Au détour d'un JMO (15) - Le respect des morts de l'ennemi

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Arnaud Carobbi
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Re: Au détour d'un JMO (15) - Le respect des morts de l'ennemi

Message par Arnaud Carobbi »

Bonjour à tous,

Histoire courte sans question.
En tournant au hasard les pages du JMO du 220e RI (26 N 718/11), je suis arrivé à un cliché et un mot. Ce n'est qu'après que j'ai lu un message posté en mars dernier sur le forum qui évoquait ces documents.

Les voici :

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Nous avons l'honneur de vous envoyer une photographie du tombeau du commandant Marret tombé et enterré par nous le 7 avril 1915 et prions à adresser cette photographie à sa famille. L'inscription de la croix c'est veut dire :
Ici repose le Français commandant Marret [...] ses braves soldats [...]
Nous espérons que [nos] camarades qui sont tombés devant vos tranchées seront enterrés avec les mêmes honneurs.
Vos adversaires
La tombe n'est pas celle d'un officier du 220e, mais celle d'un officier du 211e RI. On trouve sa trace dans le fichier MDH et dans le JMO du 211e RI ( http://www.memoiredeshommes.sga.defense ... iewer.html ) dans les pertes du 9 avril. A part l'erreur de date des soldats allemands qui ont inhumé le commandant Marret (due à une confusion probable entre les deux attaques, celle du 7 et du 9 avril), rien d'anormal. A part que le JMO du 211e RI ne donne aucune information sur sa disparition.
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Extrait du JMO du 211e RI :
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Je me suis donc lancé dans une petite recherche sur les circonstances qui ont conduit à ce mot.
  • Avril 1915, est de Lacroix-sur-Meuse :
Début 1915, la 133e Brigade d'infanterie stationne dans le secteur autour de Lacroix-sur-Meuse. Elle est composée des 211e, 214e et 220e RI. En avril 1915, le secteur est agité : des attaques françaises sont déclenchées les 7 et 9 avril afin de déboucher du bois de la Sélouze (aussi orthographié Sélouse) vers le bois de Lamorville occupé par la première ligne allemande. Elles furent vaines et meurtrières.
Le 9 avril, le front d'attaque est divisé en deux : un secteur droit avec un bataillon du 220e RI en première vague, deux compagnies du 211e RI en deuxième vague. Et un secteur gauche avec un bataillon du 220e RI en première vague et deux compagnies du 302e en deuxième vague.
Or, le commandant Marret n'est pas tombé dans le secteur de droite où était son régiment (le 211e), mais dans le secteur de gauche.
L'explication vient d'une attaque annulée la veille, le 8 avril, mais où l'artillerie française, non touchée par le contre-ordre, a commencé la préparation à l'heure prévue. Le contre barrage allemand n'a pas tardé et a touché les lignes françaises mal protégées et remplies de troupes. A ce moment, le commandant du bataillon du 220e RI devant attaquer à gauche fut tué.
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Le lendemain, après la préparation d'artillerie précédée de deux préparations de diversion, à 17h00, les troupes s'élancent.
C'est justement dans les pages qui concernent cette période qu'ont été glissés les deux documents.

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A gauche, les 23e et 24e compagnies, très vigoureusement enlevées, peuvent arriver jusqu'à proximité immédiate des tranchées allemandes. Mais, là aussi, les cadres sont fauchés : tous les officiers, tous les chefs de section de ces deux unités tombent. Malgré tout, quelques éléments de chacune de ces compagnies se regroupent autour de quelques gradés énergiques, peuvent sauter dans les tranchées. Le commandant Maret, du 211e, qui, le matin même, est venu remplacer dans son commandement le commandant de la Harpe, tué la veille, pénètre dans l'ouvrage ennemi en même temps que ces éléments et y est tué.
Pour résumer :
16h45 : début de la préparation d'artillerie
17h00 : début de l'assaut
17h15 : mort du chef de bataillon Marret
17h40 : retour ans les tranchées françaises
Pertes du jours : 21 officiers, 1000 soldats (bilan proche de l'attaque du 7 avril d'ailleurs)

