Bonsoir à tous,
□ Alors, « documentons », pour reprendre à dessein cet anglicisme parfaitement inapproprié en la ma-tière ! En droit, en effet, il est d'usage de « prouver », de « démontrer » ou encore d' « établir »...
Et rappelons une fois de plus que la Chambre criminelle de la Cour de cassation ne prononçait en aucun cas la « réhabilitation » d'un soldat qu'elle disculpait, mais, après l'avoir expressément acquitté de l’ac-cusation retenue par le Conseil de guerre à son égard, se bornait à « décharger de cette condamnation la mémoire [de l'intéressé] ».
Lucien Jean-Baptiste BERSOT
Né le 7 juin 1881 à Authoison (Haute-Saône), mort le 13 février 1915 à Fontenoy (Aisne), « tué à l’en-nemi » — indique d’abord fort singulièrement sa fiche S.G.A. « Mémoire des hommes », — puis « (fusillé réhabilité) ». Soldat de 2e classe au 60e Régiment d’infanterie, matricule n° 03.675 au corps, classe 1901, n° 968 au recrutement de Besançon (Acte transcrit à Besançon, le 1er juin 1915).
L'arrêt de révision
• Cour de cassation, Chambre criminelle, 13 juillet 1922, Bersot ― MM. André Bouloche, faisant fonction de président ; Duval, rapporteur ; Wattinne, avocat général ; Hersant, avocat (in Recueil Dalloz périodique 1922, Première partie : Cour de cassation, p. 228).
« LA COUR. ― Vu l’article 20 de la loi d’amnistie du 29 avril 1921 ; ― Au fond : Attendu que Bersot a été inculpé pour refus d’obéissance et traduit devant la conseil de guerre spécial du 60e régiment d’in-fanterie ; que la question suivante a été posée au conseil : " Bersot (Lucien), soldat à la 8e compagnie du 60e régiment d’infanterie, s’est-il rendu coupable d’avoir, le 11 février 1915, à Fontenoy, refusé d’obéir à un ordre donné par son chef, en présence de l’ennemi ? " ; que sur la réponse affirmative faite à cette question, Bersot a été condamné à la peine de mort par jugement du 12 février 1915, et passé par les armes le lendemain matin, 13 février ; ― Attendu que le jugement du 12 février 1915 a été, par arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation, du 14 septembre 1916, cassé, mais seulement dans l’intérêt de la loi, par le motif que le lieutenant Auroux, qui a signé l’ordre de mise en jugement, a présidé le conseil de guerre, prenant ainsi part au jugement de l’affaire dont il avait précédemment connu comme administrateur ; ― Attendu que la chambre criminelle de la Cour de cassation est présentement saisie d’une demande de réformation du jugement du 12 février 1915, dans les termes de l’article 20 de la loi d’amnistie du 29 avril 1921 ; ― Attendu qu’il résulte de l’enquête à laquelle il a été procédé que Bersot, qui n’avait, au cours de l’hiver 1915, qu’un pantalon de toile blanc, dit " salopette ", en avait, à plusieurs reprises, réclamé un autre qui n’avait pu lui être fourni ; que le sergent-fourrier Boisson, en ayant récupéré un dans un cantonnement, le proposa à Bersot le 11 février, mais que celui-ci le refusa comme malpropre ; que, sur le refus persistant par Bersot de le prendre, et après lecture à celui-ci du Code de justice militaire, le sergent-fourrier en référa au commandant de la compagnie ; que celui-ci enjoignit à Bersot de prendre la pantalon et de le net-toyer, mais que Bersot renouvela son refus, en suite de quoi le lieutenant André infligea à Bersot une punition de huit jours de prison pour refus d’obéissance ; ― Attendu qu’à la nouvelle de la punition infligée à Bersot, huit de ses camarades ont adressé au lieutenant André une réclamation collective, qui a été considérée comme une mutinerie et qui a entraîné la comparution de deux d’entre eux, Cottet-Dumoulin et Mohu, devant le même conseil de guerre, sous l’inculpation d’outrage à supérieur pendant le service ; mais