qu'en était-il de la compréhension du français par les poilus bretons

air339
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Re: qu'en était-il de la compréhension du français par les poilus bretons

Message par air339 »

Bonjour Brigitte,


Il me semble distinguer deux aspect dans le sujet abordé :

- la compréhension de la langue française, ( le titre de votre sujet) qui relève du parler

- sa connaissance scolaire : lire et écrire.


1 -Sur le premier point, me référant aux travaux d’Eugen Weber, « la fin des terroirs – la modernisation de la France rurale , 1970-1914 », un travail important est réalisé à partir de 1833, avec une accélération sous la IIIe République. Quelques repères :

1881 : gratuité de l’école primaire publique
1882 : fréquentation de l’école obligatoire
1883 : obligation d’avoir une école primaire publique pour chaque hameau ou village ayant plus de 20 enfants d’âge scolaire.
1885 : aides financières pour construire et entretenir ces écoles
1886 : programme d’enseignement élémentaire et contrôle de cet enseignement

En Bretagne, en 1880, selon le recteur de Rennes, il s’agit de « vraiment unir la péninsule au reste de la France et compléter l’annexion historique toujours prête à se dissoudre ». Parler breton à l’école est systématiquement puni...

C’est dans ce nouvel environnement que naissent ceux qui vont combattre en 1914. A la déclaration de la guerre, si les patois ou langues régionales sont encore bien présents, comme l’attestent des récits, la grande majorité des mobilisés me semble comprendre et parler le français. Mais je m’avance peut-être trop ?

2 -Sur le deuxième point, l’instruction scolaire (savoir lire, écrire et compter), les contrastes sont plus forts :

En 1880, un rapport indique qu’un tiers des enfants bretons, de 6 à 13 ans, ne va pas à l’école.
En 1881, plus de 40% de la population masculine du Morbihan est analphabète (mais aussi 70% d’illettrés dans certains villages du Lot…).

Je n’ai pas trouvé de chiffre pour la génération de « 1914 », mais la mesure du degré d’instruction doit être pris avec précaution. Eugen Weber insiste d’ailleurs sur le manque de fiabilité de cette mesure, le simple fait de savoir signer son nom passe pour savoir écrire, un instituteur note en 1897 que certains élèves « peuvent lire, mais ne comprennent pas ce qu’ils lisent. ».
Sur le degré d’instruction, voir aussi l'intervention de Rutilius dans le sujet : pages1418/forum-pages-histoire/autre/de ... 2351_1.htm

Bien cordialement,

Régis
iroise47
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Re: qu'en était-il de la compréhension du français par les poilus bretons

Message par iroise47 »

Je me permets de mentionner également la loi Guizot de 1833, qui ne rendait pas l'école obligatoire, surtout l'école publique, mais en jetait déjà les bases (formation des maîtres au niveau départemental, financement local des écoles).
Il semblerait (mais je n'ai aucun chiffre) qu'un certain nombre de communes l'ait appliquée. Revers de la médaille, beaucoup d'écoles confessionnelles ont occupé le terrain, permettant à la commune de refuser l'ouverture d'écoles publiques, en particulier dans le Léon, pour le Finistère, et sans doute aussi certains secteurs du Morbihan.
En 1848, d'après wikipédia, beaucoup de conscrits savaient déjà lire et écrire.
Bonne journée
Denise
air339
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Re: qu'en était-il de la compréhension du français par les poilus bretons

Message par air339 »

Bonjour Denise,

Effectivement, toujours selon l'ouvrage de Weber, la loi de 1833 (loi Guizot, ministre de l'instruction publique) est rapidement utilisée à des fins confessionnelles, les "écoles" se résumant à des cours de catéchisme et de phrases apprises par coeur.
En 1863, 30 ans après la loi Guizot, 20% de la population ne connais toujours pas le français (et pas que la basse-Bretagne...). 8 381 communes sont réputées non francophones (on y parle breton, allemand, basque, flamand et de nombreux patois).

