Bonjour à tous,
A bord : 902 personnes dont 161 hommes d’équipage.
741 passagers : Européens, Indigènes des colonies, Chinois, équipages coloniaux de GUADANIA et LOUXOR, et équipages de navires américains.
Avec certitude : 15 disparus dont 14 hommes de l’équipage et un matelot du GUADANIA.
Sans certitude formelle : le colonel commandant d’armes dit que 46 tirailleurs ont disparu. Le commandant d’AUSTRALIEN estime ce nombre trop élevé.
Rapport du capitaine
Quitté Marseille le 17 Juillet à 05h00 escorté par 4 torpilleurs japonais et un sloop anglais. Beau temps couvert, brumeux par intervalles. Vitesse 10 nœuds.
Le 19 Juillet, arrivé dans les parages du cap Bon. A 16h50, sommes touchés par une torpille sur tribord avant. Poste des chauffeurs et des matelots, puits à chaine et magasin avant détruits. Etrave enlevée.
Faible brise de SW à WSW, petite houle.
J’étais sur la passerelle avec le 2e capitaine, de quart, et un timonier. Les hommes de veille dans la hune et sur le pont ont vu les sillages des torpilles contre nous et le vapeur anglais à 200m. Le transport anglais a été touché 2 secondes avant nous. Stoppé la machine. Fait sonder cales 1 et 2. Quand j’ai été certain que le navire flottait bien, j’ai fait le tour du château central et donné l’ordre de ne pas amener les embarcations dans un premier temps. Revenant sous la passerelle à tribord, j’ai trouvé le 2e capitaine, le chef mécanicien, le 1er et le 2e lieutenant qui m’ont fait remarquer qu’il fallait se méfier des cloisons étanches et des hublots des faux-ponts, et que l’avarie était bien grande. De plus, la fumée sortant de la cale 1 faisait craindre un incendie. Devant la crainte d’un nouveau torpillage, j’ai décidé l’abandon du navire par les passagers et une partie de l’équipage.
Radeaux et embarcations ont été amenés sans incidents et les passagers furent embarqués sur le sloop anglais et sur le torpilleur le plus proche.
Le chef mécanicien est descendu à la machine et a pris les dispositions pour diminuer la pression à la grande chaudière et à la petite chaudière. Les marins de service ont fait une ronde dans tous les locaux pour en évacuer les retardataires.
J’ai donné l’ordre de jeter les munitions de l’avant à la mer. Mais les obus qui étaient dans une cabine de 3e classe sur le pont ne purent être jetés. Les poudres sur l’arrière du brise-lame étaient entourées par l’incendie. J’ai vu que le collecteur d’incendie était crevé en trois endroits par l’explosion de la torpille. Le magasin avait complètement disparu et je n’avais ni prélarts, ni manches à incendie. Les manches de l’arrière étaient trop courtes pour venir jusqu’au château où se trouvaient les prises d’eau encore en état. Je me vis complètement désarmé pour combattre un incendie qui prenait une ampleur effrayante en raison des nombreuses constructions en bois du pont, exposées au plus fort du soleil depuis 3 jours.
Je revins au château où des Chinois hébétés refusaient de descendre dans les embarcations. J’ai dit au 2e capitaine d’aller dans une embarcation pour se rendre compte de l’enfoncement du navire. Je me retrouvai seul avec le docteur qui se démenait pour évacuer les malades chinois et annamites, aidé par le 2e lieutenant, le maître d’équipage, les canonniers et un chauffeur. Voyant revenir deux de nos embarcations, j’espérais y trouver quelques uns des hommes du bord, mais je fus déçu en voyant que le commandant du sloop anglais y avait mis des hommes à lui pour nous presser de débarquer.
L’incendie atteignant le château, je fis embarquer le monde qui restait à bord. Je descendis à mon tour après m’être assuré qu’il ne restait personne à bord. Le docteur termina le sauvetage d’un Chinois qui était pendu à une échelle le long du bord.
