LUTECE Goélette de Tahiti

olivier 12
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Re: LUTECE Goélette de Tahiti

Message par olivier 12 »

Bonjour à tous,

LUTECE

Goélette française de 124 tx ex GAULOISE, immatriculée à Papeete.
Armateurs GRAND, MILLER & FAIN . Papeete Tahiti

Appareille le 27 Aout 1917 de Papeete pour son voyage annuel aux iles à plonge (Tuamotu).

Voici un résumé du très long rapport rédigé par l’un des propriétaires de la goélette, Mr Faïn, et adressé au gouverneur de Tahiti.

Monsieur le gouverneur,

Je vais vous relater les tribulations des passagers de LUTECE depuis leur capture par les Allemands et ce que nous avons recueilli de la bouche des prisonniers américains.
Je vous réclame respectueusement toute votre indulgence pour le décousu de ce récit.

Suite à l’expiration de la concession de Mopelia, nous devions, avant les Tuamotu, toucher l’ilôt de ce nom pour en vider les lieux et reprendre la main d’œuvre importée par nous. Nous devions aussi profiter de cette pointe dans l’ouest pour déposer un passager à Bora-Bora et tenter d’y prendre quelques marchandises.

A bord de LUTECE se trouvaient :
- MMr Miller et Fain, propriétaires
- Porutu capitaine tahitien
- 1 subrécargue
- 8 hommes d’équipage, tous tahitiens
- 1 maître d’hôtel
- 1 passager pour Bora-Bora
- 2 Chinois de Niau

Chargement : marchandises diverses pour notre commerce.
Escale à Bora-Bora le 29 Août.
Le 4 Septembre, nous arrivons devant Mopélia. Le capitaine Porutu préféra attendre le jour pour approcher de la côte.
Le 5 au lever du soleil, par faible brise, nous nous dirigeons vers la passe. Rien ne paraît anormal, mais le jour grandissant, il nous semble apercevoir une masse noire face à l’un des ilots formant Mopelia. C’est tout d’abord inexplicable, mais bientôt nous reconnaissons la structure d’un navire qui, selon toute apparence s’est échoué sur le récif. Notre première pensée est pour les naufragés qui attendent sans doute depuis longtemps du secours.

Nous approchant, nous voyons un canot dans le lagon, qui fait route sur nous. Il portaient 5 hommes différemment vêtus, ce qui confirma l’idée que nous avions à faire à des naufragés. Sur l’avant de la barque, il y avait une sorte de trépied qui nous intriguait. Nous nous en demandions l’usage. L’exclamation que nous poussâmes simultanément et le ton employé donnèrent la mesure de notre ahurissement : « Une mitrailleuse ! »
Quelques secondes plus tard nous étions accostés et une quinzaine d’hommes , jusque là couchés dans l’embarcation, sautèrent sur notre pont, revolver, fusil ou grenade au poing.

Un officier, qui était le second, nous donna l’ordre d’amener nos couleurs, ce que nous refusâmes. Un matelot les descendit.
Il nous fit un petit discours sous une forme ironique :
« Je regrette d’être dans l’obligation de prendre votre bateau, mais puisque vous avez eu la gracieuse idée de l’amener jusqu’ici, je ne vous ferai pas l’injure de ne pas l’employer pour sauver mon équipage ».
Il nous donna une demi-heure pour prendre nos effets personnels.
Je lui répondis que peu nous importait d’avoir du linge propre pour se faire fusiller. Mieux valait l’être tout de suite sans plus de formes.
« Apprenez, Monsieur, que nous sommes des guerriers et non des pirates » me répondit-il.

Il nous demanda si nous avions de l’argent. Nous lui montrâmes la somme de 17 000 francs en billets de la banque d’Indochine, lui expliquant qu’ils n’avaient cours qu’à Tahiti. Après quelques instants de réflexion, il nous les rendit. Il aurait préféré de l’or.

Après la capture, chaque homme était gardé par un matelot armé. Celui qui me gardait me demanda dans la forme la plus châtiée :
« Auriez-vous l’amabilité de me donner des feuilles de papier à cigarette. »
J’allai en chercher dans le magasin du bord. Ce petit cadeau me gagna sa sympathie. Il remit son arme dans son étui.
« En guise de papier à cigarette, que nous n’avons plus depuis longtemps, nous devons utiliser un papier destiné à un tout autre usage » me dit-il.
Il m’assura que nous allions être bien traités, qu’il y avait des tentes pour nous abriter à terre et qu’on ne nous laisserait pas démunis.

L’officier, revenu sur le pont, nous dit que pour toute réclamation il fallait nous adresser au docteur, qui parlait parfaitement le français. Nos bagages furent mis dans nos canots et ceux-ci furent remorqués par le leur. Nous arrivâmes à terre. Là se trouvaient les équipages des divers bateaux capturés qui nous envoyèrent des encouragements de la main. Nos figures piteuses montraient le peu de gloire à recueillir pour nous de cette aventure, sans parler de la perte grave pour notre maison.

L’officier en second s’appelait Kling. Il fit démonter l’installation TSF. Il n’y aurait donc pas de liaison avec Papeete comme il nous l’avait promis auparavant.

Le docteur nous aborda alors :
« Parlez-vous franzosiche ? Moi, Verdun… ! Beaucoup de morts… beaucoup de morts… ! »
Il s’éloigna, mais revint aussitôt :
« Avez-vous vin dans bateau ? » demanda-t-il.
Mr. Miller lui répondit que nous avions 45 litres à bord et que nous voulions les débarquer pour notre consommation.
« Impossible…impossible ! Absolument contrebande ! » dit-il en levant les deux bras au ciel.
Mais il informa le capitaine Kling qu’il y avait du vin à bord et celui-ci demanda à Mr Miller de lui montrer où il était caché.

« Etablissez une liste de ce qu’il vous faut » dit Kling à Mr. Miller.
Nous composâmes donc cette liste. Quand il en eût pris connaissance il nous dit :
« Mais je vois que vous voulez reprendre tout le bateau ! »
Il nous permit de reprendre quelques sacs de farine, des caisses de pétrole, et quelques objets divers comme des lignes de pêche.
Le capitaine Kling me fit aussi don de trois beaux porcs, me disant qu’ils venaient d’un navire français capturé. Plus tard, les Allemands voulurent reprendre ces porcs et je protestai, rappelant que c’était le second qui nous les avait donnés.
Appelé, celui-ci employa à nouveau la forme obséquieuse qu’il avait décidé d’utiliser avec nous :
« N’auriez vous point l’amabilité de nous donner trois de vos porcs ? » Voyant qu’il se moquait, je lui tournai le dos.