qu’il résulte de l’enquête que Bersot, loin d’être, comme il a été prétendu, l’instigateur de cette demande, contraire au règlement, y est resté complètement étranger ; ― At-tendu que tous les témoignages, recueillis au cours de l’enquête, sont unanimes pour établir que Bersot était un brave soldat, courageux, aimé et estimé de ses camarades ; ― Attendu que, dans les circonstances ci-dessus relatées, l’injonction adressée à Bersot par le lieutenant André ne peut être considérée comme ayant constitué comme un ordre de service donné pour l’accomplissement d’un de-voir militaire en présence de l’ennemi, au sens de l’article 218, § 1er, du Code de justice militaire ; que le fait retenu à la charge de Bersot n’a point présenté les caractères constitutifs de ladite infrac-tion ; que, par suite, c’est à tort qu’il a été déclaré coupable ;
Par ces motifs, réforme, dans l’intérêt du condamné, le jugement du conseil de guerre spécial du 60e régiment d’infanterie, en date du 12 février 1915 ; déclare que Bersot est et demeure acquitté de l’ accusation du crime retenu à sa charge ; ordonne l’affichage du présent arrêt dans les lieux déterminés par l’article 446 du Code d’instruction criminelle et son insertion au Journal officiel ; ordonne égale-ment que le présent arrêt sera imprimé, qu’il sera transcrit sur les registres du conseil de guerre spé-cial du 60e régiment d’infanterie, et que mention en sera faite en marge du jugement réformé ; ― Et statuant sur les conclusions à fin de dommages-intérêts, …dit que la réparation doit être fixée : en ce qui concerne la veuve Bersot, femme Frère, à l’allocation d’une somme de 5.000 fr ; en ce qui concer-ne Marie-Louise Léontine Bersot, à l’allocation d’une somme de 15.000 fr, dont l’emploi devra être fait en rentes sur l’État français, immatriculées au nom de ladite mineure. »
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Résumé et notes publiés avec l’arrêt au Recueil Dalloz
« Le fait par un militaire en présence de l’ennemi de refuser comme malpropre un vêtement que son chef lui ordonnait de prendre et de nettoyer ne constitue pas le crime de refus d’obéissance à un ordre de service (C. just. milit., art. 218) (1) ;
Par suite, le jugement du conseil de guerre condamnant ce militaire à la peine de mort doit être cassé dans l’intérêt du condamné, et des dommages-intérêts peuvent être alloués à sa veuve et à son enfant mineur (C. instr. crim., art. 446 ; L. 29 avr. 1921, art. 20) (2).
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(1) Il est certain que l’article 218 du Code de justice militaire pour l’armée de terre (D.P. 57. 4. 115-126) ne s’appliquait pas au fait dont l’inculpé s’était rendu coupable. L’article 218 ne punit de mort en effet que le refus, par un militaire, d’obéir, quand il est commandé, " pour marcher contre l’ennemi ", ou pour " tout autre service ordonné par son chef en présence de l’ennemi ou de rebelles armés ". En l’ espèce, l’inculpé n’avait refusé ni de marcher contre l’ennemi ni d’exécuter un service commandé (V. Rép. prat., v° Justice militaire, n°s 303 et suiv. ; Augier et Le Poitevin, Traité théorique et pratique de droit pénal militaire, v° Refus d’obéissance, n°s 4 et 5).
(2) Il y a là application de l’article 20 de la loi d’amnistie du 29 avril 1921 (D.P. 1921 4. 33), qui a ouvert un recours en révision spécial contre les décisions rendues, au cours de la guerre, par les juri-dictions dite d’exception : cours martiales et conseils de guerre spéciaux institués en exécution du décret du 6 septembre 1914 (D.P. 1914. 4. 101.).
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Revue de presse
• Le Figaro, n°195, Vendredi 14 juillet 1922,
p. 2, en rubrique « Gazette des Tribunaux ».