A 19h10, les poudres de l’avant provoquèrent une explosion formidable. La soute à poudre de l’arrière avait été noyée par le QM canonnier.
Arrivé sur le sloop anglais, le commandant me dit de me rendre sur le torpilleur du chef d’escorte. Je fus assez mal reçu par le commandant qui me dit : « Vous avez quitté votre navire. Il est donc devenu une épave et je vais le couler ».
Je lui ai répondu que si je pouvais avoir des secours de l’extérieur on pourrait peut-être stopper l’incendie. Il s’est approché d’AUSTRALIEN qui était en flammes jusqu’à l’arrière du salon de musique.
Le commandant japonais me demanda si je voulais retourner à bord. La réponse ne pouvait être que négative. Le KASHIWA tira 4 coups de canon sur AUSTRALIEN pour le faire couler plus rapidement, mais l’opération ne fut pas efficace.
Le lendemain à 05h00, le navire flottait toujours, mais bien enfoncé. Ordre fut donné à u autre torpilleur japonais de tirer sur AUSTRALIEN et ce malheureux navire disparut le 20 Juillet à 06h30.
Rapport de l’officier enquêteur
Le 19 Juillet, dans les parages du cap Bon, AUSTRALIEN est touché sur tribord avant par une torpille venant à 100° de l’axe. Le point d’impact est à moins de 10 m de l’avant qui est complètement détruit. Un incendie se déclare immédiatement dans la cambuse ou le magasin, mais n’est constaté qu’au bout de 8 à 10 minutes car sa fumée est confondue avec celle de l’explosion.
Le graphique ci-joint donne a formation du convoi. Le torpilleur de l’arrière donne la chasse au sous-marin et lui lance des grenades. Les autres torpilleurs se rapprochent du convoi et le signal SOS est envoyé par le chef du convoi. Ce convoi naviguait en zigzaguant et venait de terminer une embardée sur tribord de 20°. La trajectoire de la torpille a été vue par les hommes de veille sur le gaillard et dans la mâture à moins de 200 m. Ils ont prévenu aussitôt.
Un cargo anglais du convoi a aussi été torpillé 3 secondes avant.
(Nota : le POLPERRO)
Dès l’explosion, tout le monde s’est porté rapidement et avec beaucoup de calme aux postes d’abandon. Le capitaine, voyant que le navire restait droit et flottait, a interdit d’amener les embarcations. Les sondes cale 1 donnent 1,10 m et cale 2, 0 m. Aucune manœuvre de barre n’a été faite faute de temps. La machine a stoppé automatiquement et tout le personnel, sauf l’officier de quart, s’est rendu sans ordres aux postes d’abandon. Le chef mécanicien a renvoyé les hommes en bas afin de finir de prendre les dispositions aux chaudières. Au bout de 10 minutes, un incendie a été constaté et le capitaine a ordonné l’évacuation générale qui s’est poursuivie avec ordre.
Sentant son bâtiment ingouvernable, suite au rebroussement des tôles de l’avant, surtout à bâbord où elles se sont rabattues à 60° sur 15 m, et craignant une nouvelle attaque, il a voulu évacuer avant la nuit passagers et équipage.
L’incendie a pris rapidement de grandes proportions et le collecteur d’incendie a été rompu. Il a estimé que l’on ne pouvait lutter contre le feu et que l’évacuation totale était obligatoire.
L’eau est montée à 1,40 m dans la cale 1. L’incendie s’est propagé avec une grande violence. Les munitions des parcs et les poudres ont été jetées à l’eau. Il restait, dans la soute de l’extrême avant, complètement bouleversée, quelques projectiles qui ont explosé au cours de l’incendie.