Les circonstances de la mort du commandant et la suite des opérations expliquent que le corps ait pu être inhumé ainsi par les Allemands : il est tombé dans leur tranchée, rapidement évacuée par les soldats français. Elles expliquent aussi la citation du commandant Marret à l'ordre de la 1ère Armée demandée par le 220e RI :
4 mai 1915, 6e bataillon, cité par le 220e Régiment d'infanterie
Ordre général n¨167 de la 1ère Armée. MARRET Henri François, chef de bataillon. A l'attaque du 9 avril a entraîné son bataillon avec un élan admirable et a sauté des premiers dans la tranchée allemande, où il a trouvé une mort glorieuse.
Tout comme sa présence parmi les pertes du 211e RI : sa nomination a-t-elle été faite officiellement ou s'agissait-il d'une nomination temporaire afin de fournir un chef de bataillon à un bataillon prévu pour une attaque ? En tout cas, il appartenait toujours au 211e RI. D'ailleurs ce changement d'affectation n'est pas mentionné dans le JMO du 211e RI.
  • Epilogue 1 :
Qu'est devenue la tombe du commandant Marret après la guerre ? A-t-elle été perdue ? Son corps a-t-il été transféré par la famille ? La seule certitude est qu'il ne repose pas dans une Nécropole nationale.
  • Epilogue 2 :
Pages 78-79 du JMO du 220e RI.
Dans la nuit du 25 au 26 [octobre] une patrouille de la 22e compagnie ramène dans nos lignes les corps de M. le sous lieutenant Sarramiac et du soldat Briaud, tués le 9 avril.
le lieutenant Serramiac
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le soldat Briaud
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A la semaine prochaine,
Arnaud

PS : un remerciement à Hervé Toulotte pour sa carte qui m'a été bien utile.
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marcel clement
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Re: Au détour d'un JMO (15) - Le respect des morts de l'ennemi

Message par marcel clement »

Bonjour à tous et bonjour Arnaud,

Très rare moment d'humanité et de respect pendant cette guerre.

Merci pour cette belle histoire, si bien présentée par Arnaud. :jap:


Amicalement,

Alain MC
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Frederic RADET
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Re: Au détour d'un JMO (15) - Le respect des morts de l'ennemi

Message par Frederic RADET »

Bonjour à tous, bonjour Arnaud,

Briand et Serramiac ont été inhumés dans un cimetière provisoire au bois de la Champelle.
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Malheureusement je ne trouve pas trace de Marret et de l'Harpe, ni en tombes isolées ni dans un des nombreux cimetières provisoires du secteur.
Bien cordialement,
Frédéric
On ne passe pas !
saintchamond
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Re: Au détour d'un JMO (15) - Le respect des morts de l'ennemi

Message par saintchamond »

Bonjour Arnaud,

Merci une nouvelle fois pour cette histoire, qui me rappelle un autre moment de "chevalerie", cette fois au 36e, avec l'histoire de l'adjudant Houette : http://36ri.blogspot.com/2008/07/le-cas ... uette.html

Bonne journée,

Jérôme
Le 36e RI dans la Grande Guerre : http://36ri.blogspot.fr/ - La revue de presse sur le compte Twitter @36regiment
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Alain Dubois-Choulik
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Re: Au détour d'un JMO (15) - Le respect des morts de l'ennemi

Message par Alain Dubois-Choulik »

Bonjour
Il semble même que (page 46) un drapeau français dessiné sur papier ait été joint au courrier, dont l'histoire ne dit pas comment ( quand?) il est parvenu aux Français ?
Cordialement
Alain
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Arnaud Carobbi
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Re: Au détour d'un JMO (15) - Le respect des morts de l'ennemi

Message par Arnaud Carobbi »