« Réhabilitation
La Chambre criminelle de la Cour de cassation vient de réhabiliter le soldat Bersot, du 60e régiment d’infanterie, qui, le 12 février 1915, à Fontenoy (Aisne), avait été fusillé pour mutinerie en présence de l’ennemi. A la suite d’une punition de huit jours de prison, les camarades de Bersot avaient protesté et présenté une revendication collective, qui avait été, par le Conseil de guerre, qualifié[e] à tort de mutinerie. La veuve de Bersot a obtenu 5.000 francs de dommages-intérêts et sa fille 15.000.
Georges Claretie. »
• L’Humanité, n° 6.684, Vendredi 14 juillet 1922, p. 1.
« UN BEAU SUJET DE MÉDITATION POUR LA FÊTE NATIONALE
Bersot avait été fusillé. On le "réhabilite".
LES OFFICIERS ASSASSINS ONT OBTENU DE L’AVANCEMENT
La société bourgeoise, qui a le cynisme de faire défendre ses privilèges par ses exploités, accumule les abus et les crimes. Il suffit qu’un voyou ait la manche et le képi ornés de passementerie pour avoir le droit de vie et de mort sur le troupeau encaserné. La dignité humaine, au nom de la sacro-sainte discipline, est piétinée. " Tu obéiras comme un cadavre ", telle est la discipline des jésuites. Telle est aussi celle des armées impérialistes.
Le cas de Lucien Bersot, du 60e régiment d’infanterie, illustre tragiquement cette impitoyable règle, honte de la civilisation.
Lucien Bersot, réclamait depuis longtemps un pantalon rouge à son sergent-fourrier. En vain.
En février 1915, revenant d’une attaque, Bersot renouvela sa demande auprès de son fourrier. Celui-ci finit par trouver un pantalon, qu’il fit remettre à Bersot.
Or, ce pantalon, qui avait appartenu à un mort, était maculé de sang. Le soldat tué, pendant sa courte agonie, avait en outre souillé ce vêtement déjà taché de son sang.
Lucien Bersot, on le conçoit aisément, et quiconque en eût fait autant à sa place, refusa de revêtir un pantalon aussi malpropre.
Une discussion s’engagea entre le soldat Lucien Bersot, qui avait raison, et son sergent-fourrier, qui avait tort. Mais il paraît que les galons rendent infaillibles les pires brutes.
Sur ces entrefaites, le lieutenant André arriva. Comment un homme, simple fantassin, ose discuter l’ordre d’un sergent ! Depuis quand la chair à canon peut-elle se permettre de prétendre à l’hygiène ? Sans l’ombre d’une hésitation, le mufle à deux galons somma Bersot d’accepter le pantalon souillé. Bersot ne pouvait décemment s’incliner devant cet ordre odieusement inhumain. Il opposa un nouveau refus.
Le lieutenant André, immonde brute, infligea huit jours de prison à Bersot.
Bersot accomplissait sa punition, et les choses en seraient peut-être restées là, si les amis de Bersot, justement indignés, n’avaient élevé une protestation collective.
L’incident arriva à la connaissance du colonel du régiment, le colonel Auroux (un nom qu’il faudra retenir). Celui-ci voulut lui donner de l’importance et faire un exemple mémorable. Il réunit en hâte une cour martiale.
Le régiment n’était pas en ligne, mais il était " alerté ". Cela suffit aux officiers pour leur permettre de qualifier l’acte de Lucien Bersot de " refus d’obéissance en présence de l’ennemi ".
Jusqu’à la dernière minute, Bersot ne pouvait croire à ce châtiment. Son agonie fut effroyable. L’infortuné pensait à sa femme, à la fillette adorée qu’il ne reverrait plus.
Après cet abominable assassinat, ses camarades élevèrent une véhémente protestation. Affolés, les officiers criminels réprimèrent sans mesure. Un des protestataires fut même condamné aux travaux publics !
Dès septembre 1918, la Cour de cassation cassa, pour vice de forme, la honteuse sentence de la cour martiale.
