Entre les lignes...

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drachenhohle
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Re: Entre les lignes...

Message par drachenhohle »

Le RIR 111 dans la bataille défensive de l’Aisne ( Winterberg) avril/ mai 1917


Le 2ème bataillon avait déjà été embarqué le 13 avril à Breuilles. Il arriva à Rozoy le 14 au matin et il cantonna plus au nord à Dagny ( 5ème et 6ème compagnies) ainsi qu’à Lagneru (7ème et 8ème compagnies). Du front on entendait les bruits de la bataille d’artillerie. Le 16 débuta l’offensive française contre les positions entre Vailly-sur-Aisne et Brimont, au nord-ouest de Reims. Les réserves devaient alors s’approcher du front. Ainsi le 2ème bataillon marcha, dans la nuit du 16 au 17, en direction sud jusqu’à Coloru (5ème, 6ème et 8ème) et Berlise ( 7ème). Le 18 on poursuivit la marche jusqu’à Lappion, et de là le bataillon atteignit Ramecourt dans la soirée, à 9 kilomètres au nord de la ligne de front de Craonne.
Les autres éléments du régiment furent embarqués seulement le 17 à Brieulles et à Romagne. Leur destination était Wassigny, à environ 20 kilomètres au sud de Rozoy. Le 3ème bataillon cantonna le soir à 12 kilomètres plus à l’ouest, à Seraincourt. Il marcha le 18, sous un mélange de pluie et de neige, en passant par Dizy-le-Gros jusqu’à la ferme Saint-Acquaire, située à 4 kilomètres plus à l’ouest. Le 1er bataillon qui était arrivé vers minuit à Wassigny, parvenait à la ferme tard dans la soirée. Il avait dû effectuer une marche assez considérable sous la pluie. Commencée encore dans l’obscurité après le transport ferroviaire, elle ne fut interrompue que par une halte à Seraincourt. Les deux bataillons poursuivaient leur marche le 19 en passant par Sissonne et Ramecourt, jusque Saint-Erme. En deux jours, le régiment avait donc parcouru à pied, depuis sa gare de débarquement à Wassigny, une distance de 75 kilomètres. C’était une fatigue assez considérable pour une troupe qui, après une longue guerre de tranchées, n’était plus habituée à effectuer de longues marches avec tout le bagage individuel de campagne;
Maintenant le régiment était réuni pour être engagé. Dans la nuit du 20 au 21, il occupa la position jusqu’alors tenue par le 4ème de réserve bavarois, au plateau de Californie ( Winterberg). La relève durait toute la nuit à cause d’un mouvement difficile dans un terrain montagneux et boisé qu’il fallait traverser, face au tir ennemi, en colonnes à un. Le 2ème bataillon ( capitaine Räuber) occupa le secteur ouest dont la ligne de combat passait par la lisière nord de Craonne, à hauteur du Chemin des Dames. Craonne était tombé aux mains de l’ennemi pendant les combats des jours précédents. Les 7ème et 8ème compagnies ( sous-lieutenants Fritzsche et Nerpri) occupaient donc l’ancienne deuxième ligne allemande déjà fortement démolie.
La distance jusqu’à l’ennemi était de 30 à 40 mètres. Il était inquiétant pour nous que la ligne tenue par notre voisin de droite, le régiment Franz, avait été repoussée jusqu’au plateau du Winterberg qui s’éleva jusqu’à 500 mètres de hauteur de commandement, avec une largeur de 60 à 70 mètres.
Une liaison pouvait y être assurée seulement par des patrouilles, et l’ennemi était à même , en faisant avancer des sapes, de surélever le flanc droit du RIR 111. Dans le secteur de notre premier bataillon, la Wanka-Linie” ( ligne Wanka) située sur le Winterberg et composée seulement de trous d’obus avec quelques sapes tout juste commencées, fut occupée en tant que deuxième ligne par la 5ème compagnie ( sous-lieutenant Meichelt). Plus en arrière, sur les nord nord su Winterberg, se trouve la 6ème compagnie ( sous-lieutenant Besser) occupant la “Winterberg-Linie” qui n’offrait guère un aspect plus engageant. Les hommes de ces deux compagnies, qui ne trouvaient pas place dans la position, étaient réunis comme réserve dans le Winterberg-Tunnel. C’était une galerie souterraine de 260 mètres de long qui, encore inachevée, disposait sur son extrémité sud seulement de deux sorties de secours. L’air fut amené par quelques cheminées verticales dotées de pompes. L’Etat-Major du 2ème bataillon se trouvait dans un abri proche de la première ligne.
Le secteur est devait être défendu par le premier bataillon ( capitaine Bachelin). La première compagnie ( sous-lieutenant Koch) assurant dans la “Bastion”, sur le versant sud-est du Winterberg, la liaison avec la deuxième compagnie. A sa gauche, la 3ème compagnie ( sous-lieutenant Weissensee) constituait l’aile gauche du régiment qui s’étendait ici jusqu’à l’intersection de la tranchée avec la route Craonne- Chevreux où l’on maintenait un contact assez lâche avec le RIR 109.
Dans la nuit du 26 au 27 avril ce secteur fut prolongé de 250 mètres vers la gauche et la 3ème compagnie avait maintenant à défendre l’ouvrage Wagner. Celui-ci était composé de deux tranchées proches l’une de l’autre, mais fortement démolies et qui offraient peu de protection. La majeure partie des occupants avait donc été abritée en arrière, au bout du tunnel Heeringen ( nom d’un commandant d’armée). De la 4ème compagnie ( sous-lieutenant Beyle) une moitié devait occuper et améliorer la deuxième ligne ( “Wald-Linie” en prolongation de la Wanka-Linie) tandis que l’autre moitié était tenue en réserve près du PC du bataillon au Pionierweg ( chemin des pionniers). La deuxième compagnie( sous-lieutenant Schaber) fonctionna surtout comme relais en assurant le service d’estafettes du régiment jusqu’au poste de réception des messages, à la ferme du Bâtis, sur la grande route Corbeny-Laon.
Le restant de la compagnie était gardé comme réserve au Pionierweg.
Le 3ème bataillon ( capitaine Liehl) n’avait pu atteindre, dans la nuit du 20 au 24 avril, que la position de protection d’artillerie située à l’ouest de Corbeny. Il y passait des heures jusqu’à l’aube du 21 dans quelques abris, mais la plupart des hommes étaient couchés dans les tranchées ouvertes et humides. De là, deux sections de la 10ème compagnie ( sous-lieutenant Ada) furent avancées jusqu’à la limite droite du secteur du régiment, dans la Winterberg-Linie, ainsi que dans le “Münchner Graben” ( tranchée de Munich) conduisant à la Wanka-Linie. Les sections devaient constituer ici jusqu’au 24 avril, ensemble avec une compagnie du régiment Franz, un commando assurant la liaison entre régiments dans le but de verrouiller une éventuelle percée ennemie vers la droite et la gauche. La 3ème section se trouva comme réserve dans le Winterberg-Tunnel. La 11ème compagnie ( sous-lieutenant Diesner) se rendit au Pionierweg septentrional où elle devait assurer la protection du flanc est. La 12ème compagnie ( sous-lieutenant Schweizer) constituait la réserve du régiment dans le Winterberg-Tunnel où se trouvaient également les états-majors du régiments et du 3ème bataillon. La 9ème compagnie ( sous-lieutenant Stoffler) était restée dans la position de protection d’artillerie où elle fut placée sous les ordres du commandant d’artillerie. Les mitrailleuses du régiment renforcées par des MG 08/15 qu’on avait prises en charge en occupant la ligne, furent distribuées sur celle-ci pour y constituer les appuis principaux de défense. Mais elles manquaient, en particulier au Winterberg, d’assez d’abris.
Dans cette répartition le RIR 111 attendait, sur une largeur de front de 1 500 mètres, la nouvelle attaque française pour laquelle il y avait de nombreux indices, comme une activité aérienne accrue, les nombreux ballons captifs, le réglage du tir de nouvelles batteries, etc... Avec le major Schüler, le régiment reçut ces jours un nouveau commandant en remplacement du major Lentz tombé malade. La principale tâche était de remédier aux insuffisances principales de la défense. On travailla donc avec acharnement au fonçage d’abris permettant un meilleur échelonnement en profondeur et mettant fin à la trop forte concentration des troupes dans les quelques grandes galeries. Il fallait aussi penser à une meilleure liaison avec la ligne de combat, avec laquelle on ne pouvait pas communiquer le jour sans se faire tirer dessus. Des boyaux furent donc creusés, on plaça des télégraphes terrestres, et des pigeons voyageurs furent attribués aux États -Majors.
Dans le Winterberg-Tunnel se trouvait une petite station de télégraphie sans fil et sur la hauteur une station de signaux lumineux. Les travaux qui n’ont pu être effectués que la nuit, furent perturbés par de nombreux tirs brusques de l’ennemi.
Ceux-ci eurent aussi une influence assez néfaste sur le déroulement des transports de matériel. Les munitions et le ravitaillement furent transportés par voitures de Saint-Erme jusqu’à Sainte-Croix et de là amenés par des groupes de porteurs. Les repas furent acheminés dans des containers spéciaux.
Les derniers jours d’avril passaient dans une activité assez vive des deux adversaires. Une patrouille de la 7ème compagnie sous la conduite du sous-officier Menzer a pu parvenir derrière un poste français, en suivant une galerie souterraine qui déboucha dans une cave de Craonne. Il y eut alors un bref combat. Le Français fut touché par une balle et ramené dans nos lignes. On a ainsi pu vérifier l’engagement d’une nouvelle division ennemie en face de nous. Le 27 avril une patrouille française tentait, en utilisant la même galerie, de pénétrer à son tour dans la tranchée de la 7ème compagnie. Le souterrain a donc pu être détruit à l’explosif. Mais les Français continuaient à creuser des sapes en direction de l’aile gauche du régiment Franz. Ce travail fut effectué dans un angle mort de sorte qu’il était difficile de l’empêcher par des obus ou des mines. L’ennemi se créa ainsi une excellente position de départ pour son attaque qui menaçait de plus en plus l’aile droite de notre 2ème bataillon. Celui-ci fut donc renforcé par des mitrailleuses légères et lourdes. En outre le régiment constitua, pour la protection de ce flanc exposé, le 24 avril un commando spécial d’hommes des 10ème et 11ème compagnies, sous les ordres du sous-lieutenant Diesner. Dans ce but la 11ème compagnie fut avancée jusque dans le Winterberg Tunnel, et sur la hauteur on mettait des mitrailleuses supplémentaires.
Début mai le tir de l’artillerie ennemie devenait de plus en plus fort. En particulier la hauteur du Winterberg et son versant nord furent arrosés de calibres lourds. Tout ce qui s’y trouvait comme abris fut bientôt enfoncé. En effet, le sol sableux n’offrait que peu de résistance, et certains groupes ainsi que des équipes de mitrailleurs y furent ensevelis avec leurs armes. Les 5ème et 6ème compagnies ont ainsi subi de lourdes pertes dans la Wanka-Linie et la Winterberg-Linie, et le chef de la 5ème compagnie, le sous-lieutenant Meichelt fut tué. Il fallait donc remplacer le 3 mai les deux compagnies par la 12ème. Celle-ci s’efforça, ensemble avec des fractions des 10ème et 11ème compagnies, en peinant beaucoup, de transformer les entonnoirs d’obus en ligne de défense et d’y créer des abris. Les 5ème et 6èmes compagnies furent placées comme réserve du régiment dans des galeries du Pionierweg.
L’entrée nord du Winterberg fut systématiquement visé par l’ennemi avec l’aide de son aviation et de ballons captifs.

