Bonsoir.
... des coups de feu nous accueillent et les balles viennent claquer dans les troncs de sapins à hauteur d'homme. "ILS" sont là, à la lisière d'en face à moins de 100 m.
La minute est décisive et il n'y a pas à hésiter : nos petites colonnes se déploient et mettent la baïonnette et, sans riposter au tir, nous franchissons d'une traite les derniers mètres de terrain libre...
Le signal est donné. D'un seul seul souffle jeté de deux milliers de poitrines, une clameur formidable que les échos répercutent, emplit l'air ; et des ravins où déferlent en une course éperdue les bataillons enfiévrés, les notes vibrantes de tous les clairons retentissent, pressantes, irrésistibles : "Là-haut il y a de la goutte à boire..."
La Charge ! Les gorges se déchirent en éructant : En Avant ! En Avant ! Et les clairons à plein cuivre, sur tout le front, se renvoient la fulgurante sonnerie.
La charge à la baïonnette ! C'est l'instant le plus enivrant qu'un vrai fantassin puisse connaître. Une exhaltation de tous ses sens et de tous ses moyens portée au paroxysme... Un frémissement qui envahit tout l'être et secoue ses tripes... Un fluide qui enflamme et brûle les plus secrètes réserves de l'homme... Une volonté farouche de vaincre ou d'y rester... Un mépris total de la vie - la sienne et celle des autres - dans le tumulte de l'action. L'on me jugera comme on voudra, mais je considère comme un rare privilège d'avoir pu prendre une part active à une grande charge en rase campagne, expression suprême et finalité idéale du combat d'infanterie. Je ne parle ici d'ailleurs que du soldat digne de porter et de servir une arme, et non point d'une quelconque femmelette affublée d'un uniforme allant se pelotonner à la première alerte dans le giron de sa nourrice. Et tant pis donc pour les capons !
- En Avant ! En Avant ! Nous avons pénétré droit dans le dispositif ennemi. La mêlée est inextricable, Français et Allemands, mélangés se bousculent, s'embrochent et se fusillent, se cassent la tête à coups de crosse... Les lames déjà rougies se plantent à nouveau dans des tripes, et j'ai vu autour de moi plusieurs adversaires se transpercer en même temps et tomber côte à côte sans lâcher leur arme... Les circonstances font que tantôt un ou plusieurs Français isolés sont entourés par un fort groupe ennemi, et succombent à peu près sans rémission ; tantôt c'est au tour d'Allemands de subir le même sort. Moi - qu'on me permette la remarque - je m'en tirais très bien et j'ai toujours devancé le coup de pointe qui m'était destiné ; je ne craignais en somme que le coup de fusil à bout portant. J'ai expliqué dans un autre chapitre pourquoi - sans modestie inutile - je brillais particulièrement en ce dangereux exercice.
Nous avions affaire avec des masses "d'alboches" (ce n'est que plus tard qu'on les a appelés "boches") dont les uns portaient le casque à pointe et les autres le calot plat ; ils avaient un sac recouvert de fourrure de poils roux ; plusieurs arboraient une abondante berbe roussâtre aussi... "J'eus" en particulier de justesse l'un de ceux-ci me mettant en joue à 2 mètres.
La fureur de part et d'autre ne baissait pas de régime, et toujours... nos clairons survivants s'époumonnant à sonner la charge, entretenant la griserie et galvanisant les combattants restants debout, et les mêmes rugissements : En Avant ! En Avant ! et les mêmes imprécations trouant le tumulte. Que de scènes ai-je photographiées en esprit et qui me demeurent présentes, sans altérations... Oui, j'ai vu dans la confuse mélée l'Adjudant-Chef Loiseau et le Sergent-Major Truchot bondissants, faisant virevolter leur sabre ruisselant de vermeil au dessus des têtes... Ils étaient beaux et donnaient l'exemple ces magnifiques Chefs ! (je me souviens d'avoir aidé, le 17 août au matin, à Kichompré près de Gérardmer le Sergent-major Truchot à aiguiser son sabre sur une meule de forgeron ; ce n'avait pas été inutile).
A force d'obstination, nous avions enfoncé toute la ligne allemande et poursuivions les fuyards la baïonnette dans les reins... Léon-Joseph RAULT 229e R.I . 27 août 1914 Bourse de Taintrux - Défense du Col d'Anozel.
Cdlt. Patrick ROCHET.
baionnettes
Re: baionnettes
Bonjour à tous,
Vous savez ce que disait Clémenceau à la Chambre des députés:
On peut tout faire avec des baïonnettes sauf s'y asseoir dessus...
Cordialement.
Vous savez ce que disait Clémenceau à la Chambre des députés:
On peut tout faire avec des baïonnettes sauf s'y asseoir dessus...
Cordialement.