Journal d'un fusilier marin : Fortuné Dalbera.

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IM Louis Jean
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Re: Journal d'un fusilier marin : Fortuné Dalbera.

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Dans un combat moderne il est impossible à un combattant de se rendre compte de ce qui se passe à côté de lui, en dehors de son secteur, souvent ce n'est deux ou trois jours après, alors qu'en arrière tout le monde le sait déjà, que vous apprenez qu'à quelques pas de vous vient de se passer tel ou tel fait, et si vous voyez plusieurs type chacun d'eux vous racontera l'histoire à sa façon, du moins dans les détails. [Dans la marge : ] ou par le Bulletin des Armées de la République.

[Dans la marge : ] voir ci-joint un extrait de lettre du front
Recopiée le 01/12/48

12e lettre du front
Hoogstaed le 21 novembre 1914

Chers parents,

Je viens de recevoir votre carte du 14 courant juste comme je venais de vous envoyer une carte disant que je n'avais rien reçu de vous depuis une dizaine de jours, je n'ai pas reçu non plus l'imperméable. Comme je pense vous avez dû le deviner pendant que j'étais dans les tranchées c'était à Dixmude (on me remet pendant que je vous écrit votre carte du 18 courant celle-là n'a mis que 3 jours pour arriver, c'est un record, merci pour elle et je continue ma lettre) et je puis vous affirmer que ça a bardé et par la même occasion je vous envoie un article qui a paru dans le Daily Mail et qui est entièrement faux, il n'y avait aucun autre corps que la Marine si ce n'est une compagnie de tirailleurs sénégalais et quelques Belges sur notre droite et je puis vous dire sans crainte de démenti que leur réputation est surfaite, vous direz sans doute que ces gens-là se battent depuis trois mois et demi, cela est très vrai mais je pourrais répondre à ça que ces gens là sont allés se reposer à Dunkerque et que ceux qui étaient à Dixmude pouvaient rentrer dans la catégorie des troupes fraîches, et bien ces gens-là dès que les marmites tombaient près de leurs tranchées, se cavalaient comme des lièvres et il fallait en plus de nos postions occuper les leurs. Je ne sais si ma lettre vous parviendra, en tout cas je vais vous raconter la prise de la ville par les Allemands telle qu'elle a eu lieu. Comme vous devez le voir par le plan que je vous adresse la ville de Dixmude, ville d'environ trois mille âmes, était du côté de l'Yser occupé par les boches mais était toujours en possession des troupes de la Marine française qui occupaient des tranchées en avant de la ville qui, elle-même, n'était plus qu'un monceau de ruines, et par ce fait intenable, mais ce qui en faisait sa valeur c'est qu'elle se trouvait sur la route de Dunkerque et elle commandait le pont et nos troupes qui se trouvaient en avant de la ville empêchaient les Allemands de se glisser par surprise jusqu'au pont. Alors le 10 les Allemands nous firent subir un bombardement épouvantable et malgré les pertes considérables réussirent à percer nos tranchées avancées, l'on se battit toute la journée dans les rues, mais comme ils étaient très supérieurs en nombre l'on dû évacuer la ville et passer le pont les pertes des Allemands étaient considérables mais les nôtres, hélas sont assez fortes. J'ai su que deux compagnies de marins, qui avaient été cernées et obligées de se rendre après avoir brûlé toutes leurs cartouches, furent désarmées et obligées de marcher pousses par les baïonnettes boches sur nos tranchées afin de leur permettre d'avancer sans danger et nous être dans l'alternative de les laisser avancer ou de tirer dessus et bien cela est malheureux mais le le fallait, et on l'a fait. Beaucoup de marins, heureusement pour eux, se jetèrent à l'eau et nous pûmes les repêcher de l'autre rive, ceux-là furent sauvés. Où les Boches eurent le plus de pertes ce fut lorsqu'ils eurent l'audace de placer 2 mitrailleuses à 30 mètres du pont et un canon ils devaient venir de la forêt qui se trouve à droite entièrement à découvert, il en fut fait un carnage épouvantable ceux qui restaient s'enfuirent jusqu'au dernier en somme les Boches s'emparèrent de Dixmude mais ne purent passer la rivière et cette prise ne leur est d'aucune valeur car dès que nous eûmes évacué la ville notre artillerie se mit à pleuvoir dessus et le rendit intenable à l'ennemi qui dut l'évacuer .
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Quand à nous nous fîmes sauter les 2 ponts, celui de la route et celui de la voie ferrée ; pour celui de la voie ferrée c'était un lieutenant belge qui avait le responsabilité de le faire sauter, il avait son poste à côté du pont, les mines étaient en place et les fils à portée, et bien lorsqu'il reçut l'ordre de faire sauter le pont, chose honteuse à dire, il ne le fit pas, les fils étaient en mauvais état, il ne les avait pas surveillés, il a fallu qu'un de nos commandants arriva et revolver au poing l'en fit réparer, 10 minutes après son arrivée le pont sauta. [Dans la marge : ]bruit qui circula dans la Brigade après le 10 novembre. En résumé si ce n'est que de part et d'autre part beaucoup plus considérable du côté boche, on a eu des pertes à déplorer, le combat du 10 n'aura été qu'une légère victoire d'amour propre pour les boches mais pour nous ça n'a pas été une défaite car nous tenons toujours la rive gauche de l'Yser plus énergiquement que jamais et que tous les jours on reçoit des renforts en quantité.