Au cours de ces bombardements l’Etat Major du régiment perdit deux de ses meilleurs hommes qui avaient appartenu au 111ème depuis le début de la guerre. Le 3 mai tombaient à l’entrée le sous-lieutenant Zwiffelhoffer, chef des grands bagages, et nommé responsable du service des transmissions, ainsi que l’aspirant Knöpfle qui avait accompagné le commandant et son aide de camp pendant de nombreuses missions dangereuses. Très sérieux était le fait que les cheminées d’aération s’effondraient. Ainsi le séjour dans le tunnel devenaient de plus en plus difficile à supporter car la qualité de l’air s’y détériora rapidement et la chaleur devint insupportable. Les deux groupes électriques en service n’ont pas pu offrir une amélioration substantielle.
Comme il n’était plus possible de séjourner plus longtemps dans la partie arrière du tunnel, il fallait regrouper les occupants dans la partie avant, la plus proche de la sortie. Les hommes y gisaient au sol ou sur les lits dans une poussière très dense et à moitié morts de faim, le plus souvent sans vareuse ni chemise - malgré l’alarme permanente.
Le 3 mai le 2e bataillon remarqua des rassemblements dans la position ennemie qui purent être dispersés par des tirs destructifs et de barrage. Des tentatives d’approche des Français furent repoussées sans exception. Après une nuit relativement calme débuta, le 4 mai à 10 heures du matin, un tir très violent dirigé par des avions, en particulier contre le Winterberg et son tunnel. La montagne tremblait sous les détonations, et les États-majors et les compagnies très affectés par le manque d’air et par la poussière, pensaient à chaque instant que le tunnel allait céder. Mais la couverture de terrain épaisse de 20 mètres environ résistait au bombardement. Néanmoins, un destin cruel avait choisi le Winterberg pour devenir la tombe de nombreux hommes du 111e.
En effet, à 11 heures 45, l’entrée principale nord fut touchée et comprimée par un obus de très gros calibre. Par malheur on y avait stocké des cartouches et des fusées éclairantes qui ne tardaient de brûler. La fumée mélangée de gaz toxiques se propagea vers l’intérieur et menaça les occupants ( essentiellement des 10e et 11e compagnies) d’étouffement. Plusieurs hommes perdaient déjà conscience. Une tentative pour dégager l’entrée échoua. Le major Schüler reconnut le danger. Il se rendit immédiatement vers le centre du tunnel plongé dans l’obscurité car il était tellement rempli de fumée qu’aucune lumière ne put y pénétrer. Il ordonna aux occupants de quitter sur le champ le tunnel par les sorties de secours et de se rassembler au PC de combat du 1er bataillon. Cet ordre devait être transmis de bouche à oreille dans le souterrain.

