Bonjour à tous,
Voici quelques précisions sur les rencontres de ce vapeur avec des sous-marins allemands.
17 Novembre 1917
Rapport de la Commission d'enquête
FRANK DELMAS quitte Port Talbot avec un chargement de charbon pour Rochefort le 16 Novembre à 18h00. Passe Wolf Rock le 17 à 08h45. Est alors survolé par un hydravion qui ne lui signale rien.
A 13h45, la vigie signale un petit voilier qui est aussitôt identifié par Monsieur Guesdon comme étant le capot rectangulaire d'un sous-marin à vitesse réduite. Le télémétriste le repère à 11000 m.
L'enseigne de vaisseau Guesdon prend le commandement du FRANK DELMAS et maintient le même cap jusqu'à 7000 m, estimant qu'à cette distance le sous-marin pense ne pas avoir été aperçu. A 7000 m, il vire de bord comme s'il venait de l'apercevoir et fait route plein nord. Il fait aussi lancer un signal de détresse. Toutes les dispositions de combat sont prises et les portes étanches sont fermées. La position est 49°19 N et 05° 33 W.
Mer houleuse. Bonne visibilité. Temps à grains brumailleux.
Le sous-marin plonge pour prendre les dispositions de torpillage. Mais une très légère fumée sur tribord arrière permet de voir que le sous-marin suit FRANK DELMAS pendant 4 ou 5 milles, sans gagner. La vitesse est alors réduite à 7 noeuds et les hommes de veille sont quadruplés de chaque bord. Le cap est mis à l'est, puis au sud dans un grain. En sortant du grain, le sous-marin est aperçu à 9000 m sur un quart tribord. La vitesse est encore réduite à 4 noeuds. Le sous-marin semble alors virer de bord. Pour déjouer cette manoeuvre, le cap est mis sur lui en le gardant légèrement sur bâbord et en forçant la vitesse. Le sous-marin prend alors la fuite et le FRANK DELMAS continue la poursuite.
Mais à, 16h15, refusant le combat, le sous-marin plonge et disparaît. Il ne s'est pas laissé approcher. FRANK DELMAS reprend alors sa route au nord en faisant des zigzags jusqu'à la nuit.
La commission n'a pas à donner d'opinion sur les manoeuvres de l'enseigne de vaisseau Guesdon, ne connaissant pas ses ordres.
Elle souligne toutefois que la conduite du capitaine Grandjean a été parfaite. Il en a été de même pour celle de son équipage.
Note de l'officier enquêteur de l'AMBC
Le bâtiment n'a pas tiré, mais les pièces étaient prêtes.
Il ne comportait que six canonniers AMBC faute de logement suffisant à bord. Depuis, un logement a été construit par le port de Rochefort et un 7e homme a été embarqué pour le service de l'artillerie. En dehors des missions spéciales, c'est un quartier-maître canonnier qui remplit la fonction d'officier de tir.
Ce vapeur relâche régulièrement à Rochefort et j'ai toujours eu, lors de mes visites réglementaires, une très bonne impression sur l'organisation et la marche du service militaire.
Commentaire
En lisant ce récit du déroulement de l'affaire, il apparaît tout à fait évident que FRANK DELMAS était en fait utilisé comme bateau-piège. Loin de chercher à fuir, il a bien au contraire cherché à tout prix l'affrontement avec le sous-marin. Mais le commandant de ce dernier s'est méfié et à préférer renoncer au combat.
Un autre élément est surprenant. Le commandant est dépossédé de son commandement par un passager militaire. C'est absolument inusuel et je n'ai pas d'autre exemple d'une telle chose. Ceci ne peut résulter que de dispositions prises avant le départ par les autorités maritimes et militaires, dans le cadre bien défini d'une « mission spéciale » et, bien sûr, en accord avec le commandant en titre.
Et cela ne fait que renforcer l'hypothèse du bateau-piège.
4 Juillet 1918
Rapport du capitaine
Appareillé de Saint Jean de Luz le 20 Juin et arrivé le soir même à Bilbao. Revenu à Saint Jean de Luz le 26 et resté sur rade pendant cinq jours, immobilisé par une épidémie de grippe attrapée à Bilbao (nota : seraient-ce les prémices de la terrible grippe espagnole?). Douze hommes, dont sept de la machine, sont exempts de service.
Quitté Saint Jean de Luz le 1er Juillet en convoi et arrivé à Brest le 3 Juillet. Quitté Brest le 4 à 02h00 en convoi de 14 navires disposés sur cinq colonnes, escortés par le torpilleur STYLET et trois chalutiers anglais.
A 09h00, un sous-marin est aperçu sur tribord. Tous les bâtiments du convoi viennent sur bâbord.
A 09h30, le vapeur BLOIS hisse le pavillon B (sous-marin sur bâbord) et tire un coup de canon, puis cesse le feu. Mis aux postes de combat, mais le sous-marin est masqué par trois autres navires du convoi dont un Danois. Les chalutiers signalent « Restez groupés ».