Comme vous le voyez il ne faut pas toujours croire les journaux car souvent ceux qui font les articles soi-disant à sensation les font d'imagination et sont out le contraire de la réalité pour mon compte j'ai confiance plus que jamais et je termine en vous embrassant de tout coeur.
Votre Fortuné.

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IM Louis Jean
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Après le 10 novembre, les Sénégalais furent retirés de notre front et évacués, à cause du froid, malgré leurs souliers et leurs molletières, les jambes et les pieds leur gonflaient, les pauvres malheureux ne pouvaient pas se traîner, pour eux le froid : << Y en avait pas bon >>.

La Brigade resta encore 6 jours à Dixmude, ou du moins sur la rive gauche et ces derniers jours se passèrent tranquilles, sauf bien entendu le bombardement habituel. Dans la soirée du 10 on avait fait sauter le grand pont, celui de chemin de fer était démoli depuis longtemps, mais comme on avait peur que les Boches se servent des rails pour envoyer un pont volant pendant la nuit, une pièce de 75 bombarda la voie pour la rendre inutilisable.

Jusqu'au 16 nous vécûmes en père peinard, notre principale préoccupation fut de démolir la petite maisonnette qui était à côté de nous pour, avec les matériaux, en améliorer nos gourbis. Comme il avait pas mal plu, le sol était un vaste bourbier, chaque fois que l'on levait le pied on avait 5 kgs de boue après ; avec les briques provenant de la petite maisonnette nous fîmes de petites allées entre nos gourbis ce qui nous permit d'avoir les pieds secs. Le poste de ravitaillement avait encore été éloigné et ce n'était pas le rêve d'aller la nuit, à travers champs, chercher les vivres, le sol était labouré de trous d'obus pleins d'eau, à chaque instant l'on risquait de tomber dans l'un. Nous avion un QM d'échelon, Sablé, un vieux fayot mais la pâte des hommes, ce pauvre diable tenait sur ses jambes parce que c'était la mode, tous les soirs c'était lui qui partait avec la corvée de vivres, malgré qu'il y eut 3 autres QM à la section. Comme remerciements, dès qu'il arrivait il était agoni d'invectives par Goffny (que nous avions surnommé "fil de fer" vu sa maigreur et les poils de sa moustache), dont il était la bête noire, tantôt il était resté trop longtemps en route, tantôt il n'avait pas touché assez de vin, et les promesses de le faire casser de son pauvre grade de QM, et les épithètes d'imbécile, d'idiot etc... lui pleuvaient sur le dos. Lorsque notre principal voyait ça, il faisait chorus lui aussi si bien qu'ils rendaient ce pauvre malheureux "marteau", nous autre on lui reprochait de se laisser faire comme cela et souvent Même nous ne cachions pas nos opinions à nos deux chefs qui, pour le quart d'heure, n'avaient pas la jappe trop haute avec nous.
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Fil de fer dit moustaches de taupes