Le commandant du régiment, celui du 3e bataillon et leurs états-majors ont pu franchir le verrou de feu. Mais à l’extérieur ils ont attendu en vain leurs compagnies. Seulement trente hommes de celles-ci ont encore pu sortir. Où étaient les autres? Apparemment l’ordre d’évacuation n’avait pas été transmis dans la bousculade et le chaos qui régnaient dans le tunnel. Les hommes se serraient devant les étroites sorties de secours. Un jeune officier de minenwerfer croyait alors pouvoir neutraliser le danger en protégeant les occupants contre la fumée toxique dans la partie AR du tunnel, par une obstruction faite de sacs de sable. Tout le monde se rouait alors vers cette direction. Mais c’était leur perte. Il n’y eut plus aucune arrivée d’air frais, et un sauvetage devenait alors quasi impossible. Des commandos de pionniers ont bien tenté de pénétrer dans le tunnel, mais une progression en profondeur n’y était plus possible. Ils ont donc pu sauver seulement quelques hommes. Ils rapportèrent surtout des récits d’énormes souffrances et de la mort horrible des occupants. Bien des hommes se sont même suicidés pour mettre fin à leur calvaire. Ce qui s’est réellement passé dans les profondeurs du tunnel dans l’après-midi du 4 mai restera toujours inconnu.
Pour le régiment cette perte d’effectifs devait se révéler lourde de conséquences pendant les heures critiques. L’objectif principal était maintenant de trouver un nouvel appui pour le flanc dr menacé. La brigade fut sollicitée pour envoyer des renforts. Dans l’immédiat, les restes des 5e et 6e compagnies devaient constituer un détachement pour la défense de la soudure. Elles devaient gagner les Wanka-Linie et Winterberg-Linie où devaient se trouver encore des fractions des 10e et 12e compagnies. Mais le bombardement s’intensifia tellement dans la soirée que seulement quatre groupes de la 5e compagnie avec trois mitrailleuses ont pu atteindre la hauteur pour s’y placer sous les ordres du sous-lieutenant Schweizer ( 12e compagnie). De l’arrière n’arrivaient plus d’autres renforts.
De la ligne du front on ne disposa plus d’aucune nouvelle car toutes les liaisons étaient interrompues malgré le travail ininterrompu des détachements de dépannage. L’observation confirmait que la position tout comme l’arrière-pays étaient soumis à un violent tir d’artillerie. Parfois celui-ci diminuait et les mitrailleuses arrosaient nos tranchées. Les occupants des tranchées croyaient plusieurs fois que l’attaque allait se déclencher et des fractions quittaient déjà leurs abris - pour se trouver seulement sous une nouvelle pluie d’obus. Ainsi passaient des heures et des heures dans l’inquiétude. L’infiltration française n’osa attaquer qu’à 20 heures 30, après un nouveau feu roulant dévastateur. Elle disposait, face à la limite entre RIR 111 et le régiment Franz, d’une position de départ trop favorable pour risquer un échec de son assaut. Ils prenaient ainsi de flanc et à revers les 7e, 8e et 1ère compagnies dont les hommes se trouvaient serrés dans les rares abris ( en partie gazés) dont les entrée étaient plus ou moins démolies. Ces hommes n’ont guère eu le temps pour se défendre. Lorsqu’ils quittaient précipitamment les abris sur l’appel de sentinelles afin d’occuper les entonnoirs les plus proches, ils devaient constater qu’en attendant, les Français étaient déjà arrivés par la gauche ? en longeant la tranchée, et aussi par derrière en descendant le versant de la montagne.
Les compagnies aguerries par bien des batailles et conduites par des chefs expérimentés, se sont défendues dans la mesure de leurs possibilités et elles ont même tenté de contre-attaquer. Par exemple la 1ère compagnie est ainsi sortie du “Greiner-Stollen” ( tunnel G.), et elle a réussi d’y mettre en place une mitrailleuse. Attaquée de trois côtés à la fois elle n’a pas pu se maintenir face au surnombre. Ceux qui n’étaient pas tombés, furent faits prisonniers. Au début le PC du bataillon n’avait pas été découvert par les Français. L’Etat-Major du 2e bataillon se croyait déjà sauvé en attendant un dégagement prochain par une contre- attaque allemande. Mais le 5 mai entre 2 et 3 heures du matin, des groupes de fantassins français faisaient leur apparition à l’entrée de la galerie et y jetaient des grenades à main. Ainsi le capitaine Räuber et ses hommes furent capturés.
Le sous-officier Menzer - un chef de patrouille renommé de la 7e compagnie - a relaté les combats du Winterberg :” Le 2 mai violent tir de l’artillerie française. Notre première ligne est totalement démolie. Néanmoins nous avons pu repousser le 3 mai des attaques de l’infiltration ennemie en lui infligeant de lourdes pertes. Mais le tir de l’artillerie s’est poursuivi. Notre galerie est tout le temps endommagée et chaque fois dégagée à nouveau et consolidée par des poutres trouvées à proximité. Le 4 mai à 11 heures du matin, l’ennemi effectue une attaque simulée. Des avions volant très bas, on distingue les équipages. Puis l’arrosage par des obus reprend. La moitié des hommes encore vivants sont ensevelis; on les dégage à nouveau. Un homme ingénieux découvre un câble de force électrique d’autrefois; il y branche le bout d’un câble téléphonique et le connecte à des piles de lampe torche. Soudain contact avec le bataillon dont le PC se trouve plus en avant dans une cave. Là on avait fait la même tentative. Mais bientôt la liaison est à nouveau interrompue, car les piles s’épuisent.”
Vers le soir, Menzer et ses hommes se sont une nouvelle fois dégagés d’un ensevelissement lorsqu’une sentinelle cria d’un trou d’obus: ”Les Français arrivent du haut à gauche.” - Tout le monde quitte immédiatement les entonnoirs et demande, par des fusées, le tir d’un barrage. Mais soudainement des Français apparaissent en masses compactes aussi à l’arrière gauche; ils y sont déjà à faible distance.
Le sous-officier Heck était sur le point de sortir une mitrailleuse d’un trou d’obus lorsqu’un officier et quatre hommes se précipitent sur lui et lui placent un revolver et des baïonnettes sur la poitrine. Le chef de la 7e compagnie ( sous-lieutenant Fritzsche) était occupé de transmettre, dans son trou d’obus, par des jets de grenades à main en direction du sous-officier Menzer et de ses hommes lorsqu’un autre groupe de Français apparut à l’arrière sur le versant. En même temps deux Français avaient placé une mitrailleuse à faible distance sur la droite dans un trou d’obus. Toute résistance des six Allemands devenait inutile. Une dernière tentative de se sauver les conduit près de la mitrailleuse non encore fonctionnelle, puis ils courent en direction du front de la garde. Mais la position de celle-ci était trop en arrière, et la crête en prolongation de notre 2e bataillon était déjà occupée par les Français. Grimper sur le plateau sous les yeux de ceux-ci était impossible pour les six Allemands. Donc demi-tour. Ils furent alors mitraillés par un avion volant à 50 mètres d’altitude. Par contre, la mitrailleuse française avait disparu. On tenta donc de passer à gauche. Mais soudainement les hommes furent encerclés par de nombreux détachements français et durent se rendre.
Depuis la position de la 3e compagnie qui, depuis 19 heures, avait occupé ses tranchées dans l’attente d’une attaque, on put observer la perte progressive de notre position sur la pente sud du Winterberg. Ses mitrailleuses tirèrent avec succès de la route Craonne-Chevreux?? sur les détachements d’assaut français. L’aile droite avança du Weikert-Graben jusque dans le secteur tenu par la 1ère compagnie, et l’on verrouilla celle-ci par une barricade. La 3e compagnie a ainsi pu arrêter l’avance ennemie et elle était disposée de soutenir la contre-attaque attendue et qui devait venir du nord.
Les Français qui passèrent par le Winterberg, se trouvèrent bientôt confrontés à une résistance sérieuse de la part des groupes des 5e et 12e compagnies, soutenus par leurs mitrailleuses. Les premières attaques contre cette ligne furent vaines. Mais face au surnombre ennemi qui avançait contre cette ligne, cette résistance ne pouvait être que passagère et vaine à partir de l’instant où les mitrailleuses étaient ensevelies ou avaient perdu leurs servants. Des groupes de plus en plus faibles tentaient à se replier sur la Winterberg-Linie. Soutenus par la section de la 10e compagnie qui défendit le Münschener Graben, ils y arrêtèrent finalement l’attaque française. Dans la nuit arrivaient encore des fractions de la 6e compagnie en provenance du Pionierweg et qui renforçaient ainsi le nombre des défenseurs du Winterberg. Grâce au comportement de ces hommes, les Winterberg n’est pas tombé entièrement entre les mains de l’ennemi le 4 mai. On avait donc gagné du temps pour faire venir des réserves.
Vers 2 heures du matin le 5 mai, la 9e compagnie arrivait en provenance de la position de protection de l’artillerie. Elle avait pu traverser le terrain soumis à un fort tir de harcèlement, mais en y essuyant des pertes. On a ainsi également rétabli, par des patrouilles, la liaison avec le régiment Franz.
Pour le commandant du régiment et celui du 1er bataillon au Pionierweg, il s’avérait très difficile d’obtenir, le soir du 4, des éclaircissements sur la situation au front et sur la portée de l’attaque ennemie. Tout d’abord c’était l’aspirant Schmid de la 4e compagnie qui, placé sur la Waldlinie, remarqua vers 21 heures que les Français avançaient, avec le soutien de leurs mitrailleuses sur le versant est du Winterberg à hauteur du cimetière de Craonne en direction du Pionierweg. Ils les prenaient immédiatement sous le feu de leurs fusils et mitrailleuses et les forçaient ainsi de se replier derrière la crête, tout en mettant hors service une mitrailleuse. La 4e compagnie et le restant de la 2e ( sous-lieutenant Beyle) occupèrent maintenant la Wald-Linie, et la section Göbel de la 4e barra le Pionierweg. Cela permit de rétablir le contact avec la 6e compagnie, au Winterberg. Plusieurs patrouilles dont celle du sous-lieutenant Heimburger ( 2e compagnie) ont pu reconnaître pendant la nuit que l’ennemi fortifiait sa position dans le secteur du cimetière.
Le destin de l’aile droite de la 3e compagnie, restait longtemps incertain. On savait seulement que l’ouvrage Wagner et la Wald-Linie étaient toujours tenus par le 1er bataillon. L’intention de reprendre le terrain perdu par une contre-attaque avant que l’ennemi n’ait pu s’y fortifier, était toujours présente dans les esprits. Pour cela il fallait amener au plus vite des effectifs frais car les propres réserves étaient engagées ou perdues dans le Winterberg-Tunnel. Ce fut finalement à l’aube du 5 mai seulement que le 1er bataillon du RIR 110 arriva. Le rassemblement de deux compagnies, de ce bataillon avec des fractions de nos 2e et 3e bataillons sur la Winterberg-Linie ne pouvait pas être caché à l’ennemi. Ainsi le moment de surprise était raté, et seulement un soutien d’artillerie pouvait encore faire espérer un succès.
Le début de l’attaque conduite par le capitaine Liehl, fut fixé pour 7 heures 30 du matin. Mais le temps ne suffisait plus pour distribuer les ordres et pour informer l’artillerie qui ne tirait plus guère sur le Winterberg car elle savait qu’il y avait encore des Allemands. On a aussi tenté, sans succès, d’établir une liaison avec le régiment Franz dans le but d’effectuer en commun cette attaque. L’ennemi profita de ce laps de temps pour nous devancer. Dès le petit matin, il bombardait le Winterberg et le terrain environnant avec des calibres lourds et des mines, à un tel point que tout départ de stosstrupps fut déjoué.

