L’histoire peu banale d'un tirailleur algérien à Slobozia (Roumanie).

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Mike010
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Re: L’histoire peu banale d'un tirailleur algérien à Slobozia (Roumanie).

Message par Mike010 »

Bonjour,

Je me suis rendu il y a deux ans dans cette ville de Roumanie, entre Bucarest et Constanta, à la recherche du carré militaire qui abrite plus de 200 soldats français originaire d’Afrique du nord mort entre 1916 et 1918. En demandant mon chemin, je fus surpris par la réponse des passants (du moins ceux d’un certain âge) qui invariablement me répondaient : «vous recherchez le Prince algérien ? Sa tombe se trouve dans le cimetière Eroilor ». En effet, non seulement, il existe la tombe (surmonté d’un obélisque) d’un tirailleur Algérien mort en 1918, dans le cimetière militaire, mais également un monument sur le lieu de sa mort – ce qui n’est pas banal en Roumanie dans une petite ville comme Slobozia.

Le monument ou il est écrit en français et roumain : Ici a été fusillé par les allemands le 14 octobre 1918, le prince arabe GHERAINIA Mahomed – victime de son dévouement pour la France et la cause allié.

Image

Sa tombe comporte les mêmes mentions + son affectation : 9eme Régiment de Tirailleurs Algérien

En cherchant à en savoir un peu plus, je suis finalement tombé sur une très belle histoire d’un tirailleur, qui n’a jamais abandonné son envie de se battre et surtout à fait honneur à son uniforme. C’est une partie de son histoire que j’aimerai partager avec vous.


Le contexte :
La Roumanie, l’autre grenier a blé de l’Europe, est envahie par les troupes allemandes en fin d’année 1916. Très vite, les ressources du pays sont exploitées par l’occupant (agriculture et pétrole).

Afin d’assurer la production agricole, les allemands envoient et utilisent de nombreux prisonniers français et plus particulièrement des troupes originaires d’Afrique du Nord. L’internement de ces soldats se révèle terrible.

Durant l’hiver (vigoureux en Roumanie), les prisonniers ne reçoivent aucun vêtement chaud leur permettant de résister au froid. De nombreux témoignages de la population locale dépeignent ces pauvres soldats blottis les uns contre les autres alors que la neige tombe sur eux. De plus, ils sont soumis à un régime sévère voir brutal par les troupes d’occupation. Les maladies décimeront ces hommes comme en témoigne les divers carrés militaires français de Roumanie.

La population locale, soumise par les allemands ou les bulgares, elle aussi à tous les tourments (exécutions sommaires, viol, rapines.. ) s’attache à ces prisonniers qui malgré leur souffrance resteront toujours dignes. Nombreux sont les cas, ou des civils fourniront nourritures ou vêtements à nos soldats.

Le Prince Algérien ou Prince Arabe:

Des informations contradictoires concernant son histoire, son origine princière, son régiment ou même sa mort. Cependant, toutes s’accordent sur certains points.

De son nom, Mohamed GHERAINIA (Cheraina ou Keraina), est originaire d’Afrique du Nord. Pour certains, c’est un prince, pour d’autre il aurait une ascendance noble. Il a obtenu, avant guerre, une licence de Pharmacie à Paris. Il est incorporé dans un régiment de tirailleur algérien (1er, 7eme ou 9eme ?) et participe aux combats sur le front occidental. En 1916, il est fait prisonnier puis envoyé en Roumanie.

Les autorités allemandes, le nomme médecin du camp de Slobozia ayant à sa charge l’ensemble des prisonniers nord africains et sénégalais. Sa position lui permet d’avoir une certaine liberté de mouvement dans le camp et un régime moins sévère. Par manque d’encadrement médical dans la ville de Slobozia, il est amené également à plusieurs reprises à pratiquer des consultations auprès de la population civile, mais toujours sous escorte. Par sa gentillesse, sa distinction ainsi que sa culture, il est très vite ‘’aimé’’ par les habitants de Slobozia qui l’appelleront le prince Algérien.

Malgré des conditions bien plus agréables que ces compagnons d’infortune, le « Prince » conserve intacte son envie de reprendre les armes et d’en découdre avec les allemands. Il prépare dans le plus grand des secrets un plan visant à la prise du camp par les prisonniers dans le cas oú les troupes françaises s’approcheraient de Roumanie (L’Armée d’Orient n’est qu’a quelques centaines de Km). Cependant, il devra encore patienter.

Enfin Septembre 1918, il apprend par un officier autrichien, que les troupes françaises pressent les Bulgares et que le front risque de céder. Cette nouvelle est bien évidement synonyme de libération prochaine pour les prisonniers du camp. Notre tirailleur décide cette fois de libérer non seulement le camp, mais également la ville de Slobozia avec le concours de la population. Il est en contact étroit avec un certain Dragan a qui incombera, une fois le soulèvement déclenché, la responsabilité des combattants roumains.