Malades et blessés ont été débarqués avec soin. Près du poste des chauffeurs, complètement dévasté par l’explosion et où ont disparu les 14 hommes, on n’a trouvé qu’un blessé grave qui a été sauvé par le maître d’équipage Pamularo, aidé du matelot Paoli Paul. Un autre blessé grave est tombé à la mer par la brèche et a été sauvé par le premier canot amené. Les autres ont rejoint les embarcations par le pont, aidés par le personnel. Des rondes ont été faites par les officiers pour s’assurer que personne ne restait à bord.
A 19h10, voyant le feu gagner le château central et s’étendre rapidement, le capitaine a quitté le navire le dernier et s’est rendu sur le sloop anglais, puis sur le torpilleur du chef d’escorte. Ce dernier lui a dit qu’il allait couler le navire devenu une épave, puisque abandonné. Sur les protestations du capitaine, le commandant du torpilleur a offert de le reconduire à bord, ce que ce dernier a refusé puisque le feu gagnait l’arrière. 4 coups de canon ont été tirés sur AUSTRALIEN, sans résultat apparent.
Dans la nuit, l’incendie a continué avec violence sur l’arrière, puis s’est calmé au matin. AUSTRALIEN flottait, de plus en plus enfoncé sur l’avant, mais sans exagération. Il donnait une très légère bande. Le commandant du MATSU a fait tirer 6 coups de canon et AUSTRALIEN a coulé à 06h30.
Passagers et équipage sont partis dans la nuit pour Malte sur le sloop anglais CEANOTHUS et un torpilleur. Le reste a quitté les lieux au matin sur deux torpilleurs. Le 4e torpilleur a escorté jusqu’à Bizerte le cargo anglais que deux remorqueurs sont venus chercher.
Torpilleurs japonais KASHIWA, MATSU, YANAGI, SUGI.
Convoi : CEANOTHUS (sloop d’escorte), AUSTRALIEN, POLPERRO, HYPERIA.
Rapport de la commission d’enquête
Cette commission reprend toutes les dépositions des marins interrogés et souligne quelques points :
Les pertes en personnel sont dues à l’explosion qui a détruit le poste des chauffeurs et bouleversé le poste d’équipage et le faux pont, anéantissant toute la partie avant du navire sur environ 12 m et rabattu vers la mer tout le pont supérieur du gaillard. Tous les hommes qui se trouvaient dans cette partie ont été tués ou grièvement blessés et ont disparu instantanément en tombant à l’eau par la brèche ouverte.
Un blessé grave a été sauvé par le maitre d’équipage qui faisait une ronde dans les entreponts. Il a été trouvé au milieu de débris de toutes sortes et de cadavres mutilés. Un autre a été ramassé à la mer et c’est le seul que l’on ait vu flottant après l’explosion et avant l’ordre d’abandon.
Le grand nombre de tirailleurs disparus signalé par le commandant d’armes s’explique par le fait que ces hommes était logés dans le faux pont avant, et qu’il y avait beaucoup de monde sur le gaillard au moment de l’explosion.
L’incendie a du se déclencher dès l’explosion dans la cambuse et le magasin qui contenait des matières inflammables (alcool, essence …etc). La fumée, franchement distincte de celle de l’explosion, a été aperçue sortant de la descente et des manches d’aération de ces locaux, quelques minutes avant l’explosion. Cet incendie, alimenté par des débris de toutes sortes et les boiseries déchiquetées des postes du faux pont et de la partie avant de 3e classe, a pris rapidement une extension énorme. Il était assez intense pour donner des craintes au capitaine qui a ordonné l’évacuation. Les flammes sont apparues aux rondiers et au charpentier qui sont allés dans les entreponts avant. La cale 1, quoique fermée a du s’enflammer par des brèches dans la cloison ébranlée par l’explosion. Deux heures plus tard, le feu a gagné le château central. Une heure après, c’était l’arrière. Au matin, l’intensité a diminué. La rapidité d’extension est due à la quantité de boiseries et à la sécheresse de ces boiseries dans un bâtiment très ancien.