Malgré leurs lourdes pertes, des fractions des 5e, 6e, 9e, 10e, 11e et 12e compagnies ont pu encore contenir un certain temps, au fusil et à la grenade à main, l’avance des troupes d’assaut françaises contre le Winterberg, obligées de se battre pour la possession de chaque trou d’obus. Mais finalement leur flanc droit fut contourné et l’ennemi commençait à envahir la position. Il trouva la plupart des défenseurs du Winterberg morts ou blessés dans leurs entonnoirs.
De la 4e compagnie, revenait d’abord seulement le sous-lieutenant Stoffler avec quatre hommes. Le sous-lieutenant Besser ( 6e compagnie) était mort, le sous-lieutenant Ada ( 12e compagnie) enseveli, le sous-lieutenant Schweitzer qui commandant les 5e et 12e compagnies réunies, était grièvement blessé. Toutes les mitrailleuses et minenwerfer avec leurs servants étaient hors service. La liaison avec l’arrière était interrompue par un verrou de feu de l’artillerie très dense et les défenseurs n’ont donc pas pu empêcher l’ennemi d’occuper le plateau en entier. Mais les Français ont payé très cher leur conquête et leur élan s’est brisé. Toutes les tentatives d’aller plus loin furent contenues face au feu d’une ligne de tirailleurs que le sous-lieutenant Schwarz ( aide de camp du 3e bataillon) avait formée avec les restes de son bataillon et de la 3e compagnie du RIR 110, au niveau du Pionierweg à hauteur du PC du 1er bataillon. On y érigea des barricades et les dota de mitrailleuses, et lorsque les Français essuyèrent un tir de flanc dévastateur, ils se retirèrent sur la Winterberg-Linie.
En partant du cimetière de Craonne, l’ennemi avait également tenté de gagner du terrain. Mais l’attaque fut immédiatement enrayée sous le feu des 2e et 4e compagnies placées sur la Wald-Linie. Mais lorsque le Winterberg fut perdu, cette ligne était tellement soumise à des tirs de mitrailleuses de flanc et presque du dos qu’il fallait infléchir l’aile droite du front vers le nord. Sur le Winterberg explosaient bientôt des obus allemands, et le secteur du cimetière était tenu sous un feu de mitrailleuses de la 3e compagnie. Ainsi l’ennemi fut contenu. La 3e compagnie était toujours maître de sa position, mais elle était très inquiète à cause du bombardement permanent et des menaces pesant sur son flanc droit. En attendant les occupants avaient d’abord été renforcés par une section de la 11e compagnie du RIR 109, plus tard par la 2e du 110e.
Toutes les tentatives des Français pour prendre la barricade à laile droite échouèrent. Mais il ne fut plus possible de rétablir le contact vers le nord avec la Wald-Linie, à travers le Weikert-Graben. La brèche qui s’était ouverte ici ne fut surveillée que par des mitrailleuses. Ainsi l’aile droite de la 3e compagnie pendait en l’air, et sa position paraissait perdue au moment où l’ennemi allait progresser davantage du Winterberg vers l’est et le nord.
On faisait donc venir les 2e et 3e bataillons du 110e qui devaient appuyer les occupants du Pionierweg et de la Wald-Linie afin de s’opposer énergiquement à toute percée ennemie. Au soir le commandant du 110e prenait le commandement sur le secteur dans son nouveau PC situé dans la position de protection d’artillerie. On y rassembla alors les restes du 3e bataillon, qui partaient le lendemain vers le camp “Neu-Würzburg” près de Sissonne. Les restes du 2e bataillon furent ramenés jusqu’à Ramecourt, puis envoyés au même camp.
Le 6 mai des fractions des IR 19 et 154 attaquaient le Winterberg et reprenaient sa partie nord. Cette opération fut appuyée par des fusils et les mitrailleuses de la 3e compagnie qui constituaient un gêne surtout pour l’acheminement des réserves ennemies. Les 2e et 4e compagnies placées en réserve, étaient toujours soumises, dans la Wald-Linie, à un vif tir d’artillerie et de mitrailleuses. Ces trois compagnies du 111e furent relevées sans incident dans la nuit du 6 au 7 par des unités du 110e, et elles se rendaient au camp forestier de Saint-Erme.
Les pertes pendant l’engagement au Winterberg étaient lourdes : 4 officiers et 91 sous-officiers et hommes de troupe tués, 4 officiers et 288 sous-officiers et hommes de troupe blessés, 10 officiers et 585 sous-officiers et hommes de troupe portée disparus.

Récits de combattants
Le Winterberg - Tunnel
( par le major Schüler, commandant le RIR 111)

