SEEADLER Corsaire allemand

olivier 12
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Re: SEEADLER Corsaire allemand

Message par olivier 12 »

Bonjour à tous,

SEEADLER

Voici une note très intéressante, établie par les services de renseignements de la Marine, publiée le 2 Mai 1917 par l’Etat-Major Général.

Elle concerne le corsaire allemand SEEADLER.

Note de renseignements

« Cette note a pour but de récapituler tout ce que nous savons à propos du corsaire allemand SEEADLER.
Ce corsaire est l’ancien trois-mâts PASS OF BALMAHA, 1498 tx, construit à Glasgow en 1888. Coque en acier.
Il a été pourvu d’un moteur Diesel à 4 cylindres lui donnant une vitesse d’environ 11 nds par beau temps calme. Avec forte brise, il pourrait atteindre 16 nds.
Il est armé de deux canons de 105 mm, l’un à tribord, l’autre à bâbord avant. Deux mitrailleuses de l’armée peuvent être fixées en différents endroits et sont d’ordinaire sur le gaillard et la dunette. Un télémètre sur le gaillard.
Il posséderait des torpilles, mais le fait n’est pas certain.
Fusils Mauser à chargeurs, grenades à main, appareils fumigènes fabriqués à la fabrique de couleurs de Hoechst.
Il est doté d’un dispositif qui lui permet de relever les émissions TSF.

Plusieurs points permettent de reconnaître le SEEADLER.

Le filet placé sous le beaupré est spécialement grand.
Il y a quatre focs. Le petit foc est très petit par rapport au faux foc.
Les seules voiles d’étai sont une pouillousse et un foc d’artimon.
La hauteur du mât de misaine est égale à celle du grand mât. Le mât d’artimon est plus court d’environ trois mètres.
Chaque perroquet volant a une hauteur double de celle du perroquet fixe correspondant.
La voile barrée n’est jamais enverguée.
L’artimon est toujours ferlé et il n’y a pas de gui.
Les haubans d’artimon partent du pont et les galhaubans de la dunette.
L’antenne TSF consiste en un fil de cuivre enrobé dans un filin qui va de la tête du mât de misaine à la tête du grand mât. On voit ce même filin descendre en suivant les galhaubans des mâts de grand et de petit cacatois.
Les embarcations automobiles sont énormes et très apparentes. Les hélices sont masquées par des planchettes. Les bossoirs de ces embarcations sont très robustes. Le dôme du compas étalon, porté par une petite passerelle, est visible au dessus de la lisse des embarcations automobiles.
Sur le roof de l’équipage se trouvent trois embarcations ordinaires. Ce roof porte la cheminée de la cuisine qui est spécialement haute (6m environ) et une cheminée grosse et courte (60 cm) qui est l’échappement du moteur. Cet échappement ainsi placé peut donner l’illusion d’être la cheminée de la chaudière auxiliaire qu’il traverse en effet de bas en haut. Quand le moteur fonctionne, les gazd’échappementsont visiblessur la voile, quand on est au vent du voilier.
Au milieu de la dunette se trouve une chambre de veille en teck verni. Derrière cette chambre de veille, on remarque une grande claire-voie de salon, et sur l’avant, une autre claire-voie pointue avec de chaque bord un grand hublot d’environ 60 cm de diamètre. A l’arrière de la dunette se trouve l’appareil à gouverner qui possède une seule roue à bras.

On doit également tenir compte des remarques suivantes

Il existe en réserve à bord du SEEADLER un gui et une corne probablement destinés à être mis en place pour changer la physionomie du voilier. Il faut admettre que de trois-mâts carré, le SEEADLER peut être transformé en trois-mâts barque.

On aperçoit toujours un homme de veille sur les vergues du grand cacatois. Quand un navire est proche, la vigie simule un travail de réparation du grand cacatois.

Ne pas se laisser tromper par l’apparence pacifique que les Allemands essaient de donner au SEEADLER en jouant la comédie suivante :
Quand il est à moyenne distance d’un navire dont la qualité n’a pas encore été reconnue, le maître d’hôtel s’affuble de vêtements féminins et arpente la dunette à l’abri d’une ombrelle tandis que le commandant, le comte von Lückner, endosse un vêtement civil et se coiffe d’une casquette de voyage et se promène à côté de la fausse passagère sans s’inquiéter de la manœuvre qui est confiée à l’officier de quart.

