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Re: Le Plan XVII en discussion entre nous

Publié : ven. avr. 18, 2014 10:56 am
par chanteloube
Bonjour,

Pour avancer avec ce fi l:


j'ajoute qu'il n'y a pas, dans l'histoire militaire de notre pays, un autre exemple d'un général qui ait osé, publiquement, faire porter à ses troupes, officiers et soldats, la responsabilité d'un échec. Voici le jugement sévère que portait, fin 1916, le général de Castelnau, sur son supérieur hiérarchique :

" C'est un homme de capacités médiocres qui se cramponne au pouvoir, en débarquant successivement tous les collaborateurs qui ont pensé et agi pour lui […]. Son œuvre ? Renonçant délibérément au plan d'opérations mûrement discuté en temps de paix, il a lancé la folle offensive générale du début de la campagne, en interdisant aux commandants d'armée de prendre les précautions les plus élémentaires. La qualité extraordinaire de la troupe a sauvé le pays. […] "

Il doit savoir de quoi il parle...enfin je crois....

A bientôt.
CC

Re: Le Plan XVII en discussion entre nous

Publié : dim. avr. 20, 2014 2:26 pm
par pierre C31
Bonjour,
Je pense pouvoir faire avancer le débat en versant au dossier quelques réflexions que j'ai pu émettre dans le passé sur les conditions géostratégiques dans lesquelles les offensives de la bataille des frontières se sont déroulées.




