quand Noël et Nouvel An étaient en guerre...

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Alain Dubois-Choulik
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Re: quand Noël et Nouvel An étaient en guerre...

Message par Alain Dubois-Choulik »

Bonsoir
J'allais suggérer qu'on en fasse un pour chaque jour de l'année, mais peut-être faut-il en laisser l'intiative à Mireille et à ses consoeurs, au risque que d'avouer le coté un peu macho du fort-homme .....( parité ! parité !)
Cordialement
Alain
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alain
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Re: quand Noël et Nouvel An étaient en guerre...

Message par alain »

Bonsoir à tous, et bonnes fêtes de fin d'année .
j'ai un courrier du chef de bataillon L Mermet 355 e RI
Le 27 décembre 1914
" Cher grand père
C'est dans un abri des plus humides dans lequel l'eau suinte de toutes parts et à peu de distance de l'ennemi ( qui nous envoie obus et balles ) que je vous écris ces quelques mots pour vous exprimer des souhaits de bonne et heureuse année que je forme pour vous . Malgré les fatigues et les privations d'une campagne bien dure, je suis heureux de vous annoncer que nos troupes ont un excellent moral, qu'elles sont gaies et de belle humeur . Aussi tout fait prévoir la victoire . J'espère que vous êtes toujours en bonne santé et que les rigueurs de l'hiver non pas nui à votre robuste tempérament . Adrienne doit aller vous voir ces jours ci . Armand et Pierre sont en excellente santé . Je vous embrasse de tout coeur et je fais des voeux pour que dieu vous conserve le plus longtemps possible en notre affection . "
pierreth1
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Re: quand Noël et Nouvel An étaient en guerre...

Message par pierreth1 »

bonjour et bonne annee à toutes et tous

Voici ce qu'ecrivait le 1er janvier mon grand pere (alsacien) mobilisé le 30 decembre et en route pour Bromberg où il sera incorporé sur une carte de Halle postee le jour même et tamponnee du 1er janvier! envoyee par la Feldpost à
fraulein Alice Meyer
Rappooltsweiler
Langestrasse 31
Oberelsass

12 Uhr Mitternacht Prosit Neujahr
Neu gestarkt mit belegtem Brot und ungezuckerdem heissem Kaffee
Jetzt geht es weiter

( minuit,bonne année, un nouvel en cas avec un schandwich et un cafe chaud non sucré, maintenant cela continue)
Il a ainsi ecrit tous les jours et je possede quasiment toutes ses lettres et cartes de 1915 a 1917 ( apres la debacle russe il semblerait que l'etirement des lignes ait rendu plus problematique le fonctionnement de la poste)
A noter que les delais mis par les lettres pour parvenir a destination des pays Baltiques et de l'est de l'Allemagne n'etaient guere differents d'aujourd'hui ce qui est pour le moins etrange...

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mireille salvini
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Re: quand Noël et Nouvel An étaient en guerre...

Message par mireille salvini »

bonjour à tous

je voudrais vous remercier,vous tous qui avez mis des témoignages qui ont enrichi ce "fil":
je n'en connaissais aucun et j'ai tout lu avec beaucoup d'attention et d'intérêt,il ne faudrait jamais hésiter à mettre en ligne encore et encore de ces témoignages..
une petite pensée pour Daniel,je n'ai pas voulu faire de copiage sur un sujet que vous avez initié il y a 2 ans et dont j'ignorais l'existence,alors j'apprécie beaucoup que vous ayez mis le témoignage de votre arrière grand-père dans ce sujet qui ne m'appartient pas à moi, mais au forum finalement.
amicalement,
Mireille
Aucune justice n'est possible pour les morts… mais si nous ne pratiquons pas le devoir de mémoire, ils mourront une seconde fois.
(Elie Wiesel-prix Nobel de la Paix)
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vincent le calvez
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Re: quand Noël et Nouvel An étaient en guerre...

Message par vincent le calvez »

Bonjour à tous,
Bonjour Mireille,

Voici ce qu'écrivait Henry Bordeaux, futur académicien, dans La Revue hebdomaire de janvier 1915 (merci à Olivier qui m'a trouvé ce numéro).
Henry Bordeaux était déjà venu en décembre 1914 visiter les tranchées de Berry-au-Bac tenues par le 28e RI. Il revient le soir de Noël avec une dinde...

