C'est par ignorance et surtout par trop de précipitation que je t'avais demandé du linge.
Depuis quelques jours sous terre j'ai trouvé là tout ce dont je pouvais avoir besoin.
Bonjour à tous
Je reviens sur le titre de ce fil
"La vie sous terre" pour proposer trois petites lettres venues des tranchées et autres boyaux souterrains !
"Au front, 14 juin 1915
Me voici revenu moi aussi à
l'âge des cavernes. Comme nos ancêtres, je me fais à
la vie souterraine et j'ai déjà acquis une certaine habileté à la confection de mes passagères demeures. La nuit dernière, après avoir poussé nos sapes vers les lignes ennemies, nous sommes revenus deux kilomètres en arrière, nous reposer dans les longs boyaux qui donnent accès au village dont nous tenons la lisière nord. Ces boyaux ont été fabriqués par les Boches qui les ont baptisés : Canal de Suez, Canal de l'Oder etc.. Tu peux bien croire que ces boyaux sont repérés et que les Fritz nous arrosent de leurs marmites. Aussi au petit jour, avec mes deux chefs de demi-section, nous construisîmes-nous une superbe guitoune à flanc de boyau. Les charpentes des maisons démolies nous fournirent d'excellents étais et de solides chevrons. Des sacs remplis de terre servirent à la couverture, si bien que maintenant nous ne craignons plus les schrappnels. Un gros noir pourrait, il est vrai, venir nous déranger, mais il y a tant d'espace autour de nous que nous sommes tranquilles. Je viens donc de dormir de 8 heures à midi. Mon sommeil a bien été troublé par quelques détonations un peu fortes mais c'est un léger détail.
16 juin 1915
Nous sommes arrivés la nuit dernière à destination après une marche des plus mouvementées par les longs boyaux qui jalonnent notre secteur. Immédiatement nous avons pris possession de
nos souterraines demeures. Cette fois nous voici dans l'action. Derrière nous, sans discontinuer, nos canons chantent leur chanson à laquelle on s'est vite réhabitué. Il est 16 heures ; c'est de ma cagna que je te griffonne cette carte. Je ne sais si j'aurai le bonheur de voir ce soir le vaguemestre pour la lui remettre.
28 juin 1915
C'est d'un
vrai labyrinthe que je t'écris, au milieu d'un
dédale de boyaux compliqués. Hier dimanche, comme je te l'ai dit, nous embarquâmes à 5h du soir. Deux heures de voyage et nous nous trouvions au même endroit qu'il y a un mois ; seulement le point de direction fut plus à droite quand, la nuit venue, nous nous engageâmes dans les boyaux. Nous sommes favorisés ; nous tenons les troisièmes lignes ; d'ailleurs ce coin est tranquille, c'est à dire qu'il a été expurgé depuis un mois de la présence des Boches ; maintenant ils restent
terrés dans leurs trous et s'amusent la nuit à nous tirer le feu d'artifice. Seulement, nos 75 viennent ajouter le bouquet final. Les heures de sommeil sont donc plutôt troublées. Et maintenant, ce sont des pluies orageuses, après la poussière brûlante des semaines passées. Nous savons heureusement nous protéger avec nos toiles de tente et nos imperméables. Nous ne sommes donc pas trop à plaindre ; dans 3 jours nous irons passer 24 heures au plus prochain village et voici la vie à laquelle je m'essaie de t'intéresser le plus agréablement possible. Certainement le jour viendra, et je le souhaite le plus tôt possible, où, l'allemand repoussé, nous pourrons nous retrouver, tous, heureux, et oublier dans les jours à venir les petites misères des jours passés."
En ce jour de fête Nationale, j'ai pensé qu'il était bon d'évoquer ce passé vieux de 92 ans.
Mounette.
"Tes yeux brillaient moins aujourd'hui /Dis-moi, dis-moi pourquoi chère âme /Dis-moi quel chagrin, quel ennui /Mettait un voile sur leur flamme." - Sergent Ducloux Désiré, dit Gaston - 146° RI