Aucun ordre pour combattre l’incendie n’a été donné.
Au début, la fumée a été attribuée uniquement à l’explosion. Puis les rondiers ont affirmé l’existence d’un incendie. L’attention du commandant s’est portée sur la mise à l’eau des canots et radeaux, ne soupçonnant pas la gravité de l’incendie. Ce n’est qu’en voyant l’importance de la fumée et les progrès du feu rapportés par le personnel, qu’il en a pris conscience. Malheureusement, le collecteur incendie était rompu en trois endroits jusqu’au château central et 400 m de manche avaient disparu avec le magasin. Il ne restait plus que 100 m disponibles à l’arrière et 20 m sous le château. Le commandant jugea alors qu’il était impossible de combattre l’incendie et activa l’évacuation.
Il donna l’ordre de noyer et jeter à la mer les munitions, ordre qui fut exécuté, sauf pour celle de la soute avant. Quelques projectiles y ont explosé deux heures après le début de l’incendie.
La commission ne pense pas que l’incendie aurait pu être éteint. Il aurait fallu réparer avec des joints pleins le collecteur, ce qui aurait pris du temps. Le nombre de manches eût de toutes façon été insuffisant. Il aurait fallu attaquer le feu par les entreponts, et faute de masque ce n’était pas possible en raison de la fumée épaisse.
L’évacuation s’est déroulée avec ordre, facilité par les entraînements quotidiens, le fait que le navire restait droit, et qu’il ne s’enfonçait pas. Passagers dociles et calmes. Chinois plutôt inertes. Le matériel s’est bien comporté. Evacuation en 1 heure trente, 2 heures au maximum pour les derniers membres de l’équipage restant avec le commandant (Médecin, maître d’équipage, un officier de marine marchande anglais, 2 canonniers de l’AMBC et 1 chauffeur).
Dès son arrivée sur le torpilleur japonais, le commandant supérieur du convoi l’a informé qu’il allait couler son bâtiment, « celui-ci étant devenu une épave puisque abandonné ». Sur les protestations du capitaine, le commandant japonais lui a offert de le reconduire à bord, ce qui était impossible en raison du feu. Il refusa de s’approcher du paquebot avec ses torpilleurs pour combattre l’incendie avec des moyens extérieurs. 4 ou 5 coups de canon ont été tirés de 1000 m sans résultat apparent.
Au jour, AUSTRALIEN flottait avec une légère bande, mais ne s’était pas enfoncé. 6 coups de canons furent alors tirés et il coula.
Pourquoi a-t-on coulé ce bâtiment et n’a-t-on pas essayé de le remorquer ? Seul le rapport du chef de convoi pourrait éclaircir la question. Ce bâtiment flottait très convenablement. Les sondages de la cale 2 montraient que la cloison avant était intacte. L’incendie décroissait. La coque aurait pu être sauvée.
Certes, le 1er lieutenant, ignorant que les munitions avaient été jetées à la mer ou noyées, avait signalé la possibilité d’une explosion au commandant du sloop anglais. Le bruit de la présence d’explosifs à bord s’est répandu rapidement et peut-être est-ce la raison qui a déterminé l’ordre de destruction du navire. Il y aurait lieu d’interroger le 1er lieutenant pour connaître les termes exacts qu’il a employés. Il est officier de tir et doit connaître suffisamment les effets des explosifs divers. Ses craintes paraissent très exagérées.
En conclusion la commission déclare :
- Le commandant n’a aucune responsabilité dans le torpillage de son bâtiment.
- L’incendie ne pouvait être maîtrisé
- L’évacuation était justifiée
- La perte du bâtiment est due aux projectiles du convoyeur
- Les documents secrets ont été noyés
- Le capitaine a quitté son navire le dernier
La commission fait remarquer que ses conclusions sont données sans avoir connaissance des rapports des patrouilleurs.
