer à un ordre, abandonner le terrain face à l'ennemi sont également passibles de mort. Reste qu'en 1914, le code de justice militaire n'a toujours pas évolué. Quand éclate la guerre, il est le même qu'en 1857. Personne n'a tenu compte du fait qu'il s'agit maintenant d'une armée de conscrits pour laquelle il est difficile de répondre aux mêmes règlements qu'une armée professionnelle. L'explication se trouve sans doute dans la défaite de 1870 : il était dit que si les Prussiens avaient gagné, c'était parce qu'ils étaient plus disciplinés. Tout est fait pour conserver l'aspect répressif du code de justice militaire et en faire le gardien de l'obéissance.

Les premiers mois de 1914 sont marqués par la menace de déroute de l'armée française. Les gouvernements et les militaires croient voir se rejouer le scénario de Sedan. A ce moment-là, les textes se durcissent à nouveau. Le 1er septembre 1914, Millerand, ministre de la Guerre, précise dans une circulaire : « Lorsque [l'officier qui a donné l'ordre de jugement] décidera que la justice doit suivre son cours, il se conformera sans m'en référer aux dispositions finales de l'article 71 du code de justice militaire et donnera l'ordre d'exécution dans les 24 heures qui suivront la réception du jugement. » C'est à cette date que sont créés les tribunaux spéciaux qui obéissent à quatre critères : trois juges, flagrant délit, pas de recours, exécution immédiate. Par décret présidentiel, le droit de révision, permettant au condamné de faire appel du jugement, est également suspendu. Cela durera deux ans et demi. Ces tribunaux d'exception seront abolis le 6 avril 1916. Autrement dit, les militaires n'ont plus à rendre de comptes à l'exécutif dans ce domaine précis de la justice aux armées. Il s'agit de mesures prises pour conjurer le spectre de la défaite.

H . - Il y a eu plus de fusillés entre septembre 1914 et juin 1915 que sur toute la durée du conflit. Pourquoi ?

A. B . - En effet, 60 % des exécutions (environ 330) ont eu lieu durant cette période. Le dispositif répressif est en place. On commence par fusiller les espions. Puis le 10 août 1914, apparaît le premier cas de mutilation volontaire. Notre base de données fait apparaître ce phénomène de façon significative sur cette période. Ce qu'il y a de curieux, c'est que le code de justice militaire (voir page 54) , qui est assez détaillé, ne prévoit rien sur ces cas. Le commandement s'aperçoit qu'il a affaire à des soldats qui essayent d'échapper au front. Ils ne protestent pas, ne se révoltent pas. Ils s'infligent des blessures qui leur évitent de monter en première ligne. Ce qui démontre leur état de misère psychologique. C'est aussi durant cette période que se produisent les premiers cas de désobéissance passive.

Ces deux moyens trouvés par les soldats pour échapper au front ont un effet désastreux sur le reste de la troupe. Il faut absolument casser le mouvement. Aussi, au moindre doute, on fusille. Ce que résume la formule « pour l'exemple ». C'est manifeste pour la 4e armée où le conseil de guerre juge en deux jours (les 17 et 18 octobre 1914) les soldats suspectés de mutilation volontaire. Trente et un sont condamnés à mort. Le 19 octobre, 13 sont exécutés et leurs noms sont affichés sous un commentaire de leur général qui stigmatise leur attitude.

Le corps médical joue, à sa manière, un rôle répressif. Les médecins sont en effet chargés de diagnostiquer les cas d'automutilation. Si le docteur estime que le soldat s'est volontairement infligé un dommage corporel, celui-ci passe quasi automatiquement en conseil de guerre. De nos jours, parmi les médecins militaires, il y a aussi des psychiatres. Ils interviennent auprès des soldats non pour les condamner mais pour les écouter et les aider à ne pas sombrer dans les états de névrose de guerre. Autres temps, autres moeurs.