Nous étions une équipe de réservistes qui voulaient bien faire leur boulot mais qui ne voulait pas trop se laisser embêter. Avec Mahé, Lesueur, Depagnat, Charolais et Lejeune nous formions une équipe qui, plus d'une fois, à fait mettre notre cher "Rosalie" en fureur. J'ai vu Lesueur lui refuser catégoriquement le service et le mettre au défi de trouver deux témoins pour lui faire passer conseil de guerre et comme l'autre le menaçait de son revolver le mettre au défi pour cela aussi, il est vrai que nous étions une demie douzaine tout à côté et Rosalie était bien trop froussard pour essayer de faire acte d'autorité.
[Dans la marge : ] La discipline est la force principale des armées!!!!!
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Pour mon compte comme je faisais la cuistance pour les copains il aurait voulu que je lui porte à becter dans son gourbi, je ne l'aimais pas assez pour cela aussi le jour où il me dit : << vous savez, cuisinier, vous devez servir votre officier! >> je lui répondis que dans le civil j'avais des "petits nègres" à mon service et que je n'étais pas venu à la guerre pour lui en servir à lui, s'il voulait à manger, il n'avait qu'à venir taper dans la marmite comme les copains. Enfin Miquel eut pitié de lui et quand on réussissait à pouvoir faire cuire quelque chose, il lui en portait un peu, ainsi que le jus le matin. S'il n'avait compté que sur moi, il aurait pu attendre longtemps, je n'avais pas demandé à faire la cuisine, si ça ne lui plaisait pas il n'avait qu'à la faire faire par un autre.

Dans la matinée du 16, nous apprîmes que nous allions être relevés dans la soirée, chacun rassembla ses affaires, nous préparâmes nos voiturettes et nous attendîmes la relève avec impatience. A la tombée de la nuit, nous vîmes arriver des territoriaux qui allaient relever les compagnies de marins, il y avait un bon moment qu'il en passait et nous commencions déjà à désespérer lorsque enfin notre relève arriva, c'était aussi des "totors". pendant que nous démontions et embarquions nos pièces dans nos voiturette "Rosalie" faisait les honneurs de notre coin au lieutenant des mitrailleurs qui venaient nous relever.

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Tout parés, nous nous attelâmes à nos voiturettes et nous prîmes la direction du chemin de S-Jacob-Capelle, il fallait pour cela passer à travers champs et nos voiturettes s'y embourbaient jusqu'aux moyeux mais malgré cela nous avancions quand même. Bientôt nous arrivâmes à proximité du chemin que nous devions prendre mais là nous avions un fossé à franchir et un petit talus à grimper. Nous nous attelâmes à deux équipes (14 hommes) par voiturettes et nous arrivâmes à franchir ce passage difficile, puis nous prîmes la direction de la grande route. Le long du chemin se trouvaient des marins chargés de nous renseigner sur la direction à prendre, derrière nous, le long des tranchées, 2 ou 3 fermes étaient en flamme mais nous ne nous attardions pas à nous payer le coup d'oeil, on l'avait assez vu comme cela, d'autant plus qu'un moment avant les Boches avaient bombardé le chemin que nous devions prendre, ce n'était pas le moment d'y stationner. Après une bonne demie heure de marche nous arrivâmes sur la grande route et, après que Rosalie eut pris les ordres d'un officier qui se trouvait là, nous dîmes adieu à Dixmude.