Rapport du commandant de la 23e flottille de destroyers, embarqué à bord du KASHIWA.
Ce rapport très succinct (1/2 page seulement) reprend le déroulement des faits, notant que les passagers et l’équipage d’AUSTRALIEN furent recueillis par CEANOTHUS, MATSU et KASHIWA. Il indique que vers minuit, il a donné l’ordre au capitaine et à l’équipage de retourner à bord, mais qu’une explosion des munitions du canon avant entraîna une recrudescence de l’incendie.
Qu’à l’aube du 20, le feu a diminué, mais que la coque était entièrement détruite et déformée et que le bâtiment piquait du nez. De crainte que l’épave ne constitue un obstacle à la navigation, il l’a coulée au canon à 06h30 avant de faire route sur Malte.
Note du Contre Amiral RATYE au Contre Amiral K. SATO, commandant les forces navales japonaises en Méditerranée. 8 Août 1918
Il ressort, du rapport d’enquête sur la perte de l’AUSTRALIEN que, si l’évacuation a été hâtivement décidée par le capitaine, rien n’a été tenté dans les heures qui ont suivi pour faire réintégrer le bord à un noyau d’équipage afin de lutter contre l’incendie.
Le commandant du KASHIWA aurait en outre, moins de 4 heures après le torpillage, canonnée AUSTRALIEN pour tenter de le couler. Après avoir séjourné près du navire toute la nuit, cet officier l’a fait canonner par deux autres torpilleurs japonais au matin, juste avant l’arrivée des remorqueurs.
J’ai la plus haute opinion de l’activité, de l’habileté professionnelle et de l’endurance des bâtiments japonais et suis convaincu que le chef d’escorte a cru faire pleinement son devoir. Mais je ne vois pas l’intérêt qu’il y avait à canonner, le soir même du torpillage, un bâtiment qui ne constituait aucun danger pour la navigation. Les escortes étaient près de lui et allaient être relevées par des bâtiments de secours. Il aurait fallu demander à Bizerte ou à Malte des instructions supérieures sur la décision à prendre.
Mon cher Amiral, je vous serais reconnaissant de faire examiner cette affaire et de lui donner une suite conforme aux excellentes dispositions de nos deux marines servant indissociablement unies dans le but commun.
Réponse du Contre Amiral SATO, 9 Août 1918
J’accuse réception de votre lettre sur la perte de l’AUSTRALIEN et porte à votre connaissance que le rapport joint à cette lettre s’éloigne considérablement des faits. Il eût été inconcevable, au point de vue même du sens commun, que ce bâtiment ait été coulé au canon sans que son commandant ne l’ait demandé.
Je regrette vivement de recevoir de vous une pareille lettre. Le commandant de la flottille à bord de KASHIWA étant actuellement dans le port, je vous l’envoie afin qu’il vous rende compte des faits dans leur détail. Je vous demande de bien vouloir me dire quand vous pourrez le recevoir.
Traduction faite à bord de l’EROS
Extraits du rapport du commandant du KASHIWA joint à la lettre de l’Amiral SATO
J’insiste sur le fait que les déclarations du capitaine d’AUSTRALIEN s’éloignent de la réalité dans leur partie principale.
A 17h50, j’ai appris que le commandant d’AUSTRALIEN était sur le CEANOTHUS et je lui ai demandé de venir à bord du KASHIWA. Il est arrivé à 18h41 et je l’ai fait monter à la passerelle.
Q. Pourquoi avez-vous abandonné votre navire alors qu’il est encore à flot ?
R. Pas de réponse
Q. Dans quel état était votre navire quand vous l’avez abandonné ?
R. Un incendie s’est déclaré à l’avant, suite à l’explosion de la torpille.
Q. Avez-vous essayé de l’éteindre
R. Pas de réponse
Q. Avez-vous l’intention de retourner à bord ?
R. Je voudrais me rapprocher pour voir ce qui s’y passe.
KASHIWA était alors à 1000 m d’AUSTRALIEN. J’ai alors défilé le long du bord, à 100 m au vent à cause de la fumée et de la chaleur. Le feu s’étendait jusqu’au milieu du navire. Le capitaine me dit alors qu’il n’y avait aucun moyen de le sauver et qu’il était inutile de retourner à bord.