Les 20 et 21 avril 1917, le régiment avait été engagé, en tant qu’élément de la 28e DR au Winterberg. Peu auparavant les Français avaient fait reculer les positions allemandes en particulier au sud est du Winterberg. Notre première ligne passait maintenant par la lisière nord de Craonne où deux compagnies et l’EM du 2e bataillon, abrités dans des abris ( pour la plupart des caves et quelques galeries) se trouvaient maintenant très près de l’ennemi. Derrière nous s’élevait le Winterberg large de 500 mètres où des galeries rares, mais assez grandes avec un échelonnement similaire. Le PC du commandant de bataillon se trouvait plus en arrière au Pionierweg. Du 3e bataillon ( réserve) une compagnie se trouva dans la galerie du PC du 1er bataillon et deux autres dans le grand Winterberg-Tunnel en tant que réserve du régiment. A notre droite il y avait le régiment Franz, à gauche le RIR 109.
Le Winterberg-Tunnel hébergeait, dans sa partie la plus septentrionale, les Etats major du régiments et du 3e bataillon, ceci dans trois petites galeries latérales.
On avait foré le tunnel, comme c’était l’usage à l’époque, directement en direction de la position ennemie; il était donc orienté perpendiculairement à la ligne de front car il devait, en même temps, assurer la liaison avec la première ligne, tout en offrant aux réserves un séjour en toute sécurité. A notre arrivée, le tunnel était encore inachevé; il avait atteint une longueur de 260 mètres et conduisait jusque sous le milieu du dos montagneux. A part les sorties nord il disposait de deux sorties de secours vers les côtés ainsi que de quelques cheminées d’aération vers le haut. Il était évident qu’en cas de bombardement violent et d’une attaque ennemie, ce tunnel était susceptible de se transformer en piège à souris de la pire espèce. Mais il n’y avait pas d’autres abris sûrs dans la région. Une division d’ersatz bavarois avait occupé la position auparavant. Ces braves gens n’aimaient pas creuser. Même pendant les périodes calmes ils n’avaient pas fait grand chose pour améliorer la position. Simultanément avec l’arrivée du RIR 111, le tir de l’artillerie ennemie redevenait vif, jour et nuit, ce qui gêna assez considérablement la construction d’abris, de tranchées et d’obstacles.Le régiment avait signalé régulièrement à la brigade et à la division l’imminence d’une attaque ennemie. Aussi longtemps que le tunnel était encore intact, on pouvait compter sur la réserve qu’il abritait, pour refouler l’ennemi dans le cas où celui-ci rejetterait le 2e bataillon derrière le plateau.
Avec l’intensification du bombardement ennemi les cheminées d’aération furent détruites. La situation dans le tunnel devenait alors quasi insupportable. Les mesures prises pour l’améliorer n’avaient guère de succès. Chaque obus qui explosait au-dessus du tunnel, pour la plupart des calibres lourds à retardement, était accompagné d’un courant d’air qui éteignait d’un seul coup toutes les lampes à acétylène qui, par manque d’oxygène, ne brûlaient qu’à petite flamme. Toute la montagne tremblait; une pluie de sable descendait du plafond, et malgré une couverture de terrain épaisse de 20 mètres, on croyait à chaque instant que le tunnel allait s’effondrer. Le séjour y était si effrayant que les hommes préféraient être exposés au feu ennemi à l’air libre que de rester plus longtemps dans cet enfer.
Le 4 mai au matin, le feu roulant s’intensifia encore sensiblement. Sur la vallée au nord du Winterberg se concentrait un tir de barrage très violent. Les nerfs étaient tendus au maximum, en attendant ce qui allait se produire. A 11 heures 45 un obus lourd toucha l’entrée principale du tunnel. Il incendia les dépôts de cartouches et de fusées que l’on y avait stockées et une fumée très dense envahit l’intérieur. En empruntant la galerie reliant son PC au tunnel, le commandant du régiment se rendit vers le centre du souterrain afin de décider des mesures à prendre.
Il n’y eut qu’un ordre possible : “ Tout le monde doit sortir par le PC du régiment. Rassemblement au PC du 1er bataillon au Pionierweg!” La zone entre les deux PC était, certes, soumise au tir de barrage, mais il fallait passer à travers. Ainsi, on pouvait encore rassembler une force substantielle pour une contre-attaque.
Dans cette attente les officiers et hommes de troupe des deux états majors quittèrent le tunnel. En traversant le barrage, on voyait à l’arrière un grand nuage de fumée s’élever du tunnel, mais aucun occupant ne suivait.
Un jeune officier de minenwerfer croyait avoir trouvé une autre solution en érigeant un barrage de sacs de sable dans le fond du tunnel. L’ordre du régiment ne semble pas l’avoir touché. Sur son incitation, les pauvres hommes restaient dans leur terrible prison, coupés ainsi de toute arrivée d’air. Au dernier instant quelques-uns ont encore pu regagner la surface, après avoir reconnu la dimension réelle du danger. Mais dans quel état sont-ils arrivés!Les communications téléphoniques avec le front étaient coupées depuis longtemps déjà. Celles avec l’arrière allaient être interrompues immédiatement après avoir pu passer le message de détresse associé à une demande d’aide à l’adresse de la brigade. Mais à l’arrière on ne semble pas avoir saisi la portée du désastre. Des heures précieuses, et même toute la nuit, se passaient sans qu’aucune aide n’arrive. En attendant le tir continuait sur le Winterberg. A 21 heures 30, l’ennemi attaqua. Les deux compagnies du 2e bataillon à Craonne ainsi que la compagnie à l’aile droite du 1er bataillon furent contournées par l’ouest et capturées. L’obscurité arriva. Seule l’entrée du tunnel dégageait encore une lumière rouge. Quelques groupes retardaient encore quelques temps l’ennemi dans sa progression avant d’être noyés dans la masse des attaquants. Une contre-attaque immédiate aurait été la seule solution, mais où prendre les forces nécessaires? Le 1er bataillon avait barré sa position envers la montagne et il empêcha ainsi l’ennemi d’aller plus loin vers l’est. Les attaques venant du sud furent également repoussées. Dans le courant de la nuit les Français attaquèrent les abords nord du plateau où quelques hommes et la compagnie détachée pour couvrir l’artillerie et amenée plus tard, ont empêché l’ennemi d’aller plus loin, mais au prix de lourdes pertes. Au matin on voyait de la position de protection de l’artillerie où l’état major du régiment s’était replié sur ordre de la brigade, les Français remuer et creuser des retranchements. Parmi eux explosaient maintenant les obus allemands. Le meilleur moment pour une contre-attaque avait déjà passé. Un bataillon du RIR 110 qui arrivait à l’aube, plus tard suivi par les autres unités du régiment, ne pouvait qu’occuper une position défensive dans le “Stangenwald” (bois des troncs) fortement démoli.
La reconquête du Winterberg fut entreprise plus tard par des troupes fraîches, une division de Silésie. Beaucoup de sang allait encore couler avant que le dos montagneux soit à nouveau entre nos mains.

Mes souvenirs des combats au Winterberg
( par le sous-lieutenant Geiger; 5e compagnie)

La population de Saint-Erme avait été évacuée peu avant notre arrivée. Les maisons étaient pour la plupart encore en bon état, peu seulement étaient endommagées par des obus. Après avoir dormi, nous avons fouillé, maison par maison, et notre joie fut grande lorsque nous découvrions dans les caves encre des pommes de terre et du cidre. Notre faim était énorme. Après un repos de seulement deux jours arriva l’ordre : ce soir la compagnie se rassemblera à la sortie ouest de Saint-Erme pour le départ. On entendit un feu roulant au sud, et avec la tombée du jour nous partions. On aperçut de loin les contours du Winterberg où se produisit un feu d’artifice impressionnant de fusées rouges, jaunes et vertes qui éclatèrent en d’innombrables étoiles, le tout étant encadré par les éclairs des tirs d’artillerie et par le bruit des canons et explosions.
Vers minuit nous arrivâmes dans la position pour y relever un régiment bavarois. Le secteur que la 5e compagnie devait occuper, se trouvait sur le plateau faiblement incliné vers l’ennemi, du Winterberg. Nous formions l’aile droite du régiment et de la division et nous étions à droite en liaison avec la garde. Des trois sections de la compagnie, une seule était en ligne pendant la journée, répartie en quatre petits détachements de deux à quatre hommes chacun. Les deux autres sections se trouvaient en réserve dans les abris et les galeries creusés directement derrière la crête du Winterberg. Le grand nombre de fûts de bière que les Bavarois avaient abandonnés près de la cuisine, nous prouva que la Bavière soignait bien ses soldats. En outre tout le secteur portait des noms typiquement bavarois : il y avait un Münchener-Graben, un Bayern-Graben, etc...
En réalité notre position était à peine reconnaissable : c’était un champ de trous d’obus. Pendant la première offensive du 10 au 20 avril, les Français avaient enfoncé toute la position. Et maintenant le même phénomène était sur le point de se reproduire! Il était évident pour moi que l’ennemi n’allait pas se contenter de son échec. Notre objectif était d’abord de mettre le temps à profit pour améliorer la position autant que possible. Ainsi entre le début de la nuit et le petit matin, toute la compagnie travaillait à la remise en état des tranchées et des abris.


Tous les jours l’ennemi dirigeait un tir très violent sur nos batteries placées dans les bois de la vallée de l’Aillette, et nos craintes se trouvaient bientôt fondées que ce soutien indispensable allait être anéanti pour une grande partie avant que le feu roulant n’ait touché nos positions. J’ai rencontré des batteries qui ne disposaient plus que de leurs caissons; toutes les pièces étaient hors service.
En utilisant des plaques de tôle ondulée et des poutres, nous avons créé de petits abris susceptibles d’héberger deux occupants à la fois, quoique assez pauvrement. A part ceci, il fallait assurer les transports de munitions vers la première ligne. Particulièrement critique était le chemin encaissé conduisant à Craonnelle car il était constamment soumis au tir de barrage ennemi. Je me souviens toujours avec effroi d’une nuit où nous avons dû emprunter ce chemin depuis l’abri du 2e bataillon à Craonnelle, chaque homme portant deux caisses de munitions qu’il fallait déposer dans l’abri du chef de compagnie, à l’aile gauche du secteur de la 5e compagnie.
Ainsi arriva la nuit du 1 au 2 mai. Après la fin de nos travaux de retranchement, nous étions revenus dans nos abris composés seulement d’un trou profond dans la terre et fermé de tôle ondulée, avec éventuellement encore une couverture de 1/2 mètre de sable. Le sous-lieutenant Meichelt, notre chef de compagnie, faisait encore une ronde. Arrivé à hauteur de mon abri, il s’arrêta, m’appela et toucha mon col pour me reprocher que je ne n’étais pas habillé selon le règlement. J’étais très étonné car je considérais ce blâme comme tout à fait injustifié à seulement quelques mètres de l’ennemi. Mais avec un sourire il me serra la main et m’annonça que j’étais promu Gefreiter. Tout ce comportement était typique pour ce juriste dans le civil. Mais c’était aussi la dernière fois que je lui parlais. Au second jour de l’offensive française, son abri fut touché en plein par un obus lors d’un feu roulant très meurtrier, et tous les occupants, Meichelt, ses ordonnances et un observateur d’artillerie, furent tués. Les tentatives ultérieures pour dégager l’entrée ont dû être abandonnées à cause de la montée de gaz toxiques.
A l’aube du 2 mai, après le passage de la corvée de nourriture, nous étions retournés dans nos trous. La première section devait monter la garde en première ligne. Je partageais mon abris avec mon chef de groupe, le sous-officier Feiler. Je m’endormis bientôt pour me réveiller seulement à 8 heures, deux heures après le commencement d’un violent bombardement de l’artillerie ennemie. Mon chef de groupe était réveillé depuis un bon bout de temps déjà, et il admirait mon sommeil profond. Le tir se transforma bientôt en un feu roulant, et il dura toute la journée.

