L e 22 mai 1916 à ROUCY

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rico4
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Re: L e 22 mai 1916 à ROUCY

Message par rico4 »

Bonjour,

Je recherche des informations concernant les événements du 22 mai 1916 à Roucy dans l'AISNE.

Principalement l'exécution des 4 soldats du 96ème d'infanterie.

Merci

Eric
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Frederic Avenel
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Re: L e 22 mai 1916 à ROUCY

Message par Frederic Avenel »

Bonjour Eric, bonjour à tous,

Voici les quelques informations dont je dispose concernant cet évènement:

Mon grand-père, soldat au 96e RI pendant la guerre 14-18, a laissé ses souvenirs de guerre rédigés dans les années 60.
Une phrase de ces souvenirs m'avait interpellée:
"Le 11 avril [1916], nous allons reprendre les mêmes positions au Bois des Buttes mais l'atmosphère ne fut pas la même. L'ennemi était beaucoup plus agité. Il y eut plusieurs tués et blessés à la compagnie. La relève est assurée le 16. Nous allons cantonner à Roucy que nous quittons dans la nuit du 17 pour aller à Pontavert. Ce nouveau départ en ligne a provoqué des incidents dans une compagnie de mon régiment dont la suite fut vraiment très pénible. Les soi-disant fautifs furent pris au hasard."
J'ai su, en interrogeant mes proches, que cet évènement avait beaucoup marqué mon grand-père même s'il ne l'évoque ici que très superficiellement.

Un témoignage d'un autre soldat du 96e RI, non publié, est plus informatif (Pierre Bellet, "Ma Grande Guerre au 96e"); ce témoignage fait actuellement l'objet d'un travail universitaire par Marc Dos Santos qui vous avait déjà répondu dans un autre fil (je reprends ici quelques éléments de sa réponse):

"Les hommes de notre 3e bataillon, qui occupaient la 1ère ligne, ont déclaré que quelques uns d'entre eux seulement avaient tenté de sortir, avec hésitation, mais étaient tout de suite rentrés, l'ennemi étant sur ses gardes.
(...) Cependant, le commandement n'était pas du tout satisfait ; il trouva les résultats à peu près nuls pour une si grande dépense de munitions. Il demanda des explications et exigea de connaître les responsables. Tout retomba sur quatre soldats du 96e qui furent exécutés après un jugement qui n'est pas en faveur de la justice militaire. Les victimes appartenaient au 1er Btn. Ce bataillon, relevé de première ligne dans la nuit, était arrivé dans la matinée au repos au camp du Faité, bien en arrière. Comme après chaque relève, on laissait un peu de liberté aux soldats dont beaucoup profitaient pour se rendre chez le marchand de vin. Mais lorsque le Cdt Riols reçoit l'ordre de remonter en ligne dans la matinée même, le rassemblement fut difficile. Il y eut même des protestations d'abord, puis des cris ensuite et des commencements de désobéissance, car certains avaient du vent dans les voiles. L'intervention des officiers put ramener le calme, et tout le monde monta finalement en ligne. Le Cdt Riols crut devoir signaler les faits au Général de la 55e D.I., sous les ordres duquel nous étions passés depuis notre détachement provisoire dans ce secteur (nous étions coupés de notre D.I. et de notre colonel resté à Fismes). Lorsque le Commandement réclama des responsables, le Général grossit les incidents du 96e. Il ordonna l'arrestation des plus excités, qui furent jugés et exécutés sur le champ, sans même que notre Colonel ait eu le temps d'intervenir. L'affaire eut une répercussion douloureuse dans le Régiment. De l'avis même de nos officiers, on avait exagéré, car si une punition exemplaire était nécessaire, la peine de mort était excessive. Le Cdt Riols n'avait désigné que les fortes têtes, des soldats réputés indisciplinés et certainement peu recommandables, mais la justice doit être toujours la justice.
Un peu plus tard, notre Cdt recevait une lettre d'une pauvre mère demandant des nouvelles de son fils dont elle ne recevait rien depuis quelque temps. Il nous était interdit de donner suite à de telles démarches. C'est ainsi que cette malheureuse devait apprendre la mort de son fils par une affiche collée à la porte de la mairie de son village, proclamant à tous que son fils avait été passé par les armes parce que déserteur.
Lorsque nous avons à nouveau rejoint la 31e D.I., le Général Grossetti, commandant le 16e C.A., reprit l'affaire en main. Il eut gain de cause contre ceux qui n'avaient pas su gagner la victoire et qui avaient ordonné ce jugement inique. Ils furent limogés, c'est à dire destitués de leur commandement. Notre régiment que l'on avait voulu salir était ainsi réhabilité, mais cela ne changeait malheureusement rien pour ceux qui restaient en terre dans un des jardins de Roucy. "