De façon schématique, on peut déterminer trois grandes périodes. En 1914-1915, les soldats condamnés se sont automutilés ou fait semblant de ne pas entendre les ordres. On ne peut pas parler véritablement de rébellion. Fin 1915-début 1916, les condamnations à mort concernent essentiellement des soldats reconnus coupables d'avoir déserté - on note d'ailleurs, dans cette période, que nombre de condamnations sont prononcées par contumace et, de fait, il y a très peu de fusillés. La protestation n'est toujours pas collective mais relève d'initiatives individuelles. C'est seulement en 1917 que cette protestation devient collective. Mais il ne s'agit pas non plus de véritables mutineries. Les soldats demandent à être entendus par les autorités civiles, leurs députés par exemple. La guerre s'éternisant, ils veulent faire part de leurs doléances : de meilleures conditions de vie, pas d'arbitraire, des permissions... Ce sont ces revendications collectives importantes qui ont donné lieu à des condamnations à mort. Mais en définitive, il y a eu très peu d'exécutions. C'est la preuve que le problème n'a pas si mal été géré. Le système des recours en grâce a fonctionné : sur les centaines de condamnations à mort prononcées pendant la période des mutineries, le président de la République, quand il a été sollicité, n'a laissé exécuter qu'une vingtaine de soldats.

H . - Revenons sur ces 27 mutinés fusillés « pour l'exemple ». Que pensez-vous de cette notion ?

A. B . - Il faut faire attention à cette formule. Dès qu'il y a un mouvement spontané, on essaye de savoir qui est le meneur. Par exemple, au 18e régiment d'infanterie on a arrêté 150 soldats, mais il était impossible de les condamner tous. On recherche des leaders. On a repéré les plus «excités» dans les dossiers militaires, suite aux remarques défavorables sur leur manière de servir. En 1914, la notion d'« exemplarité » s'inscrit dans un climat de guerre. C'est une autre époque. En 1914, l'individu n'est rien, la Patrie est tout. Dans le système militaire, on est toujours sous le regard des autres. L'expression « pour l'exemple » revêt donc une dimension particulière.

H. - Il y a tout de même des éléments troublants. Vous concluez à 27 fusillés pour faits de mutinerie. Pourtant, dans certains manuels, il est dit que le refus d'obéissance affecte près de 70 divisions et qu'environ 250 incidents impliquent 30 000 à 40 000 hommes. N'y a-t-il pas là une disproportion ?

A. B. - Ce n'est pas contradictoire. Je ne nie pas le chiffre de 30 000 à 40 000 hommes. Mais il faut distinguer la réalité d'un mouvement de protestation profond - qui a touché de nombreuses unités - et le système répressif mis en place. Cela veut dire qu'on a limité les dégâts. Les travaux de l'historien américain Leonard Smith sur la 5e division d'infanterie montrent bien qu'en définitive le commandement a pris la juste mesure de ces protestations, en envoyant, par exemple, les trublions dans des sections disciplinaires où ils effectuaient les sales besognes... Le problème qui se pose alors aux autorités militaires est d'éviter la contagion. Soit par la répression, soit en accédant aux demandes des soldats. Pétain, quand il est nommé à la tête des armées en 1917, enraye le mouvement de protestation, d'abord en suspendant les offensives inutiles coûteuses en vies humaines, ensuite en instituant les permissions régulières, en mettant en place, à l'arrière, de véritables camps de repos où les soldats peuvent reprendre des forces.