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De Dixmude à Hougstaedt - Dunkerque - Polinchove - le Pétrolifère

Personne parmi nous ne savait où nous allions mais nous ne nous faisions pas trop de bile à ce sujet, le principal, pour le moment, était de mettre de l'espace entre nous et les marmites boches, pour le reste l'on avait le temps de voir. Toujours tirant sur nos bagnoles, nous arrivâmes à Nieucapelle mais nous ne nous y attardâmes pas, plusieurs maisons finissaient de brûler, dans la journée le patelin avait été copieusement bombardé, l'église avait eu son clocher de descendu et quelques marmites étaient même tombées à proximité du cantonnement de l'Amiral. Nous fîmes encore quelques cents mètres, une pluie fine tombait, et nous arrivâmes devant une maison solitaire qui se trouvait sur le bord de la route, c'était un estaminet quelconque. Nous fîmes halte et notre chef de section pénétra à l'intérieur, c'était un poste d'état-major, peut-être celui de l'Amiral, à côté se trouvait un corps de bâtiment qui avait dû servir d'écurie dans le temps mais pour l'instant il servait de corps de garde et quelques marins y dormaient. Tant bien que mal nous pénétrâmes dedans pour nous mettre à l'abri, il y avait tout juste de la place, debout, pour une trentaine et nous avions trouvé le moyen de nous y caser à une cinquantaine. Je ne sais trop comment nous nous étions débrouillés pour ce faire mais je sais fort bien que nous y étions bougrement serrés, encore étions-nous enviés par les camarades qui, moins heureux que nous, avaient dû rester dehors.

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source 1914-18.be

Comme de juste nous causâmes avec les marins qui avaient leur poste là et ils nous disent qu"ils étaient arrivés de France depuis 3 ou 4 jours et qu'ils n'avaient pas bougé de Nieucapelle où tout avait été très calme jusque dans la matinée d'aujourd'hui où les Boches, qui avaient dû savoir que l'Amiral s'y trouvait avoir son cantonnement, leur avait fait les honneurs d'un bombardement soigné. Celui qui me causait avait eu son fourniment et son sac pris sous les décombres d'une maison où il était cantonné. Comme Nieucapelle avait de suite été évacué il avait été forcé de quitter le patelin sans les ravoir.
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Pendant que nous étions là, d'autres sections de mitrailleuses s'étaient amenées et s'y étaient arrêtées, des compagnies des régiment passaient aussi et l'on s'interpelait de part et d'autre. Quelqu'un nous dit que nous devions aller à Loo mais cela ne nous avançait guère car personne ne savait où ça se trouvait.

Après à peu près une heure de pause, nous nous remîmes en route, la pluie avait cessé et comme nous étions un peu reposés nous partîmes de bon coeur. Contrairement à ce que l'on nous avait dit nous ne nous arrêtâmes pas à Loo, nous traversâmes le patelin et nous fîmes encore 3 ou 4 kilomètres avant de nous arrêter.

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Le cantonnement qui nous était assigné se trouvait être un estaminet situé à l'entrée d'Hougstaede, sur la gauche en pénétrant en vile, il était fermé. Notre commandant, Cairol, frappa à 2 ou 3 reprises à la porte avant d'avoir une réponse, enfin une tête se montra au 1er étage et demanda ce qu'on voulait, quand Cairol lui eut dit que nous devions cantonner chez lui le bonhomme lui dit n'avoir plus de place car il avait déjà des troupes chez lui, mais notre commandant ne se contenta pas de ces paroles, il lui dit d'ouvrir quand même et qu'il allait se rendre compte de la véracité de ses paroles. Dès que le bonhomme eut ouvert Cairol commença par lui réquisitionner sa salle de café puis comme le grenier était inoccupé il subit le même sort. Dans le grenier je réussis à dénicher quelques sacs et j'eus tôt fait de m'arranger un petit coin pour roupiller, chose qui ne tarda guère. Les nuits d'après nous ne dormîmes plus dans le grenier, l'on nous parqua dans une grange bondée de paille et fermée de tous côtés, nous étions là-dedans comme des rois. Pour la cuisine nous avions un petit cabanon que nous nous partagions avec les cuistots d'un escadron du 6e Hussards qui se trouvait cantonné avec nous.
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Comme nous n'avions pas de bois, nous étions obligés d'en acheter au patron de l'auberge qui nous le vendait 3 sous le petit fagot. A Hougstaede nous commençâmes à toucher de la viande frigorifiée, cela ne cessa plus jusqu'à la fin de la campagne, nous touchions aussi quelques sous de la main à la main pour nous acheter des pommes de terre et quelques légumes, c'est sur cet argent-là que nous étions obligés de nous payer le bois, aussi nous attachâmes-nous d'en acheter le moins possible et d'en "faucher" le plus que nous le pourrions, cela sans remord aucun, car le patron de l'estaminet où nous étions cherchait à nous estamper le plus possible et, d'autre part, nous nous rappelions du peu de bonne volonté qu'il avait mis à nous recevoir. Comme chacun d'entre nous avait un peu d'argent et que dans le pays on pouvait trouver tout ce qui nous manquait, nous étions parfaitement heureux.

