J’ajoute, s’il en était besoin, que je n’ai aucunement goûté les deux premières phrases de l’introduction de ce numéro hors-série, fort courageusement signée « M. B. » : « L’histoire de la Première Guerre mondiale, longtemps reléguée dans les mémoires d’une génération qui a pratiquement disparu aujourd’hui, connaît un regain d’intérêt depuis quelques années. L’aviation de cette époque et ses légendes servent désormais de ferment à une sorte de romantisme. L’historien adopte une autre posture, et, avec plus de recul et moins de passion aveugle, il peut reconsidérer cette époque terrible avec plus de discernement. ». Traduction crue de ce pensum méprisant à l’égard des quidams qui ne sont pas historiens patentés — ou simplement autoproclamés —: « S’agissant de l’histoire de la Première Guerre mondiale, il y a les historiens sérieux, au nombre desquels je me range, et les "romantiques", aveuglés par leur passion de cette époque, et donc peu crédibles. » Bref, la recherche historique est une chose trop sérieuse pour être laissée aux amateurs ! Demeurons donc à cet égard entre gens de bonne compagnie !
Et, quant aux photographies illustrant les développements de cette publication, je conteste avec la plus vive énergie la mention « D. R. » — droits réservés — dont elles sont suivies, car toutes ou presque sont depuis belle lurette tombées dans le domaine public. Il s’agit là ni plus ni moins d’une façon détournée de s’approprier — de « privatiser », devrais-je écrire, pour être dans l’air du temps — ces clichés, pour le simple et unique motif qu’on les a momentanément sorti de l’oubli. Le patrimoine photographique est la propriété de la nation, et donc de la communauté de ses citoyens, et non point, en fonction du thème historique auquel ils s'intéressent, d'un quarteron d'entre eux.
D'accord avec vous concernant l'introduction.
Par contre, j'ai l'impression que vous vous méprenez au sujet de la signification de la mention "DR".
La photo est régie par le CPI (Code de la Propriété Intellectuelle). Celui-ci précise que les droits appartiennent à l'auteur (de la photo) où à ses ayants droit pendant 70 ans après le décès de l'auteur. Quelqu'un qui publie une photo à l'obligation de la créditer, c'est à dire de citer le nom de l'auteur. S'il ne le connait pas, il doit apposer la mention "DR", c'est une obligation légale. "DR" ne signifie pas que "quelqu'un" se réserve les droits de la photo publiée, mais qu'ils sont réservés pour le cas où le propriétaire des droits se manifesterait. Il est certain que tous les auteurs de clichés pris pendant la PGM sont décédés, qu'ils le soient tous depuis plus de 70 ans l'est moins. L'éventualité qu'un ayant droit se manifeste est donc loin d'être nul et les éditeurs doivent s'en prémunir.
Le droit exclusif d'exploitation d'une œuvre de l'esprit
I. – L'article L. 123-1 du Code de la propriété intellectuelle reconnaît à tout auteur la faculté « de joui[r], sa vie durant, du droit exclusif d'exploiter son œuvre sous quelque forme que ce soit et d'en tirer un profit pécuniaire ». Cette même disposition ajoute qu' « au décès de l'auteur, ce droit persiste au bénéfice de ses ayants droit pendant l'année civile en cours et les soixante-dix années qui suivent. »
Le droit d'exploitation de l'œuvre ainsi accordé aux héritiers et ayants cause des auteurs, compositeurs ou artistes est, en outre, prorogé « d'une durée de trente ans lorsque l'auteur, le compositeur ou l'artiste est mort pour la France, ainsi qu'il résulte de l'acte de décès » (C. prop. intell., art. L. 123-10, al. 1), ou, à défaut d'un tel acte, des termes d'un arrêté pris par le ministre chargé de la Culture (C. prop. intell., art. L. 123-10, al. 2).
Il suit de là qu'une œuvre de l'esprit, « quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination » (C. prop. intell., art. L. 112-1), n'est susceptible de tomber dans le domaine public qu'à la date :
― soit du centième anniversaire de la mort de son auteur, lorsque ce dernier a été déclaré « Mort pour la France » lors du Premier ou Second conflit mondial ;
― soit du soixante-dixième anniversaire de sa mort, dans la majorité des hypothèses.
Par conséquent, est aujourd'hui tombée dans le domaine public et, dès lors, peut être librement utilisée, à quelque fin que ce soit, y compris dans un but lucratif, toute œuvre dont l'auteur est décédé antérieurement à Septembre 1942.
II. – Pour ce qui est des œuvres non encore tombées dans le domaine public, l'article L. 122-1 Code de la propriété intellectuelle précise que « le droit d'exploitation appartenant à l'auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction » : la « représentation » consiste « dans la communication de l'œuvre au public par un procédé quelconque » (C. prop. intell., art. L. 122-2, al. 1) ; la « reproduction » dans « la fixation matérielle de l'œuvre par tous procédés qui permettent de la communiquer au public d'une manière indirecte , … notamment par imprimerie, dessin, gravure, photographie, moulage et tout procédé des arts graphiques et plastiques, enregistrement mécanique, cinématographique ou magnétique » (C. prop. intell., art. L. 122-3, al. 1 et 2).
