Un repli pour les hommes de la division d'acier,

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jacques didier
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Re: Un repli pour les hommes de la division d'acier,

Message par jacques didier »

Bonsoir à toutes et à tous,

Récit d'une journée où les habitants de Réméréville (54) témoignent du passage des troupes de la division de Toul qui, après s'être battu à Morhange, le 20 août 1914, sont contraintes au repli, tout comme la 2e armée.

Vendredi 21 août 1914.

Toute la nuit des convois ont traversé le village. Ce roulement sourd de voitures lourdement chargées est angoissant.
De grand matin huit automobiles s’arrêtent dans la cour du château. Elles sont remplies de blessés. La plupart d’entre eux ont d’horribles blessures. Ils paraissent souffrir beaucoup. Ils sont terrorisés. Ils disent : « Nous sortons d’un enfer ! Nous ne savons pas comment nous avons échappé ! » Les infirmières les couchent dans de bons lits et leur donne du bouillon et du thé. Les pauvres garçons se calment un peu.
Dans la matinée des soldats arrivent au village descendant de Vic et Château-Salins. Ils marchent par petits groupes. Ils sont harassés de fatigue. Quelques-uns uns sont blessés. Tous ont faim et soif. Les uns cherchent leur régiment, d’autres, à bout de force, supplient qu’on les laisse se reposer dans une grange avant de repartir. Certains paraissent découragés. Ils disent que notre armée a subi un échec à Morhange. Nos régiments s’étaient élancés à l’assaut, crânement, avec fougue, mais de tous côtés ils avaient été mitraillés. Des compagnies entières auraient été fauchées.
« Nous avons été pris comme dans un fer à cheval, dit l’un des blessés. Les balles et les obus tombaient dru. Nous en avons eu des camarades qui sont restés là-bas !…Et puis pas moyen de les voir ces cochons-là, qui nous tiraient dessus ! Ils étaient tous terrés dans des trous. Si on les avait dénichés, ils auraient pris quelque chose à la pointe de nos baïonnettes ! Mais pas moyen d’approcher. Ils jetaient trop de balles et d’obus ! Presque tous nos officiers ont été tués. Ils s’étaient élancés en avant de si bon cœur ! C’est ce qui nous décourage le plus. Qu’est ce que vous voulez que nous fassions sans nos officiers ! Enfin, il faut espérer qu’en Belgique les Boches reçoivent la pile ! Ca ne peut pas être partout la même chose ! »
Les habitants du village interrogent anxieux : « Mais alors, les Prussiens vont venir ? » Et les soldats répondent : « Oh ! non, ils sont encore loin. Et puis il y a encore beaucoup de nos régiments là-bas ».
Au commencement de l’après-midi, plusieurs charriots amènent des blessés à l’ambulance. Ils sont conduits par des cultivateurs du pays annexé. Ceux-ci taciturnes disent qu’il y a eu une grande bataille entre Morhange et Sarrebourg ; mais n’en savent pas plus. Ils meurent de faim et de soif ces pauvres blessés. Quelle pitié de les voir ! les femmes du village s’empressent de faire du bouillon – heureusement une voiture à viande est encore là – du café, du thé.
Vers quatre heures arrive l’ordre d’évacuer tous les blessés sur Nancy. Les plus gravement atteints sont emportés par les voitures d’ambulance. Les autres s’en vont à pied, soutenus par leurs camarades ; quelques uns grimpent sur des voitures de ravitaillement ou des caissons à munitions. Mais on se désole de les voir ainsi secoués.
Toute l’après-midi des groupes de soldats traversent le village. Ils s’arrêtent dans les prés et cherchent à se rassembler. Il y a là des caporaux et des sergents, mais pas d’officiers.
Vers cinq heures, la rue est envahie par les soldats qui défilent en rangs pressés. C’est un flot continu. Par les routes d’Hoéville et d’Erbéviller les colonnes débouchent sans arrêt et se rejoignent dans le village. C’est la retraite ! Toute la division de Toul recule. C’est une masse silencieuse. Les hommes ont fait une longue étape. Ils tendent le dos sous le sac. Certains traînent la jambe. Ils marchent quand même. Quelle tristesse de voir l’abattement de nos soldats qui, les jours derniers, arrivaient si joyeux. Des artilleurs doublent la colonne au grand trot. Certains attelages n’ont que deux chevaux, quelques avant-trains n’ont plus leur pièce. Il a fallu, paraît-il, les sacrifier pour protéger la retraite.
La nuit tombe, le défilé continue, sans hâte, dans la poussière, dans une rumeur sourde, lugubre. Pas un cri ! Parfois une halte courte, un à-coup dans la marche, puis de nouveau, la masse s’ébranle et repart. A la croisée des rues, au centre du village, le général Dantant se tient debout. Il regarde défiler ses troupes. Il dit aux paysans qui l’entourent : « Je suis fier de mes soldats ; ils se sont bien battus ».
Voici que dans la colonne, au milieu des soldats, marchent des hommes, des femmes, des enfants ; ils portent de petits ballots, poussent devant eux une chèvre, une vache ; des voitures de paysans passent aussi ; sur les matelas et les sacs entassés des vieillards sont juchés. Ce sont les habitants de Sornéville. Ils fuient devant l’invasion. Des obus sont tombés sur leur village. Ils suivent les soldats. Ils ne savent où ils vont.
Consternés, les habitants de Réméréville regardent ce triste défilé. Ils demandent : « Faut-il partir ? les Prussiens vont-ils venir chez nous ? » Les soldats répondent : « Soyez tranquilles ! nous allons au repos. Nous reviendrons ensuite. N’ayez pas peur, deux corps d’armée sont là, derrière, pour vous protéger. Vous êtes bien gardés ».
Cependant, venu on ne sait d’où, le bruit court que des uhlans rodent dans les bois. Un officier passe à l’ambulance et dit : « Faites partir sur Nancy tous les blessés qui arriveront ». Une jeune fille infirmière, Alice Bastien, l’interroge : « Et nous, faut-il partir aussi ? Vous êtes de la Croix-Rouge, Mademoiselle ? - Oui – Eh bien ! Restez à couvert de la Croix-Rouge ! C’est la meilleure protection ! » Cette parole dissipe les doutes. Les Allemands ne sont pas loin.
Les soldats continuent à passer pendant une partie de la nuit. Angoissés, les habitants restent sur le pas de leur porte, assis sur leur banc à regarder ce défilé. Vers deux heures du matin, c’est fini. Il n’y a plus que quelques retardataires. Ils circulent dans les rues à la recherche d’un abri. Chacun rentre dans sa maison. On se jette tout habillé sur le lit. Au moindre bruit on se met aux écoutes, croyant entendre l’ennemi.