Je n'avais toujours pas de couverture, juste le sac à viande que j'avais reçu au Grand-Palais, et comme dans une grange attenante à la nôtre je voyais des types du 6e Hussards qui, en plus de laurs couvertures, avaient pris celles de leurs chevaux, je conçu le projet de leur en soustraire une. parmi les hussards il y avait un type bluffeur, assez ancien en service et qui se vantait de n'avoir jamais été refait par personne ; afin qu'il ne puisse plus dire cela dans l'avenir je résolu de lui faucher la sienne et, profitant d'un moment où il n'était pas là, je fis main basse dessus et l'embusquai dans une de nos voiturettes, dessous des caisses à munitions. Lorsqu'un instant après il s'en aperçut il fit la révolution partout, proférant les pires menaces sur celui qui avait eu l'audace de le débleuir mais il en fut pour ses frais. Quant à moi, je gardais cette couverture jusqu'à la dislocation de la Brigade et elle me rendit de grands services ; elle était bien un peu lourde à porter, mais j'étais bien aise de l'avoir au moment de m'allonger. Comme Miquel était aussi dépourvu de couverture, nous nous allongions côte à côte et elle était assez large pour nous couvrir tous les deux, cela jusque vers le milieu de décembre où Miquel hérita de la couverture de Gloria qui venait d'être blessé et évacué (couverture qui provenait d'une maison de Dixmude). Pour en finir avec la mienne après l'avoir promené sur mon dos pendant 14 mois elle vint échouer à Toulon où je la rendis au magasin lorsqu'on nous déséquipa. Je m'étais habitué à elle et cela me fit de la peine de m'en séparer ; j'aurais payé n'importe quel prix pour pouvoir la garder.
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Un matin je partis avec Mahé en maraude pour tâcher de nous procurer quelques choux ; pendant la nuit il avait gelé dur, partout il y avait du givre, aussi lorsque nous arrivâmes vers le champ de choux que nous avions repéré la veille et que nous voulûmes en arracher quelques uns cela nous fût impossible, les feuilles étaient entièrement gelées et nous brûlaient les doigts lorsque nous voulions les empoigner ; il fallut couper les troncs à grands coups de baïonnette pour pouvoir les avoir. Il y avait 3 ou 4 jours que nous étions à Hougstaede lorsqu'un matin Rosalie vint me trouver et me demanda si je voulais, pour quelques jours, faire la cuisine pour le commandant et les officiers, en remplacement de leur cuisinier, Pizigot, qui venait de tomber malade. J'acceptais volontiers et je pris aussitôt mes cliques et mes claques puis je me rendis au cantonnement du Commandant, après avoir toutefois transmis ma charge de cuistot de la section à Miquel, qui prit Anthelme comme second.