Lorsqu’un navire est en vue, les manches à air en toile sont amenées.

Les pavillons norvégiens peints sur la coque grise sont parfois barbouillés de peinture, et ainsi dissimulés.

Navires armés

D’après un exercice fait en prenant le voilier LA ROCHEFOUCAULD comme objectif représentant un vapeur armé, la tactique d’attaque est la suivante :

- Approcher le plus près possible sans laisser reconnaître son caractère. Emploi d’un pavillon neutre. Les officiers et les hommes dissimulent leurs uniformes sous de vieux vêtements civils.
- Par un tir très violent de fusils, pistolets, mitrailleuses, empêcher l’armement du canon du vapeur d’approcher de sa pièce
- Par un tir rapide du canon, détruire le poste TSF , mettre le canon hors service et, si le navire essaie de fuir, tirer sur la passerelle.

Croisière du SEEADLER

Depuis son départ d’Allemagne jusqu’au 21 Mars sa croisière est la suivante :

12/1916 Départ de Gestemünde avec éclairage par sous-marin en mer du Nord. Remonté vers l’Irlande.

09/01/17 GLADYS ROYAL Cardiff-Montevideo avec 5000 t de charbon coulé par 35°N 25°W

10/01/17 LUNDY ISLAND Maurice-Nantes avec 4500 t de sucre coulé par 35°N 22°W

21/01/17 CHARLES GOUNOD Dunkerque-Queenstown avec 3050 t de maïs coulé par 07°N 28°W

28/01/17 PERSEE Halifax-Nantes avec 4000 t de morues coulé par 03°N 28°W

03/02/17 ANTONIN Iquique-France avec 4000 t de nitrate et 50 t de peaux salées coulé par 07°N 35°W

09/02/17 BUENOS AYRES Antofagasta-Gibraltar avec 3000 t de salpêtre coulé par 05°N 32°W

19/02/17 PENMORE Buenos Ayres-Fayal avec 3850t de blé coulé par 08°N 35°W

26/02/17 BRITISH YEOMAN Montevideo-Bordeaux avec 3000t de blé coulé par 04°30N 31°W

27/02/17 LA ROCHEFOUCAULD Iquique-Rochefort avec 3050 t de nitrate coulé par 05°N 31°30W

05/03/17 DUPLEIX Tocopilla-Queenstown avec 3000t de salpêtre coulé par 01°10N 28°12W

11/03/17 HORNGARTH Montevideo-Plymouth avec blé coulé par 02°20S 26°W

21/03/17 CAMBRONNE capturé par 20°10 S et 25°50 W. Tous les prisonniers (300 environ) ont été transférés sur ce navire et conduits à Rio de Janeiro. La cargaison de salpêtre du CAMBRONNE a été avariée en jetant dans les cales des dizaines de tonnes d’eau. Les mâts ont été sciés à un mètre au dessus du chouque, en deux endroits différents, sur un tiers de l’épaisseur. Les dromes ont été coupées, les volants dévergués et jetés à la mer ainsi que toutes les voiles en soute. »

Voici le dessin qui accompagne cette note

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Je replace à la suite de cette note tous les renseignements déjà fournis sur le SEEADLER à la fiche CHARLES GOUNOD.


Le SEEADLER (aigle des mers) dissimulé sous le nom de NORGE, était en fait un trois-mâts franc américain, le PASS OF BALMAHA, que les Allemands avaient capturé au début de la guerre.
C’était d’ailleurs au moment où les Anglais l’avaient arraisonné et le conduisait au port de Kirkwall, dans les Orcades, pour en vérifier la cargaison (du coton destiné à Arkangelsk).
Il avait été transformé en croiseur auxiliaire à Geestermünde. On l’avait doté d’un moteur diesel de mille chevaux, lui donnant une vitesse de dix nœuds et l’on avait embarqué pour deux années d’approvisionnements.
On l'avait armé avec deux canons de 105 sur Td et Bd avant, deux mitrailleuses installées d'ordinaire sur la dunette et le gaillard, mais que l'on pouvait déplacer, de nombreux fusils Mauser et des pistolet "parabellum". Des pavois à charnières basculaient pour dévoiler les canons. Il y avait aussi des grenades à mains et des mines fumigènes.
L’entrepont était aménagé pour recevoir 400 prisonniers. 64 hommes constituaient l’équipage. Déguisé en bâtiment de commerce neutre, il ne fallait aucune fausse note susceptible d’éveiller le doute chez l’adversaire. C’est pourquoi un marin allemand, que ses camarades avaient surnommé Jeannette, se promenait sur le pont à la vue de tout le monde, travesti en femme et portant une ombrelle, quand on approchait d'un adversaire, tandis que les hommes armés, tapis derrière les bastingages, étaient parés pour l’abordage.
Si l’ennemi avait des velléités de résistance, des mégaphones annonçaient le torpillage imminent, alors que le SEEADLER n’avait ni tube lance-torpilles, ni torpilles.