Après sa mort, le droit patrimonial d'exploitation des œuvres de l'auteur se trouve légalement transféré à ses « ayants droit », c'est-à-dire, dans l'ordre : les descendants ; le conjoint contre lequel n'existe pas un jugement passé en force de chose jugée de séparation de corps ou qui n'a pas contracté un nouveau mariage ; les héritiers autres que les descendants qui ont recueilli tout ou partie de la succession ; les légataires universels ou donataires de l'universalité des biens à venir. Mais, le temps s'écoulant, il est très fréquent qu'il n'y ait plus aucun ayant droit connu ou habile à justifier de cette qualité, voire que la succession soit purement et simplement vacante ou en déshérence.
Néanmoins, l'article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle dispose que lorsqu'une œuvre a été divulguée, son auteur ― ou, après le décès de ce dernier, ses ayants droits ― ne sauraient notamment interdire :
― « Les représentations privées et gratuites effectuées exclusivement dans un cercle de famille » (C. prop. intell., art. L. 122-5, al. 1, 1°) ;
― « Les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, à l'exception des copies des œuvres d'art destinées à être utilisées pour des fins identiques à celles pour lesquelles l'œuvre originale a été créée et des copies d'un logiciel autres que la copie de sauvegarde établie dans les conditions prévues au II. de l'article L. 122-6-1 ainsi que des copies ou des reproductions d'une base de données électronique » (C. prop. intell., art. L. 122-5, al. 1, 2°) ;
― « Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l'auteur et la source : … Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'œuvre à laquelle elles sont incorporées » (C. prop. intell., art. L. 122-5, al. 1, 3°, a.).
De même, ne peut être interdite « la reproduction ou la représentation, intégrale ou partielle, d'une œuvre d'art graphique, plastique ou architecturale, par voie de presse écrite, audiovisuelle ou en ligne, dans un but exclusif d'information immédiate et en relation directe avec cette dernière, sous réserve d'indiquer clairement le nom de l'auteur » (C. prop. intell., art. L. 122-5, al. 1, 9°). Toutefois, cette exception n'est pas applicable (ibid.) :
— à la reproduction ou la représentation d'une œuvre, notamment photographique ou d'illustration, visant elle-même à rendre compte de l'information ;
— aux reproductions ou représentations « qui, notamment par leur nombre ou leur format, ne seraient pas en stricte proportion avec le but exclusif d'information immédiate poursuivi ou qui ne seraient pas en relation directe avec cette dernière donnent lieu à rémunération des auteurs sur la base des accords ou tarifs en vigueur dans les secteurs professionnels concernés. »
Ceci exposé, il reste que le législateur a essentiellement entendu prémunir l'auteur, et, après la disparition de ce dernier, ses ayants droits de l'exploitation commerciale « sauvage » d'une œuvre, en leur permettant d'interdire à quiconque qui n'y aurait pas été expressément autorisé par eux, moyennant ou non contrepartie financière, « d'en tirer un profit pécuniaire » (C. prop. intell., art. L. 123-1, précité). Dès lors, quand bien même elle devrait être juridiquement considérée comme constitutive d'une « exploitation », au sens de l'article L. 123-1 du Code de la propriété intellectuelle, la simple utilisation d'une photographie, voire d'un schéma illustrant une œuvre, à l'intérieur des délais de protection légale de 70 ou 100 ans, et à des fins exclusives de recherche historique sans aucun but lucratif, bénéficierait, à n'en point douter, de l'entière clémence du juge. Et encore conviendrait-il que celui ou ceux qui se prétendent ayant droits de l'auteur de l'œuvre, sous réserve qu'il en demeure, établissent l'existence de leurs droits, la preuve de l'intérêt à agir leur incombant. A cela s'ajoute la circonstance qu'une photographie illustrant un ouvrage est le plus souvent l'œuvre d'une personne autre que l'auteur même dudit ouvrage : dans cette hypothèse, l'intérêt à agir n'appartient qu'aux seuls ayants droit du photographe.
Néanmoins, en cas d'utilisation à des fins de recherche historique d'un cliché figurant dans une œuvre ancienne, que ce soit à l'intérieur ou au delà du délai de protection légale, il est assurément juridiquement sage d'en indiquer de manière très détaillée la source : auteur et titre de l'ouvrage ; éditeur ; date de parution ; page ; auteur, date et n° de référence du cliché, lorsque ces informations sont disponibles. Au reste, ces exigences ne sont autres que celles de la plus élémentaire rigueur scientifique, voire de la simple honnêteté intellectuelle, ce qui, ici, est trop souvent oublié...