Au lendemain de la guerre de 1870 la France se trouve dans une situation géostratégique difficile. Depuis 1815 tous les efforts de ses adversaires avaient convergé dans le but de la placer dans une position qui ne lui permettrait plus de prendre l’offensive en Europe. Les traités de Vienne et de Paris en 1815 lui avaient déjà largement fermé les voies d’invasion traditionnelles de la Belgique en lui enlevant avec Philippeville et Mariembourg les portes des vallées de la Sambre et du seuil de Gembloux. De même la perte de la ligne de la Sarre de Sarrelouis à Sarrebruck ajoutée à celle de Landau avait été justifiée par le but d’entraver toute action française en direction du Palatinat. C’est aussi manifestement dans ce but qu’étaient intervenues la création du Royaume des Pays-Bas et la neutralisation de la Suisse et de la partie nord de la Savoie piémontaise en 1815 puis la neutralisation de la Belgique en 1830 –1839 après sa séparation des Pays-Bas. Le Traité de Francfort de 1871 avait poursuivi dans cette voie par l’annexion à l’Allemagne de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine. Cette annexion avait été justifiée, de l’aveu même de Guillaume 1er , moins par des considérations ethniques que par des nécessités stratégiques. L’illustration la plus claire de cette volonté est exprimée dans cet extrait de la lettre que Guillaume 1er adressa à l’impératrice Eugénie, réfugiée en Angleterre le 26 octobre 1870  en réponse à une lettre du 23 où elle lui demandait de renoncer à une éventuelle annexion de l’Alsace.
« J’aime mon pays comme vous, Madame, vous aimez le vôtre, et par conséquent je comprends les amertumes qui remplissent le cœur de Votre Majesté et j’y compatis bien sincèrement. Mais, après avoir fait d’immenses sacrifices pour sa défense, l’Allemagne veut être assurée que la guerre prochaine la trouvera mieux préparée à repousser l’agression sur laquelle nous pouvons compter aussitôt que la France aura réparé ses forces et trouvé des alliés. C’est cette considération seule, et non le désir d’agrandir une patrie dont le territoire est assez grand, qui me force à insister sur des cessions de territoires, qui n’ont d’autre but que de reculer le point de départ des armées françaises qui, à l’avenir, viendront nous attaquer.»
Pendant la fin du XIXe siècle la puissance de l’armée allemande était perçue comme tellement supérieure qu’une stratégie défensive tendant à décourager l’invasion par l’usure s’imposait. Les travaux de l’Ecole de Guerre effectués en 1892 avaient conclu : « expectative et combat de démonstration par des avants gardes laissant au gros de l’armée sa liberté d’action.»
Ces idées ont été formalisées dans le Règlement de 1895 sur la conduite des grandes unités : «  Attendre pour s’engager une manifestation de volonté chez l’ennemi et l’attirer sur un terrain où l’on pourra lutter dans de bonnes conditions »
Cette orientation doctrinale, qu’elle soit le fait de la volonté ou de la nécessité, était totalement cohérente avec la situation géostratégique du pays.
Progressivement cette doctrine défensive va évoluer dans les années qui suivirent 1905 vers le culte de l’offensive, si le terme « mystique de l’offensive » est sans doute exagéré, il marque cependant le caractère quelque peu excessif que pris cette doctrine à cette époque.
Le lieutenant-colonel Loyzeau de Grandmaison, chef du 3e bureau de l’Etat-Major de l’Armée, et donc à ce titre en charge de la préparation des opérations, poussa au dernier degré cette théorie dans ses fameuses conférences de mars et avril 19114 devant l’Etat-Major de l’Armée au cours desquelles il avait prononcé quelques propos qui avaient fortement marqué les esprits: : «  dans l’offensive l’imprudence est la meilleure des sûretés » ; et encore « Allons jusqu’à l’excès et ce ne sera peut-être pas suffisant » Phrases imprudentes car on a rapidement extrapolé du niveau stratégique vers le niveau tactique d’autant plus que l’on a vite oublié que le conférencier préconisait des dispositifs d’approche par petites unités accolées, générateur d’une progression souple et adaptable au terrain.
Quoiqu’il en soit le Règlement sur la conduite des grandes unités, établi par le décret du 30 octobre 1913, s’inspire de ces idées. Ce document qui expose les grands principes stratégiques, proclame : «  Le premier devoir du chef est de vouloir la bataille. La bataille, une fois engagée, doit être poussée à fond, sans arrière-pensées, jusqu’à l’extrême limite des forces. La résolution de combattre et même le choix de la forme générale du combat doivent être antérieurs à l’engagement. Le chef doit préciser ses intentions dans un plan de manœuvre: chacune de ses décisions doit venir à son heure, même si les données recueillies jusqu’ici sur les forces et les dispositions de l’ennemi sont incomplètes. Un chef qui cède à la tentation d’attendre, pour agir, l’arrivée de renseignements plus précis, court, en effet, le risque de voir son adversaire déchirer le voile par des actes décisifs […] Le chef profitera du temps qui s’écoulera entre ses décisions successives pour faire rechercher toutes les données susceptibles d’éclairer la situation et de l’aider à développer logiquement son plan ». […] (Article 6)
Et ce même règlement poursuit : « “L’attaque exige la continuité dans l’effort et une extrême énergie. Chacun ne doit avoir qu’une seule pensée: aller de l’avant, quand même, droit sur l’objectif indiqué, pour joindre l’ennemi au plus tôt […] La progression de l’attaque n’a qu’un but: amener la chaîne de tirailleurs à distance d’assaut. C’est avec la baïonnette que l’infanterie brise la dernière résistance de l’ennemi. L’assaut, c’est à dire l’abordage à l’arme blanche, peut seul dénouer la crise »6.
Certes, il y a une évidente vérité dans le fait que seule l’offensive permet de s’affranchir de la volonté de l’adversaire, mais on relève que ce même décret prévoit expressément l’établissement d’un plan de manœuvre, même s’il « ne doit pas contenir de précisions supérieures à celles que comporte la réalité du moment. »( article 14) Il faut noter que ce règlement ne comporte aucun article consacré à la défensive stratégique !