Comme lors d’un tremblement de terre, les obus explosant à proximité faisaient vibrer le terrain, et à plusieurs reprises nous avons dû dégager de notre abri des quantités de sable que les explosions y avaient projetés, ceci afin de pouvoir disposer d’assez d’air pour respirer. A quelques centaines de mètres au-dessus de nous tournaient des avions ennemis qui tiraient sur tout ce qui bougeait. Nos pertes étaient assez lourdes. Il était tout simplement miraculeux qu’il y avait encore des hommes vivants. Le bombardement dura jusqu’au 5 mai au matin et nous avait bien démoralisé. Le 4 au soir, la première section occupa, sur le versant du Winterberg entre 75 et 100 mètres de la crête, un abri pouvant héberger environ 25 hommes, mais dont la partie droite avait reçu un obus. On y voyait encore un mort avec le crâne ouvert. Toute liaison avec le régiment était maintenant interrompue. Peu après le lever du jour le bombardement reprenait. les hommes de la corvée venaient d’apporter la nourriture pour la première section à la cuisine installée près de notre abri. On avait reçu des rations géantes à cause des nombreux tués, mais aussi parce que l’on avait droit à des rations de combat déjà très améliorées. Mais personne ne manifesta le moindre appétit.
Le tir était si violent que l’air prenait des couleurs grise et noire, et la fumée ne permettait plus qu’une visibilité sur quelques mètres. Cela dura jusqu’à 10 heures 30 du matin. La section était sans liaison avec le chef de compagnie, ni avec le régiment. Elle était démoralisée par le feu roulant qui durait depuis des jours. La plupart des hommes avaient perdu tout espoir de s’en sortir et ils étaient convaincus d’avance d’être faits prisonniers. La situation était critique et demandait des décisions rapides à partir de l’instant où le barrage allait se déplacer vers l’arrière. L’idée d’être capturé m’était insupportable. Les autres ne voyaient plus d’autre issue car ils considéraient le barrage comme infranchissable. La pensée d’abandonner le combat occupait pratiquement chacun des 24 hommes encore valides.
D’un seul coup, à 10 heures 30, le barrage se déplaça un peu en arrière. Au même instant je quittais mon abri et je comprenais immédiatement la situation. Entre 75 et 100 mètres plus haut, sur la crête, les Français faisaient leur apparition en rangs serrés. Ils commençaient à tirer en position debout comme lors d’une chasse au lapin, et ils s’apprêtaient à descendre le Winterberg. Au même instant arriva un homme du RIR 100 qui cria : “Les Français ont percé!” - Je courais vers la porte de l’abri pour transmettre le message aux occupants. Certes, il n’y avait plus de raison pour engager le combat face à une situation sans issue. Les hommes de ma section s’étaient familiarisés avec l’idée d’être capturés. Mais pas moi : je n’avais qu’une pensée, c’était de traverser le barrage, mort ou vivant !
Un seul homme s’apprêtait à suivre mon exemple, le camarade Biemle nommé Gefreiter le même jour que moi. Je lui criais :” Biemle, tu viens? Je pars!” Équipé de mon casque et du masque à gaz, je descendais en courant le Winterberg, Biemle à mes trousses. A droite et à gauche des impacts de balles qu’on me tirait après. Parfois je trébuchais sur des entonnoirs ou des obstacles, et chaque fois Biemle me croyait blessé, comme il me l’a avoué plus tard. Mais nous sommes parvenus à franchir tandis que tous les autres ont été capturés, et quelques-uns parmi eux ont encore été blessés par notre propre artillerie.

Dans la fosse commune du Winterberg
( par K. Fisser de la 11 ème compagnie)