Image

"J’ai apporté, la veille de Noël, ponctuellement, la dinde et le champagne. On est fidèle à ses amis et exact aux invitations. A vrai dire, je tombe assez mal.
- N’allez pas plus loi, on se bat, m’assure-t-on au village voisin qui est lui-même endommagé.
Pourtant, puisque j’ai promis ! Je ne puis pas rester avec cette dinde que j’ai déjà apportée jusqu’ici.
Le fait est qu’on entend une fusillade sérieuse : le grondement du canon la couvre par intervalles.
Je m’engage dans le chemin : on ira jusqu’où on pourra. La nuit s’installe à peine, une nuit froide, fleurie, où s’allument les étoiles et la lune à son dernier quartier, la lune est assez compromettante. L’eau des flaques se prend et craque sous le pied. Voici le pont : dans l’eau courante dont on voit les frissons, la lune s’enfonce en tremblant. Et comme j’apparais dans la lumière de la cave, j’entends une voix qui ordonne et je dois me ranger pour laisser passer un à un, rapides, mais sans hâtes, comme si leur course était bien réglée d’avance, les hommes de liaison. Les prêtres et les médecins ne se pressent jamais quand on les appelle pour les mourants : ils vont d’un pas égal, ils savent d’un pas égal, ils savent que la Mort attend. Un mouvement qui doit réussir s’exécute en ordre, sans violence apparente, comme si l’on avait le temps pour soi.
- Vous ! Que venez-vous faire ici ? Nous attaquons sur ma droite, l’ennemi attaque è gauche : l’alerte est donnée.
Le commandant a donc oublié son invitation.
- Ne vous occupez pas de moi. Ou plutôt donnez-moi une section ou un fusil.
Et je prends le fusil d’un téléphoniste. Cependant il a vu les paquets portés par l’ordonnance.
-Qu’est-ce cela ?
- La dinde et le champagne.
- Parfait, parfait ! Ce sera pour tout à l’heure.
Et nous aurons notre messe de minuit !
Nuit de Noël que nous allons passer dans les tranchées à attendre, peut-être à recevoir les Boches comme ils le méritent. Tout de même, j’avais compté sur une messe de minuit et sur un réveillon.
Le sifflement des obus devient presque continu. Les détonations des fusils déchirent la nuit, la nuit si belle, si pure, si limpide où la lune monte lentement. Et parfois une fusée jette sur les astres un voile de lumière.
On suit très bien ce qui se passe sur notre droite et sur notre gauche. On devine les phases de la lutte, mais on ignore le résultat. Puis le canon cesse le premier et peu à peu la fusillade s’éteint. Elle ne s’éteindra jamais tout à fait. Il est dix heures. Rien n’est manqué encore. Le téléphone nous renseigne ; l’attaque des Allemands a échoué, la nôtre a réussi ; nous avons repris une maison ruinée qui est un poste commode.
Impassible à son poste, le cuisinier a fait rôtir la dinde pendant l’alerte.
Minuit approche, le minuit annuel qui évoque le salut du monde par le Dieu fait homme, naissant dans une étable aussi misérable qu’une tranchée.
- Ils nous laisseront tranquilles, m’assure le commandant qui a gardé son calme et son entrain. Je vous attendais.
Tout à l’heure, il n’y paraissait guère.
- Et nous aurons des hôtes de marque. Le Colonel en sera.
Voici des ombres que la lune, inclinée vers l’horizon, allonge. Je reconnais le colonel à sa silhouette mince et fière, au port de tête : un chef qui sait communiquer sa flamme et prendre ses responsabilités. D’autres officiers, - un sur deux, car il faut veiller, - deux médecins-majors, notre cortège s’allonge. Mais où dira-t-on la messe ? Pas dans l’église, à coup sûr : elle est saccagée et l’on y reçoit les murs sur la tête.