Dans l’après-midi, après nous être concertés, nous demandâmes au capitaine Kling un reçu de notre bateau.
Il écouta attentivement notre requête et, à notre grand étonnement, y accéda. Il nous fit un premier reçu en allemand, traduit en anglais. Il ne nous convint pas car il ne parlait que du navire et pas des marchandises.
« -Mais je ne peux faire l’inventaire de tout ce qui est à bord ! » protesta-t-il
« - Faites référence aux factures certifiées que nous possédons » lui rétorquâmes nous.
Il se laissa convaincre et rédigea un deuxième reçu en allemand, qu’il traduisit lui-même en français et qui nous donna satisfaction. (Voici ce reçu)

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Vers 15h00, le capitaine Kling nous demanda si nous n’avions pas faim et nous fit servir un repas composé de tortues. Il nous fit remarquer la chance que nous avions de manger cela alors qu’en Allemagne tant de braves gens se trouvaient sans vivres.
« Peut-être qu’en ce moment même ma propre femme et mes enfants souffrent de la faim. Comment ne pas comprendre notre acharnement à combattre le blocus anglais par la guerre sous-marine ? » nous dit-il.
Il nous posa diverses questions, entre autres s’il venait souvent des croiseurs dans les parages.
Nous lui répondîmes que la police était confiée à des croiseurs anglais et japonais et qu’ils n’étaient jamais loin.
Il nous parla de Papeete. Il la voyait comme une grande ville avec tramways, gare de chemin de fer, nombreux cafés…
Nous nous gardâmes bien de le détromper et nous ajoutâmes que la garnison était très importante. Du reste, il n’avait qu’à se souvenir de la réception du SCHARHORST et du GNEISENAU. Il n’insista pas.

Il nous conseilla avec insistance de publier le récit de notre capture dès notre arrivée à Papeete.
« -Une aussi sensationnelle aventure obtiendra un grand tirage et vous allez faire fortune » nous assura-t-il.
« - Je vois que vous êtes aussi bon commerçant que bon officier » lui répondit Mr Miller. Mais la plaisanterie ne sembla pas de son goût.
En réalité, en insistant sur cette narration écrite de notre aventure, je pense qu’il souhaitait donner des nouvelles par voie de presse à sa famille, ou encore à son commandant, le comte von Lückner, parti de l’île depuis 15 jours. Peut-être voulait-il aussi prévenir un autre navire du genre de celui perdu qui se serait imprudemment attardé à l’attendre à un rendez-vous fixé d’avance.

Le déjeuner se termina par un plat de pommes de terre. Leur apparition ne nous laissa pas sans surprise.
« - Les avez-vous récoltées dans notre île ? » demandâmes nous au capitaine Kling.
« - Pensez-vous ? Elles viennent d’Allemagne. Croyez-vous qu’on y meurt de faim ? Nous avons encore viande, légumes et beaucoup d’autres choses. »
Sans s’en apercevoir, il était en contradiction avec ce qu’il avait dit auparavant.

Après le repas, nous nous dirigeâmes vers notre tente et fûmes surpris à nouveau par un grand vacarme. Un marin allemand détruisait diverses choses qui s’y trouvaient. Nous n’étions pas encore revenus de notre étonnement quand le capitaine Kling fit à nouveau son apparition. Il fit mine d’être navré et déclara que c’était là une mesure absurde et idiote.
Mais elle avait du être ordonnée par lui-même car elle était appliquée dans tout le camp au même instant. En fait, les Allemands détruisirent les instruments de précisions, les machines ou moteurs dont il n’avaient plus l’utilité et brûlèrent les cartes marines. Nous parvînmes à dissimuler une boussole et quelques outils.

Ensuite, nous allâmes voir nos compagnons de captivité. L’un d’eux, le capitaine Smith nous reçut dans sa tente au son de la Marseillaise que jouait son gramophone. Il avait aussi confectionné un drapeau français. On ne peut imaginer l’émotion que nous ressentîmes.

Le jour tirait à sa fin. Le soleil était près de disparaître. Le capitaine Kling rassembla tout le monde pour les honneurs à rendre au pavillon allemand. Mr Miller et moi évitâmes cette humiliation en nous tenant cachés jusqu’à la fin de la cérémonie, d’autant que nous savions par les Américains que toute personne présente devait enlever sa coiffure devant le drapeau. Les Américains y allaient, mais pour tourner l’ordre, ils se présentaient tous nu-tête.
Le capitaine Kling fit un nouveau speech et nous nous approchâmes . Il déclara :

« J’ai l’intention de quitter cette île ce soir même. Je regrette d’être dans la nécessité de vous abandonner. J’espère que vous vivrez en bonne intelligence les uns avec les autres.
Je vous recommande surtout les trois indigènes de Maupiti qui étaient dans l’île quand nous sommes arrivés. Ce sont de bons enfants. Ne les brutalisez pas ou vous m’en rendriez compte personnellement si je revenais, ou bien au gouvernement français, ou au gouvernement américain.
Je vous laisse trois mois de vivres. Il vous sera aisé de dépasser ce temps en utilisant les ressources du pays et l’apport que vous fournira les animaux que nous abandonnons. Je vous fais cadeau de tous les médicaments qui sont dans l’infirmerie. Je vous laisse aussi un canot, légèrement endommagé, mais que vous pourrez réparer. Vous pourrez gagner avec une terre habitée. Le démontage rapide de notre installation radio ne nous a pas permis d’envoyer un message à Tahiti.
Le capitaine Southard, qui a montré beaucoup de tact et d’intelligence dans la direction du camp, sera votre chef, titre auquel son âge lui donne droit. »

Il nous dit « Au revoir » et serra la main de plusieurs prisonniers. Mr Miller et moi refusâmes de nous prêter à cette manifestation amicale.

Il embarqua ensuite dans son canot les derniers bagages et les armes que ses marins n’avaient cessé de transporter toute la journée et se dirigea vers le LUTECE. Quelques temps plus tard, il y eut trois explosions espacées de dix minutes. Il avait fait sauter nos trois embarcations.

Après le départ des Allemands, le drapeau français fut hissé sur le camp. Le capitaine Southard fut reconnu et accepté par tous comme chef. Il distribua les tâches à chacun et donna l’ordre de remettre en état le canot laissé par Kling.
Les réparations furent rapidement faites et trois jours après sept hommes quittaient l’île pour chercher du secours à Maupiti : le capitaine Southard du MANILA, le capitaine Porutu du LUTECE, Miller, Williams, (nota : probablement le subrécargue de LUTECE) et trois marins tahitiens, Etura, Maru et Mauri.
Nous avions baptisé le canot DELIVER OF MOPELIA.

Quand nos amis nous eurent quittés, la vie au camp devint triste et monotone malgré les occupations de chacun. Moi seul parlait tahitien et j’essayais d’encourager nos indigènes en les plaisantant. L’accord entre Tahitiens, Américains et Français fut parfait jusqu’à la fin.

Sept jours plus tard, à la tombée de la nuit, le capitaine Petersen vint nous prévenir qu’une embarcation était en vue.
Nous pensâmes que c’était le comte von Lückner, commandant officiel du SEEADLER qui revenait après avoir échoué dans sa tentative d’atterrissage dans une île amie.Nous décidâmes de le faire prisonnier, lui et ses hommes. Nombreux comme nous étions, nous n’avions pas grand mérite à prendre cette décision. Les armes que nous possédions furent mises en main.
Mais dans la nuit, une voix qu’il me semblait connaître vint de l’embarcation. Bientôt, il ne fut plus permis d’en douter : c’était en fait le canot de Mr. Miller. L’expédition tentée par lui et ses compagnons n’avait pas réussi… Et dans quel état ils nous revenaient !!
Ils étaient si fatigués qu’ils reportèrent au lendemain le récit de leur expédition. C’est Williams qui nous le fit.