Bonsoir à tous,

Merci à tous pour vos interventions.
Je n'avais pas compris ce qu'était ce troisième morceau de papier. Un drapeau tricolore évidemment. Comme les autres documents, il est en mauvais état (le trou au centre du mot n'est pas un tache).
Pour la sépulture, le temps a dû la faire disparaître (le front est resté assez semblable longuement. Le corps a-t-il été relevé ? Qu'a fait la famille ?
Je regrette que l'Historique du régiment ne soit pas encore numérisé, il nous aurait peut-être appris un peu plus, peut être un portrait ?
Sur Google Books, une allusion probable à ce commandant :
L'Archer‎ - Page 137, 1938
"Ceux qui savent me lire ont compris l'admiration toute spéciale, et presque l'
envie, que je marque dans mes notes pour le commandant Marret, du 6e bataillon..."
Il n'y a hélas, rien de plus.
Le sujet est ouvert : si à l'occasion vous trouvez une piste ;) .

Respect des corps des camarades aussi : aller chercher ainsi les corps plusieurs mois après dans le no man's land...

Amicalement,
Arnaud
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Re: Au détour d'un JMO (15) - Le respect des morts de l'ennemi

Message par croc-5962 »


Bonsoir à tous

J’ai entièrement recopié le JMO du 220° R.I.. En voyant ces photos et les messages concernant le commandant Marret, je ne pensais pas que cela aurait eu autant d'interêt de votre part. (je dois avouer que je nage pour envoyer des photos sur le net).
Mon père a participé à ces opérations. Il était au 5° bataillon, (compagnie de mitrailleuses).
Le commandant du 5° bataillon devait être le commandant Berducou
Le commandant du 5° bataillon devait être le commandant était le commandant Frédéric de L’Harpe

Voici le bilan des pertes du 220° R.I., que j’ai relevé dans le JMO, pour les 8 et 9 avril:

8 avril 1915
Blessés: 34
Tués : 3
Disparus: 0
Prisonniers: 0

9 avril 1915
Blessés: 433
Tués : 207
Disparus: 174
Prisonniers: 44 (dont 3 blessés)

Total des pertes pour le seul 220°: 895 hommes

Décrochage dans la nuit du 9 au 10 avril 1915

Une question: où peut-on trouvé des cartes?

A bientôt

Fernand
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Re: Au détour d'un JMO (15) - Le respect des morts de l'ennemi

Message par zelaian »


Bonsoir à tous,

Pour faire suite à la citation relevée par Arnaud : la revue l'Archer publie par épisodes, dans les années 30, les souvenirs de guerre du Dr Voivenel intitulés "Avec la 67e DR".
La revue est consultable sur Gallica, voici une page qui confirme le passage du Cdt MARRET du 211e au 220e RI :

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5658245k/f91

Voivenel était médecin au 6e bataillon du 211e, commandé par le Cdt MARRET. Il avait à ses côtés pour l'assister le joueur du Stade Toulousain et international MOUNIQ.

Cordialement

DENIS
"Voyageur, souviens-toi du Moulin de Vauclerc" (d'après Louis ARAGON)
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rugby-pioneers
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Re: Au détour d'un JMO (15) - Le respect des morts de l'ennemi

Message par rugby-pioneers »

Bonjour à tous,

Je suivais avec intérêt et émotion le fil de cette histoire quand est apparu la carte avec le Bois de la Sélouze... j'étais parti pour ajouter un mot sur le Dr VOIVENEL jusqu'à m'apercevoir que Denis/Zelaian avait déjà dit l'essentiel... ;-)

Je me permet de rajouter une note "ovale", à savoir que le Dr VOIVENEL fut un éminent dirigeant du Stade Toulousain, du Comité des Pyrénées et du Rugby Français. Toute sa vie, il garda le surnom acquis durant ces dures années : "la Selouze"

Le voici ici en 1917, dans sa hutte du Bois de la Selouze

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crédit photo "Musée Paul VOIVENEL" : Wikipedia http://fr.wikipedia.org/wiki/Paul_Voivenel et http://www.cheminsdememoire.gouv.fr/pag ... dLieu=2271

On doit à VOIVENEL l'édification de l'Herakles, momument à la gloire des membres du Stade Toulousain disparus pages1418/forum-pages-histoire/rugbymen ... htm#t84477

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