On était le 4 mai 1917. aujourd’hui devait se décider s’il y aurait une nouvelle attaque française que tout le monde attendait. Mes camarades, les Gefreiter Viesel et Denninger, tous deux cyclistes au 3e bataillon avaient reçu l’ordre de retourner à l’état-major du régiment parce qu’on ne disposait encore d’aucune nouvelle. C’était à 10 heures. L’artillerie française avait commencé son bombardement à 9 heures. Une salve après l’autre passait au-dessus du versant du dos montagneux. Quelques explosions à très faible distance forçant la sentinelle à se replier. On avait l’impression qu’un tir de barrage allait encadrer le tunnel. Les cyclistes Viesel et Denninger quittaient alors le souterrain pour retourner à l’état-major du régiment.
Il était maintenant entre 11 et 12 heures ( midi). Nous n’avons plus guère fait attention au tir de l’artillerie car cela nous était familier. Puisque la 11e compagnie se trouvait en réserve dans le tunnel, je voulais visiter mes camarades et pour cela je me rendais dans la partie arrière, à proximité de la salle de transmissions. Pendant notre conversation nous chauffions un gobelet de café sur la flamme d’une bougie. Brusquement une terrible déflagration, suivie d’autres explosions. Nous courions immédiatement vers la partie avant, mais déjà une fumée dense et noire mélangée de gaz toxiques arriva sur nous. La sortie nord numéro 3 était détruite et la sortie 4 était enveloppée de nuages de fumée et de gaz. Nous faisions immédiatement demi-tour et nous commencions à construire une barricade avec nos sacs et nos manteaux, en y ajoutant d’autres pièces d’équipement, le tout jeté sur un tas. Mais il s’avéra impossible de stopper la progression de la fumée toxique.
Un obus très lourd avait explosé parmi la réserve des munitions stockée dans l’entrée. D’autres explosions poussaient les nuages de gaz vers nous et la cheminée d’aération favorisa cette pénétration car elle aspira l’air vers l’arrière du tunnel.
Nous nous sommes alors relevés en vitesse, mais nous n’avons pas réussi à ériger une autre barricade devant la cheminée d’aération parce que la fumée et les gaz arrivaient trop vite. Nous avons construit alors rapidement une double barricade de sacs de sable derrière la cheminée, dans l’espoir d’un départ des gaz par le couloir d’aération. Mais en attendant, d’autres obus avaient obstrué la cheminée. Nous étions maintenant coupés du monde. En plus, notre situation était très grave à cause de l’endroit de notre rassemblement. En effet, le tunnel y était plus haut qu’au niveau de l’entrée et donc déjà à l’origine rempli d’air de bien mauvaise qualité. Il ne nous restait plus qu’à attendre ici un secours rapide de la part de nos camarades.
Mais le temps passa et les premières difficultés de respiration apparurent. Nous décidions alors de déboucher la cheminée d’aération, puisqu’il y avait des pionniers parmi nous. Quelques camarades se groupaient, deux pionniers montaient sur leurs épaules, mais tous les efforts pour percer la cheminée se brisent aux difficultés de respiration. Ainsi notre espoir s’effondre. Nous avons alors dû constater que l’oxygène était quasiment consommée puisque les lumières s’éteignaient. La chaleur aussi était insupportable; nous étions tous pris d’une soif de plus en plus forte. Nous disposions d’une seule bouteille d’oxygène. Elle fut placée contre la paroi et on l’ouvra légèrement. Mais notre existence devenait de plus en plus insupportable au fil des heures, dans une obscurité maintenant totale. Il nous restait seulement des lampes de poche, et il fallait ménager les piles. Quelques camarades étaient couchés sur la barricade et ils tendaient l’oreille pour détecter l’arrivée des secours, mais rien ne se produisit. S’il nous restait au moins de l’air et de l’eau! Mais l’eau se trouvait bien loin sous les nuages de fumée et de gaz, et nous étions tout aussi incapables de chercher nos rations de combat. Des défaillances physiques et morales affectaient déjà les hommes dont bon nombre était couché au sol. La soif et la grande chaleur les faisaient de plus en plus souffrir, et on était devenu vite incapable de prendre la moindre décision. Le dépression qui affecta les camarades était horrible à vivre. C’était aussi insupportable que l’obscurité et les demandes répétées de secours. Près de moi devait se trouver un groupe qui priait. Une lampe s’alluma brusquement, et j’ai cru un instant avoir reconnu le sous-officier Maier de l’étét-Major du bataillon, ainsi que le Gefreiter Raiber, cycliste au bataillon.
Je ne pourrai jamais oublier l’adieu simultané de mes camarades. L’un appela sa femme et se enfants, l’autre prenait congé de ses parents et de ses sœurs et frères. Je fus pris d’un tremblement et je faisais également mes adieux à ma famille : une carte vous informera de mon absence avec la simple notion : Porté disparu !
Très lent et horrible était le combat entre la vie et la mort. La langue me collait dans la bouche, j’avais l’impression que la folie commençait à me fermer la gorge. Tout le monde réclamait constamment de l’eau, la plupart étaient dévêtus dans cet enfer afin d’avoir ainsi un peu de soulagement, mais tout était vain. La mort ricanait devant sa moisson et elle montait la garde à la barricade afin que personne ne puisse lui échapper.
J’ignore combien de temps nous sommes ainsi restés enfermés. Trois jours ou quatre? J’étais assis au bord d’un lit, appuyé contre une poutre. On entendit alors dans l’obscurité de notre tombeau, des détonations lointaines. Les uns criaient au secours, les autres réclamaient de l’eau, c’était un lieu des adieux et de la mort. A côté de moi un camarade était couché au sol, il cria avec une voix mourante que nous devrions lui charger son pistolet. Moi aussi je considérais cela comme le salut. Je l’appelais donc et j’avançais mes mains pour le toucher. Il me remettait son arme, un pistolet 08. Avec mes dernières forces je tirai le cran et je le lui rendais sur ses demandes répétées. Un instant encore, sans doute pour faire ses adieux à sa famille, puis une détonation sèche coupait le silence de notre tombeau, suivie d’un râle, et mon voisin était délivré de ses souffrances. Toujours des cris pour obtenir de l’eau. Moi aussi, je voulais emprunter le court chemin allant à la délivrance définitive et ma main gauche se porta sur mon cœur pour bien le situer d’après ses battements. je recherchais alors l’arme qui avait déjà servi, et je la trouvais puisque le camarade mort était tout près de moi. Lentement, très lentement je retournais à ma place sur le lit. Un bref adieu à l’adresse de ma chère famille, puis j’appliquais l’arme sur mon cœur. Le canon était froid... Lorsque je me réveillais bien plus tard, je me trouvais au sol, sans doute un accès de faiblesse m’avait-il préservé de ce pas définitif.
De l’eau, toujours de l’eau! Je me battais au sol entre la vie et la mort, je touchais des bouteilles vides que je portais néanmoins à ma bouche. Le bruit du verre réveillait d’autres camarades qui renouvelèrent leus cris pour boire. La folie commença son jeu avec nous. MA gorge me faisait mal et le ventre aussi. De l’eau - seulement,t de l’eau! Proche de la folie je tentais de me mettre à genou, puis je formais de mes deux mains un récipient pour recueillir mon urine que je buvais avidement. J’étais pris de nouveaux accès de faiblesse. Réveillé à nouveau, je buvais encore de mon urine. Je sentais alors une petite élévation et je heurtais une sorte de petite colline, sans doute du sable qui descendait par les fissures du plafond. Ce sable me procura un peu de fraîcheur. Je trouvais aussi une lampe de poche et je tentais de l’allumer en m’y appliquant avec mes dernières forces. J’étais couché sur le côté. La lumière brûlait mes yeux, et ce que j’ai pu voir était l’horreur absolue! Seulement des camarades nus et sans vie m’entouraient, leurs mains dans des poses affreuses, raidies dans la mort. Je ne voulais plus contempler ce spectacle et je laissais donc tomber la lampe. De nouveau dans l’obscurité, j’ignorais combien de temps j’y suis resté encore.
J’étais toujours couché sur mon tas de sable et je ne croyais pas bien entendre lorsque je saisis quelques mots comme “secours”... J’ignorais d’où venaient ces appels car j’étais enveloppé par une obscurité totale. Et encore : “secours”, déjà plus proche. Je me retournais sur l’autre côté et je levais un peu ma tête, mais une succession d’éclairs passait devant mes yeux, et je les fermais à nouveau. Y avait-il de la lumière? Les secours étaient ils en route? Je tentais de crier en rassemblant mes faibles forces, et là , je les entendais bien cette fois-ci : “ Reste calme, camarade, nous arrivons!” Des hommes se penchaient sur moi, mes sauveurs, et me donnaient d’abord de l’eau à boire. Je ne pouvais pas comprendre : étais-je sauvé ? Encore une fois mes sauveurs ont dû s’éloigner. Puis ils revenaient avec une bâche de tente pour me chercher. De l’air frais m’enveloppait et on me donna à nouveau de l’eau. Puis ils disaient :” Aujourd’hui c’est le sixième jour depuis le désastre!” Encore deux autres camarades avaient pu être sauvés, mais je ne les connaissais pas. Il me semblait aussi que mes sauveurs avaient des chiens avec eux, mais je n’ai pas pu voir car mes yeux étaient trop affaiblis.
Une fois à l’air libre, nous étions pris sous un violent tir de l’artillerie française et mes porteurs ont dû s’aplatir au sol. Mais le destin a voulu que je sois sauvé. En effet, nous sommes arrivés indemnes au poste de secours. Une brève halte, et on poursuivait le chemin vers l’arrière. Encore une fois l’artillerie française envoya une salve d’obus sur nous. Finalement nous avons pu atteindre le poste de rassemblement des blessés, et là on me déposa dans une voiture sanitaire. Je me souviens encore de l’avoir quitté plus tard et d’avoir été porté dans une salle de soins. On me coiffait d’une sorte de bonnet, je crois que c’était un masque à oxygène. Il y avait assez à boire, puis le voyage s’est poursuivi jusqu’à l’hôpital. De nombreux camarades entouraient nos brancards, lorsque nous y avons été déchargés. On nous baignait comme des petits enfants, puis on nous mit dans des lits. Là aussi le masque à oxygène fut employé. Je ne reconnaissais personne car mes yeux étaient trop faibles et cela inquiétait tout le monde. Bien des jours plus tard j’ai reconnu le camarade Viesel venu me rendre visite. Lentement mon état s’améliorait. Plusieurs semaines plus tard, je me suis regardé dans un miroir de poche. Ce n’était qu’à cet instant que j’ai pu voir mon visage ravagé et toutes ces taches vertes et jaunes qui couvraient ma poitrine. J’étais l’ombre de moi-même.
Le médecin me déclara alors : “ Encore une demi-journée de plus, et vous n’auriez pas survécu!”
On me raconta aussi les horreurs vues dans le tunnel. Les autres camarades s’étaient tous suicidés à l’arme à feu en s’ouvrant l’artère. Nous n’étions finalement que trois qui ont survécu. En 1919, mon père reçut la lettre d’un mineur de Gelsenkirchen dans laquelle un capitaine avait certifié que l’expéditeur avait été mon sauveur. Par mégarde mon père a brûlé ce document si important. Ainsi je n’ai jamais pu remercier mon sauveur!
Lors du grand examen médical, je fus reconnu inapte pour le service. Mais pas pour longtemps. Un an plus tard, le 27 mai 1918 j’attaquais, dans les rangs du 110e grenadiers ( 7e compagnie) la position anglaise entre le Winterberg et le Chemin des Dames. Lorsque nous débouchions dans la position ennemie, je restais un instant immobile, je tournais mes yeux vers le Winterberg et je pensais à mes pauvres camarades.