Récit de Williams

« Le 8 Septembre à 18h00 nous avions donc embarqué sur DELIVER OF MOPELIA. Nous avions pris comme vivres 80 cocos, 18 kg de biscuit, 10 kg de farine pétrie et cuite à la mode tahitienne, 100 l d’eau saumâtre, quelques oiseaux rôtis. Nous avions aussi une boussole et un sextant ; bref le minimum pour ne pas surcharger l’embarcation.
Dès le départ, nous fûmes obligés toute la nuit de vider notre boat qui prenait l’eau par ses joints. Nous crûmes que son étanchéité se ferait peu à peu, au fur et à mesure qu’à l’humidité son bois se gonflerait. Mais il n’en fut rien et pendant tout le voyage, il chargea de l’eau.
La nuit nous surprit avant d’avoir atteint la passe et nous restâmes dans le lagon jusqu’à 01h00 du matin, quand la lune se leva.
Le ciel était magnifiquement étoilé, promettant une belle journée. Une légère brise d’est gonflait notre petite voile nous mettant au cœur joie et courage. Notre projet d’atteindre Maupiti nous paraissait si aisé que nous pensions déjà y échanger notre petit bateau contre un plus grand pour gagner Raïatea et aviser Papeete de l’incursion des Allemands à Mopelia.
Le capitaine Southard établit le roulement des quarts.
Le petit jour nous trouva à 9 milles au nord de Mopelia. Le point à midi nous mit à 18 milles au NE. Mais le vent tourna au nord et le point du 10 nous mit à 20 milles dans l’est de Mopelia. Puis le vent tomba subitement. Il nous fallu ramer jusqu’à 21h00 en direction de Maupiti. La brise reprit ESE.
C’est alors que nous fîmes la rencontre d’une baleine qui, à notre grande terreur, s’amusa à passer et repasser sous notre embarcation. Elle semblait vouloir s’y maintenir et nous pensâmes que c’en était fait de notre canot. En vieux marin, le capitaine Southard connaissait le danger d’un pareil voisinage et s’attendait à nous voir projetés à la mer par un coup de queue de l’immense bête. Mais le capitaine Porutu tenaient de ses pères le moyen de faire fuir les baleines. Sans la moindre peur, il s’empara d’une petite hachette placée près de lui et frappa trois coups secs sur le fond de la barque. Sans plus attendre le cétacé plongea aussitôt.
Le vieux capitaine Southard nous fit éclater de rire par le sérieux et le comique hochement de tête avec lequel il lança « Thank you very much » au capitaine Porutu.
Le 11, le vent tourna au sud puis à nouveau à l’est.
Le 12, le point nous mit à 20 milles seulement de Maupiti. Le ciel se couvrit.
Le 13 apparurent des oiseaux, annonciateurs de la terre qui doit se trouver à 15 milles. Nouvelle mauvaise rencontre : cette fois c’est un requin comme aucun des marins présents n’en a jamais vu. Il mesurait au moins 8 m et le diamètre de sa tête atteignait 1,5 m. Il nous suivit toute la journée et sa présence, ajoutée au vent furieux qui commençait à souffler et à la mer démontée, mit nos nerfs à rude épreuve.
Le calme du Tahitien Porutu n’était plus celui qu’il avait montré devant la baleine. Lui et ses trois compatriotes jetaient du côté du vorace des regards qui témoignaient d’un certain effroi. Les natifs de ces îles ont beaucoup de superstitions qui se rattachent aux squales. Vers 16h00, nous fûmes très heureux de le voir nous quitter. Mais il fut remplacé par un plus petit.
La nuit du 13 au 14 fut épouvantable, passée à résister au vent.
Le 14 au matin, le soleil se leva, sanglant et monstrueux, disque énorme qui remplissait tout l’horizon. Personne ne se rappelait l’avoir vu ainsi. Les avis était partagés : certains y voyaient une promesse de beau temps, d’autres celle d’un terrible ouragan ; le capitaine Southard était de ces derniers.

Cela ne manqua pas et il se leva une formidable tempête qui pendant trois jours se joua de notre pauvre petite embarcation. Nous nous laissâmes porter par l’ouragan, dans la direction opposée à Maupiti, et plutôt vers Mopelia. Le soleil caché ne permettait plus aucun point. Suprême ressource en pareil cas, nous mouillâmes notre ancre flottante. Personne ne parlait. Avec nos avirons nous tentions de maintenir l’équilibre de notre esquif. Mal lesté, il menaçait à chaque instant de se retourner. D’énormes vagues se levaient devant nous, menaçant de nous rouler au moindre coup de barre mal dirigé. Nous nous souviendrons toujours de l’angoissant « looping the loop » que nous endurâmes pendant trois jours. A cela s’ajoutait le froid provoqué par une pluie torrentielle.
Personne ne dormit. D’une main on se cramponnait au banc, de l’autre on vidait l’eau qui remplissait à chaque instant le canot. Personne ne put manger.
Nos Tahitiens se croyaient perdus. Le capitaine Southard, moins résistant en raison de son âge, se sentit vaincu par la faiblesse et demanda qu’on le remplace à la barre. Je pensais que nous avions déjà dépassé Mopelia et que nous filions vers l’ouest où il n’y avait plus aucune terre. Mais ce n’était pas l’avis du capitaine Porutu qui pensait que le retard provoqué par l’ancre à jet avait en partie neutralisé la rapidité de la dérive. Il se pensait toujours dans l’est de Mopelia.
Le capitaine Southard imposa à chacun une ration journalière de deux biscuits et d’un verre d’eau.

Le 16 au matin, Mr Miller monta sur le mât et après examen de tout l’horizon déclara n’avoir aperçu aucune terre. L’état du capitaine Southard devenait inquiétant. Nous doutions qu’il puisse supporter encore longtemps pareilles misères.
Le 17, nous étions résignés. Fatigue, privations, manque de sommeil nous empêchaient de raisonner. Nous étions au bord du délire. Nous fîmes manger au capitaine Southard un morceau de biscuit imbibé d’eau, mais nous doutions qu’il puisse voir le lendemain.
Mr. Miller remonta sur le mât et y resta une demi heure sans rien voir. A cet instant, une montagne d’eau approcha et notre bateau s’emplit entièrement et se coucha. Nous nous crûmes perdus, mais Mr Miller se laissa tomber du mât dans la mer, ce qui nous sauva. Le canot se redressa d’un seul coup et nous nous mîmes à rejeter l’eau avec nos coiffures avant de le récupérer. Mais nous avions perdu tout espoir de sortir sains et saufs de cette aventure. Nos Tahitiens pleuraient comme des enfants . Le capitaine Southard avait perdu connaissance et le capitaine Porutu restait inerte. Mr Miller se traîna jusqu’au mât et s’y amarra. Il y resta plusieurs heures.
C’est vers 13h00 qu’il crût apercevoir, à la limite où portaient ses regards, une barre sombre qu’il pensa être la terre. Craignant que ce ne soit un mirage, il ne dit rien, ne voulant pas nous donner de fausses espérances. Mais quand il reconnut l’image, bien connue de lui, que faisait de loin les palmes des cocotiers, il poussa le cri « Terre » ! Ce cri nous donna une telle commotion que nous nous portâmes tous sur l’avant du canot, au risque de le faire chavirer. Le cri ressuscita littéralement le capitaine Southard qui rampa par dessus les bancs jusqu’au mât, lorgnette en main. Sa faiblesse était si grande qu’il ne put même pas se lever et laissa sa longue-vue à Mr Miller qui reconnut aussitôt Mopelia. Nous établîmes notre voile avec plusieurs ris, sans nous soucier du grand vent qui soufflait encore.
A la chute du jour, nous atterrissions.
Il y a dix ans que je navigue. J’ai plusieurs fois fait naufrage, mais jamais je ne me suis cru aussi près de ma fin que pendant ces trois jours terribles sur DELIVER OF MOPELIA. »

Suite du récit de Mr Faïn.