Il faut attendre la IIIe République pour que l'apprentissage du français (le comprendre, le parler, lire, écrire, compter) devienne la priorité. Si la situation évolue peu, c'est aussi que les enfants ne parlent chez eux que leur patois, qui est leur langue maternelle - donc celle utilisée par leur mère. Cette évidence est bien comprise par la IIIe République, qui en rendant l'école gratuite et obligatoire, cherche à s'assurer que les futures mères parleront français dès la naissance de leurs enfants. Cette volonté ne devait pas encore avoir totalement porté ses fruits en 1914, les premières jeunes filles qui accèdent à l'école gratuite et obligatoire en 1886 n'ont que 6 ans (donc 34 ans en 1914).

Bien cordialement,

Régis
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Skellbraz .
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Re: qu'en était-il de la compréhension du français par les poilus bretons

Message par Skellbraz . »

Bonjour à tous
Merci Chanteloube pour votre aide judicieuse.
Non non, ce n'est pas l'ambition qui me mène par le bout du nez : c'est plutôt mon caractère de têtue (entre autres "vertus" ... plus ou moins ....recommandables).
Changeons de registre, la musique de votre pseudo chante drôlement le Sud... pas la côte d'Azur, plutôt les Alpes du Sud, l'indication géographique de mes oreilles est-elle exacte?
Je suis enthousiaste certes, mais j'ai aussi réalisé l'ampleur du travail. Je vais déjà rassembler tous les conseils reçus et Pénélope tissera le temps qu'il faudra. Ce n'est pas Ulysse qui est attendu, c'est mon GPp.
Je vous tiendrai au courant de l'avancée de cette tranchée, votre intérêt pour le sujet aidera le vent à ne pas " force mollir".
AH, vous avez encore raison: je n'y avais pas du tout pensé mais, à la réflexion, cela ne m'étonne guère: les ruraux étant plus "nature" (et pour cause) que les citadins, les indications concernant leur profession sont probablement bien plus justes.
Une dernière chose: j'ai la FM de mon GPp mais, pas son "livret" et je ne sais pas comment opérer pour l'obtenir. En vérité, je ne sais même pas ce qu'est ce "livret"? je ne connais que "le livret de famille".
Je reviendrai certainement chercher de l'aide sur le Forum.
très cordialement et encore merci.
:hello: Brigitte B.
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marcus
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Re: qu'en était-il de la compréhension du français par les poilus bretons

Message par marcus »

Bonjour,
Cette volonté ne devait pas encore avoir totalement porté ses fruits en 1914, les premières jeunes filles qui accèdent à l'école gratuite et obligatoire en 1886 n'ont que 6 ans (donc 34 ans en 1914).
Ajoutons que, malgré la loi de 1881, de nombreux enfants (surtout issus des milieux les plus modestes) continueront d'aller à l'école en fonction des impératifs familiaux et notamment agricoles...
En 1914, de nombreux jeunes soldats français, qui auraient dû fréquenter l'école de la République, sont encore illettrés.
On peut penser que, dans certaines régions (Bretagne, Corse, etc.), cet absentéisme récurrent n'aidait pas à maîtriser une langue "étrangère"...

Cordialement,
Marc


Sur les traces de mes ancêtres, recherche docs & photos sur 44e RIT, 13e RI et 16e BCP. Merci.
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Skellbraz .
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Re: qu'en était-il de la compréhension du français par les poilus bretons

Message par Skellbraz . »

Dans le livre, "Religion et culture en Bretagne 1850-1950" de Michel Lagrée publié en 1992 , figure 2 cartes sur le niveau d'instruction des conscrits de l'année 1899.
5 cantons du Finistère et 5 du Morbihan (Le Faouët, Plouay,Guéméné sur Scorff,Pluvigner,Grand-Champ)comptent plus de 48% de conscrits "analphabètes ou dont l'instruction n'a pu être vérifiée". Il cite un états numériques, par départements et cantons, des conscrits avec indication de leur degré d'instruction. Cote F17 14270 des Archives Nationales.
Merci Yves
pour la rapidité de votre réponse et pour les renseignements qui s'y trouvent.
Si j'ai bien compris, les conscrits 1899 sont les hommes nés en 1879, ce qui donne 7 ans d'écart avec mon GPp ( classe 1906). Cette différence d'années n'est finalement pas si énorme. Cependant j'aimerais trouver un panel pour la tranche d'âge qui m'intéresse afin d'être plus exacte dans mon travail. Comment puis-je procéder pour accéder aux Archives Nationales? Je vais chercher aussi par moi-même, la solution se trouve sans doute quelque part sur le Forum.
Le livre que vous citez m'intéresse vivement, je vais me le procurer.
Encore une fois merci
Bien à vous
Brigitte B.