Voici le SEEADLER (tableau de Willy Stöwer, 1925)

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Et voici le commandant Felix von Lückner

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Von Lückner fut un marin tout à fait atypique. Formé sur les grands voiliers du début du siècle, notamment sur l’Anglais Pinmore qu’il coula, la mort dans l’âme, le 19 Février 1917, il se résolut à mener une guerre « propre ».
Il avait confié à son second et ami privilégié, Friedrich Lüdemann, après avoir coulé le cargo LUNDY ISLAND :
« Je crois que je suis en train de réussir notre pari : faire la guerre sans nous salir les mains »
Comme Lüdemann lui faisait remarquer que beaucoup d’Allemands souffraient de cette guerre, au moins autant que leurs adversaires, il avait répondu :
« Retenez bien ceci Lüdemann : nous n’avons pas su défendre autrement que par les armes notre bonheur sur cette terre. Un peuple qui cautionne ses chefs est aussi coupable qu’eux des horreurs qu’ils dispensent. Sur ce navire, nous ne sommes plus en train de faire la guerre, mais d’essayer de reconstruire l’avenir ».

Ce corsaire avait quelque chose de visionnaire dans son appréhension de l’avenir et de l'Histoire.

Sur le SEEADLER, équipage et prisonniers vécurent en bonne harmonie. La liberté de déplacement était totale, sauf lorsqu'une nouvelle victime approchait. Beaucoup de marins avaient retrouvé des camarades prisonniers comme eux. Les officiers pouvaient se réunir dans leurs cabines ou le logement commun qui leur était affecté.
Les officiers anglais, en particulier, discutaient facilement avec les Allemands tandis que les marins fréquentaient volontiers les bordées allemandes qui étaient au repos. Le soir, on jouait ensemble de la musique...
Enfin, les marins qui travaillèrent sur le SEEADLER (car il fallait assurer le fonctionnement d'un navire transportant à la fin de l'odyssée plus de 300 hommes) furent rémunérés sur la base des salaires versés par leur compagnie.

Voici un cliché montrant corsaires et prisonniers en bonne harmonie sur le pont du SEEADLER

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Plus tard, le SEEADLER s’échoua sur un atoll perdu du Pacifique et von Lückner fut prisonnier des Néo-Zélandais. Libéré mi-Mars 1919, il rentra dans sa ville de Halle et put même revoir son père, âgé de 95 ans, qui mourut quelques semaines plus tard.
Toujours fidèle à sa patrie, il s’occupa alors de l’instruction des cadets de la nouvelle marine et navigua sur le voilier école NIOBE.
Nommé capitaine de corvette en 1922, il démissionna pourtant et, s’étant marié avec une jeune suédoise, il se rendit aux Etats-Unis où il demeura plusieurs années.
En 1933, il s’opposa ouvertement, par des conférences publiques, au national socialisme. Sa tête fut mise à prix . La gestapo le considéra comme un traitre et sa condamnation à mort fut proclamée par le führer en 1939. Il s’installa alors aux Etats-Unis puis, en 1950 et définitivement, à Malmö, en Suède. Il est décédé le 13 Avril 1966.