C’est dans ce cadre qu’intervient sa mort, le14 octobre 1918. Ici, les récits divergent quelque peu.

Dans „Cultul eroilor nostri” paru en 1924, un paragraphe lui est consacré ‘’Jertfa printului algerian Gherainia Mahomed’’ (Le sacrifice du Prince Algérien Gheraina Mahomed dans ‘’Le culte de nos heros’’ ).

D’après cet ouvrage, c’est lors d’une sortie nocturne en dehors des limites des camps, alors qu’il se rendait à un rendez vous avec les membres de la résistance, qu’il aurait été surpris par une patrouille allemande. Il semble que les occupants, ayant eu vent du projet d’insurrection, l’on prit en chasse dans les rues de Slobozia. Il est blessé par une première salve. Il s’écroule, mais trouve les ressources nécessaires pour crier ‘’ Roumains! Nos fréres s’approchent! Roumains!...’’. Les allemands le rattrapent et vident leurs chargeurs à bout portant.

Une autre version, publiée sur le site de la ville de Slobozia, fait mention que notre tirailleur, se rendait de nuit auprès d’un malade dans un état critique, sans l’accord des allemands. Une patrouille le repère, il cherche à s’échapper, mais est repris. Sentence immediate : dos au mur, peleton d’execution.

Privé de l’instigateur du soulèvement, Slobozia et les prisonniers devront attendre l’arrivée des troupes française afin de connaitre la libération tant attendue. Celle-ci interviendra moins d’un mois après la mort du Tirailleur Gheraina. Cependant, entre temps les allemands redoubleront de cruauté envers la population civile.

Aujourd’hui encore, le souvenir du Tirailleur Gheraina est toujours très vivace auprès de la population et également grâce a sa tombe et au monument érigé en ville sur le lieu de son exécution.

Concernant les sources d’informations telles que MdH, on retrouve la fiche d’un tirailleur portant le même nom, mort lui aussi à Slobozia. Cependant la date diffère (juin 1918) – son grade (2nde classe ?) compte tenu de ses diplômes et éducation semble surprenante (quoique de mémoire le Prince Rainier de Monaco fût 2eme classe dans la Légion pendant la seconde guerre mondiale)

Ci-dessous la fiche MdH

Image

Uploaded with ImageShack.us
http://www.memoiredeshommes.sga.defense ... =918371219



Si par hasard, certains d’entre vous ont des informations complémentaires, surtout n’hésitez pas.


Merci


PS : 1000 excuses pour les fautes d’orthographes … mais 15 ans d’expatriation sans l’emploi quotidien du français ca laisse des traces.
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Alain Dubois-Choulik
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Re: L’histoire peu banale d'un tirailleur algérien à Slobozia (Roumanie).

Message par Alain Dubois-Choulik »

Bonjour
Très intéressante histoire en effet, je me souvenais que le Great War Forum avait un long thread sur la campagne de Roumanie : il relate sobrement l'histoire, mais sans nous en apprendre plus. Je suppose que vous avez écumé les sites en roumain (je suis toujours étonné par cette langue).
Cordialement
Alain
PS : l'album-photos de l'auteur du message (Razu) ICI
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adalberon
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Re: L’histoire peu banale d'un tirailleur algérien à Slobozia (Roumanie).

Message par adalberon »

Bonsoir à tous,

Je ne sais pas si c'est intéressant mais sur le site de l'ANOM il y a l'acte de mariage de Gherainia Kerroubi ben Djilali ben Mohammed, survenu à Affreville (Algérie française) en 1901. A priori ce n'est pas notre homme car le marié a 17 ans, ce qui ne "colle" pas avec la date de naissance du "prince arabe", mais c'est probablement un frère aîné. En effet, la mention "ben Djilali ben Mohammed" se retrouve sur la fiche SGA. Malheureusement les registres d'Affreville semblent très parcellaires. Voici le lien :

http://anom.archivesnationales.culture. ... acte=48624

Cordialement,
Adal
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Mike010
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Re: L’histoire peu banale d'un tirailleur algérien à Slobozia (Roumanie).

Message par Mike010 »

Très intéressante histoire en effet, je me souvenais que le Great War Forum avait un long thread sur la campagne de Roumanie : il relate sobrement l'histoire, mais sans nous en apprendre plus. Je suppose que vous avez écumé les sites en roumain (je suis toujours étonné par cette langue).
Bonsoir Alain,
Les sources d'informations sont principalement en langue roumaine et notamment certains articles que je viens de découvrir ces derniers jours.
Par exemple : http://www.presamil.ro/OM/2007/38/19.pdf (l'article ''Copilul nisipurilor calduroase'' en bas de page).
Je ne sais pas si c'est intéressant mais sur le site de l'ANOM il y a l'acte de mariage de Gherainia Kerroubi ben Djilali ben Mohammed, survenu à Affreville (Algérie française) en 1901. A priori ce n'est pas notre homme car le marié a 17 ans, ce qui ne "colle" pas avec la date de naissance du "prince arabe", mais c'est probablement un frère aîné. En effet, la mention "ben Djilali ben Mohammed" se retrouve sur la fiche SGA. Malheureusement les registres d'Affreville semblent très parcellaires. Voici le lien :