Nous descendons dans la crypte qui a été ornée avec un soin extrême par ces mêmes hommes qui se battaient il y a une heure : des draperies, des statues, des cadres sortis, des décombres et à peu près intacts, ont servi à cette décoration. Un soldat passe sur son uniforme les ornements sacrés, un autre a pris les burettes, le linge, la petite cloche : prêtres-soldats qui rappellent les vieilles chansons de geste, l’archevêque Turpin et les croisades, qui ont substitué à la parole l’exemple et qui, familiers de la mort, prononcent les paroles devant qui la mort se fond, se désagrège se déchire comme un voile devant la Vie Eternelle.
Nous sommes là, groupés autour de l’autel et le mystère s’accomplit. Quand la porte de la crypte s’ouvre devant un soldat qui vient prendre sa part de la cérémonie, il n’est pas rare d’entendre une détonation, signal ou occupation d’une sentinelle, avertissement qui rassure, qui montre qu’on est gardé. Retrouverai-je jamais l’émotion de cette messe de minuit dite à deux ou trois cents mètres des tranchées allemandes ? Nous étions à l’extrême limite momentanée de la France, dans ce village détruit et offert en holocauste et le divin sacrifice s’accomplissait pour l’éternelle sérénité des âmes prêtes à se donner à leur foi.
- Et maintenant à table !
Le commandant nous emmène à son hôtel, à sa cave. La lune est couchée, mais la nuit nous offre toutes ses fleurs : dans le froid qui pique, les étoiles scintillent comme des feux vivants. Mais quel est ce chœur lointain qu’on entend ? Les Allemands célèbrent à leur tour le Noël.
Nous descendons l’escalier obscur. Nous voici chez nous, en paix. C’est un éblouissement.
La table, de douze couverts, est éclairée par des bougies dont la lumière bouge, caresse les verres, vit dans les glaces du fond, communique aux choses un air vivant. Au milieu, un surtout de roses de Noël, le rosier du cimetière a été pillé. Chaque convive a trois verres d’une fine cristallerie, dont une flûte à champagne. La vaisselle ornée sera changée à chaque service. Comme menu : potage Crécy, hors-d’œuvre, filet aux petits pois, dinde, foie gras, salade, gâteau de riz. Comme vins : du Saint-Emilion et le champagne.
Ainsi, ces hommes qui endurent avec patience des privations quotidiennes, qui sont exposés au risque quotidien, qui ne sont pas relevés depuis des jours et des jours à ce poste d’avant-garde, qui connaissent la séparation, la solitude, qui se sont durcis à la fatigue et au danger, ont voulu avoir leur heure de luxe et de joie. On a failli les déranger : ils se sont battus le soir même. Mais cette heure, ils l’ont gagnée. Et les voilà gais, l’œil clair, repris de jeunesse et de gentillesse, unis par une solidarité belle comme ces amitiés célébrées par les poètes d’autrefois. La plupart ont fait la campagne depuis le début. Je les regarde tour à tour : quels hommes trempés, mûris, sûrs, forts de leur responsabilité, du calme conquis sur les nerfs, de la paix intérieure qui domine toutes les difficultés ! La conversation, si joyeuse qu’elle soit, ne cessera pas d’être ennoblissante. Ils ne savent pas qu’ils sont admirables. Ils ont autant de simplicité dans leur noblesse devenue toute naturelle.
Et un peu plus tard, quand je reprends, seul, le chemin sous les étoiles, tandis que la plainte aigüe des balles s’allonge, se prolonge dans la nuit, il me semble que je descends d’une de ces hautes montagnes que j’ai gravies si souvent, où l‘on respire un air si pur, d’une qualité si balsamique qu’on ne peut plus respirer à l’aise dans la plaine…