A 11h30, FRANK DELMAS aperçoit le sous-marin sur bâbord. Le sillage est bien visible à environ 45 degrés sur bâbord. Le convoi fait une embardée sur tribord et le vapeur LIBOURNE ouvre le feu, puis cesse le tir.
FRANK DELMAS tire alors avec ses deux pièces. Le deuxième coup va droit au but. Fort bouillonnement lors de l'explosion de l'obus. Il est suivi par une seconde forte explosion et une colonne de fumée s'élève jusqu'à 25 m de hauteur.
Le quartier-maître canonnier officier de tir fait la réflexion : "ça y est, il est touché"! Certains d'avoir touché le sous-marin, les hommes poussent des hourras.
La position est 49°10 N et 05°02 W (nota : étonnamment proche de la position de la première rencontre le 11 Novembre précédent, à peine une dizaine de milles)
Plus aucune alerte jusqu'à Penzance. Fait route ensuite sur Cardiff et Barry Dock.
Quitté Penzance le 16 Juillet et mouillé le même jour sur rade de Roscanvel. Fait ensuite route sur Quiberon et Saint Nazaire.
Récompenses
Pour cette action du 4 Juillet 1918, la capitaine Grandjean recevra un témoignage officiel de satisfaction :
« Par la précision de son tir, dû à la bonne organisation militaire de son bâtiment, a obligé un sous-marin ennemi a abandonner l'attaque du convoi ».
Un TOS sera aussi décerné à tout l'équipage
« Equipage bien entraîné. Tir précis. A obligé un sous-marin ennemi à abandonner l'attaque d'un convoi. »
Les sous-marins attaquants
N'ont pas été identifiés.
Ayant les dates, heures et positions des actions, il doit être possible de les identifier s'ils sont rentrés à leurs bases. Il serait particulièrement intéressant de se procurer le KTB de celui du 4 Juillet afin de savoir s'il a vraiment été touché.
Le novice du FRANK DELMAS
On note sur ce vapeur la présence du novice Edouard ZANKER.
Nous avons déjà rencontré ce garçon à plusieurs reprises.
Edouard Gabriel Auguste Zanker était né le 10 Février 1901 à Rochefort où il habitait 26 rue Amiral Courbet.
A 15 ans, le 4 Décembre 1916, il avait embarqué à La Pallice sur le trois-mâts BRENN en partance pour le Chili. Mais le 16 Janvier 1917, le voilier était coulé par le sous-marin U 59 du KL Wilhelm Freiherr von Firks. Pour ne pas surcharger les embarcations des naufragés, l’Allemand avait proposé au capitaine Bernot, du BRENN, de garder à son bord le second capitaine, deux marins et le mousse Zanker.
Libéré quelques jours plus tard et remis à un navire danois, le mousse avait pu regagner son domicile dès le 26 Janvier.
A peine le temps de fêter ses 16 ans, et il avait aussitôt rembarqué sur le quatre-mâts barque EUROPE, effectuant alors un voyage complet d’Australie avec retour par le cap Horn.
Au retour, le 24 Septembre 1917, nouvelle rencontre avec un sous-marin et nouveau naufrage. EUROPE, capitaine Nicolas, est coulé au canon par l'UC 63 de l'OL Karsten von Heydebreck. Mais cette fois, le mousse va se retrouver dans l’embarcation du capitaine et devra parcourir 300 milles en 4 jours pour gagner l’île de Sein.
Pas découragé, le mousse, qui possède désormais le titre envié de « cap-hornier » embarque alors comme novice (il a dépassé les 16 ans) sur le vapeur FRANK DELMAS. Et le 17 Novembre, c'est une nouvelle rencontre avec un sous-marin sur ce navire-piège, la troisième de l'année.
Le 10 Mars 1918 c’est une quatrième rencontre et, le 4 Juillet suivant, une cinquième rencontre qui se termine par un témoignage de satisfaction décerné à tout l'équipage. Il y aura encore une 6e rencontre. Il avait alors 17 ans.
Je pense que peu de marins de la Grande Guerre ont été, aussi jeunes, confrontés à six reprises à des sous-marins allemands et s'en sont sortis chaque fois à leur avantage.
Les marins étant parfois superstitieux, peut-être certains, sur FRANK DELMAS, ont-il pensé que ce mousse portait la poisse chaque fois qu'il embarquait...
Voir ce lien qui retrace toute la carrière d'Edouard Zanker
viewtopic.php?f=29&t=46756&p=496806&hil ... er#p496806
Notons au passage qu'il n'y avait que dans la marine marchande que l'on pouvait alors trouver des garçons de moins de seize ans impliqués dans des opérations de combat.
J'ai aussi constaté que les mousses éventuellement faits prisonniers étaient très rapidement libérés. Je ne sais s'il y avait des conventions internationales les concernant.
Cdlt