Cdlt

Olivier
olivier
alain13
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Re: SEEADLER Corsaire allemand

Message par alain13 »


Bonjour à tous,
Lorsque cette note relative au signalement du SEEADLER a été publiée, il avait franchi depuis longtemps le cap Horn.
Elle devait sans doute faire suite aux témoignages des marins libérés et embarqués sur le Cambronne.
Le SEEADLER, lors de sa descente dans l'atlantique et se faisant passer pour un navire norvégien, avait d'ailleurs été controlé par un croiseur anglais, l'AVENGE, qui n'y avait vu que du feu.
Le navire était d'ailleurs truffé de portes et de trappes secrètes. Pour accéder dans les fonds où se trouvait le logis de l'équipage il fallait accéder par des trappes situées dans les armoires à cirés. Des armes étaient cachées dans les gréments.
Au cas où il aurait été déclaré suspect et envoyé vers un port de visite avec un équipage de prise, le salon qui aurait abrité l'état major ennemi avait un plancher indépendant métallique actionné par une presse hydraulique.
" Un bouton pressé fait descendre le salon, avec sofas, tables et chaises, dans la soute où les officiers anglais se trouvent en face de quinze bonnes baïonnettes."
Mais cette alternative ne s'est jamais produite.
Lorsque la note en question a été publiée, le SEEADLER avait déjà rempli l'essentiel de son tableau de chasse. Après avoir capturé les voiliers américains, A.B. JOHNSON, SLATE et MANILA, il vint mourir en s'échouant sur les récifs de l'île de Mopélia, dans l'archipel de la Socièté.

Cordialement,
Alain
olivier 12
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Re: SEEADLER Corsaire allemand

Message par olivier 12 »

Bonjour à tous,

Un petit complément sur le SEEADLER


La perte du SEEADLER

Après avoir sillonné le Pacifique, von Lückner arriva le 1er Août 1917 devant un petit atoll du Pacifique qu’il nomme Mopélia (en fait Mopihaa) situé dans l’ouest de Bora-Bora, aux îles sous le vent. L’atoll a un diamètre de 8 km et la passe d’entrée n’était pas praticable pour le SEEADLER. Mais Lückner voulait procéder à un nettoyage de sa coque, et surtout trouver des vivres frais pour combattre le scorbut qui menaçait son équipage.

Voici le plan de l’atoll dessiné par lui-même.

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Les profondeurs étant tout de suite importantes, il dut mouiller ses ancres à proximité du platier par des fonds de 30 m environ. Mais le lendemain matin, une houle subite et très importante, peut-être due à un tsunami consécutif à un tremblement de terre sous-marin, souleva le voilier et le déposa sur le platier. Un incendie éclata à bord et il devint très rapidement perte totale.

Voici la position du SEEADLER lors de son naufrage.

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L’équipage installa un camp à terre, ayant toutefois pu récupérer les deux embarcations de sauvetage. Quelques Polynésiens et Français se trouvaient dans l’île. C’étaient des Tahitiens venus de Papeete ; deux fois par an, ils venaient sur l’île pour charger un navire de coprah et de tortues. Outre les marins allemands, il y avait également les équipages américains de la goélette A.B. JOHNSON, de San Francisco, capitaine Petersen, capturé le 14 Juin précédent, K.C. SLADE, capitaine Smith, prise quelques jours plus tard et MANILA, capitaine Southard, capturé le 8 Juillet.
Les Allemands se montrant amicaux avec les autochtones, les relations furent plutôt bonnes. Un véritable village prit naissance dans cette île paradisiaque. Mais les prisonniers, bien que libres de circuler dans l’île, étaient étroitement surveillés par les hommes du lieutenant Kling, plus rigoureux semble-t-il que son commandant.

Le 25 Août, von Lückner quitta l’île dans l’une des embarcations de sauvetage gréée et armée du mieux possible pour entreprendre une longue traversée jusqu’aux îles Fidji. Il avait renoncé à se rendre à Tahiti qu’il savait bien défendue depuis les exploits de Destremau contre l’Amiral von Spee. Il emmenait avec lui les officiers Lüdemann, Kircheiss et Krause, le maître Parmien et le timonier Erdman. Il laissait le camp de Mopélia sous les ordres du lieutenant Kling.

Voici le départ de l’embarcation, portant le pavillon de guerre allemand. Elle avait été baptisée KRONPRINZESSIN CECILIE.

