Bonjour à tous,
Complément sur le naufrage du BOUGAINVILLE
Extraits des archives anglaises
La barque française BOUGAINVILLE a été coulée par canonnade à 60 milles au Sud du bateau feu de Koninbeg le 22 Mars à 13h30.
23 hommes de l’équipage ont été recueillis par le chalutier KEMES et sont arrivés à Dunmore.
J’ai essayé de savoir si ce n’était pas le même sous-marin qui a coulé le Norvégien LINDFIELD le 17 Mars et avait mis ensemble tous les marins de l’équipage qui parlaient anglais.
Bien sûr, les Français n’ont pas eu une aussi bonne opportunité de voir le sous-marin que les Norvégiens, mais ils le décrivent, comme eux, comme ayant deux canons sur l’avant du kiosque et sur l’arrière.
Le sous-marin a hissé le pavillon de guerre allemand dès que le voilier a été abandonné et a aussitôt commencé à le canonner. Il a tiré 4 coups de canon sur bâbord et 4 coups de canon sur tribord et a aussi lancé une torpille.
12 hommes ont été vus sur le pont, portant des cirés jaunes. Ils n’ont rien dit, mais ont juste fait signe de d’écarter.
Nota : U 70 avait effectivement coulé le vapeur norvégien LINDFIELD le 17 Mars. Voici l’histoire.
Naufrage du LINFIELD
LINDFIELD, barque de Porsgrund, Norvège (petite commune du Telemark), armateur Jeremie Assien, affréteur Hanser de Portland (Oregon), capitaine Carl NORBERG, chargée de blé, avait été coulée le 17 Mars à 14h00 par le sous-marin U 70 à 70 milles dans le SW du Fastnet. LINDFIELD portait le pavillon norvégien et un drapeau norvégien peint sur sa coque.
Equipage :
- 6 Norvégiens,
- 3 Suédois
- 3 Hollandais
- 2 Finlandais
- 2 Anglais
- 1 Américain
- 1 Polonais
- 5 Danois
- 1 Allemand (qui avait signé comme étant Norvégien)
Du 17 au 21 Mars, les 24 hommes du LINDFIELD furent gardés à bord du sous-marin, avant d’être remis à un autre voilier norvégien, le SILAS, afin d’être débarqués à Dunmore.
Le commandant du sous-marin avait laissé le temps aux Norvégiens de prendre leurs affaires les plus précieuses et gagner leurs embarcations avant de couler le voilier à coups de canon. Il avait alors commencé à remorquer les embarcations pour les rapprocher de la côte d’Irlande, comme il l’avait promis. Mais la nuit tombant et le vent forçant, il avait pris l’équipage à son bord et avait plongé. Les embarcations avaient été perdues.
L’interrogatoire du Hollandais Toney BYNEN, marin du LINDFIELD est particulièrement intéressant car c’était un ancien sous-marinier de la marine hollandaise.
Il n’a vu aucun numéro sur le sous-marin, mais U 70 était inscrit sur les moteurs, qui portaient aussi la mention 1914. Selon lui, c’était un sous-marin récent, de 2 ou 3 ans, avec 37 hommes d’équipage.
Deux moteurs diesels, deux moteurs électriques, deux hélices. Six gouvernails : 2 verticaux et 4 horizontaux.
Le sous-marin possédait un canon de 88 mm sur l’avant et 1 canon du même calibre sur l’arrière du kiosque. Il avait un stock de 600 obus et 10 torpilles.
Installation TSF allemande Telefunken. Les antennes se levaient automatiquement.
Deux périscopes s’élevant de 5 m et s’orientant sur tout l’horizon.
A bord du sous-marin, il y avait des journaux allemands datant du 9 Mars, venant de Bremen. Le sous-marin avait donc quitté Brême une dizaine de jours auparavant. Les campagnes duraient entre 30 et 40 jours.
En plus du commandant, il y avait deux officiers. Tous trois parlaient très bien anglais. Il y avait aussi un chef mécanicien et un TSF + 1 pilote de guerre.
Le commandant s’appelait WUNSCHE.