( Extrait de : Un village Lorrain pendant le mois d’août et septembre 1914, Réméréville, par C. Berlet. )

Cordialement.
J.Didier
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rohmer
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Re: Un repli pour les hommes de la division d'acier,

Message par rohmer »

Bonjour monsieur Didier
bonjour à tous,

Merci pour cette retranscription.
C'est Christian qui va être ravi.....il est de retour, je remonte le fil pour lui.
Bien cordialement.
Evelyne.
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lorrain54
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Re: Un repli pour les hommes de la division d'acier,

Message par lorrain54 »

Grand merci Jacques, pouvez vous indiquer l'année de parution et l'éditeur du livre au cas ou!!! bonne journée a tous , Jean-Louis .
Dites le a tous, " Il ne fait pas bon mourir".
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jacques didier
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Re: Un repli pour les hommes de la division d'acier,

Message par jacques didier »

Bonjour à toutes et à tous,

Ce petit ouvrage a été édité en 1916, Librairie BLOUD et GAY Editeurs, Paris.

AVANT PROPOS.
Pendant la bataille du Grand Couronné, de nombreux villages lorrains, situés sur la ligne de feu, furent ensanglantés par le combat, détruits par les obus et brûlés par l'ennemi.
C'est l'histoire de l'un deux.
Le récit de ces journées a été fait d'après le témoignage des habitants eux-mêmes, qui n'ont abandonné leur maison que chassés par le feu ou contraints par l'envahisseur.

Cet ouvrage m'a beaucoup servi en raison des témoignages, que j'ai cités dans "ECHEC A MORHANGE"

Cordialement.

J.Didier
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