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Skellbraz .
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Re: qu'en était-il de la compréhension du français par les poilus bretons

Message par Skellbraz . »

Il me semble distinguer deux aspect dans le sujet abordé :
- la compréhension de la langue française, ( le titre de votre sujet) qui relève du parler
- sa connaissance scolaire : lire et écrire.
2 Sur le deuxième point, l’instruction scolaire (savoir lire, écrire et compter), les contrastes sont plus forts
bonjour à tous,
Bonjour et merci Régis.
Effectivement, en triturant un peu les choses, je commence à réaliser qu'elles sont BIEN complexes et que je voguais dans un flou "artistique" certain.
Il y a bel et bien une première différence entre "comprendre un peu" le français puis savoir "s'exprimer" en français, même si c'est seulement "un peu".
Comme vous le soulignez, il y a encore bien d'autres paramètres à prendre en compte: les niveaux de lecture et d'écriture, la capacité à compter....
Pourquoi ai-je fait toutes ces confusion? Dans ma famille, à l'époque où les anciens étaient encore en vie, les choses étaient radicales : il y avait 2 catégories de personnes
- ceux (celles) qui savaient s'exprimer en français : ceux-là avaient carrément obtenu le certificat d'études.
- Ceux (celles) qui ne le parlaient pas : il était notoire qu'ils n'avaient tout simplement pas été scolarisés. ( à l'époque, on disait aux enfants de ma génération que c'était à cause de la pauvreté... je ne sais pas si c'est exact)
D'où une approche erronée du sujet, vous venez de m'éclairer.
Je dois encore prendre en considération: ceux qui ont "un peu" fréquenté l'école, ceux qui ont "raté" le certificat d'études mais qui l'avaient pas mal fréquentée etc etc. et j'en oublie !
oups, j'ai de quoi faire
Je vais commencer par la récolte d'infos sur un bon panel de FM, avant de me plonger dans tous les méandres de ce sujet. Je ferai, à coup sûr, des SOS aux membres du Forum.
Encore merci à vous
Cordialement
Brigitte B.
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Skellbraz .
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Re: qu'en était-il de la compréhension du français par les poilus bretons

Message par Skellbraz . »

Cette volonté ne devait pas encore avoir totalement porté ses fruits en 1914, les premières jeunes filles qui accèdent à l'école gratuite et obligatoire en 1886 n'ont que 6 ans (donc 34 ans en 1914).
Ajoutons que, malgré la loi de 1881, de nombreux enfants (surtout issus des milieux les plus modestes) continueront d'aller à l'école en fonction des impératifs familiaux et notamment agricoles... En 1914, de nombreux jeunes soldats français, qui auraient dû fréquenter l'école de la République, sont encore illettrés.
On peut penser que, dans certaines régions (Bretagne, Corse, etc.), cet absentéisme récurrent n'aidait pas à maîtriser une langue "étrangère"...
bonjour à tous,
Merci Marc,
Ce que vous soulignez me semble tout à fait réaliste et rejoint ce dont je suis convaincue (mais je n'ai pas de chiffres, pas de statistiques).
Ce que j'essaye de faire maintenant, c'est de retrouver des exemples suffisamment nombreux pour que je comprenne un peu mieux dans quel état se trouvait le niveau d'instruction général dans le canton de mon GPp. Je vais répertorier ce que je vais récupérer sur les FM aux AD.
Ensuite, je vais tenter de trouver où se situaient les écoles dans le canton ainsi que le nombre d'élèves inscrits. J'ai commencé mais j'ai royalement fait "chou blanc". Je vais continuer.
A mon sens, il y a une base solide : l'école obligatoire + une scolarisation totalement en français a permis aux bretons de comprendre et parler cette langue étrangère.