Les évènements dont je vais parler maintenant ont été seulement rapportés. Nous les considérons comme dignes de foi ayant été rapportés par des personnes qui n’avaient aucun intérêt à mentir. La narration, faite par diverses personnes, était toujours identique.

Le SEEADLER était un trois-mâts en fer déguisé en navire norvégien. Le commandant, 2 officiers et 12 matelots parlaient le norvégien. La décoration intérieure était norvégienne avec les portraits des souverains de Norvège au carré des officiers. En réalité, l’équipage était allemand et se composait, outre l’état-major, d’un docteur et de 60 marins, tous de très jeunes gens.

Le 25 Décembre 1916, il avait été contrôlé par le croiseur anglais HIGHLAND SCOTT qui n’avait rien détecté d’anormal dans les papiers du bord.

Il avait intercepté de nombreux navires dans l’Atlantique (nota : dont les grands voiliers français ANTONIN, CAMBRONNE, CHARLES GOUNOD, DUPLEIX et LA ROCHEFOUCAULD), puis était passé dans le Pacifique par le Horn. En passant le Horn, il avait à nouveau échappé à un croiseur anglais en émettant un brouillard artificiel.
Il avait alors coulé trois voiliers américains chargés de coprah, bois et charbon et gardé les équipages prisonniers à son bord.

Le 31 Juillet 1917, il était arrivé devant Mopelia. Le comte von Lückner, son commandant, voulait procéder au nettoyage de la coque et pensait pouvoir le faire sans danger dans cette île. Il consulta les officiers américains qui lui conseillèrent de mouiller sans crainte le long du récif, comme on pouvait le faire le long d’un wharf.
Le commandant von Lückner n’hésita pas, bien que son second, le capitaine Kling, ne partagea pas du tout son avis. Il faut le dire tout haut : c’est grâce aux Américains que nous devons la fin du SEEADLER. Les capitaines Southard, Smith, Petersen et Hansen savaient parfaitement l’extrême danger d’un tel mouillage.
Le lendemain, le commandant et quelques hommes descendirent explorer l’île. Ils y trouvèrent trois Tahitiens (en fait des hommes de la compagnie Miller, natifs de Maupiti) et plusieurs centaines de porcs et de poules. Le jour suivant, il répéta sa visite, avec son second et deux officiers, laissant la garde du voilier au lieutenant Preiss ( nota :que Fain appelle Price). Celui-ci était inquiet et dit à Lückner qu’il déclinait toute responsabilité concernant la sécurité du SEEADLER. Mais le commandant le dégagea de tout ce qui pouvait arriver au voilier et l’assura qu’il n’y avait rien à redouter. De plus, il permit à une partie de l’équipage de se rendre à terre.

Quelques heures plus tard arriva ce que les Américains avaient prévu : le vent tourna subitement et le bateau toucha sur le récif. Par malheur, enfin plutôt par bonheur, le moteur refusa de démarrer et quand il se mit enfin en marche, il était trop tard. L’hélice touchait le corail et le bateau était engagé sur le récif. Preiss fit tirer deux coups de canon et l’équipage revint à bord. Von Lückner était furieux contre les capitaines américains. Jusque là intime avec eux, il les ignora désormais.

Les officiers décidèrent d’alléger le bateau.
Le docteur du SEEADLER fut chargé d’inventorier les vivres et les boissons, notamment bière, champagne, liqueurs provenant de diverses prises. C’était un personnage énigmatique. Il faisait chaud et il éprouvait à chaque instant le besoin de se rafraîchir. Le mélange de bière et de champagne fit qu’à la fin il s’affala et s’endormit au milieu des bouteilles vides. Quelques marins l’avaient imité et le comte von Lückner lui-même n’était pas clair. Il avait imité le Kronprinz, dont il disait être l’ami…
A noter tout de même que le capitaine Kling, le lieutenant Preiss et d’autres officiers et marins restèrent totalement sobres.

Le lendemain de cette libation, von Lückner réunit ses officiers et son équipage et leur fit un discours dans lequel il leur promit de les ramener prochainement à Hambourg. Il prit possession de Mopelia au nom du Kaiser. Ce discours laissa les hommes peu enthousiastes.
Il faut dire que les marins du SEEADLER, tous très jeunes, paraissaient aussi très intelligents. Tous parlaient anglais, quelques uns norvégien et français ; ils avait tous un métier. A l’évidence, ils avaient été triés sur le volet pour former cet équipage. La majorité avait été au front ; ils étaient revenus des tranchées avec la Croix de Guerre.

Le navire fut donc vidé au cours des jours suivants. Des ballots de toile à voile permirent de monter des tentes. On édifia une infirmerie, une forge, un poste de radio-télégraphie. On monta l’antenne au sommet d’un groupe de cocotiers. On hissa même un tonneau au sommet d’un tronc de cocotier et on y plaça une vigie. Plusieurs tentes étaient éclairées à l’électricité.

Les trois indigènes de Maupiti furent traité avec beaucoup d’aménité. Ils n’avaient pas le droit de fréquenter l’équipage américain, mais ils reçurent beaucoup de cadeaux : vêtements, chaussures, pipes, tabac. Von Lückner leur montra même la cicatrice d’une blessure qu’il aurait reçue à la bataille du Skagerrak.

Le camp des Américains était séparé de celui des Allemands, qui bien sûr le surveillaient. Lückner avait nommé le capitaine Southard chef du camp. Il n’y eût aucun incident sérieux. Une fois seulement, un marin américain qui s’était attardé à la pêche le soir, fut admonesté par Lückner qui lui déclara que si le fait se renouvelait, il lui ferait « creuser sa propre tombe ».

La nourriture était mauvaise et insuffisante, aussi bien pour les Allemands que pour les Américains. Souvent, les marins allemands allaient à l’intérieur de l’île pour améliorer leur ordinaire de la cuisson clandestine de quelques bêtes. Même les officiers n’hésitaient pas à faire abattre un cocotier pour préparer une salade à leur goût. Leur cuisine était très soignée.
L’équipage faisait de même. Quand un marin voulait boire un simple jus de noix de coco, il n’hésitait pas, sans la moindre gêne, à sacrifier le cocotier tout entier. Plus de 500 cocotiers furent ainsi sottement détruits.

De temps à autre, les officiers donnaient des nouvelles de la guerre grâce à leur poste de radiotélégraphie. Enfin !… ils ne disaient que ce qu’ils voulaient bien dire.

Le 11 Août, le commandant von Lückner décida de quitter l’île dans une embarcation avec 4 officiers et 1 matelot. Il voulait toucher une terre neutre, puis revenir à Mopelia chercher le reste de l’équipage. (nota : leur périple fut une véritable odyssée –voir fiche du SEEADLER-)
Le projet fut mis à exécution. Ils chargèrent des armes, une forte somme en or, et quittèrent l’île pour courir à l’aventure.

Après le départ de son chef, le capitaine Kling, officier en second, prit des mesures beaucoup plus sévères. Le camp des Américains fut gardé nuit et jour par des sentinelles et la vie devint plus dure.
Et le 5 Septembre, LUTECE se présenta devant Mopelia.


