Enigme particulièrement difficile!

air339
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Re: Enigme particulièrement difficile!

Message par air339 »

Bonjour,


Merci Guy pour cette énigme particulièrement instructive. Et bravo à Pierre pour l'avoir résolu !


Cordialement,

Régis
ALVF
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Re: Enigme particulièrement difficile!

Message par ALVF »

Bonjour,

Il faut maintenant se pencher sur l'engin au point de vue technique.
Le travail n'est pas simple, nous ne disposons que des maigres renseignements balistiques contenus dans le rapport du lieutenant-colonel Gascouin reproduit dans le JMO de l'artillerie du 2e Corps d'Armée et de la médiocre (mais précieuse!) photographie publiée en tête du sujet.
Je vais donc tenter d'expliquer les caractéristiques de l'engin, si un lecteur a des différences d'appréciation, je les lirai avec intérêt. Ce qui suit n'est donc qu'une hypothèse:

-la bouche à feu: le tube réglementaire semble coupé au niveau de la frette écrou à l'avant du manchon porte-culasse, c'est donc une bouche à feu très courte. En avant de la chambre, la partie rayée doit être très réduite en longueur.

-le principe du tourillonnement du tube ne peut être expliqué en l'état, a-t-on ajouté une frette tourillon provenant d'une pièce ancienne? Tout au plus peut-on constater le diamètre important du tourillon gauche, assez semblable aux tourillons des pièces anciennes en bronze. La structure ajoutée au-dessus de la volée fait-elle partie de l'assemblage? Il est probable que la fixation du goniomètre de siège sur l'engin se fait là, au-dessus du "tonnerre".

-l'affût portant les tourillons de l'engin ressemble fort à la partie supérieure de l'affût de 7 et 5 de casemate de place approprié au tir de l'obusier de 16 cm (en bronze). On trouve au fond des Parcs d'Artillerie de Place semblables antiquités maintenues en service jusqu'au début du siècle.

-l'assemblage de l'affût au châssis est de pure construction artisanale, de puissants ressorts à boudins permettent de limiter un peu le recul qui ne doit pas être négligeable.

-les roues sont un travail de charpentier, il est curieux que des roues réglementaires d'un diamètre approchant n'aient pu être trouvées pour assurer les déplacements de l'engin.

-le tir est l'élément le plus intéressant de l'engin qui tire des obus explosifs réglementaires au moyen d'une charge réduité manifestement contenue dans une douille réglementaire amorcée permettant une cadence de tir très honorable (4 à 5 coups/mn) pour un engin qui doit "sauter" un peu en l'air malgré ses freins et qu'il faut repointer à chaque coup.