Le cantonnement des officiers de la compagnie de mitrailleuses était établi dans un estaminet donnant sur la grand'route et les deux ou trois jours que j'y passais me furent assez agréables. Le travail ne me tuait guère car sorti du boeuf frigorifié, des patates, des choux et parfois un poulet ainsi que quelques oeufs, il n'y avait rien d'autre. Les tenanciers de l'estaminet étaient assez gentils, de même que leur fille, Madeleine Worms, qui n'était point trop farouche. Dans la journée je partais en exploration avec le maître d'hôtel, Le Mé, un réserviste, et nous nous dirigions soit sur Loo, soit dans la campagne, à la recherche de quoi varier l'ordinaire, l'on rentrait pour faire vivement notre boulot puis l'on était tranquille. Nous nous renfermions à quelques uns dans la cuisine, la jeune fille venait nous y rejoindre puis c'était des parties de blagues à n'en plus finir. C'est de là que j'expédiais à la maison mes premières cartes de Belgique, elles me furent données par Madeleine Worms, sur une elle écrivit même son nom et quelques mots de souvenirs. Après les quelques jours passés à Dixmude et qui m'avaient paru des siècles, de me voir ainsi tranquille cela me remettait de mes émotions, parfois au loin l'on entendait la canonnade et c'est alors que l'on ressentait vraiment le bonheur dont nous jouissions.
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Cela ne dura guère car deux ou trois jours après l'on nous avertit que nous partirions le lendemain au petit jour pour Dunkerque. Le Mé, aidé de l'ordonnance du Commandant ainsi que de ceux des officiers prépara toutes les affaires puis l'on poussa un petit roupillon. Nous fûmes réveillés de bonne heure, l'on fit le jus puis nous emballâmes notre matériel dans la voiture à bagages et nous attendîmes le départ. Après toutes sortes d'anicroches, sections en retard, voiture manquante etc... et surtout beaucoup de cris de Panse de Vache, nous fûmes parés et nous nous ébranlâmes.

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Il faisait encore nuit noire mais le jour ne tarda pas à paraître, d'abord il y eu la brume habituelle puis enfin le soleil fit son apparition et nous eûmes une très belle journée. Parfois l'on passait devant un estaminet et alors quelques uns quittaient la colonne et rentraient s'enfoncer une pinte ou un genièvre. Vers les 10 heures nous franchîmes la frontière puis un moment après nous traversâmes Hondschoote, contrairement à nos prévisions nous ne nous arrêtâmes pas là, ce fut à quelques kilomètres de Berque que nous fîmes halte. Tout d'abord on nous annonça deux heures d'arrêt mais cela fut un peu diminué. Sitôt la colonne arrêtée, Panse de Vache pénétra dans un estaminet. Il y avait deux femmes, dont une vieille, ainsi que deux petits gosses. Après avoir réquisitionné l'unique fourneau de la maison il réclama des assiettes, des verres, etc... Pendant ce temps je m'étais mis en devoir de faire quelque chose à becter, un beefsteak, des frites et une boîte de petits pois. La patronne de l'estaminet qui d'ailleurs ne causait guère le Français et le comprenait de même, faisait son possible pour satisfaire Cairol et les autres officiers mais cela n'allait pas assez vite au gré de Panse de Vache car il lui criait tout le temps sur le dos des phrases dans le genre de celle-ci : << soyez bien heureuse que ce soit pas les Boches qui se trouvent à notre place car eux ne feraient pas tant d'histoires, ils auraient vite fait de vous sortir d'ici et de s'y installer en maîtres. >> Cette malheureuse femme en perdait la tête et c'est avec plaisir qu'un moment après elle dû nous voir partir. Blague à part, Cairol allait un peu trop loin, il se figurait presque en pays conquis.
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Lorsque la colonne se remit en marche si ces Messieurs avaient le ventre plein il n'en était pas de même des trois quarts des hommes car le temps et les moyens avaient manqué pour faire cuire quelque chose, d'ailleurs ils étaient trop fatigués et, après avoir mangé un morceau de pain et être partis à la recherche de quelques pintes, ils profitèrent du temps qui restait pour se reposer. Dans l'après-midi nous traversâmes Berque ; pour mon compte je commençais à en avoir plein le dos, et j'étais un peu fiévreux, et c'est avec plaisir que j’acceptais l'offre du conducteur de la voiture à munitions (Rivoalen, cuirassier détaché à la compagnie de mitrailleuses, conducteur) de la 1ère section de pénétrer dans sa bagnole (ex-voiture de liaison de la Samaritaine). Sitôt embarqué je me suis endormi et ce n'est qu'après avoir traversé Dunkerque et être arrivé à Petite Synthe vers les 4 heures 1/2 du soir que je revis le jour.