Je m’excuse, Monsieur le Gouverneur Julien, de ce fastidieux récit, mais considère comme un devoir de vous rendre un respectueux hommage pour la promptitude que vous avez mis à nous secourir. Je vous prie de recevoir nos plus profonds remerciements pour les soins multiples dont vous avez entouré cette expédition.

Commentaire

Ce récit, qualifié de « fastidieux » par son auteur, est un morceau d’anthologie.
Racontée simplement, parfois même avec ce qui peut paraître de la naïveté, et aussi un certain humour, l’aventure de ces commerçants et marins de Polynésie donne un formidable éclairage sur la façon dont la Grande Guerre fut vécue dans le Pacifique.

Mais l’intérêt vient surtout de ce qu’il montre de la vie de ce groupe d’hommes, perdus sur un ilot du Pacifique sud. Dans un paysage paradisiaque, loin de la fureur guerrière des tranchées, ils tentent de survivre. Certes, ils demeurent ennemis, mais si chacun vante son pays, on ne sent pas réellement de haine parmi eux. Américains, Tahitiens, Allemands et Français vont finalement cohabiter dans une relative harmonie.

Certains détails recoupent les récits des grands voiliers. Ainsi les cochons français de l’ANTONIN devenus des cochons allemands et qui termineront leur existence à Mopelia.
Le caractère des divers protagonistes est bien rendu. Lückner ne déteste pas le bon champagne (voir à la fiche ANTONIN le récit de sa rencontre, bien des années plus tard avec le capitaine Lecoq). Kling est beaucoup plus rigoureux que son chef. Le médecin, rescapé du champ de bataille de Verdun, tente d’oublier ces horreurs avec la dive bouteille…Les Américains demeurent bien flegmatiques. Tous semblent avoir de l’amitié pour les Tahitiens et les recommandations concernant ceux-ci, faites par le capitaine Kling aux Français et aux Américains, sont assez étonnantes quand on songe aux épouvantables massacres qui se déroulaient alors sur le vieux continent..

Ce récit est un complément à la fiche SEEADLER où l’on pourra voir la carte de Mopelia.

Cdlt
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Re: LUTECE Goélette de Tahiti

Message par olivier 12 »

Bonjour à tous,

Complément à l’histoire de LUTECE

Note du gouverneur Julien,apposée sur les murs de Papeete le 3 Octobre 1917, et traduite en tahitien.


Des pirates allemands qui ont perdu leur navire sur l’île Mopélia ont, le 5 Septembre, pris possession de la goélette LUTECE, du port de Papeete après avoir déposé à terre l’équipage ainsi que les hommes provenant de trois voiliers américains coulés par eux.

Cette information nous est parvenue ce matin de Tutuila par le consul des Etats-Unis. Elle ajoute que le 19 Septembre tous les hommes du LUTECE étaient en bonne santé, mais qu’ils pourraient manquer de vivres et d’eau. Le gouvernement prend les dispositions nécessaires pour porter secours aux gens de Mopélia.

Il recommande à tous les capitaines patrons et matelots de ne pas se laisser prendre à des signaux de détresse que pourrait leur faire LUTECE, devenu bateau corsaire, s’ils venaient à le rencontrer sur leur route.
LUTECE est sans moteur et ne peut, en conséquence, faire la chasse. Il est facile aux gasolines de ne pas se laisser approcher, et de fuir le cas échéant. La navigation ne saurait, pour cette cause être interrompue, mais il y a lieu d’être prudent.
Le nécessaire est fait pour que les puissances disposant de forces navales dans le Pacifique organisent une surveillance attentive des passes et mouillages et signalent sans retard tout navire suspect qui se présenterait dans leur zone de surveillance.

LUTECE a quitté Mopélia le 5 Septembre dernier et il n’y a pas lieu d’exagérer le danger. Chacun doit faire preuve de sang froid et de discipline. L’Autorité fait le nécessaire pour que la sécurité de tous soit assurée. La radio quotidienne fera connaître les nouvelles relatives à cette affaire au fur et à mesure qu’elles parviendront au Gouvernement.

Note de l’Armateur de LUTECE au Ministre de la Marine, datée d’Avril 1918.

LUTECE, ex-GAULOISE, est une goélette française de 125 tx nous appartenant, qui en Août 1917 mettait à la voile pour son voyage annuel aux îles à plonge (Tuamotu).
Le 7 Septembre, elle arrivait à Mopélia pour y ravitailler trois cultivateurs de notre maison et emporter une partie des produits de l’île récoltés par ces travailleurs. C’est à ce moment que LUTECE, nos directeurs, l’équipage et la cargaison furent capturés par les Allemands du SEEADLER en détresse. Le jour même, ils ont quitté l’île avec la goélette, abandonnant leurs prisonniers sans ressources. Depuis LUTECE n’a pas été aperçue.
Les prisonniers des Allemands ont été ramenés à Tahiti courant Octobre 1917.

Nous avons appris par des courriers de Nouvelle Zélande, datés de Mars 1918, que des bruits circulent selon lesquels LUTECE aurait été abandonnée à l’île de Pâques et que les Allemands se seraient réfugiés à Talcahuano (Chili).

Nous avons l’honneur de vous remettre sous ce pli :
- copie du rapport fait par nos Directeurs en Novembre 1917
- copie de l’affiche apposée à Papeete le 3 Octobre 1917
- copie du reçu donné par le lieutenant Kling, de la Marine allemande, à Mopelia (l’original est gardé à Tahiti)

Nous attirons votre attention sur le dommage très sérieux qui nous a été causé par la perte de LUTECE et de ses marchandises. Nous espérons que vos services vont s’assurer que les bruits concernant l’abandon de la goélette à l’île de Pâques sont fondés.
Dans ce cas, nous sollicitons votre intervention auprès du Gouvernement anglais pour que ce navire dont nous avons été privés pendant dix mois nous soit rendu le plus rapidement possible. Nous pouvons envoyer un équipage à l’île de Pâques.

Le tort fait pour le ravitaillement de nos travailleurs dans l’archipel est considérable et nous ne voulons pas manquer, cette année, la saison de plonge que nous avons manqué l’année dernière.

Nous vous prions….etc

Cdlt
olivier
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Yves D
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Re: LUTECE Goélette de Tahiti

Message par Yves D »

Bonjour Olivier, bonjour à tous
J'ai cherché à en savoir plus sur les hommes du Seeadler que j'ai pu identifier dans l'Ehrenrangliste der Kaiserliche Marine.
Outre von Lückner qu'on ne présente pas, j'ai trouvé :

Leut. zur See der Reserve Alfred KLING
né le 25.6.1882
Entré KM en 10.1906 rappelé 13.10.1914, affecté à la flottille de Torpilleurs de la Mer du Nord. Sa fiche ne fait pas état de son séjour sur le Seeadler mais je pense que c'est bien lui car il n'y en a pas d'autre à ce nom là.
17.10.1919 Démobilisation

Leut. zur See der Reserve Karl KIRCHEISS
né le 17.7.1887
Entré KM en 10.1912
Retour de l'étranger en 9.1914, affecté à la flottille de Torpilleurs de la Mer du Nord puis sur le Seeadler en 11.1916
finit la guerre prisonnier en GB de 8.1917 jusqu'à la fin
Démobilisé 30.9.1919

Marine-Assistenzärzte d.R. (Médecin) Rudolf PIETSCH et non PIESS
né le 21.2.1887
Entré KM 4.1908 - Mobilisé 15.2.1915
Affecté à l'E.M. de la flottille de Torpilleurs de la Mer du Nord puis sur Möwe en 11.15 et sur Seeadler en 3.1916
3.1918 débarque au Chili où il est interné jusqu'à la fin
Décède à Talcahuano (Chili) le 18.6.1919

Les deux Lt.z.S. de réserve sont à l'évidence deux officiers de la Marine Marchande et on remarquera également que tous ces hommes se connaissaient de la Division de Torpilleurs de la Mer du Nord. Quelle équipe et quelle extraordinaire aventure ils auront tous vécu !