Capitaine B…




Notes :
- Le commandant est probablement le chef de bataillon François Pineau du 2e bataillon du 28e RI.
- Le lieutenant-colonel est Ernest Capitant, l'oncle du ministre de De Gaulle.
- La photo d'Henry Bordeaux est tirée du site de Jean-Claude : http://chamois.canalblog.com/albums/noi ... index.html

Bonne journée

Vincent
garance.
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Re: quand Noël et Nouvel An étaient en guerre...

Message par garance. »

bonsoir, je sais bien que Miquel n'est pas toujours rigoureux dans ses citations, il attribue à Dorgelès une phrase que je n'ai jamais retrouvée :
"il pleuvait cette nuit là (24 décembre 1914) où les rois mages portaient des minenwerfers"
c'est tragiquement poétique, quand on sait le nombre de morts français que cette arme a causée !
Elise
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Re: quand Noël et Nouvel An étaient en guerre...

Message par Elise »

Bonjour Frédéric

J'aimerai savoir dans quel camp était prisonnier Paul Mauduit?

Merci de votre réponse

Elise






[quotemsg=480,4,102]Bonjour,

Allez, un peu de lecture.

Voici un extrait du carnet de captivité de Paul-E. Mauduit du 3e RAP, fait prisonnier à Maubeuge.

26 DÉCEMBRE 1915
Les jours s’écoulent à peu près semblables. Le travail est à peu près le même, tantôt je travaille à une machine, tantôt à une autre, ou bien je trace des tôles ; mais rien de bien intéressant. Enfin, le temps passe.
J’ai reçu assez régulièrement, depuis quelque temps, une carte la semaine de ma femme. J’ai reçu aussi un colis par semaine et toujours en bon état.

Nous voilà arrivé à Noël. Ce jour est pour l’Allemagne un grand jour de fête, c’est le plus grand. Nous avons arrêté le travail le vendredi à 2 H. L’après-midi, pour tout le monde, il y a douche. J’oublie de dire que 20 Russes sont venus renforcer notre corvée. Ces hommes ont été pris en partie à Varchos . Ce sont pour la plupart de beaux gas et qui sont bien intelligents. On voit bien que s’ils étaient bien commandés, ils sont aussi bons soldats que les boches car ils sont obéissants et, malgré leur allure lourde, ils sont souples. Nous avons pu en juger hier soir au bal, ils dansent très bien et toujours avec leurs bottes.
La nuit du Réveillon, je l’ai passée toute blanche. Nous avons réveillonné avec des conserves, comme boisson du Régina et plusieurs bouteilles de schnaps. Ce qui fait qu’à une dizaine, nous étions pas mal allumés. Mais cela s’est bien passé.
Le jour de Noël, le matin réveil à 7 H ½. Nous avons été prendre le café. Il y avait une tarte avec. Rentrés à la chambre, nous nous sommes mis en tenue et ceux qui l’ont voulu ont été à la messe. J’y suis allé. Contrairement aux autres fois, c’est dans la chapelle de l’hôpital que nous avons été. Cette chapelle est assez gentille mais plus grossière que l’Église où nous allions habituellement. L’autel est entouré de sapins dans lesquels on a disposé des lampes électriques. Une petite chapelle de côté a été disposée où l’on a installé une crèche avec une lumière électrique. L’effet n’est pas mal. La messe était dite par un prêtre français récemment fait prisonnier à Lens. Comme d’habitude pendant la messe, l’on a chanté et dit le chapelet.
Le midi, le repas a été à peu près semblable aux autres jours : bœuf et pommes de terre, et des poires cuites. À deux heures, café et tarte à pommes. À 5 H, souper : pommes de terre et bœuf. À 6 H, nous partons pour le logement où est casernée la moitié de la corvée. C’est dans une salle de cinéma attenante à un restaurant. Là, nous avons passé une agréable soirée. 8 camarades musiciens avaient obtenu de la maison des instruments et ont formé une musique assez bien réussie, puis des chanteurs et enfin une pièce Le gendarme est sans pitié ; le tout bien réussi. Au milieu du programme, on nous a distribué à chacun un plat rempli de pommes et de gâteaux secs et nous avons eu, avec 20 phenig, un bock de bière de Dortmoud. Elle est excellente cette bière. J’oublie de dire qu’au levé du rideau un magnifique arbre de Noël était sur la scène. C’est un sapin garni de bibelotteries en verre et de petites bougies et, de place en place, de petits feux d’artifice. J’ai pris un petit souvenir mais si fragile que je ne sais s’il verra la France. Après le spectacle, il y a eu un bal qui devait durer jusqu’à minuit. Mais à 11 H ½, les agents de police sont venus nous faire cesser et nous avons rentrés à notre chambre.
Le lendemain dimanche s’est passé comme les autres fois sauf que l’on nous dit que notre correspondance est arrêtée pendant 10 j.