Je lui ai donné le conseil suivant : quoi que le milieu soit en feu, il n’y a pas de danger à l’arrière. Vous feriez mieux de retourner, même seul, pour examiner les conditions et prendre une décision définitive. Si vous le souhaitez, un canot est prêt à vous transporter.
Pas de réponse.
Q. Et votre responsabilité pour avoir abandonné votre bâtiment encore à flot ?
Pas de réponse
A 19h00, le bâtiment était entouré de flammes.
Q. Qu’en pensez-vous maintenant ?
R. Je ne peux que dire « situation désespérée ».
Q. Je sympathise avec vous pour la situation, mais qu’allez-vous faire de votre bâtiment ?
R. Je n’ai aucune autorité quant aux mesures à prendre. J’espère que vous allez faire comme il vous plaira.
Q. Voulez-vous dire que je dois couler le bâtiment, puisque vous me demandez de faire comme il me plaît ?
R. OUI
Je lui dis alors : « Je suis d’accord avec votre opinion et vais le couler ». Le tir fut donc exécuté à la demande du capitaine avec qui j’étais d’accord. Il n’y a aucun malentendu relatif à cette mesure. La raison pour laquelle j’ai été d’accord avec le capitaine est qu’il n’y avait plus la moindre chance de sauvetage et que la présence de ce bâtiment pouvait favoriser l’attaque du POLPERRO qui lui, flottait toujours au voisinage.
Je n’ai plus parlé au capitaine, mis à part la conversation mentionnée plus haut. La déclaration du capitaine disant que nous n’avons plus rien dit à propos de l’ouverture du feu est donc fondée.
Mais il insiste sur le fait qu’il a été mal reçu sur KASHIWA. Si dans un cas pareil, on demande davantage sur un petit bâtiment comme un destroyer, ce ne peut être que superflu. J’ai offert notre carré aux officiers de l’AUSTRALIEN, capitaine, second, chef mécanicien, et j’ai mis ma propre cabine à la disposition du capitaine. J’ai donné tout ce que je pouvais. Comment était-il possible de faire davantage ?
L’ouverture du feu sur AUSTRALIEN, est le principal point de cette affaire. Elle a été exécutée à la requête du capitaine et avec son consentement. La plupart des déclarations du capitaine contenues dans les feuilles jointes à la lettre de l’Amiral français s’éloignent de la réalité des faits.
Réponse du Contre Amiral RATYE. 9 Août 1918
C’est précisément parce que la déposition du LV auxiliaire Perben, commandant AUSTRALIEN, contenait des allégations non envisagées dans vos rapports, que j’ai cru devoir vous communiquer des extraits de cette déposition avant de l’envoyer au Commandant en Chef des forces alliées et au Ministre. J’insiste, il était nécessaire pour moi de ne pas donner suite à ces allégations sans les avoir portées à votre connaissance.
Les faits signalés sont les suivants :
- KASHIWA aurait canonné AUSTRALIEN quatre heures après le torpillage.
- Il l’aurait fait couler le lendemain, au moment où les remorqueurs de Bizerte allaient arriver.
Si je comprends bien les termes de votre lettre, vous admettez que ces faits sont exacts (ce qui est capital) mais vous considérez que le commandant de KASHIWA n’a décidé de canonner AUSTRALIEN que sur la demande et avec l’agrément du capitaine de ce bâtiment.
Je vous serais reconnaissant de me confirmer que c’est bien votre point de vue, afin que toute action nécessaire puisse être exercée contre le commandant d’AUSTRALIEN, si sa déposition est nettement reconnue comme inexacte ou tendancieuse.