Dans le livre de von Lückner " l'Aigle des mers", tous ces personnages sont cités.
Amts
Yves

PS Olivier, je ne t'oublie pas pour les officiers de l'U 52, j'ai d'ailleurs commencé mais c'est très long
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Yves D
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Re: LUTECE Goélette de Tahiti

Message par Yves D »

En marge de ci-dessus, à propos de Talcahuana, ce port proche de Valparaiso où devait décéder le Dr Pietsch
En rade de ce port on peut voir le monitor cuirassé Huascar, sans doute le plus vieux cuirassé au monde encore à flot et découvrir toute sa rocambolesque histoire peruano-chilienne de 1865 à nos jours derrière ce lien :
http://es.wikipedia.org/wiki/Monitor_Hu%C3%A1scar

Image
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Memgam
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Re: LUTECE Goélette de Tahiti

Message par Memgam »

Il semble que ce soit le Warrior (Grande-Bretagne, 1860) qui soit le plus ancien cuirassé encore à flot, construit en réplique à la frégate cuirassée Gloire de Dupuy de Lôme, rayée en 1879. Le Huascar a été construit par les chantiers Laird et posséde une tourelle double, alors que Gloire et Warrior n'en n'avaient pas.
Memgam
AnneAndree
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Re: LUTECE Goélette de Tahiti

Message par AnneAndree »

Je suis la petite-fille de Monsieur Fain et actuellement chez ma tante, sa fille. Nous avons été très intéressées par le récit de mon grand-père ( La Lutèce à Mopelia ) et nous nous demandons comment vous avez pu en avoir connaissance.Seriez-vous intéressé de connaitre la vie de M. Fain qui malheureusement a de nouveau connu les Allemands qui l'ont déporté en 1943 ?
Mon e-mail: [email protected]
Nous espérons avoir une réponse. Merci.
Anne.
olivier 12
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Re: LUTECE Goélette de Tahiti

Message par olivier 12 »

Bonjour Anne,

Il va de soi que je serai très intéressé par la suite de l'histoire de votre grand-père. C'est le but de ce forum de faire revivre la grande "Histoire" par les récits des gens simples qui en sont les principaux acteurs.
Le récit de votre grand-père figure in extenso dans le dossier LUTECE des archives de la Marine, au château de Vincennes. Il est sur microfilm.

Je vous contacte à votre adresse mail.

Cordialement
olivier
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Re: LUTECE Goélette de Tahiti

Message par olivier 12 »

Bonjour à tous,

La vie de Rodolphe FAÏN
armateur de la goélette LUTECE


Rodolphe Rubin Faïn est né le 27 Février 1888 à Moscou, dans une famille juive. Sous les tsars, ceux-ci n'avaient le droit d'habiter dans les grandes villes qu'avec une autorisation et il avait donc de la chance.
Son père, Abraham Mitchel, avait des ascendants venus de Prague et de Vilna, l'actuelle Vilnius en Lituanie. Il s'était marié à Minsk et ses deux aînés, Olga et Edouard étaient nés à Varsovie. Après Rodolphe, un petit Léon naîtra à Moscou et deux autres garçons, Maurice et Roland en France.

L'antisémitisme qui règne en Russie rend l'avenir incertain. En 1890, Mitchel Faïn décide de quitter Moscou avec deux de ses frères. Il laisse derrière lui son épouse et ses quatre enfants. Ses frères vont émigrer aux Etats-Unis, mais lui s'arrête en France. Il s'installe dans le quartier juif de Paris, rue Quincampoix et commence à travailler dans la confection. Il va monter une petite entreprise de tabliers.

Rochla, sa femme, se languit à Moscou et, sans le prévenir, décide en 1893 de le rejoindre avec ses enfants. C'est un voyage long, pénible, périlleux, interminable, qui l'attend. On marche à pied, on se déplace dans des charrettes, on prend le train. Il faut lire l'ouvrage de Roger Ikor « Les fils d'Avrom » ou « Les Eaux mêlées » pour imaginer un tel voyage.
Mais finalement, toute la famille se recompose à Paris.

L'entreprise de Mitchel devient prospère. Mais le père reste très sévère avec sa famille et la vie reste frugale. Le jeune Rodolphe est intelligent. Il a appris le français et est reçu premier de son arrondissement au certificat d'études. Il passe alors un brevet commercial et commence à travailler aussitôt chez un bijoutier. Il travaille dans ce commerce plusieurs années, lorsqu'en 1912 son patron l'envoie à Tahiti pour y prospecter des perles.
Rodolphe Faïn a 24 ans. Le voici lors de son arrivée dans cette île merveilleuse.

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Il va rester 7 ans à Tahiti, de Novembre 1912 à Novembre 1919. Il a l'esprit commerçant et tout en travaillant pour son patron, il s'associe avec Grand et Miller (dont le vrai nom est Pedro Temoko) et se lance dans l'exportation de coprah, qu'ils envoient sur Marseille. Il a aussi acheté des terres et cultive le vanillier, cette orchidée donnant une gousse si savoureuse et si parfumée après séchage et dessiccation. Il se plaît beaucoup à Tahiti. Le climat est agréable et les filles sont jolies. Il parle le tahitien. Il est très apprécié par ses amis. Voici sa maison, aussi lieu de son entreprise commerciale.

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Sur la pancarte on peut lire  R.R. FAÏN. « E hoo ite vanira » (Traduction : « J'achète la vanille »)

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et le hangar dans lequel sont mises à sécher les gousses de vanille. (Rodolphe est sur la gauche)

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C'est alors qu'éclate la guerre. Il voudrait revenir et s'enrôler, mais il est coincé dans cette île, loin de la métropole. Pourtant, il va se trouver entraîné dans la tourmente. C'est l'épisode de la goélette LUTECE et de Mopélia qu'il va raconter en détail au gouverneur de Tahiti dans l'étonnant rapport que l'on peut lire ci-dessus. Alors qu'avec son associé ils viennent récupérer le coprah dans leur concession de Mopélia où habitent trois hommes et un jeune garçon qui travaillent pour eux, ils sont faits prisonniers par les marins allemands du capitaine Kling, le second de von Lückner. Leur voilier, le SEEADLER avait fait naufrage et ils étaient dans l'île depuis un mois.
Kling va quitter l'île à bord de LUTECE laissant les Français, les Tahitiens et les Américains sur place, à attendre du secours. Il resteront 40 jours isolés du monde et ne feront une entrée triomphale à Tahiti que le 10 Octobre 1916.