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Leur odyssée est digne de celle du capitaine Bligh, du BOUNTY, en 1789. Le 28 Août ils atteignirent l’île d’Atiu, britannique, se faisant passer pour des Hollandais. Lückner parlait avec le lieutenant Kircheiss en bas-allemand, langue que le résident anglais confondit avec la langue batave. Le 31 Août, ils firent escale dans l’île d’Aitutaki. Le résident anglais était beaucoup plus méfiant ; bien que n’ayant pas été identifiés tout de suite, il préférèrent appareiller dès le lendemain. Le 13 Septembre, il atteignirent l’île de Niué. Il n’y avait pas d’Anglais et la population autochtone se montra très accueillante. Vingt deux jours après le départ de Mopélia, ayant affronté de dures tempêtes, il firent escale sur un ilot du nord des Tonga, anciennes possessions allemandes. Enfin, il atteignirent Wakaya, dans l’est de Suva aux Fidji. Mais les Anglais, qui les avaient identifiés depuis leur passage à Aitutaki, les arrêtèrent. Bien que fortement armés, les Allemands renoncèrent à engager un combat contre le jeune policier et ses quatre auxiliaires polynésiens venus, avec beaucoup d’imprudence et d'inconscience, les faire prisonniers.

Ils seront internés en Nouvelle Zélande. Voici Lückner prisonnier près d’Auckland. Il tenta d'ailleurs plusieurs évasions, mais fut repris et ne rentra qu'en 1919 en Allemagne.

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Pendant ce temps, à Mopélia, Kling avait décidé de quitter l’île avec le deuxième canot. Or le 5 Septembre se présenta la goélette LUTECE, 157 tx, capitaine tahitien Porotu. C’était un ancien voilier allemand nommé FORTUNA, et capturé semble-t-il au début de la guerre. Elle arrivait de Papeete, via Bora-Bora, pour reprendre les Tahitiens de Mopélia. C’était inespéré pour les Allemands qui eurent vite fait de s’en emparer. Le soir même Kling quittait l’île avec tous les marins du SEEADLER, laissant le camp de Mopelia sous la responsabilité du capitaine américain Southard. Il mit le cap sur la côte chilienne avec l’intention de doubler le cap Horn puis de rentrer en Allemagne. Mais le 4 Octobre, de nuit, ils firent naufrage sur la côte nord de l’île de Pâques. Un vapeur les ramena au Chili en Novembre 17. Considérés comme civils, ils ne furent d’ailleurs pas internés, mais ne purent rentrer en Allemagne qu’en Juillet 1920.

A Mopélia, Français et Américains vécurent alors libres. Ils construisirent une petite embarcation et les capitaines Southard et Porotu tentèrent avec quelques hommes de gagner Maupiti pour donner l’alerte. Mais ce fut un échec et ils durent revenir dans l’île. On avait inscrit un appel à l’aide, à la peinture verte, sur un grand morceau d’étoffe, encore conservé aujourd’hui et que voici.

Image

Finalement, le 6 Octobre à 07h00 du matin, un petit voilier se présenta devant la passe de Mopélia. C’était le TIARE TAPORO, envoyé par l’armateur du LUTECE, inquiet de n’avoir plus de nouvelles de sa goélette. Quelques jours plus tard, Tahitiens, Français et Américains débarquaient à Papeete.

Plus tard, début Novembre, une expédition revint à Mopélia à bord du navire australien HMAS ENCOUNTER afin de voir si le SEEADLER pouvait être remis à flots ou s'il fallait le détruire. Mais c’était une épave irrécupérable. Seule la figure de proue fut récupérée et se trouve aujourd’hui dans un musée australien. La voici.

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Sources : "Luckner" de Gérard Jaeger. Ed Glénat
Picture Australia

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Ar Brav
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Re: SEEADLER Corsaire allemand

Message par Ar Brav »

Bonjour à tous,

Un article paru dans le Journal d'information des Archives départementales de Loire-Atlantique (n°15) concernant Von Lückner et le Seeadler intitulé "Le dernier corsaire".

Merci à Henri Pérocheau (Henri P.) pour cet envoi.

Quand les archives des douanes racontent l'épopée du dernier corsaire.

Dans l'inconscient collectif, corsaires et pirates renvoient bien souvent à des images d'abordages hollywoodiens, d'aventures rocambolesques ou de magnifiques voiliers voguant sur les mers du sud des XVIIe et XVIIIe siècle.
Et pourtant... tandis qu'il consulte patiemment les archives, le chercheur a parfois la surprise de découvrir, enfoui tel un trésor au milieu des pièces administratives, le témoignage de véritables épopées corsaires vécues à une époque pas si lointaine.
Ainsi le fonds des douanes de Nantes conserve-t-il des dossiers qui font référence à celui que l'on nomme parfois « le dernier corsaire » : Félix Graf von Luckner (1881 - 1966). Cet officier de marine allemand, qui connut son heure de gloire durant la guerre 1914 - 1918, suscite encore aujourd'hui la passion, certains se lançant même sur ses traces et allant jusqu'à mener une véritable chasse au trésor à l'autre bout du monde...