Le Jour de l’an, nous avons eu congé. Une dizaine de prisonniers ont voulu faire le cudan
[c'est ce que je lis, mais ce mot est inconnu au bataillon]. Ils avaient bien commencé mais la fin a été triste car ils ont abusé de l’alcool et ils ont fait un potin tel que le sous-off et des sentinelles sont venus pour remettre l’ordre. Il s’en est peu fallu que cela tourne mal. Malgré cela, nous n’avons pas dormi de la nuit. Et moi plus que les autres car j’avais encore quelque chose dans l’œil droit et cela me faisait bien mal. Enfin, le matin, au jour, un camarade me l’a retirée. Malgré cela, j’ai resté à la chambre le samedi et le dimanche. Cela m’a reposé un peu. J’ai mangé une boîte de tripes, elles étaient excellentes. Ah ! où sont les bons petits repas que je regardais à peine lorsque je les avais sans les désirer ?


Bonjour Frédéric

J'aimerai savoir dans quel camp était prisonnier Paul Mauduit?

Merci de votre réponse

Une lettre de Pierre Le Goff, tambour au 48e RI où il parle, sans transition aucune avec la terrible 1re partie, de ses projets pour Noël et de ses réflexions sur le nouvel an. Cette lettre je l'ai déjà postée à plusieurs reprises, donc elle est connue de certains d'entre vous.