-le lieutenant-colonel Gascouin affirme que le tir est possible à 3000 m avec la charge de 200 gr de poudre BC. Il est possible de comparer ces caractéristiques avec la charge réduite adoptée très tardivement, le 5 février 1917, réglementairement pour le 75 de campagne afin de lui permettre de réaliser enfin le tir courbe en tirant le 75 jusqu'à 40°ce qui impliquait que le matériel soit placé au bord d'un entonnoir (existant ou creusé) avec crosse enterrée pour tirer comme un obusier. En 1917, avec une charge de 250 gr de poudre BC, le 75 tire alors de 1000 jusqu'à 6400 m et avec une vitesse de 344 m/s et est capable de "fouiller" les terrains à contre-pente ce qui lui était impossible jusque là. Malheureusement, cette arrivée est bien tardive, c'est en 1915 qu'il aurait fallu avoir "quelque chose" pour débusquer l'ennemi de ses abris et de détruire ses réseaux de fil de fer barbelé établis à contre-pente!
Avec la "charge Gascouin" de 200 grammes de poudre, on constate que la portée est bien moindre (et la précision doit être médiocre) car dans une bouche à feu très courte on brûle inutilement de la poudre pour des résultats aléatoires.
Chez les tireurs sportifs, on sait qu'une cartouche "musclée" de 357 Magnum tirée dans un canon de 2 pouces produit beaucoup de bruit et une grande flamme mais la même cartouche tirée dans un 6 voire 8 pouces produira bien plus de régularité et, partant, de précision. Il en est de même pour cet "engin Gascouin" resté sans lendemain.
L'adoption de la charge réduite en 1917 pour le 75 montre tout de même le bien fondé de l'étude de cet engin bricolé dont la carrière a dû être très courte.
Au plan général, on regrettera que l'Armée française n'ait jamais disposé d'un obusier léger de 105 ou de 120. Les milliers de morts tombés après la percée des premières lignes sur les réseaux établis à contre-pente intacts de Champagne ont payé le prix fort des décisions gouvernementales de 1912-1913 "passant à la trappe" les crédits accordés pour la construction d'un obusier léger, décisions confortées par les douteuses affirmations techniques de serviles courtisans militaires. De ce fait, l'Armée française n'a jamais eu en service un matériel comparable à l'obusier de 10,5 cm allemand (pièce la plus redoutable pour l'infanterie) ou au remarquable obusier de 4.5 britannique. Chez nous, la batterie expérimentale d'obusiers de 105 Schneider essayée en 1912 est cédée à l'Armée belge en 1914 et les obusiers de 120 Schneider pour la Bulgarie, réquisitionnés, sont utilisés quelques jours sur la Somme puis presque immédiatement cédés à l'Armée serbe.

L'engin conçu par le lieutenant-colonel Gascouin témoigne malheureusement des initiatives destinées "à trouver quelque chose" pour faire face à un ennemi formidablement outillé.
L'Armée française en 1870, 1914 et 1940 a malheureusement connu une politique constante du "trop peu, trop tard" qui caractérise souvent les budgets militaires, intéressant volant de gestion mais qu'il faut payer un jour au prix fort.
Cordialement,
Guy François.
jpg57
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Re: Enigme particulièrement difficile!

Message par jpg57 »

Bonsoir Guy François,
Superbes explications de l'énigme, merci de nous faire partager vos connaissances.
Cordialement
Jean-Paul
bernard berthion
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Re: Enigme particulièrement difficile!

Message par bernard berthion »

Bonjour Guy François,
merci pour ces explications vivantes et détaillées.
A propos d'artillerie lourde, il est dommage que notre 155 CTR ne fut pas à la hauteur, par décisions des instances supérieures, en plus d'un poids et d'une maniabilité laissant à désirer....
Ce Rimailho est passionnant ..... mais c'est une autre histoire...

Cordialement BB
- Août 1914 dans le département des Ardennes : du début août avec l'arrivée et le passage des troupes se concentrant en se dirigeant vers la Belgique, au repli de fin août vers la Marne en résistant sur la Semoy, La Chiers, la Meuse, l'Aisne, la Retourne.
bernard berthion
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Re: Enigme particulièrement difficile!

Message par bernard berthion »

Bonjour Guy François,
Bonjour à tous,
je m'écarte de l'énigme bien résolue et je rebondis involontairement sur Rimailho.

En continuant mes recherches sur le 1er RAC, je découvre un groupe de renforcement (B23, B24, B25) créé le 02/08/1914 à Bourges mais formant le 2è Groupe de l'AD58. Le 1er Groupe (B20, B21, B22) venant du 48 RAC de Dijon et le 3è Groupe (B26, B27, B28) venant du 3è RAC de Carcassonne.

Cette AD 58 étant commandée par le LCol Rimailho. Est-ce l'inventeur du 155 CTR ?

Cordialement BB
- Août 1914 dans le département des Ardennes : du début août avec l'arrivée et le passage des troupes se concentrant en se dirigeant vers la Belgique, au repli de fin août vers la Marne en résistant sur la Semoy, La Chiers, la Meuse, l'Aisne, la Retourne.
pierreth1
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Re: Enigme particulièrement difficile!