Comment expliquer cette évolution alors que la situation géostratégique est toujours délicate même si depuis 1893 l’alliance russe et depuis 1904 l’Entente cordiale rendent moins difficilement soutenable une confrontation avec l’Allemagne ?
L’évolution de l’économie industrielle n’en serait elle pas la cause ? Le préambule du décret sur la conduite des grandes unités, rédigé par une commission placée sous la présidence du général Pau semble donner une des clés de la réponse : «  Dans la forme actuelle de la guerre, l’importance des masses mises en œuvre, les difficultés de leur réapprovisionnement, l’interruption de la vie sociale et économique du pays, tout incite à rechercher une décision dans le plus bref délai possible afin de terminer promptement la lutte ».
Ce décret fut suivi et précisé par le décret portant règlement sur le service des armées en campagne du 2 décembre 1913 qui traite de l’action et de la coordination des diverses armes, et par le règlement de manœuvre de l’infanterie du 20 avril 1914 naturellement fondés sur les mêmes principes.
Le Maréchal Joffre dans ses Mémoires argumente en affirmant, que quand la guerre a éclaté les règlements étaient encore à l’étude et que le temps avait été trop bref pour que tous les éléments de la doctrine pénètrent dans les esprits et soient bien compris. Il sous-entend que l’option offensive devait être comprise comme s’appliquant au domaine stratégique mais devait être nuancée en fonction des circonstances au niveau tactique– c’est sans doute vrai – tout comme les observations sévères qu’il porte sur le commandement des grandes unités au cours des manœuvres qui ont immédiatement précédé la guerre. Mais cela n’a aucune influence sur le caractère excessif de l’option prise.
Certains articles du règlement de manœuvre de l’infanterie du 24 avril 1914 sont pourtant explicites sur cet aspect :
« Art 313 : L’attaque implique de la part de tous les combattants la volonté de mettre l’ennemi hors de combat en l’abordant au corps à corps à la baïonnette ;
Art 329 : A ce moment les combattants ont tous la volonté d’aborder l’ennemi à la baïonnette ;
Art 330 : Dès le moment que l’assaut devient proche, la baïonnette est mise au canon. Entraînés par les officiers et les gradés, les tirailleurs prennent le pas de course et se jettent baïonnette haute sur l’adversaire au cri de « En avant, à la baïonnette ! » Les tambours ou clairons sonnent la charge.
Art 433 le commandement de « En avant, à la baïonnette » est répété par tous. »
Certes ce document n’évacue pas complètement les enseignements tirés de la guerre russo-japonaise de 1905 et les observations faites au cours des guerres balkaniques où l’effet des fusils à répétition et des mitrailleuses avait pu être apprécié mais il les minimise. De même avaient été négligés les enseignements que certains critiques avaient tiré de la guerre franco-prussienne de 1870 ; ainsi le combat de Saint-Privat, prélude à l’investissement de Metz où la Garde prussienne s’élança en formation compacte contre la ligne française « trouva son tombeau »sous les coups des Chassepots de l’infanterie française. Le Chassepot était un fusil à un coup …tirant au mieux onze coups à la minute lors des essais.
Il est vrai que ce règlement de manœuvre de l’infanterie tempérait quelque peu cet esprit offensif par une constatation préalable de bon sens :
« Article 300 – L’infanterie agit par le mouvement et par le feu (…) la puissance de l’armement actuel rend impossible toute attaque en formation dense, effectuée de jour et en terrain découvert. L’élan offensif ne peut être maintenu qu’à la condition d’employer des formations souples et aussi peu vulnérables que possible. L’infanterie combat donc en tirailleur. »
Pourtant certains avaient entrevu les difficultés d’une attaque menée de manière trop massive, ainsi Jean Jaurès sous l’inspiration du capitaine Gérard : «  Et il est impossible ou presque sous le feu écrasant dont disposent aujourd’hui l’infanterie et l’artillerie de tenter à découvert l’assaut rectiligne et d’un seul surjet, il faut que les assaillants éparpillent d’abord leurs premiers rangs en tirailleurs, qui disséminés, abrités, pourront aussi prendre l’offensive de tir. La colonne s’avance par bonds successifs, en se couchant et en se dissimulant par intervalles pour laisser passer la rafale de feu et la trombe de fer. »
L’aménagement du terrain n’est évoqué que de manière accessoire soit après le succès initial pour conserver le terrain (article 333) soit dans la défensive ( articles 343 et 344) mais il ne s’agit dans ces deux cas que d’un aménagement sommaire, utilisant au mieux les particularités du terrain et non de la mise en place d’un système organisé, de même la fortification voit son rôle réduit à l’appui des formations de campagne. De toute façon l’équipement de la troupe était pauvre en outils, les formations du Génie étaient peu nombreuses, les parcs qui constituent la réserve d’outils étaient maintenus en arrière et la réticence de la troupe aux travaux était forte.
En fait, il y a une certaine contradiction entre les divers articles car formation en tirailleur signifie que l’on passe simplement de la formation d’approche en colonne de section par quatre à un déploiement en ligne, sans que l’on précise ni la distance entre chaque homme ni l’articulation en profondeur du dispositif. Ce n’est donc pas une formation diluée qui s’est présentée sur le terrain mais trop souvent des lignes d’hommes au coude à coude. Il est vrai que la parution de ce décret en avril 1914 fut trop tardive pour que l’instruction de la troupe soit menée effectivement dans cet esprit de souplesse. Il est certain que le temps a manqué pour éclaircir les interprétations que pouvait nécessiter le règlement sur ce point et que, par ailleurs, les souvenirs du règlement de 1895 et des formations massives qu’il préconisait, contribuaient à brouiller l’exacte portée des termes employés.

Re: Le Plan XVII en discussion entre nous

Publié : dim. avr. 20, 2014 5:03 pm
par chanteloube
Bonjour Pierre C31,

Merci beaucoup pour ces lignes qui enrichissent le débat.

Vos remarques à propos du réglement de manoeuvre de l'infanterie me semblent tout à fait pertinentes.
Si vous possédez le texte des "conférences Grandmaison", seriez-vous assez disponible pour nous en faire profiter?

Cordialement
CC