Uniformes de cuir noir, cirés quand sur le pont, quelques vêtements en caoutchouc pour les officiers. Tenue de serge bleue dans le sous-marin.
En surface, il y avait 4 quarts de 4 heures, suivis de 8 heures de repos. Mais en plongée, tout l’équipage était en service. L’équipage du LINDFIELD, qui comportait deux marins anglais, fut traité exactement de la même façon que les marins allemands. Il fut logé dans la salle des torpilles. Le sous-marin était bien sûr éclairé et chauffé à l’électricité, utilisée aussi pour faire la cuisine.
Le capitaine Norberg fut logé confortablement dans une cabine d’officier comportant 3 couchettes. Il se déplaçait librement dans tout le sous-marin, parlait souvent avec le commandant allemand et a tenu un « journal de bord » qu’il a pu emporter, mais après qu’il ait été un peu censuré par le commandant allemand.
La nourriture était la même pour tous. Au petit déjeuner : café, pain noir, beurre, sucre, lait condensé et saucisses. Repas identique à 16h00, puis à nouveau à 18h30. Mais pour ce dernier repas, on servait du thé au lieu du café et des sardines en supplément.
Le Samedi il y eut un déjeuner comportant de la viande de mouton, des légumes et des pommes de terre bouillies ensemble. Le Dimanche, le repas de midi consista en riz et saucisses.
Le sous-marin est resté en surface jusqu’au Samedi où l’on croisa un destroyer anglais. Le temps était brumeux. Le signal de rentrer à l’intérieur fut aussitôt lancé et 50 secondes plus tard, le sous-marin plongeait à 10 brasses. Un peu plus tard, il remonta à 8 brasses, mais redescendit presque aussitôt à 10 brasses car le commandant n’aimait pas les conditions météorologiques. Le commandant laissa le capitaine Norberg regarder le destroyer anglais à travers le périscope. Il lui dit qu’il ne tirerait pas de torpille sur lui, car il les réservait pour des « jouets plus importants ». Il avait d’ailleurs coulé un gros vapeur juste avant le LINDFIELD.
(Nota : il s’agissait effectivement du vapeur anglais BERWINDVALE, 5242 t, mais seulement endommagé)
A 19h35 le Dimanche, on aperçut un autre destroyer anglais et on plongea à nouveau pendant quelque temps.
Le Lundi, le temps devint clair et le sous-marin resta en surface. Il filait 25 nœuds en surface et 15 nœuds en plongée. Même quand le sous-marin avait passé 5 ou 6 heures en plongée, l’air était excellent et on ne ressentait aucune difficulté à respirer et aucun sentiment d’oppression.
Le Mardi à 10h00, le sous-marin échangea des signaux avec un autre navire. Une heure et demie plus tard ce navire vint le long du bord. C’était le voilier norvégien SILAS. Les prisonniers y furent transférés, à l’exception d’un marin qui avait passé au consulat de Portland en tant que Norvégien, mais était très probablement un marin Allemand. Les deux Anglais furent transférés en même temps que les autres.
Le commandant allemand a remis un certificat ainsi rédigé au capitaine du LINDFIELD :
« Hierdurch wird dem captain Norberg bescheinigt dass die 4 mast Bark LINDFIELD samt ladung wegen Beförderung von conterbands am 17 Märs 1916 durch ein deutsche unterseeboot versengt ist. Die papiere sind beschlagnahmt.
Wünsche Kapitän-Leutnant u. Kommandant
(Je certifie pour le capitaine Norberg que le 4-mâts barque LINDFIELD et sa cargaison ont été coulés le 17 Mars 1916 pour cause de transport de contrebande. Les papiers ont été saisis.)
Les aventures de ces marins norvégiens ont été publiées dans le journal norvégien Morgenbladet du 20 Avril 1918.
(Ces aventures ne sont pas sans rappeler celles des hommes du voilier EMMA LAURANS à bord du sous-marin U 52.)
Voici le dessin du kiosque de l’U 70 fait par le capitaine Norberg.
Et la silhouette de l’U 70 dessinée par les marins du vapeur FENAY BRIDGE coulé le 24 Mars 1916, juste après le BOUGAINVILLE.
Cdlt