Hier, la chambre criminelle de la Cour de cassation a déchargé la mémoire de Bersot de la condamnation prononcée contre lui.
Elle accorde en outre 5.000 francs à la veuve et 15.000 francs à la fille mineure de Lucien Bersot.
Mais celui-ci est bien mort. Et ses assassins ne sont pas inquiétés ! En passant devant sa tombe, ils peuvent même, selon un exemple illustre, se permettre de rire.
Et qui sait ? peut-être ont-ils obtenu de l’avancement !
Honte ? honte au militarisme qui rend possibles d’aussi atroces forfaits. »
L’Ouest-Éclair ― éd. de Caen ―, n° 7.558, Vendredi 14 juillet 1922, p. 2.
« LE SOLDAT BERSOT, DU 60e R.I., AVAIT A TORT ÉTÉ CONDAMNÉ A MORT
La Cour de Cassation l’a proclamé hier
PARIS, 13 juillet. ― La Chambre criminelle de la Cour de Cassation vient de rendre son arrêt dans l’affaire du soldat fusillé Bersot.
On se souvient que le soldat Lucien Bersot, du 60 e régiment d’infanterie, avait été condamné à mort par le Conseil de guerre du 60e régiment d’infanterie, se tenant à Fontenoy (Aisne), pour refus d’obéissance en présence de l’ennemi, le 12 février 1915. Il fut fusillé le lendemain.
Le refus d’obéissance de Bersot était le suivant : ayant besoin d’un pantalon et l’ayant réclamé à plusieurs reprises, Bersot reçut du sergent-fourrier Boisson, un pantalon taché de sang et de boue qu’il refusa d’accepter, malgré l’ordre qui lui en fut donné.
Bersot fut alors puni de huit jours de prison par le lieutenant André.
Estimant cette punition injustifiée, plusieurs camarades de Bersot firent une réclamation collective qui leur valut également de la prison.
Mais le colonel Auroux, commandant le régiment, attribua à ces incidents l’importance d’une mutinerie.
Le régiment, quoique n’étant pas en ligne, était en effet alerté.
Le colonel Auroux déféra donc Lucien Bersot devant le Conseil de guerre spécial qui prononça la peine de mort. Un des camarades de Bersot, qui avait protesté en sa faveur, fut condamné aux travaux publics.
Ajoutons que par un arrêt du mois de septembre 1918, la Cour de Cassation avait déjà annulé le jugement pour vice de forme.
Cet après-midi, la Chambre criminelle de la Cour de Cassation a prononcé la réformation de l’arrêt du Conseil de guerre spécial de Fontenoy, qui, le 12 février 1915, avait condamné à mort Lucien Bersot. Elle a déchargé sa mémoire des condamnations prononcées contre lui par ce Conseil de guerre et a accordé 50.000 francs [sic] de dommages-intérêts à la veuve de Bersot, Mme Frère, et 15.000 francs de dommages-intérêts à la fille mineure de Lucien Bersot. »
Le Temps, n° 22.259, Samedi 15 juillet 1922,
p. 4, en rubrique « Tribunaux ».
« Les réhabilitations posthumes. ― La chambre criminelle de la Cour de cassation vient d’en prononcer une nouvelle, celle du soldat Lucien Benot [sic], du 60e régiment d’infanterie, condamné à mort le 12 février 1915 par un conseil de guerre spécial siégeant à Fontenoy, dans l’Aisne, et fusillé le lendemain. Louis Benot [sic] avait été reconnu coupable de mutinerie devant l’ennemi. A la suite d’une punition de huit jours de prison que venait de lui infliger un sous-officier, ses camarades avaient pris, par une protestation collective, fait et cause pour lui, et cette protestation avait été qualifiée, mais à tort, de mutinerie.
La Cour de cassation qui, déjà, pour vice de forme, avait annulé le jugement de 1915, vient de décharger la mémoire de Lucien Benot [sic] de la condamnation prononcée contre lui, et a accordé à sa veuve, 5.000 fr. à titre de dommages-intérêts et 15.000 fr. à sa fille mineure. »