[Pierre BELLET Instituteur, marié à une institutrice, originaire de St Pargoire (34230), mobilisé à 29 ans au grade d’adjudant (ou adjudant-chef) et exerçant la fonction d'adjudant de bataillon]

En réalité, contrairement à ce que M. Bellet laisse entendre, les victimes ne furent pas fusillées sur le champ mais il y eut bien un procès devant un tribunal de guerre, mené comme il se devait à l'époque. Le dossier de procédure n'est pas consultable, si toutefois il existe. A cette date, le jugement a été rendu par un conseil de guerre de division probablement celui de la 55e.

Les 4 condamnés étaient:
Lhermenier Emile cl 1914 Le Mans n°1374
Milhau Félix cl 1914 ??, né à Marseillan le 27/01/1894
Baleux Lucien cl 1917 Bethune n°206
Regoult Paul cl 1909 Dunkerque n°1909
Tous les quatre sont aujourd’hui inhumés à la nécropole nationale de Pontavert.

Le cdt Riols, apprenant la mise en jugements des 4 soldats, dans un rapport du 15 mai 1916 adressé au colonel écrit notamment:
" je crois que cette affaire prend la tournure qu'elle aurait dû prendre dès le début si les lieutenants Levy et Ortiger avaient moins tergiversé avec 2 ou 3 énergumènes qu'il fallait mater immédiatement. Il y aurait eu de la casse mais au moins cela aurait été net."

L'exécution eut donc lieu le 22 mai 1916 au matin. Les pelotons d'exécutions ont été fournis par le 246e RI (qui appartenait à la 55e DI). On dispose d'une relation de cet évènement dans le livre "Emile et Léa", rédigé par Michel Mauny à partir de 1235 lettres et notes léguées par son grand-père incorporé dans ce régiment (MAUNY Michel, Emile et Léa. Lettres d'un couple d'instituteurs bourguignons dans la tourmente de la Grande Guerre, publication à compte d'auteur, 2006, 241p.):

Emile MAUNY, lettre du 23 mai 1916 (page 114/115)
« Il s’est passé hier une séance bien peu intéressante. 4 soldats du 96e ayant été condamnés à mort, les compagnies du 5e bataillon du 246e ont été chargées de fournir les 4 pelotons d’exécution. A ma compagnie, il fallait 5 soldats, 4 caporaux, 5 sergents. Par bonheur, je n’ai pas été désigné pour cette horrible besogne. Les camarades nous ont raconté la scène. C’était lugubre, poignant. Tous étaient hébétés d’avoir participé à cette exécution. Peut-être ces 4 malheureux avaient-ils mérité leur sort (je ne sais pas), mais on devrait bien trouver un autre moyen d’exécuter la loi au siècle où nous sommes. L’un d’eux avait paraît-il 18 à 19 ans. Il me semble que moi qui ai l’habitude de vivre avec les enfants et les jeunes gens, je serais devenu fou si on m’avait obligé à participer à ce drame. Je te raconterai ces choses que je n’ai pourtant pas vues mais qui ont hanté mon esprit toute la journée hier. »

Cité également par Michel Mauny :
« Paul Tuffrau, alors capitaine placé à la tête d’une compagnie de mitrailleuses du régiment d’Emile, rapporte qu’un homme a été frappé de folie à la suite de ce drame. Il se sentait compromis, ayant inclus dans une lettre à ses proches la phrase : « Au bout de vingt mois de campagne, il fallait que les chefs soient vraiment cruels pour mettre quatre de nos camarades au poteau ». obsédé par l’idée d’être lui-même fusillé, il sombra dans une démence suffisamment grave pour justifier son évacuation. »