http://anom.archivesnationales.culture. ... acte=48624
Merci beaucoup, Adalberon pour cette info !
Peut etre un lien de famille ... dans le cas ou la fiche MdH est bien celle de ce Tirailleur.
Le fait que la date de décés ne corresponde pas ainsi que le grade du soldat (2eme classe pour un licencié en pharmacie de possible ascendance noble???)... me tracasse un petit peu.
adalberon
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Re: L’histoire peu banale d'un tirailleur algérien à Slobozia (Roumanie).

Message par adalberon »

Re bonsoir,

Personnellement, je n'ai aucun doute sur le fait que c'est bien la fiche de votre homme. Gherainia ne semble pas être un nom très ordinaire et la présence d'un homonyme au même endroit et à la même période serait par trop extraordinaire. En ce qui concerne la date de décès, elle a probablement été fixée par jugement déclaratif, comme le montre la référence au tribunal de Blida dans la partie inférieure de la fiche. Ça ne serait pas la première fois que ce genre de jugement comporterait une erreur. Enfin le grade ne me paraît pas un argument rédhibitoire. J'imagine que beaucoup de diplômés, même dans l'armée française, étaient de simples soldats. C'est le cas aussi de pas mal de nobles. A fortiori, on peut penser qu'un "indigène", fût-il éduqué, avait à l'époque toutes les chances de demeurer au bas de l'échelle.

Cordialement,
Adal
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Mike010
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Re: L’histoire peu banale d'un tirailleur algérien à Slobozia (Roumanie).

Message par Mike010 »

Merci beaucoup Adal pour votre reponse. Votre argumentation est en béton :)

J'essaie de trouver des infos complémentaires sur le JMO du 1er RTA, mais jusqu'a présent sans succés - le JMO de la 10eme Cie n'est pas en ligne :(
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Eric de Fleurian
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Re: L’histoire peu banale d'un tirailleur algérien à Slobozia (Roumanie).

Message par Eric de Fleurian »

Bonsoir

Effectivement le JMO du 1er régiment de marche de tirailleurs ne fournit qu'exceptionnellement le nom des sous-officiers et tirailleurs tués, blessés et disparus.
Toutefois, la mention de l'appartenance à une 10e compagnie laisse à penser qu'il appartenait au 3e bataillon du 1er RTA qui, ayant commencé la guerre au Maroc, avait permuté sur ce territoire avec le 1er bataillon du 1er RTA et rejoint le régiment sur le front français le 2 septembre 1915.

Concernant les conditions de sa capture, compte tenu du parcours du régiment pendant l'année 1916, on peut envisager sérieusement l'idée que cela se soit passé à Verdun en mai 1916, sur la rive droite de la Meuse lors de l'attaque allemande sur le bois Camard et la cote 287, où le régiment a été fortement bousculé et a subi des pertes importantes.
Une deuxième hypothèse placerait sa capture pendant la bataille de la Somme en septembre mais elle semble moins plausible car, dans ce combat, le régiment a attaqué brillamment (il sera cité à l'ordre de l'armée) et dans ce cas, c'est plutôt lui qui fait des prisonniers que l'inverse. Toutefois, le JMO relate la perte d'un certain nombre de nettoyeurs de tranchée, sous les ordres du sous-lieutenant Dubois, fait prisonniers par les Allemands dans la tranchée de Greiz. En faisait-il partie ???

Cordialement
Eric
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Mike010
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Re: L’histoire peu banale d'un tirailleur algérien à Slobozia (Roumanie).

Message par Mike010 »

Bonsoir Eric,

Comme vous le dites si bien, il n'y a malheureusement pas de mention de noms de soldats dans les tableaux de pertes.

http://www.memoiredeshommes.sga.defense ... GR_26_N_II

Pas de JMO pour le 3eme bataillon non plus (merci pour l'indication - je ne savais a quel Bon rattacher la 10eme Cie)

Meme si le JMO ne m'a pas fournis les info recherchées, je suis impressionné par ces soldats (récit de la prise de la tranchée Greiz.

Au sujet de ce tirailleur, a priori, comme vous l'avez indiqué, les deux options possibles sont Verdun - cote 287, ou le régiment enregistra une perte de 830 soldats (page 11 du JMO) ou durant les combats dans la Somme en septembre (393 disparus).

Concernant le sous-lieutenant Dubois et ses nettoyeurs, fait prisonniers par les Allemands dans la tranchée de Greiz, il semble qu'ils furent libérés par la derniére vague d'assaut. Celle ci etait constituée d'aprés le JMO par des pionniers de CHR, des survivant de la 7e Cie ainsi que d'autres soldats isolés (page 16).

merci Eric pour votre aide.
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