Je recevrai avec le plus grand plaisir le commandant de KASHIWA et l’entendrai avec beaucoup d’intérêt. Si les faits sont en contradiction avec la déposition du commandant d’AUSTRALIEN, je transmettrai au Ministre et au Commandant en Chef des forces alliées, en même temps que le rapport complet de la commission d’enquête de Bizerte.
Je tiens à vous donner l’assurance que je serai heureux de recevoir toutes observations ou communications dont vous auriez à me faire part, dans des cas analogues, concernant des unités françaises. Cette commune confiance ne peut qu’être avantageuse à l’accomplissement de notre tâche.
Veuillez agréer, Amiral, l’expression de mes sentiments les plus dévoués.
Rapport au Ministre. 13 Octobre 1918
Le capitaine fut appelé à bord du torpilleur du chef d’escorte. Après des conversations sur lesquelles il est difficile de faire la lumière, AUSTRALIEN considéré comme épave dangereuse fut canonné et coulé.
Le débat entre le capitaine et le chef d’escorte a manqué de clarté par suite de l’emploi par les intéressés d’une langue qu’ils ne maîtrisaient ni l’un ni l’autre.
(Nota : on peut penser qu’il s’agissait de l’anglais)
Le capitaine Perben, persuadé que son navire était perdu, déprimé par l’attitude de son état-major et de son équipage, mal secondé par la plupart de ses officiers en cette pénible circonstance, n’a pas suffisamment protesté contre la destruction de son navire. On peut lui reprocher de s’être laissé mener par les évènements sans essayer de lutter, mais ce reproche ne saurait aller jusqu’à lui appliquer une sanction.
Certains actes d’énergie et de dévouement méritent des récompenses.
Récompenses
Témoignage de satisfaction du Ministre
PERBEN Antoine Capitaine
Grâce à la confiance qu’il inspire à tout le monde et aux mesures qu’il a prises avant l’accident, a pu évacuer tout le personnel vivant avec ordre et calme.
BOUTAREL René 2e lieutenant
VINCIGUERRA Pascal 3e mécanicien
PAMULARO Dominique Maître d’équipage
GRINO Joseph Cambusier
Lors du torpillage de leur bâtiment, se sont distingués par leur activité, leur sang froid et leur dévouement.
PERROT Charles Médecin
Pour le dévouement et le sang froid dont il a fait preuve lors du torpillage de son navire en dirigeant l’évacuation de ses malades et blessés et en leur prodiguant des soins
TURCO Joseph Infirmier
Pour le rôle et le dévouement dont il a fait preuve à la suite du torpillage de son bâtiment
ROUCHAVILLE Robert QM Canonnier
GUILLON François Canonnier
LAFONT Eugène Fusilier
PESCHERT Charles Servant
Pour le sang froid et la présence d’esprit dont ils ont donné l’exemple lors du torpillage de leur bâtiment et pour le concours qu’ils ont apporté à leur capitaine.
Sanction
Le soutier Fernand Durbec est rappelé à l’activité à titre de sanction pour avoir, lors du torpillage de son navire, contrevenu aux ordres reçus et s’être esquivé de son poste pour abandonner son navire.
Remerciements
L’attaché naval à Londres exprimera les remerciements de la Marine au personnel de la Marine britannique qui s’est signalé par son dévouement à la suite du torpillage de l’AUSTRALIEN.
Le sous-marin attaquant
C’était donc l’UC 54 de l’Oblt z/s Otto LOYCKE. On note la rapidité de l’attaque. Le sous-marin a manifestement lancé deux torpilles simultanément et les deux ont fait mouche sur deux navires différents à 2 secondes d’intervalle. Les Allemands avaient fait des progrès certains, en 1918, dans la façon de guider leurs torpilles.
Cdlt