M. MAUNY dispose d’un autre témoignage du capitaine TUFFRAU (246e):
« Concevreux, le 30 mai 1916.
….Dans les premiers jours de la semaine, il y a eu un matin quatre soldats du 96 fusillés près de ROUCY, par le 5ème bataillon de chez nous. La veille, on avait commandé de service une Compagnie, cantonnée à Concevreux pour 3 heures du matin ; on n’avait pas dit pourquoi, mais les hommes se doutaient, et des groupes nombreux discutaient. Je n’ai pas entendu la salve, mais j’ai su par BOURGEOIS et par GEOFFROY qu’on avait emmené les condamnés une heure trop tôt avant les troupes ; qu’un d’eux, un fort gaillard de dix-neuf ans, engagé pour la guerre, vitalité de taureau, hurlait d’une voie profonde et puissante : « me tuer, moi ? allons donc ! C’est impossible ! » BAYON dirigeait l’exécution ; il avait fait préparer quatre poteaux, apporter des cordes car il devinait qu’ils se débattraient ; cela a été vite fait, chacun ayant hâte d’en finir ; aussitôt attaché, les quatre pelotons ont fait en ligne face à gauche, visé, et sans même qu’il y ait eu commandement, le premier coup de feu a entraîné les autres. Après quoi BAYON a infligé huit jours d’arrêt à un Maréchal des Logis qui devait représenter la Division et qui est arrivé avec quatre minutes de retard : ‘vous faites mourir ces hommes deux fois, vous ‘».


Cette exécution est également évoquée par Denis Rolland, in Denis Rolland , La grève des tranchées: les mutineries de 1917, Paris, Imago, 2005

Quelle est la motivation de votre recherche?

Bonne lecture et bien cordialement,

Frédéric Avenel
rico4
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Re: L e 22 mai 1916 à ROUCY

Message par rico4 »

Merci beaucoup frédéric pour tes informations qui sont très intéressantes.
Eric Viot
rico4
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Re: L e 22 mai 1916 à ROUCY

Message par rico4 »

En ce qui concerne mes motivations

J'aimerais que 2008, anniversaire de l'armistice de cette boucherie que fut la première guerre soit aussi l'année de la réhabilitation ou réintégration dans la mémoire collective de ces pauvres types fusillés pour l'exemple.

Passionné par la grande guerre depuis de nombreuses années, je viens de terminer un roman dans lequel j'évoque le quotidien de ces pauvres types (Roman « LES BLESSURES DE L'AME, édité par Société des écrivains).

A mi-chemin entre le roman et le journal intime, cet ouvrage présente le quotidien d’un instituteur pacifiste engagé dans cette « boucherie » que fut la première guerre mondiale et qui, blessé dans son âme, ne sera plus jamais le même. D’une lecture aisée, il se veut accessible au plus grand nombre et prend racine dans une documentation solide et manifeste sur ce conflit.


****
J’ai voulu aborder dans ce roman des sujets qui me révoltent et mettre en avant le fait que bien souvent des vies auraient pu être épargnées :

Nos généraux ont consommé sans modération dans des offensives suicidaires, des milliers d’hommes sont morts sur le terrain par manque de soins, d’autres ont été exécutés juste pour l’exemple …

Le débat concernant les « mutins » de 1917 et plus largement les fusillés pour l’exemple oppose toujours la classe politique. L’Angleterre est en train de réhabiliter l’ensemble de ses soldats victimes de ces tribunaux improvisés.


N’est-il pas temps de faire la même chose en France ?

Au travers de cet ouvrage, on croise des hommes victimes de ces parodies de procès, bien souvent des hommes courageux qui un moment donné ont dit non à la folie d’une poignée de généraux aussi avides de promotions que désintéressés quant à la survie de leurs hommes.

Ce n’est pas la « grande » histoire, celle des grandes batailles, de Nivelle, Foch, Joffre, Pétain ou d’autres personnages illustres qui me passionne, non, c’est celle de Georges, François, Arsène et tous leurs camarades qui alimentent les listes gravées dans la pierre des monuments aux morts.

Ce sont ces ouvriers ou paysans qui sont morts loin de chez eux et pour un grand nombre, l’ennemi n’est pas l’unique responsable de leurs disparitions …


Modeste démarche à la mémoire de ces hommes qui j'espère, un jour, seront reconnus.

Emile Lhermenier, soldat du 96ème RI, était de ma région. J'essaie de retracer son parcours.

Merci encore pour ton aide

Eric

Eric Viot
rico4
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Re: L e 22 mai 1916 à ROUCY

Message par rico4 »

Emile Lhermenier sera inscrit sur le monument aux morts de sa commune le 11 novembre prochain.
Pour voir l'article : http://les-blessures-de-l-ame.over-blog.com/
Eric Viot
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