Bonjour à tous,
Je suis tombé par hasard sur un article d'époque en faisant des recherches sur l'Artois, cela intéressera peut-être d'autres personnes.
Bonne lecture,
Yves
QUATRE ANS APRES LA GUERRE
Le désobusage de la zone rouge dans le nord
Ce travail nous apprend « Excelsior » aussi délicat que dangereux, a fait plus de deux
cents victimes et l'on reste rêveur quand on songe que le tonnage des munitions détruites
dépasse actuellement 90.000 tonnes c'est dire l'acharnement apporté par les hommes à
s'entretuer et la quantité de projectiles qu’ils ont déversé les uns sur les autres pour arriver à un pareil poids de « ratés » que l'on retrouve dans le nivellement des terrains, le
déblaiement des ruines et la remise en état des routes. — Au lendemain de l'armistice,
tout le territoire de l’arrondissement d'Arras et la partie est de l'arrondissement de Béthune offraient le spectacle d'une désolation infinie. Dans les agglomérations, toutes les maisons avaient été rasées ; le sol des plaines de l'Artois avait été bouleversé par la mitraille. Cette région anéantie fut appelée la
zone rouge. Pour la faire revivre, il fallait déblayer le terrain et, avant toute chose,
désobuser le sol.
On se rend compte du travail extrêmement méticuleux qu'a nécessité le désobusage. On
aperçoit tous les dangers de ce travail périlleux. Des artificiers, des terrassiers, des
ouvriers, des gens qui se trouvaient, par hasard, dans le champ de l'explosion d'un
obus heurté, ont été tués.
Toute la zone rouge a dû être désobusée plusieurs fois en surface. Le tonnage des
munitions détruites atteint actuellement 90,000 tonnes ! Il a été, en outre, évacué
(indépendamment des dépôts de munitions anglais, 15 dépôts français de munitions
allemandes transportables formant un tonnage de 3745 tonnes).
Les engins qui restent à enlever proviennent:
1° Du nivellement des terrains non encore reconstitués : à Béthune, région de Given-
chy, Festubert, Neuve-Chapelle ; à Arras, régions de Neuville-Saint-Waast-Vimy, de
Bullecourt Le Transloy, Ligny Tilloy, Martinpuich, Puisieux, Hébuterne;
2° Des déblaiements de villages (en particulier dans les régions minières) ;
3° De la remise en état des routes et des bois ;
4° Des labours : jusqu'à présent,
tous les labours ont remis des engins à jour ; le nombre en diminue constamment.
C’est ainsi que le désobusage de l’année dernière a fourni près de 200 000 engins.
Celui de cette année en cours en fournira un bien moins grand nombre.
Le dépôt de Malakoff est le dernier de munitions récupérables (environ 500 tonnes)
qui a été évacué. Sur l'emplacement de ce dépôt, le sol bouleversé par une explosion
a dû être nettoyé de fond en comble.
Il ne semble pas possible, en ce qui concerne la constitution du sol, de fixer la date
même approximative de la fin des travaux. En effet, outre qu'on ignore la quantité
d'engins qui seront remis à jour il est à remarquer que le service de désobusage, pour
opérer doit attendre les travaux entrepreneurs de nivellement et de déblaiement, des
agents des eaux et forêts et enfin des cultivateurs.
En ce qui concerne le dépôt de Malakoff, les 500 tonnes ont été envoyées en octobre
dernier. Le nettoyage du terrain d'explosion qui constituait un travail dangereux et délicat a été mené à bonne fin le mois suivant.
LE PERSONNEL AFFECTÉ AU DÉSOBUSAGE
Les engins récupérés sont conduits aux champs d'explosion pour être détruits. Ces
champs d'explosion devraient être nombreux pour éviter de longs transports d'engins dangereux. Il arrive, au contraire, qu'on est forcé d'en diminuer constamment le nombre par suite de la remise des terres en culture
qui rend les emplacements de plus en plus difficiles à trouver.