Message par pierreth1 »

Bonjour,

Cher Guy François, dans votre dernière intervention vous faisiez allusion à deux canons tronqués, Il se trouve que j'ai recherché dans ma documentation car je me rappelais avoir deja vu un canon tronque de 75, la photo provient d'un album d'un médecin du 91ème RI dont j'ai récupéré les scans des photos .
Il me semble de mémoire que j'ai obtenu ces copies d'un ami qui lors de son temps libre (en service) farfouillait dans de fond de reserve d'un musée où ces photos se délitaient tranquillement. Sans que l'album ait ete "enregistré" qui sait il a peut etre depuis disparu...

si ce n'est pas le cas et qu'elles proviennent d'un membre de ce forum je le prie de bien vouloir m'excuser
photo 71.jpg
photo 71.jpg (44.51 Kio) Consulté 4277 fois
Cette photo prise le 8 mai au "bois haut" donc dans le même secteur (les éparges) que celui où le JMO du 17 RAC faisait mention d'un canon raccourci utilisé le 25 mai, celui ci est pris en photo le 8 mai il semble quasiment y avoir unite de lieu et d'action
Par contre l'affut semble encore plus curieux, si il s'agit bien d'un canon raccourci utilisé réellement, mais je vois mal un medecin lieutenant inventer une telle "histoire", d'autant que ce "canon" est entouré d'obus de 75... Le fut me semble "ficelé" sur un "affut" plus que de fortune, j'aurai tendance à croire que le recul lors du tir desagregerait tout, mais avec une charge faible donc faible distance? Mais la photo étant prise exactement à l'époque du test du canon tronqué et de surplus dans la m^me aire géographique?
nul doute qu'elle interessera Guy Francois

Je n'ai pas de meilleure résolution pour l'image, si elle vient bien de ce musée, ce serait coherent car la résolution des scannersde "l'administration" de l'époque ne brillaient pas par des performances remarquables

Cordialement

Pierre
pierre
ALVF
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Re: Enigme particulièrement difficile!

Message par ALVF »

Bonsoir,

Merci, Pierre, pour ce magnifique document qui montre sans aucun doute un "75 tronqué" en service dans le secteur des Eparges.
Le lieutenant-colonel Gascouin évoque en effet deux canons tronqués.
Ce dernier matériel semble incroyablement simple pour ne pas dire simpliste. Si l'engin illustré au début de ce sujet est assez fruste, il bénéficie tout de même d'un affût avec frein grossier et les tourillons permettent un pointage vertical aisé. Ici, le matériel semble simplement agrafé sommairement à un tronc d'arbre, calé dans un simple trou et on ne distingue aucun système de frein.
Le pointage vertical doit être réalisé par déplacement de cales. Il apparaît que seule la masse totale de l'engin, alliée à l'emploi d'une faible charge propulsive, puisse empêcher l'ensemble de "sauter comme un cabri" lors du tir.
On comprend mieux les réticences des unités d'infanterie voisines à la vue de ce matériel primitif.

Il reste encore beaucoup à découvrir sur les improvisations de l'année 1915 destinées à pallier les carences initiales en engins à tir courbe au sein des armées alliées. Ainsi, les britanniques eux-mêmes ont été contraints de s'intéresser à notre "Crapouillot" de 15 cm modèle 1838 et le général Rawlinson en personne se déplace fin 1914 pour voir cette "merveille", utilisée déjà pendant la Guerre de Crimée, lors d'une démonstration organisée par le général Fayolle en Artois et reçoit plusieurs de ces crapouillots en attendant mieux! A la même époque, les alliés reçoivent des bombes de Minenwerfer de 24,5 cm qui emportent dix mètres de tranchée alors que celles-ci sont encore "bourrées" de troupes à cette époque de la guerre...
"Trop peu, trop tard", éternelle devise des armées alliées des pays démocratiques, en 1914, en 1939 et encore à des dates plus récentes...
Merci encore pour ce beau document!
Cordialement,
Guy François.
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