C'est vrai qu'environ 40 000 soldats ont pris part à des mouvements de mutinerie. Mais la plupart de ces mouvements sont très peu connus parce qu'ils se sont déroulés à l'arrière. Fondamentalement, les militaires ne voulaient pas rejouer la révolution d'Octobre, leurs objectifs n'étaient pas les mêmes. J'ai retrouvé des refus d'obéissance collective en 1918, mais à partir de cette date, on n'exécute pratiquement plus. Seuls 12,5 % des condamnés à mort pour mutinerie ont été exécutés. On a même relevé des grâces collectives. Ainsi les 16 condamnés à mort du 74e régiment d'infanterie ont été graciés, idem pour 16 des 17 condamnés du 370e RI. Il faut noter aussi que le recours au président de la République n'a pas toujours été nécessaire. Les 22 condamnés à mort du 57e bataillon de chasseurs à pied ont vu leur jugement cassé par le conseil de révision militaire, l'équivalent militaire de la Cour de cassation. Aussi bien du côté des « mutins » que des officiers, la retenue a été très forte. Il y a une sorte de « management de l'indiscipline », selon la formule de Leonard Smith.

H . - Comment situez-vous la justice militaire française en 1914 par rapport à celle des autres pays impliqués dans le conflit ?

A. B . - Cette question renvoie à une culture politique propre à chaque Etat. Les Britanniques annoncent entre 300 et 350 exécutions. Les Allemands atteignent 50 à 60 exécutions sur l'ensemble de la guerre, ce qui est peu. Je m'en étonne. Pendant la Seconde Guerre mondiale, ils ont exécuté 15 000 de leurs soldats. L'Australie est le seul pays à avoir refusé d'exécuter des soldats, partant du principe qu'il s'agissait de volontaires.

H . - L'institution militaire n'a-t-elle pas cherché à maquiller certaines de ces exécutions ?

A. B. - Il faut en effet être prudent. Une cour spéciale de justice militaire a été créée en 1932 parce que, dès la fin de la guerre, le système a été mis en accusation par des associations ou des familles de condamnés. Cela montre l'impact de ces événements sur la population et sur les survivants qui demandaient leur réhabilitation. D'ailleurs, cette cour de justice de 1932 comptait davantage d'anciens combattants que de juristes. Ils ont repris les dossiers et fait apparaître des anomalies. Mais je pense qu'il n'y en n'a pas eu beaucoup. Prenez l'exemple du soldat Bersot du 60e régiment d'infanterie. Refusant de mettre le pantalon, taché de sang d'un mort, il a été fusillé, victime de l'acharnement de son supérieur. La Ligue des droits de l'homme s'est, elle aussi, attachée à dénoncer les « bavures ». Mais à partir du moment où les conseils de guerre spéciaux ont été autorisés par le pouvoir exécutif, il n'y avait aucune raison de dissimuler les faits. La terreur était officialisée. Ce qui manque en revanche dans les archives, ce sont les exécutions sommaires des premiers mois de guerre.

H . - Quelles réflexions tirez-vous de vos recherches ?

A. B . - De grandes interrogations et beaucoup de perplexité. Maintenir dans cette « géhenne » de feu et de douleur une population de 3 millions de soldats - 8 millions sur l'ensemble du conflit -, de tous milieux et de toutes origines, confrontés à l'anéantissement individuel quotidien, fait admettre, de la part des autorités militaires, la nécessité de réprimer les délits de désobéissance.

Aujourd'hui, il me semble qu'une justice qui n'offre que la mort pour réprimer certains délits obéit à des principes qui donnent froid dans le dos, car l'obéissance à ce prix est chèrement acquise. Il me semble en particulier que si l'on peut expliquer la « terrorisation » mise en oeuvre par les mesures d'exception prises dans les premiers mois de la guerre pour enrayer la panique, il aurait été sain de les suspendre dès la stabilisation du front en décembre 1914. Il n'en a rien été, l'exécutif et le législatif n'ont pas bougé, certainement sous la pression de la hiérarchie militaire. Les conseils de guerre spéciaux ont été maintenus, même si on n'y a eu de moins en moins recours. Leurs pouvoirs étaient exorbitants et laissaient peu de moyens à la défense des accusés. Ils étaient prédisposés à juger trop vite avec un code réputé sans faille. Cela explique en grande partie les 60 % de fusillés de la fin 1914 et 1915, période sur laquelle il y a d'ailleurs eu le plus de réclamations et de contestations.