Dans le Winterberg - Tunnel pendant la catastrophe
( par l’aspirant Brinks, compagnie des mitrailleuses)
Le 4 mai 1917 au matin je reçus l’ordre suivant : “ Le sous-officier Brinks relève le chef de la section des mitrailleurs de réserve, l’aspirant Wachowski, dans le Winterberg-Tunnel. Wachowski doit se présenter au bureau de la compagnie”. Je me mettais en route, j’arrivais indemne au Winterberg-Tunnel et je me présentais au chef de compagnie. Puis j’allais voir le chef de section pour lui communiquer l’ordre reçu. Mais l’aspirant Wachowski ne voulait pas partir immédiatement, il disait : “ J’irai ce soir avec les cuisines roulantes”.
L’artillerie française bombardait violemment le versant et la vallée. Wachowski m’informa du rôle confié à la section des mitrailleurs de réserve, et il voulait me montrer aussi le coucher. Nous sommes donc allés dans le tunnel. Devant l’entrée il y avait une sentinelle de l’infiltration. A droite derrière l’entrée se trouvaient les deux mitrailleuses, l’une derrière l’autre, afin d’être immédiatement disponibles en cas d’attaque ennemie. A gauche il y avait un poste de signaux lumineux. Du même côté se trouvait une pile de caisses de cartouches, de grenades à main et de fusées éclairantes. Peu après on trouvait la galerie latérale qui conduisait vers les PC du régiment. Après cette galerie on avait placé des lits. La circulation se faisait sur le côté droit.
Wachowski me désignait mon lit et j’y déposais mon sac. Mais j’étais pris d’un étrange sentiment d’insécurité, et je disais donc à Wachowski :” Je vais retourner vers l’entrée.” Ainsi je me rendais aussi vite que possible vers l’entrée afin de respirer un peu d’air frais.
A l’extérieur je remarquais un avion ennemi qui tournait au-dessus du tunnel. Tout le temps l’artillerie ennemie envoyait des obus lourds à retardement sur le tunnel. A chaque détonation le tunnel vibrait. Les explosions approchaient de l’entrée. Ah, pensais-je, ce sont des tirs dirigés par avion! Vers 11 heures 30 les obus explosaient déjà tout près de l’entrée de sorte qu’à chaque impact il fallait regagner le souterrain. Je conseillais aussi à la sentinelle devant l’entrée de se mettre en sécurité à temps. Une nouvelle fois j’étais sorti lorsque j’entendis un gros obus arriver. Mais soudainement le bruit cessait, je me précipitais vers l’intérieur, et déjà l’obus touchait l’entrée et la comprimait totalement. Que faire? Je me rendais immédiatement, par la galerie latérale, jusqu’au PC du régiment et je rendais compte à mon chef de compagnie de la situation. Nous partions vers l’endroit de l’explosion suivis de quelques officiers. On ne voyait plus rien de la sentinelle, ni des hommes de transmission; aucune trace non plus des munitions ni des mitrailleuses. Les officiers et hommes de troupe rivalisaient entre eux pour dégager l’entrée. Le capitaine Boy prenait une bêche en même temps que moi. Tout le monde travaillait avec acharnement. Mais on n’y parvenait pas car l’air dans le tunnel devenait de plus en plus irrespirable. La sueur nous coulait du corps. Des gaz toxiques commençaient à envahir l’intérieur, issus des munitions explosées sous l’entrée. Les efforts et l’inhalation de l’air chargé de fumée et de gaz me faisaient perdre toutes mes forces. Le capitaine Boy me prenait par le bras pour me conduire à travers la galerie de communication vers le PC du régiment. En quittant le tunnel principal il ordonnait encore aux hommes qui l’entouraient : “ Tout le monde me suit, mais lentement!” Quelques officiers et hommes de troupe nous avaient déjà devancés. Il ne fallait pas agir de façon précipitée parce que la galerie n’avait que de faibles dimensions. L’artillerie ennemie poursuivait toujours son bombardement du tunnel et de la vallée. Peu de camarades arrivaient finalement au PC du régiment d’où ils gagnaient la surface. La raison de cela m’est restée inconnue. Je pense qu’on aurait pu sauver beaucoup d’hommes s’il n’y avait pas eu une circonstance malheureuse qui a empêché cela.

Pourquoi ne venez-vous pas nous sauver?
( par le sous-lieutenant Farrenkopf)

J’entends toujours ce cri strident lorsque je pense à la catastrophe du Winterberg-Tunnel. De nombreux camarades ainsi que les familles des victimes du Winterberg m’ont souvent posé la même question : N’y avait-il pas moyen de sauver les nombreux hommes enfermés dans le souterrain ?
Le régiment a-t-il fait tout son possible pour leur sauvetage? A cette dernière question, je peux répondre franchement par un oui, la conscience tranquille.
J’étais en cette période clerc au bureau du 3e bataillon et j’étais abrité dans le Winterberg-Tunnel, ensemble avec l’Etat-Major du bataillon, celui du régiment et avec la réserve du régiment, soit au total une force de deux compagnies et demi. Je vois encore distinctement le commandant du régiment, le major Schüler, lorsqu’il tentait de nous guider, quelques minutes après l’effondrement de l’entrée du tunnel et de l’explosion des munitions, car nous nous bousculions alors dans la panique, enveloppés d’une épaisse fumée et de gaz étouffants, pour gagner l’arrière du tunnel : “Dirigez-vous par groupes vers la sortie de secours!” Cet ordre, il le répéta de multiple fois. Vers 12 heures, j’ai ainsi pu quitter la galerie accompagné de l’aide de camp du 3e bataillon, le sous-lieutenant Schwarz et des camarades Geier et Emil. Dans le tunnel Heeringen occupé par le RIR 109, que nous avons pu atteindre après une heure de course à travers le tir de l’artillerie ennemie, je recevais l’ord
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alain chaupin
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Re: Entre les lignes...

Message par alain chaupin »

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benoit c
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Re: Entre les lignes...

Message par benoit c »

Intrigué par cet événement que je ne connaissais pas, je cherche, sans succès, à en situer très précisément le lieu... Quelqu'un en a-t-il une idée?

Il s'agit d'une traduction, et le fameux "tunnel Winterberg" n'existe pas dans la littérature francophone que j'ai pu trouver sur ce secteur, pas plus que les noms de tranchées, etc... cités. N'étant pas germanophone, difficile d'effectuer des recherches toponymiques et cartographiques sur ce secteur...
benoit c
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Re: Entre les lignes...

Message par benoit c »

Intrigué par cet événement que je ne connaissais pas, je cherche, sans succès, à en situer très précisément le lieu... Quelqu'un en a-t-il une idée?

Il s'agit d'une traduction, et le fameux "tunnel Winterberg" n'existe pas dans la littérature francophone que j'ai pu trouver sur ce secteur, pas plus que les noms de tranchées, etc... cités. N'étant pas germanophone, difficile d'effectuer des recherches toponymiques et cartographiques sur ce secteur...
ALVF
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Re: Entre les lignes...

Message par ALVF »

Bonjour,

Cet épisode dramatique se passe sur le Plateau de Californie en mai 1917 dans le tunnel "Altsoldat Tunnel" qui a fait l'objet de tirs d'une batterie d'obusiers de 370 mm modèle 1915 sur affût à berceau de l'Artillerie Lourde sur Voie Ferrée (A.L.V.F).
La 28ème Division de Réserve allemande y a subi de très fortes pertes qui ont nécessité sa relève rapide après les attaques de l'infanterie française.
De bonnes cartes, résultat des recherches de "pouldhu" dans la rubrique "Pages d'histoire" du Forum, ont été publiées dans un sujet du mois de mai dernier.
Cordialement,
Guy François.
benoit c
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Re: Entre les lignes...

Message par benoit c »

Merci, c'est donc le Altsoldat qui est en cause.
Avec ça je devrais trouver la localisation plus précise. N'est-ce pas celui qui était aussi appelé "vieux soldat"? Il me semble avoir lu cela quelque part.
les plans proposés par Pouldhu sont précieux.
Savez-vous s'il existe des vestiges visibles (en surface!) de ce tunnel?
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serge
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Re: Entre les lignes...

Message par serge »


Bonjour Guy François,
Bonjour à tous,


Le récit fait état de Winterberg et le tunnel situé sur le plateau de Californie (dénommé Winterberg par les allemands) serait plutôt le Haupt tunnel vers la ferme de Saint Victor.
Le second est le Heeringen tunnel au hameau de Chevreux. Ils sont donc voisins, l'un sur le plateau, l'autre au pied de la colline coté Est.

Ce qui ne veut pas dire que l'information de Guy François sur l'Altsoldat soit fausse pour la 28e DR, le régiment concerné par le récit ne pouvait tenir que la partie Est de ce front.

Les traces des accès sont plus que minimes et il faut être vraiment dessus pour les imaginer.
Voici un plan situant ces deux tunnels.

Image

Cordialement
Serge


ALVF
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Re: Entre les lignes...

Message par ALVF »

Bonjour,

La remarque de Serge est très judicieuse car ce "Haupt Tunnel", que je ne connaissais pas sur carte, correspond mieux à la description sous le plateau de Californie ("Winterberg").
Deux batteries de 370 B de l'A.L.V.F ont pris à partie les points forts de ce secteur, malheureusement le JMO de la batterie la plus concernée directement par les tirs qui nous intéressent est manquant.Des documents postérieurs se réfèrent aux effets de destruction des tunnels de cette zone en affirmant que le 370 est presqu'aussi efficace que le 400 A.L.V.F, dont une pièce détruit le tunnel du Mont-Cornillet avec de terribles conséquences humaines pour l'Armée allemande quelques jours plus tard, toujours en mai 1917.
Cordialement,
Guy François.
benoit c
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Re: Entre les lignes...

Message par benoit c »

et ce Haupt Tunnel serait donc celui qui se trouve le plus à l'est, près de la route de Chevreuse si j'ai bien compris?
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serge
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Re: Entre les lignes...

Message par serge »


Bonsoir Benoit,

Non, c'est l'inverse. Heeringen est à Chevreux et Haupt tunnel près de la ferme Saint Victor (plateau de Californie ou Winterberg pour les allemands).
Cordialement
Serge
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