Von Luckner ou l'histoire du matelot Filax devenu corsaire pour le compte de l'Allemagne.

Von Luckner est né à Dresde, en Allemagne, dans une famille de notables (son arrière-grand-père, Nicolas Luckner, fut maréchal de France ; Rouget de l'Isle lui dédia même La Marseillaise). En 1894, âgé de treize ans, il fugue et s'embarque à Hambourg comme mousse. Celui qui se fait appeler « Filax » parcourt un temps le monde, exerçant tantôt le métier de marin, tantôt différentes activités terrestres où il semble s'exercer sans relâche à la ruse et à l'escroquerie, non sans connaître par ailleurs bon nombre de déboires... En 1911, après avoir regagné son pays et repris contact avec une famille qui le croyait mort et enterré, il parvient finalement à réaliser son rêve en devenant officier de la Marine impériale allemande.

En 1916, la guerre fait rage et les Allemands subissent de plein fouet le blocus continental. Que faire alors d'un fringant capitaine ? La Marine propose au comte von Luckner le commandement d'un voilier anglais capturé au début de la guerre. Ce trois-mâts en acier construit en 1888 à Glasgow, le Pass of Balmaha, officiellement transformé en navire école, est en fait armé de mitrailleuses et de canons escamotables, aménagé pour la course et doté d'un moteur ! Afin de tromper l'ennemi, il prendra l'identité d'un bateau norvégien, la Maletta, usurpée grâce à de faux papiers. On embarque des civils norvégiens ; pour faire plus vrai, un matelot travesti jouera même le rôle de la femme du capitaine que la tradition norvégienne autorise à monter à bord. On charge une cargaison de bois. Fin novembre 1916, le comte est prêt. Lui et ses hommes appareillent et le Seeadler (le nom secret dont von Luckner a baptisé le navire et qui signifie Aigle des Mers) commence sa carrière de corsaire !

Image

Le commandant, comte von Lückner

Une tactique empruntée à la guerre de course.

Le corsaire est un marin à bord d'un navire civil armé, qui a été autorisé, par son gouvernement et uniquement en temps de guerre, grâce à un document appelé « lettre de marque » ou « lettre de course », à attaquer les navires marchands ennemis. Il ne doit pas être confondus avec le pirate qui pille sans distinction navires et côtes y compris en temps de paix.
Or, la « course » a été abolie en 1856 par le traité de Paris signé par l'Allemagne. Von Luckner n'est donc pas un vrai corsaire (il ne possède pas de lettre de course) mais il est souvent désigné comme tel car les tactiques qu'il emploie ne sont pas sans rappeler celles de la guerre de course. Avec le Seeadler, il a arraisonné seize bateaux : deux seulement n'ont pas été coulés une fois leur caisse et leur cargaison pillées. Leurs équipages ont été épargnés mais uniquement après s'être engagés à ne plus combattre l'Allemagne.

(à suivre)





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Ar Brav
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Re: SEEADLER Corsaire allemand

Message par Ar Brav »

(suite)

L'histoire au cœur des archives des douanes.

Les dossiers de navires clos ont été constitués par l'administration des douanes : ils se composent de pièces relatives à la francisation des bateaux (acte administratif qui confère à un navire le droit de porter pavillon français avec les privilèges qui s'y attachent), à leur construction, aux modifications éventuelles apportées à leur forme, à leurs dimensions et aux droits de congés accordés (autorisations délivrées par les douanes de quitter un port).
Douze navires ont été attaqués dans l'Atlantique par von Luckner en 1917, dont cinq battaient pavillon français ; dans les dossiers des douanes versés aux Archives départementales se trouvent les dossiers de trois d'entre aux : le Dupleix, le La Rochefoucauld et le Charles Gounod.