Je me demande également si la situation était suffisamment grave pour qu'aux 41e et 77e divisions, il ait paru utile de condamner et d'exécuter séance tenante 7 soldats, les 19 et 20 juin 1917, alors que dans toutes les autres divisions touchées par les « mutineries » la procédure de recours au président de la République avait été adoptée.

Je pense que ce sont des considérations de cet ordre qui ont fait, qu'après-guerre, les 550 exécutés ne se sont pas dissous dans les 1 300 000 morts. Les anciens combattants n'ont pas accepté la mort de leurs camarades comme sanction de la désobéissance. Sans pour autant approuver leur conduite, ils ont tenu à les associer à leur souvenir. C'est ce genre de comportement qui demande une recherche attentive et respectueuse. Un nécessaire complément aux froides études statistiques.


Mise en garde

Lorsqu'ils étaient incorporés, les conscrits recevaient un livret de 34 pages. Mis à part leur identité, leurs mensurations et leur unité d'affectation, ce document comportait un récapitulatif des crimes et délits militaires, dont nous publions ceux sanctionnés par la peine de mort.

Re: Fusillés pour l'exemple dans les toupes d'élite ?

Publié : ven. juil. 29, 2005 3:02 am
par Stephan @gosto
Bonsoir Denis,

Je vous remercie pour ces précisions. Comme je le disais plus haut, je ne suis pas très calé sur ces affaires, mais il me semblait bien avoir relevé à quelques reprises que la cavalerie fut effectivement utilisée de la sorte. Si j'en ai le temps, je retranscrirai le récit de Tony de Vibraye là-dessus?

Amicalement,

Stéphan

Re: Fusillés pour l'exemple dans les toupes d'élite ?

Publié : dim. août 07, 2005 4:24 am
par julien lirot
Bonsoir Messieurs,

c'est avec un peu de retard que je vous ecris ce petit message pour vous remercier tous de ces nombreux renseignements dont vous nous avez fait part.
N'etant moi non plus pas trés calé sur ce sujet, vous m'avez permis d'apprendre beaucoup sur ce sujet trés interessant.

merci encore et si vous avez encore d'autres précisions à ajouter, n'hesiter pas!!! :wink:

Amicalement et cordialement.

Re: Fusillés pour l'exemple dans les toupes d'élite ?

Publié : dim. janv. 28, 2007 7:28 pm
par micdup
Pouvez-vous me donner d'autres informations sur 36è RIC. Mon grand-père y était sergent et fut tué le 25 août 1914.
Merci d'avance

Re: Fusillés pour l'exemple dans les toupes d'élite ?

Publié : dim. janv. 28, 2007 9:50 pm
par jean claude
Bonjour,
En réponse à propos des mutins russes au camp de la Courtine,c'est l'armée française et non l'armée russe qui en avait la garde.Il s'agit précisément de soldats du 84ème RI et du 126ème RI de Brive.
Cordialement
Jean Claude

Re: Fusillés pour l'exemple dans les toupes d'élite ?

Publié : lun. janv. 29, 2007 6:06 pm
par los
bonjour
concernant les mutins Russes du camp de la courtine en septembre 1917, il y avait aussi le 19e RI, le 21e regiment de Dragons et une batterie du 246e RA

sur gallica, dans la revue de paris de decembre 1920, il y a un article de André Obey qui a pour titre" camarades Rouski" page 527. L'auteur de l'article etait infirmier dans un régiment francais qui surveillait les mutins Russes.
amicalement
sophie :hello:

Re: Fusillés pour l'exemple dans les toupes d'élite ?

Publié : lun. janv. 29, 2007 8:06 pm
par olivier gaget
Bonjour à tous,
Il y eut aussi l'exécution d'un chef de Bataillon. Le 2 septembre, à Bar le Duc, celle du commandant Wolf du 36 ème RIC convaincu de tentative de capitulation en rase campagne
je crois même que le commandant Wolf fut le tout premier fusillé de cette guerre, non ?

cordialement,
Olivier