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La compagnie fut cantonnée dans une espèce de dock à grains sur les bords d'un canal et personne ne devait en sortir ; mais malgré cela la plupart des types se tirèrent des pattes, les quelques uns qui restèrent en profitèrent pour allumer du feu et faire un peu de soupe. Pour mon compte, je m'étais débiné avec Le Mé et l'ordonnance de Panse de Vache, et comme tous les officiers étaient partis nous avions liberté de manoeuvre. Nous rentrâmes dans un estaminet et nous mangeâmes un morceau, il y avait pas mal de civils et l'un d'eux nous invita à aller coucher chez lui, nous l'en remerciâmes vivement et nous le suivîmes. Il demeurait à une centaine de mètres de l'estaminet, dès que nous arrivâmes, sa femme nous fit du café qu'elle additionna d'un coup de genièvre, puis elle nous prépara trois matelas, des oreillers et des couvertures dans une chambre et nous demanda à quelle heure elle devait nous réveiller le lendemain. De suite couchés, nous ne fîmes qu'un somme jusqu'au matin 5 heures, heure à laquelle notre hôte vint nous réveiller. Il nous fit venir dans sa cuisine où sa femme se trouvait déjà, en train de faire du café à notre intention, nous en avalâmes chacun un bol ainsi qu'un petit verre de gnôle puis nous prîmes congé de ces braves gens après toutefois leur avoir promis que nous reviendrions chez eux la nuit suivante. C'étaient de bien braves gens, je n'ai jamais oublié leur accueil.

Nombreux furent les camarades qui eurent des occasions pareilles, nous étions très bien vus par la population qui disait que sans nous les Boches seraient venus à Dunkerque, que nous étions des braves etc etc ...

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source http://maniezjp.fr/

L'état-major de la compagnie avait établi son cantonnement, pour les repas uniquement, dans un estaminet sur la route de Fort-Mardyck, le long d'un canal, à peu près à 1 kilomètre du cantonnement de la Compagnie ; nous nous y rendîmes et furent accueillis de la meilleure façon par la tenancière ainsi que par sa soeur et un territorial de l'administration, à quel titre cela je ne l'ai jamais trop bien su, peut-être était-ce à titre d'ami du mari qui était mobilisé!
(recopié en novembre et décembre 1948)
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Paris, 11 août 1933

J'ai laissé mon récit en panne à Port-Saïd, manquant de documents pour la certitude des dates et pensant le continuer après avoir revu ma correspondance du front que mes parents avaient conservé, total j'ai attendu 17 ans pour en reprendre la suite. Mes souvenirs sont toujours frais et j'ai devant moi de quoi me remettre sur la bonne voie si ma mémoire défaillait.


Nous sommes restés à Petite-Synthe jusqu'au 25, c'est dire si notre repos a été court. Le 25 au matin départ, nous avons marché toute la journée et à la nuit nous étions encore en route, tout le monde était fourbu et quelques hommes étaient restés en route. Il faisait un froid de chien, nous avons cantonné, ma section, dans une ferme. L'état-major de la compagnie avait établi sa popote dans une autre ferme, un peu plus loin ; c'est la que je me rendis le lendemain, 26 novembre 1914, pour y prendre mon service, ce fut mon dernier jour de cuisinier car ce même soir, le commissaire, monsieur Audui, me donna l'ordre de nettoyer ses bandes molletières, que je refusais catégoriquement en lui disant que je n'étais pas son domestique, je pris mon mousqueton, mon sa, et sans plus tarder je rejoignis ma section.

L'affaire n'eut pas de suite, l'on trouva un autre cuisinier pour me remplacer jusqu'au retour du cuisinier en pied, Pizigot, qui revint quelques jours après et qui eut la chance de passer tout le restant de la campagne embusqué à Coxyde-sur-mer avec l'état-major.

Après être restés cantonnés 2 ou 3 jours à Polinchove nous reprîmes la route et arrivâmes dans un patelin au 3/4 démoli, c'était Lampernisse. Nous avions établi domicile dans une grange à droite de la route, à l'entrée du village, à notre gauche il y avait une batterie d'artillerie légère belge, avec l'ancienne tenue, qui tirait de temps à autre sur les qui, de leur côté, ne restaient pas en reste.

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