Rodolphe va alors reprendre sa vie tahitienne. Il fréquente une jeune fille qu'il va quitter en 1919 sans savoir qu'elle est enceinte. Cette jeune fille est de mère tahitienne et de père breton. Elle accouchera d'une petite fille prénommée Gyslaine. Mis au courant, Rodolphe ne la reconnaîtra pas officiellement, mais il s'occupera matériellement et affectueusement de cette petite fille pendant tout le restant de sa vie.
Car son père poussa des hauts cris : pas question de mariage ! Epouser une indigène, presque une sauvage et surtout... une goy ! C'eût été un grand scandale. Nous sommes en 1920 et les mœurs sont ainsi. Mais à Tahiti, les mœurs ne sont pas aussi strictes et il est courant de voir des naissances sans père. Rodolphe ne cache pas sa fille et toute la famille est au courant. Ses enfants, en revanche, ne l'apprendront que vers 1960. La petite Gyslaine restera à Tahiti et sera élevée dans les meilleures pensions de l'île, dont elle gardera d'ailleurs un très mauvais souvenir.

Rodolphe reprend son travail chez son diamantaire et, en 1924, rencontre Andrée, une jolie jeune fille aux yeux verts et à la magnifique chevelure ondulée noire qui doit lui rappeler les Tahitiennes. Elle est enfileuse de perles et fabrique de beaux colliers. Sa famille est originaire d'Alsace. Elle est orpheline, mais a des oncles qui vivent au Brésil.
Le père, Mitchel l'accepte : elle est juive, de bonne famille et belle. Ils se marient donc à la synagogue de la rue Buffaut, de rite portugais.
Le couple sera très solide et aura trois filles, Janine, Régine et Nadine, la benjamine.

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Riche de ses relations tahitiennes, Rodolphe prend un associé et crée un commerce de produits coloniaux, vanille, coprah et thé. Ce commerce marche bien et ils sont bientôt parmi les plus gros importateurs français. La petite Nadine aime particulièrement l'odeur de vanille que son papa rapporte sur lui, quand il rentre de ses entrepôts, le soir, à la maison.
Le voici en 1934, au siège de son entreprise, boulevard Magenta.

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En 1933, Rodolphe retourne à Tahiti et y reste un an pour ses affaires.

En 1937, il achète une maison à Sceaux, près du parc et du lycée Marie Curie, un des rares lycées pour filles de la région parisienne. Pour les trois petites filles, c'est la plus belle période de leur vie.
L'affaire de leur père est prospère. Ils ont une voiture. Ils vont souvent chez l'oncle Léon qui a acheté une magnifique maison sur les bords du lac d'Enghien. Lui est vraiment riche. Il a une usine de tabliers à Argenton sur Creuse. Ses enfants font du bateau, du tennis du ski... Chez Rodolphe, on est plus modeste, mais tellement heureux. Ce sont des parents gentils, aimables, patients et généreux. Ils ont pleins d'amis tahitiens et partent en vacances avec eux.
Voici la famille en 1938, dans le jardin de la maison de Sceaux.

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1939 ! La guerre les surprend alors qu'ils sont en vacances à Riva-Bella, en Normandie. C'est la plage de Ouistreham où ils louent chaque année une maison. Ils sont 9 frères, sœurs et cousins entre 8 et 15 ans. Par prudence, ils vont rester à Riva-Bella et les enfants iront à l'école à Ouistreham.
En Mai 40, Rodolphe envoie sa famille à Saint Gaultier, dans l'Indre, où se trouve déjà l'oncle Léon dont l'usine d'Argenton n'est pas éloignée. Elle évitera ainsi la débâcle qui va jeter sur les routes tant de malheureux. Elle ne reviendra à Paris que fin 1940. Elle y subira un hiver terrible par sa rigueur. Ses filles retournent au lycée Marie Curie.

Mais au printemps 1941, deux policiers en civils viennent perquisitionner leur maison. La petite Nadine voit son père descendre les trois marches menant au portillon du jardin, en chaussons, en manche de chemise et les bras ballants. Il demande : « Vous venez m'arrêter ? » Les policiers ne disent rien ; on ne sait ce qu'ils cherchent. Ils regardent tous les livres, puis s'en vont.
Cette incursion inquiète Rodolphe qui n'a pas la nationalité française, contrairement à ses filles. Il pense qu'elles ne risquent rien, mais préfère, quant à lui, passer en zone libre. Il va franchir clandestinement la ligne de démarcation à Langon, près de Vierzon, et gagner Saint Gaultier. Dès l'année scolaire terminée, il fait venir ses trois filles avec la ferme intention de les garder en zone non occupée.
Son épouse reste dans la maison de Sceaux.
Peu de temps après, Roland, le frère de Rodolphe est arrêté dans une rafle des avocats. Andrée prend peur, d'autant que la Kommandantur s'est installée au lycée Marie Curie, tout près de chez elle. Elle gagne Vierzon et trouve un passeur qui lui fait traverser le Cher en barque et la dépose, avec deux autres fugitifs, dans un pré sur la rive opposée et repart très vite. Mauvaise surprise : ils sont dans une île et il faut franchir le deuxième bras à la nage. Ils parviennent à gagner la berge et sont hébergés et réchauffés dans une ferme où ils passent la nuit.

Rodolphe va tenter de quitter la France, mais sans succès. En 1941, il descend jusqu'à Marseille, mais ne trouve aucun bateau sur lequel s'embarquer. Le voici photographié dans une rue de Marseille.

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A l'arrivée des Allemands en zone libre, les arrestations se multiplient. Rodolphe est de plus en plus inquiet, comme on peut le voir sur cette photo prise à Saint Gaultier pendant l'été 1942. C'est le dernier cliché de lui que possède sa famille.

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En Novembre 42, il tente de passer en Suisse avec l'oncle Léon. Mais ils sont arrêtés par les Suisses et refoulés. Ils reviennent à Saint Gaultier le 11 Novembre. Les parents décident de mettre leurs filles à l'abri. A partir de Janvier 1943, elles vont vivre dans une Institution religieuse de Clermont-Ferrand, Sainte Marguerite. Il semble que ce soit l'évêque de Clermont Ferrand, Monseigneur Piguet, qui ait favorisé ce placement. Traitées comme les autres pensionnaires, elles passent pour protestantes, ce qui leur évite de communier, mais assistent aux services religieux, aux messes, aux prières avant chaque cours et chaque repas.

C'est pendant ce séjour en pension que leur père est arrêté.

Le 23 Février 1943, prévenu de l'imminence d'une rafle par les gendarmes de Saint Gaultier, Rodolphe quitte l'hôtel de la Promenade où il demeurait et se réfugie chez un professeur du collège. Les gendarmes viennent à l'hôtel, mais apprenant qu'il est absent, repartent sans vérifier, bienveillants et soulagés.
Mais Rodolphe est dénoncé par la propriétaire du professeur et, seul contre tous ses collègues qui tentaient de l'en dissuader, le gendarme Maigret, va procéder lui-même à l'arrestation et l'emmener, menotté comme un criminel. Or la fille de ce gendarme était dans la même classe que Régine, l'une des trois filles de Rodolphe et était son amie. Les Faïn connaissaient la famille Maigret et leur donnaient même leurs tickets de vin et de cigarettes car ils ne fumaient ni ne buvaient. Pourquoi ce gendarme fit-il preuve d'autant de zèle malgré l'attitude protectrice de ses collègues envers les juifs de Saint Gaultier ? C'est un mystère. Jalousie, haine, rancœur... peut-être ; et certainement une immense bêtise.