A quel niveau de compréhension du français se trouvaient des poilus tels mon GPp, quand ils furent expatriés loin de leurs lopins de terre?
Ils ne sont certes pas revenus bilingues de cette Guerre, pourquoi? en 5 années d'immersion totale en français, on aurait pu le concevoir. Au contraire, du moins pour ce qui concerne les bretons, ils sont revenus avec une belle gratification: le sentiment qu'ils étaient des "arriérés". Ceci est attesté.
Un autre problème se pose : que recoupent précisément les catégories 0, 1, 2, 3 qui apparaissent sur les FM? Ces choses-là sont floues.
Plus tard, j'espère pouvoir faire une analyse plus objective, elle rejoindra peut-être mon intuition /sentiment actuels ( Mémoire // Histoire ! ! ) oups, je suis encore bien loin de l'armistice.
En tous cas, grand Merci pour vos idées. Il y aura certainement, dans quelques temps, d'autres SOS sur le Forum.
cordialement
Brigitte B.
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Skellbraz .
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Re: qu'en était-il de la compréhension du français par les poilus bretons

Message par Skellbraz . »

Revers de la médaille, beaucoup d'écoles confessionnelles ont occupé le terrain, permettant à la commune de refuser l'ouverture d'écoles publiques, en particulier dans le Léon, pour le Finistère, et sans doute aussi certains secteurs du Morbihan.

merci Denise, en effet, le paramètre est intéressant à relever... il explique la non scolarisation de ma GMp

En 1848, d'après wikipédia, beaucoup de conscrits savaient déjà lire et écrire.

En 1848 ! je n'y crois pas vraiment! Je dois dire que, comme mes collègues profs, je galère avec les certitudes des élèves, obtenues par wikipédia qui n'est pas toujours de bon conseil

Je vous souhaite une bonne soirée. Je n'ai pas trouvé le temps d'ouvrir - sur mon ordinateur personnel - les écrits de votre famille que vous m'avez transmis. Maaaalaaaade tout le WE, et zut!
En tous cas : un grand merci à vous. Je vous tiendrai, par MP, au courant de mes réactions à leur lecture.
Amicalement
Brigitte
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pouldhu
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Re: qu'en était-il de la compréhension du français par les poilus bretons

Message par pouldhu »

Bonsoir Brigitte,
Une question : Parlez vous breton ? si oui, appris à l'école (le KLT) ou bien dans la famille ? Le vannetais est un peu à part.
Pour les année 14/15/16, je penses que la langue, ou le patois n'a pas été un gros soucis, les régiments étaient régionaux et les caporaux devaient plus ou moins être choisis parmi ceux qui s'exprimaient en français comme en breton, par exemple. Après, soit le meltingpot a été un problème soit il a permit une meilleure connaissance de la langue française par les ruraux, donc une meilleure compréhension.
Pour donner une autre vision des langues, de leur interaction lors d'un conflit, je parlerai de la guerre de 70 qui nous a valu le mot "baragouiner" car les bretons demandaient du pain "Bara" et du vin "Gwin" et on disait des bretons qu'ils étaient des vrais guerriers car ils ne parlaient que de la guerre, alors qu'ils voulaient rentrer chez eux,"ger" pour ker, la maison.
un petit plus rigolo : au sud est de Soissons une division territoriale du Limousin a utilisé le patois pour tous les mots de passe des patrouilles afin de gruger les allemands, les langues infra ou extra nationales au service de l'armée !
Pour finir (spéciale dédicace à Ferns) un blason en breton (lequel ?) est gravé dans une creute de l'Aisne, il est presque détruit, sans doute par des troupes françaises en 18 ayant pris les mots pour de l'allemand ! C'est dommage car c'est un cas presque unique.
Bonnes recherches à vous,
Gilles.

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