Les extraits des rapports de mer constituent des témoignages de première main de l'action de von Luckner. On peut grâce à eux retracer avec exactitude son mode opératoire qui se reproduit de manière immuable.
Ainsi le capitaine du Charles Gounod, Henri Rault, décrit-il l'approche du Seeadler : « J'aperçus un trois-mâts, pavillons norvégiens peints sur la coque, faisant route au Sud et laissant porter pour me passer sous le vent. Après avoir distingué le numéro, je hissais mon pavillon et le numéro du navire, aussitôt les pavillons peints sur la coque disparurent, le pavillon de guerre allemand fut hissé ainsi que le signal I.D. « ordre de mettre en panne », appuyé d'une décharge de mitrailleuses dans la voilure. Le navire allemand loffait et, toutes voiles masquées, se rapprochait de nous et virait de bord. Il avait un moteur ».

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Une représentation du Seeadler.

Le capitaine du Dupleix, L. Charrier, poursuit « A 9 heures, un officier allemand accompagné d'hommes armés monte à bord, saisit les papiers, fait hisser le pavillon allemand à la corne, puis nous ordonne d'avoir à abandonner le Dupleix dans le plus bref délai, ce dernier devant être coulé immédiatement et son équipage interné à bord du navire allemand ». Puis c'est l'abandon du navire, que décrit avec émotion le capitaine du navire La Rochefoucauld, J. Le Gloahec : « A 10 H, l'officier me donna l'ordre de quitter mon navire, minutes pénibles. Je me rendis à bord où je rencontrai plusieurs capitaines ayant subi le même sort. Le pillage du navire terminé, il fut criblé de mitraille 33 coups de canon, mitrailleuses et fusils, ce n'est que 2 H. après ce bombardement qu'il disparut dans les flots ».

Von Luckner a souvent été décrit comme un gentleman ayant pris grand soin de ses prisonniers mais on lit pourtant : « Malgré que je fus malade et marchant avec difficulté, j'ai été traité sans le moindre égard » (L. Charrier) ou encore : « La nourriture et l'eau laissèrent souvent à désirer tant au point de vue de la qualité que de la quantité », (Henri Rault). « Tous les marins » (283) poursuit le capitaine du Dupleix « ont été transféré du Seeadler au Cambronne dont la mâture avait été avariée à dessein par les Allemands façon à lui faire passer le plus longtemps possible pour se rendre à Rio de Janeiro, lieu désigné pour notre nouvelle destination ».

Image

La course du Seeadler en 1917.

(à suivre)




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Ar Brav
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Re: SEEADLER Corsaire allemand

Message par Ar Brav »

(suite et fin de l'article)

Une fin digne d'un roman d'aventure.

Les prisonniers à bord du Cambronne sont débarqués le 30 mars 1917 à Rio de Janeiro : la nouvelle se répand et le Seeadler démasqué est rapidement repéré mais von Luckner et son équipage parviennent encore à couler trois navires américains dans le Pacifique où ils se sont réfugiés. C'est une barrière de corail qui brise brutalement la coque et les espoirs du Seeadler. Laissant derrière lui son équipage sur l'atoll quasi-désertique de Mopelia, von Luckner repartira malgré tout avec quelques hommes à bord d'une chaloupe rescapée mais il est finalement capturé en septembre 1917. Evadé plusieurs fois, il poursuit après guerre sa carrière d'officier et ne décède qu'en 1966.

Image

La course du Seeadler en 1917.

Triste fin pour le beau Seeadler mais von Luckner a su tirer partie de ses exploits, plus romantiques que ceux de ses pairs au milieu des charniers européens, en racontant ses tribulations lors de nombreuses conférences et en rédigeant ses mémoires. Ses aventures font encore rêver des milliers de petits Allemands quand d'autres poursuivent encore la recherche de son hypothétique trésor perdu à quelques miles de Bora Bora...