Le personnel affecté au désobusage était-au début — composé d’artificiers militaires
et de manœuvres (prisonniers et Annamites au nombre de 1.800). Aujourd'hui, ce personnel est presque entièrement civil.
Il comprend :
37 chefs artificiers de zone ou d'équipe ;
73 artificiers ;
100 manœuvres.
Au début de l'année 1921, on a dû, en raison de l'importance des travaux, réembaucher un certain nombre de manœuvres ;
il n'est plus possible, en effet, de trouver des artificiers.
Le remplacement des artificiers par des manœuvres présente de sérieux inconvénients, ces derniers n'ayant aucune instruction technique.
Le recrutement des manœuvres devient d'ailleurs très difficile. Actuellement, beaucoup quittent le service, trouvant qu'ils ne sont pas payés en proportion des risques qu’ils courent.
— En raison de la nécessité d’intensifier les travaux de désobusage, me disait le préfet
du Pas de Calais, j’ai dû demander au ministre des Régions libérées un relèvement de
3oo.ooo francs des crédits affectés à mon département, ce qui porte à 2.300.000 francs
le montant de la dotation pour l'année.
Les victimes du désobusage
Il y en a plus de 200 !
Le nombre des artificiers et manœuvres tués accidentellement est de 20 pour Béthune
et 37 pour Arras. Il y a environ 12 cas de blessures graves. A Lens, le 24 janvier 1920,
un artificier, en démontant une fusée allemande, provoqua l’explosion de l’engin.
Trois artificiers furent blessés. L’un, amputé de la main droite, subit l’énucléation de
l'œil gauche et est atteint de blessures multiples au corps. Un autre est blessé grièvement à la cuisse gauche. Le troisième est blessé au dos. A Vis-en-Artois, le 18 décembre 1920, un artificier se tue en laissant tomber un obus ; cet obus blesse grièvement un autre artificier qui porte de multiples
éclats sur tout le corps et plus particulièrement sur la tête. A Richebourg-l’Avoué, le
13 Avril 1921, un artificier est grièvement blessé en préparant un amorçage dans une
grenade allemande. Fracture ouverte du poignet gauche, fracture du tibia droit, plaie
profonde à l œil gauche et nombreuses plaies
superficielles de la main droite.
Ces quelques exemples, choisis parmi plusieurs, montrent clairement tous les dangers que comporte la délicate opération du désobusage. On comptait à la fin de l'année dernière aussi 73 artificiers civils ou manœuvres blessés sans gravité, la plupart brûlés par les gaz ou à la suite d'explosions
de détonateurs ou grenades.
Parmi les accidents particulièrement graves, je citerai celui de Boiry-Besquerelle, du
20 janvier 1920, provoqué par l'éclatement d'une bombe dans une sape et entraînant la
mort de quatre artificiers militaires et de trois prisonniers de guerre allemands. De
plus, cinq artificiers furent blessés, dont un grièvement.
Pour être précis, les pertes se chiffrent par :
Tués : 31 artificiers et manœuvres civils,
23 artificiers militaires 13 étrangers.
Blessés : 171.
Quelles garanties sont offertes en cas d'accidents aux courageux travailleurs qui
consentent à travailler au désobusage de la zone rouge ?
Telle est la question que j'ai posée au préfet du Pas-de-Calais.
En ce qui concerne les formalités remplies:
après chaque accident, un dossier a été établi conformément aux dispositions de la loi du 9
avril 1898 sur les accidents du travail.
» Les frais d'obsèques cercueil, envoi de corps aux familles des hommes tués ont été
payés par l'Etat. Les pensions aux familles sont attribuées, conformément aux dispositions de la loi, par l'intermédiaire des régions libérées, service employeur.
• Quant aux victimes civiles, la réparation des dommages est poursuivie conformément
aux dispositions des lois du 24 juin 1919 et 3 mai 1921.
M. L. GOUIRAND
(
France-Indochine, 14 mai 1922, p. 2,
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k7254487t/f2)