Mardi 21 décembre 1915 à 9 H ½
Ma chère Petite femme,
Deux mots ce matin pour te donner de mes nouvelles qui sont toujours bonnes pour le moment et mon plus beau désir que cette lettre te trouve de même.
Je n’ai pas le courage chérie ce matin d’écrire, mais je ne veux pas te laisser sans nouvelle de moi aujourd’hui. Mais quand on a voit des coups comme j’ai vu ce matin, on a assez. Car figure-toi ma blonde que ce matin réveil à 4 H ½ et on a parti à 6 H. On ne savait pas où, mais quand on est arrivé on a vu. C’est la première fois, mais je t’assure que j’ai vu assez. Car, chère Renée, on a été voir fusiller un malheureux soldat. On était rendu là au champ de manœuvre et nous, les tambours et clairons, on était sur la route rassemblé. Alors, à la pointe du jour, on voit le malheureux arriver dans une auto et un peloton qui l’encadre et le ramène au poteau d’exécution. Et au moment qu’il passait devant nous, on a joué Aux Champs. C’est triste tu sais chérie. Quand il était descendu sur la route, il ne pouvait plus pleurer et criait, et il ne tenait plus debout, et l’aumônier et un gendarme qui le tenaient et qui essayaient de l’encourager. Mais remarque que quand on est arrivé devant la mort comme cela, on n’a pas beaucoup de courage. Alors ils l’ont mis à genoux au pied du poteau et ils l’ont attaché au poteau. Il criait toujours. Et ils lui ont mis un bandage sur les yeux avec un ruban de soie blanc. Alors ils l’ont quitté. Le commandement est donné « Feu », et le malheureux tombe. Le sergent lui donne le coup de grâce à l’oreille gauche. Et c’est fini. Après, on a défilé tous devant le corps. C’est triste, ça vous fait un drôle d’effet car, chérie, il y a déjà assez qui tombent à l’ennemi et voir cela, pour des fois pas grand chose, car celui-là est condamné à mort pour abandon de poste en face l’ennemi. Quelle nouvelle pour les pauvres parents quand ils sauront cela, croyant leur fils à faire son devoir pour la Patrie tandis qu’il est fusillé en lâche. C’est terrible ma blonde de voir cela, mais que veux-tu, c’est les lois militaires.
Maintenant je vais te dire que à Noël on fera le réveillon car toute mon escouade le fait. Alors ils m’ont demandé à les suivre. Alors chérie, je n’ai pas voulu les refuser car on est ensemble. Ils ont acheté une oie alors on va bien manger. Cela ne me plaît pas beaucoup mais puisqu’ils le veulent, je leur ai dit oui. J’aurai préféré être près de toi ma chérie à faire ce réveillon, on aurait eu plus d’amusement. Mais ma chérie, on ne peut pas alors il faut se résoudre comme cela. Tu me diras si cela te plaît ou pas car chérie eux disent peut-être que dans quelques jours on sera mort alors puisque l’on peut profiter, il faut le faire. Mais ma charmante blonde, je ne pense pas à cela du tout, mais on ne sait pas ce qui peut arriver. Enfin, c’est mieux de manger que de se saouler comme il y a qui le font tous les jours. Maintenant j’attends 11 H pour savoir si j’ai une lettre de ma chérie car je n’ai pas eu hier. Cela m’ennuie énormément mais il faut patienter car ce n’est pas de la faute à ma petite femme que j’aime. J’espère en avoir tout à l’heure, je le pense du moins. Je te le dirai cet après-midi ou ce soir sans manquer.
Voilà le 1er l’an qui approche encore. Ça fera deux 1er l’an que je passe aux tranchées et pas pouvoir aller souhaiter la bonne année à ma petite fiancée que j’adore de plus en plus tous les jours. Car je ne cesse de penser à toi, encore hier au soir j’ai rêvé que j’avais reçu un colis de toi et 2 lettres dedans me disant que dans 15 jours la guerre était finie. Tu parles que j’étais heureux mais quand je me suis réveillé, ce n’était plus pareil, je n’avais rien et tu étais loin, hélas. Espérons toujours ma petite blonde que dans peu de temps on sera uni à jamais. Je t’appellerai ma petite femme aimée cette fois et de droit n’est-ce pas chérie, tandis qu’à présent on le dit aussi mais on n’a pas le droit.
Ah ! Que c’est terrible cette boucherie ! Quand donc la fin ? On espère, mais on a beau attendre, ça ne vient pas vite. Mais peut-être que pour l’année prochaine on sera quitte, je le pense. Je ne suis pas comme Alfred jusqu’en 1919 ; c’est un peu long qu’en dis-tu ma blonde à ce sujet ? Enfin, on ne le sait pas car l’année dernière on disait aussi que pour cette année ça serait fini et ce n’est pas encore fini malheureusement.
Je vais te quitter car il est temps d’aller aux lettres et le sergent m’attend, ça fait que je vais te quitter. Espérons avoir une lettre me disant que tes papiers sont partis en Bretagne cela me fera plaisir chérie. Je finis sans finir de t’aimer et en t’embrassant bien fort de loin espérant que bientôt le faire de près. Ton fiancé qui désire être ton époux dans 1 mois
Bien à toi Le Goff à R D
Bons baisers. Je vais chercher les lettres, il est 10 H.



Bonnes fêtes de fin d'année à tous.

Cordialement,
Frédéric S.


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Frederic S.
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Re: quand Noël et Nouvel An étaient en guerre...

Message par Frederic S. »

Bonsoir Elise,
Paul-E Mauduit, de Pont-d'Ouilly dans le Calvados, était prisonnier au camp de Rennbahn puis, à partir de juillet 1915, à Dortmund.

Cordialement,
Frédéric S.
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mireille sauer
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Re: quand Noël et Nouvel An étaient en guerre...

Message par mireille sauer »

bonjour à toutes et à tous

en cette période particulière de fin d'année,si porteuse de voeux,de réflexions et de résolutions,je voudrais rendre hommage à tous ces soldats qui ont passé un Noël et un Nouvel An,loin de chez eux.
peu importe l'année,c'était la guerre
peu importe les auteurs,c'était des hommes
morceaux choisis entre désenchantement,lucidité et espérance


Je vais en rester là, histoire de ne pas vous lasser
si vous avez d'autres témoignages autour de cette période de fin d'année,issus d'écrits ou de lettres,connus ou inconnus,cela m'intéresserait de les lire
c'était il y a 90 ans...c'était hier
[#7f007f]Joyeux Noël et très bonne année 2007 à vous et à vos proches

amicalement,
Mireille Salvini


Bonjour tout le monde,

et bien ce n'est pas Noël, mais tant pis !
Voici les projets de mon grand père au 50eRI en novembre 1914, dans une lettre à sa maman