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Bibliographie et sources :

Le Corsaire de l'Empereur, Chasse-Marée, histoire et ethnologie maritime, n°40, 1989 (PER 326/4)
Seeteufel : Abenteuer aus meinem Leben, Felix von Luckner, Leipzig, K.F. Koehler, 1921
Félix de Luckner, Le dernier corsaire (1914-1918), trad. de l'allemand par Louis Berthain, Paris, Payot, 1927
ADLA, fonds des douanes, 3 P 506, 625, 640


Bien cordialement et bon dimanche à tous,
Franck



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Yves D
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Re: SEEADLER Corsaire allemand

Message par Yves D »

Bonjour Olivier, bonjour à tous
Suite au fil sur la goélette Lutèce, j'ai cherché à en savoir plus sur les hommes du Seeadler que j'ai pu identifier dans l'Ehrenrangliste der Kaiserliche Marine.
Outre von Lückner qu'on ne présente pas, j'ai trouvé :

Leut. zur See der Reserve Alfred KLING
né le 25.6.1882
Entré KM en 10.1906 rappelé 13.10.1914, affecté à la flottille de Torpilleurs de la Mer du Nord. Sa fiche ne fait pas état de son séjour sur le Seeadler mais je pense que c'est bien lui car il n'y en a pas d'autre à ce nom là.
17.10.1919 Démobilisation

Leut. zur See der Reserve Karl KIRCHEISS
né le 17.7.1887
Entré KM en 10.1912
Retour de l'étranger en 9.1914, affecté à la flottille de Torpilleurs de la Mer du Nord puis sur le Seeadler en 11.1916
finit la guerre prisonnier en GB de 8.1917 jusqu'à la fin
Démobilisé 30.9.1919

Marine-Assistenzärzte d.R. (Médecin) Rudolf PIETSCH et non PIESS
né le 21.2.1887
Entré KM 4.1908 - Mobilisé 15.2.1915
Affecté à l'E.M. de la flottille de Torpilleurs de la Mer du Nord puis sur Möwe en 11.15 et sur Seeadler en 3.1916
3.1918 débarque au Chili où il est interné jusqu'à la fin
Décède à Talcahuano (Chili) le 18.6.1919

Les deux Lt.z.S. de réserve sont à l'évidence deux officiers de la Marine Marchande et on remarquera également que tous ces hommes se connaissaient de la Division de Torpilleurs de la Mer du Nord. Quelle équipe et quelle extraordinaire aventure ils auront tous vécu !

Dans le livre de von Lückner " l'Aigle des mers", tous ces personnages sont cités.
Amts
Yves
www.histomar.net
La guerre sous-marine 14-18, Arnauld de la Perière
et autres thèmes d'histoire maritime.
alain13
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Re: SEEADLER Corsaire allemand

Message par alain13 »


Bonjour à tous,

Lückner a-t-il écrit plusieurs livres, ou bien "l'Aigle des mers" et "le dernier corsaire" sont-ils un seul et même ouvrage publié sous deux titres différents ?

Bien cordialement,
Alain
Memgam
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Re: SEEADLER Corsaire allemand

Message par Memgam »

Le "Graf Félix von Luckner" a écrit dans sa langue, en allemand, plusieurs ouvrages dont un seul a été traduit en français en 1927 chez Payot. Vous en trouverez ci-dessous la copie de couverture. Des rééditions ont été faites avec des changements de titres pour diverses raisons, essentiellement commerciales.

L'original allemand a pour titre Seeteufel, Abenteuer aus meinen Leben, Koehler, 1921.

Luckner est devenu une légende et il a fait l'objet d'articles, de chapitres de livres, voire de biographies.

Pierre Boujol, La mort du comte von Luckner, gentilhomme de mer, le dernier corsaire, Cols bleus n° 941 et 942, 30 avril et 7 mai 1966.

Alain Dunoyer de Segonzac, Luckner, l'aigle des mers, chasse-marée n° 40, mars 1989.

Edmond Tranin, Les rouliers de la mer (1914-1918), Payot, 1928, chapitre VI, troisième quart, le voilier corsaire Seeadler.

Oliver E. Allen, Les grands voiliers, éditions Time-Life, 1980, chapitre 5, Le diable des mers, capitaine du Seeadler, un chef d'oeuvre de camouflage guerrier.

Gérard Jaëger, Luckner ou le roman vrai d'un corsaire du XX ème siècle, Glénat, 1995.

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Memgam
alain13
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Re: SEEADLER Corsaire allemand

Message par alain13 »


Bonsoir à tous,

Merci pour ces renseignements, et comme "Le Dernier Corsaire" est aussi traduit de l'allemand par Louis Berthain, j'en déduit que le texte doit être le même.
J'ai également lu le châpitre qui lui est consacré dans "Les Rouliers de la Mer".... très intéressant tout çà.

Bien cordialement,
Alain
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