Rodolphe est tout d'abord emmené dans le petit camp de rassemblement de Douadic, d'où il pourrait s'échapper facilement. Une cousine de Nadine va le voir et l'incite à s'évader, à partir à vélo. Mais Rodolphe est trop naïf : « Pourquoi ? Ils vont vite se rendre compte que je n'ai rien fait...qu'ils m'ont arrêté par erreur. Je n'ai rien à me reprocher », répond-t-il.

Il est ensuite envoyé à Gurs, puis à Nexon où son épouse Andrée va le voir pour la dernière fois, sur le quai de la gare où l'attend le train qui va l'emmener à Drancy. Il commence à comprendre que sa situation est grave. Il lui laisse sa montre en or. Le 25 Mars, il quitte Drancy avec seulement une couverture que lui fait passer son frère Roland, aussi interné dans ce camp.

Son épouse, Andrée, décédée en 1961, ne saura jamais où il avait été déporté. Elle n'aura pu conserver les dernières cartes qu'il lui avait envoyées de Drancy. Plus tard, cachée avec ses filles à Souillac, dans le Lot, un haut lieu de la Résistance, elles voient passer la division Das Reich, celle de Tulle et d'Oradour sur Glane. La moindre perquisition les aurait condamnées à mort et elles vont détruire ces cartes.

Pendant de longues années, après la guerre, elles attendront le retour de Rodolphe, en vain.

C'est seulement vers 1980, grâce aux recherches de Serge Klarsfeld, que ses filles pourront retracer le dernier parcours de leur père.
En 1943, deux convois de déportés français furent dirigés sur le camp de Sobibor, près de Lublin, en Pologne. Il y eut le n° 52, le 23 Mars, et le n° 53, le 25 Mars. Ce furent les seuls à destination de ce camp qui n'était pas un camp de concentration, mais un camp d'extermination. La plupart des déportés n'y séjournaient pas. Dès leur arrivée en gare de Sobibor, ils étaient conduits aux chambres à gaz.

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Seuls les plus valides restaient en vie quelque temps, affectés aux corvées sur le quai et aux chambres à gaz.

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Le 14 Octobre 1943, les derniers détenus se révoltèrent et tuèrent quelques gardiens. Environ 300 parvinrent à franchir les barbelés et à s'enfuir dans la forêt. Mais beaucoup sautèrent sur les mines qui entouraient le camp ou furent repris et fusillés. 47 seulement ont survécu. 250 000 personnes ont été tuées à Sobibor. Des deux convois venus de France, il n'y eut que 5 survivants. Rodolphe Faïn n'était pas parmi eux.

Ainsi s'est achevée la vie de Monsieur Faïn, l'un des armateurs de LUTECE, qui avait été étroitement mêlé à l'histoire du SEEADLER, qui avait été fait prisonnier sur l'atoll de Mopelia par les hommes du capitaine Kling, qui avait laissé un remarquable récit de cet épisode.
Après la guerre, les gens qui l'avaient connu à Tahiti ont été bouleversés d'apprendre sa disparition dans de si terribles circonstances. C'est la seule personne ayant vécu à Tahiti à avoir subi un tel sort, à avoir été envoyée dans les camps de la mort du régime hitlérien. Ses amis tahitiens se souviennent de lui avec beaucoup de tendresse car il était aimé pour sa gentillesse, sa générosité et sa fidélité en amitié.

Quant à sa fille Nadine, qui avait 11 ans lors de sa disparition, elle garde le souvenir d'un papa aimant et d'une grande gentillesse. Elle se souvient encore de l'odeur qui flottait autour de lui quand il revenait du travail le soir, ce parfum de vanille, le parfum des îles du Pacifique...

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Remerciements

Je remercie vivement Nadine, la fille de Rodolphe Faïn, qui a bien voulu me communiquer de nombreuses photos et des notes très précises sur la vie de son père. Elles ont permis de rédiger cette courte biographie.
Le récit dépasse bien sûr le cadre de la guerre de 14-18 mais, tant dans leurs aspects glorieux, heureux, ou tragiques, les aventures qui ont jalonné la vie de cet homme méritent d'être racontées sur le forum et de rester dans les mémoires.

Cordialement
olivier
l'amiral
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Re: LUTECE Goélette de Tahiti

Message par l'amiral »

Bonjour à tous,
Permettez cette quelques précisions transmises à toutes fins utiles.

Cfr. : Olivier 12 - Suite du récit de Mr Faïn - qui explique que : « Quelques heures plus tard arriva ce que les Américains avaient prévu : le vent tourna subitement et le bateau toucha sur le récif. Par malheur, enfin plutôt par bonheur, le moteur refusa de démarrer et quand il se mit enfin en marche, il était trop tard. L’hélice touchait le corail et le bateau était engagé sur le récif. Preiss fit tirer deux coups de canon et l’équipage revint à bord. Von Lückner était furieux contre les capitaines américains. Jusque là intime avec eux, il les ignora désormais. »

Sans contester la véracité du récit de ces évènements, j’ajouterais que dans son livre autobiographique, intitulé : « Le dernier Corsaire – 1914-1918 » (Payot – 1928) Félix von Luckner attribue la perte de son Seeadler à un tsunami :
« [L île de Mopéia, qui n’offre au marin ni rade ni ancrage, fut en vue le 29 juillet.] (…). Le 2 août, vers 9 heures ½ du matin, au moment d’envoyer à terre le canot de permissionnaires, nous vîmes la mer s’enfler à l’horizon. Etait-ce un mirage ? mais l’énorme ondulation approche, toujours plus haute : une lame de fond, due à quelque tremblement de terre. Personne d’entre nous n’avait vu pareil phénomène, et nos officiers se disputaient sur sa nature et sur ses causes, mais le danger me parut pressant. Coupe le câble de l’ancre, pare au moteur, tout le monde sur le pont. La lame approche toujours. Je répète (…). Le monstre approche. Déjà le navire se balance sur la houle avant-courrière. Nos oreilles pleines d’angoisse attendent toujours. Trop tard. La lame s’est élevée au-dessus de nos têtes et, saisissant [le navire], le jeta sur le récif de corail. Les mâts et le couronnement s’écrouent. Le choc a détaché des blocs de corail lourds de plusieurs quintaux et qui retombent sur le pont. Etc. »
Selon les habitants des lieux l’épave du 3 mâts repose encore par 30 mètres de fond, tout près de la passe.

Cordialement,
L’amiral.
olivier 12
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Re: LUTECE Goélette de Tahiti

Message par olivier 12 »

Bonjour à tous,

Il y a bien des versions sur ce qui est arrivé au SEEADLER à Mopelia. Lückner a bien sûr cherché à se dédouaner de l'accident, mais tout est possible, y compris d'ailleurs le tsunami...

Pour plus de précisions, consulter ce lien

http://www.europe.canterbury.ac.nz/conf ... paper1.pdf


(Traduire éventuellement en français avec google traduction car il se peut que l'on tombe sur la version anglaise)

Voir aussi la fiche SEEADLER dans laquelle le tsunami est évoqué.

Mais le récit de Rodolphe Faïn -qui n'est cité nulle part- recoupe les déclarations des capitaines américains, ce qui est somme toute un peu normal. Le lieutenant Karl Kircheiss a aussi laissé un récit des évènements. Il ne recoupe pas tout à fait celui de Lückner.
Tout cela a fait couler beaucoup d'encre...

Cdlt
olivier
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