Pour la Noël, nous nous sommes promis de réveillonner dans une de nos tranchées. On réveillonnera sans doute ici, à moins que les allemands soient repoussés. Nous devons chacun de nous apporter notre cote part, et tacher d’ici là de rassembler des provisions nécessaires.


et Pierre BOTTI, dans son receuil : Avec les Zouaves, du 3eRMZT
--""21 décembre 1915. --J'ai eu le noir toute la journée d'hier. Je l'ai encore.
C'est triste, parbleu ! de vivre ces époques heureuses de l'année, faites pour les joies familiales, loin des siens et loin de ceux qui peuvent vous donner ces affections de l'amitié qu"aucune camaraderie ne saurait remplacer.*Noël ! Le jour de l'an ! La joie de ces fêtes n'est pas pour les soldats.
Pourquoi se leurrer ? On veut que je cherche à les distraire pour les fêtes : ils seront de corps ici, mais ils n'en regretteront que plus les plaisirs du foyer qu'il n'est pas en mon pouvoir, hélas! de leur dispenser.
Et les autres ? Ceux qui seront dans la tranchée par la pluie et la boue ?
Les sentinelles dans la nuit, face aux Boches ? Les pauvres choses qui chercheront à forcer le sommeil sur le sol humide, dans l'extase des souvenirs du passé !
26 décembre;-- Fête pour Noël !
Messe de minuit à laquelle assistèrent les zouaves de toutes les religions et les indigènes musumans...
Je n'avais comme local qu'un baraquement d'écurie, agrandi à l'aide de bâches, et ce n'était pas déplacé.
-- Jésus n'est-il pas né dans une étable ?
Pour la scène et l'autel, quelques planches, des rideaux de velours grenat, épaves de Nieuport, y suffirent.
Pour l'orchestre et les orgues, il y eut un piano, dégoté je ne sais où -- celui du garde champêtre a été enlevé par le Grand Quartier général belge -- et qui fut apporté dans une voiture à bras un quart d'heure avant le spectacle.
Les artistes : nos hommes, et il en est de merveilleux.
Et il y eut un arbre de Noël, joliment garni de comètes, de boules de verre, de cheveux d'anges et de douze grandes bougies : un sapin coupé tout vif, presque sur le front.
Dehennin avait "casqué" ferme pour offrir une tombola où tous les numéros gagnèrent.
La "clique" du régiment nous prêta son vconcours, mais le sergent clairon, un peu bu -- ça s'excuse, il était l'invité de la compagnie -- rata l'Elévation bien que le prêtre s'agitât devant l'autel pour attirer son attention.
Les corbeilles vidées ; le tabac enfoui dans toutes les poches, les friandises, les soldats dépouillèrent l'arbre de Noël de tout ce qu'il portait. Après le réveillon qu'il fit à notre table, le prêtre, en chéchia, s'en fut coucher sur un peu de paille au milieu de ses camarades.
Maintenant, des lettres emportent vers la France ou la lointaine <algérie, les cheveux d'anges, les cheveux que les chérubins avaient laissés après notre arbre ; les comètes venues des cieux pour se poser dans les aiguilles vertes de notre sapin.""

Voilà-
Cordialement
Mireille Sauer--
http://1418sauer.fr
Nénette et Rintintin sont tous les deux mignons;ils dorment en ce moment, bien tranquillement au fond de ma poche, et je n’ose les déranger car ils doivent surement s’aimer comme deux fous. Henri 3RMZT 07/18
crocus251
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Re: quand Noël et Nouvel An étaient en guerre...

Message par crocus251 »

Bonjour,
Je viens de découvrir ce fil.
Et moi, je viens d'apprendre, en recevant la fiche matriculaire de mon arrière grand père il y a 8 jours : pourquoi, quoique je veuille en moi, j'étais toujours déprimé à Noël : mon arrière grand père a été mobilisé le 24 décembre et entrait au 287e RI le jour de Noël 1914. Comme quoi, des choses s'inscrivent dans les générations qui suivent. Un bien triste anniversaire que ce jour là.
Cordialement
Crocus


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