Un étrange monsieur de Pelleport

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Rutilius
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Re: Un étrange monsieur de Pelleport

Message par Rutilius »



● « Guerre 1914-1918. Tableau d’honneur. Morts pour la France. », Paris, 1921, Publications de La Fare, p. 736.


« PELLEPORT (Wladimir-Louis-William, Comte de LA FITE, Marquis de), [Médaille militaire] (posthume), [Croix de guerre] (palme), propriétaire, engagé volontaire au 29e d'Infanterie.

Engagé, le 1er août 1914, comme simple soldat (à 58 ans). Dans la nuit du 20 au 21 août 1914, a été mortellement blessé à la bataille de Sarrebourg ; relevé le lendemain sur le terrain par les Allemands, il mourut dans la nuit du 26 août pendant qu’on le transportait de la gare d’Heilbronn (Wurtemberg) à l’hôpital de cette ville.


Citation : "A donné le plus bel exemple de patriotisme en s’engageant à cinquante-huit ans pour la durée de la guerre. A pris part à toutes les opérations du début de la campagne, faisant l’admiration du régiment par son endurance, son entrain et la beauté de son caractère. Le 20 août, à Sarrebourg, s’est précipité à l’assaut, en tête de sa compagnie, a eu la cuisse et le bassin fracassés par un éclat d’obus. Est mort au champ d'honneur."

[Né le 18 janvier 1886. Fils du Marquis et de la Marquise, née Marguerite MAC-KECHNEY. Marié à Mlle Gabrielle de RUFFI de PONTEVÈS-GÉVAUDAN (décédée en 1920), fille du Colonel et de Mme, née de CHARPENTIER, — dont quatre enfants.] »


Le Gaulois, n° 13.680, Lundi 29 mars 1915, p. 1, en rubrique « Le Livre d’Or de l’Armée ».


« DE PELLEPORT (Wladimir), soldat de 1re classe au 29e régiment d’infanterie : " A donné le plus bel exemple de patriotisme en s'engageant à cinquante-neuf ans pour la durée de la guerre ; a pris part à toutes les opérations du début de la campagne, faisant l’admiration du régiment par son endurance, son entrain et la beauté de son caractère ; le 20 août, s’est précipité à l’assaut en tête de sa compagnie, a eu la cuisse et le bassin fracassés par un éclat d’obus ; est mort au champ d’honneur."

Le comte de Pelleport était le gendre du colonel et de la comtesse de Ruffi de Pontevès, qui habitent Magagnosc. »
Rutilius
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Re: Un étrange monsieur de Pelleport

Message par Rutilius »



Le Gaulois, n° 13.842, Mardi 7 septembre 1915, p. 1.


Un Chevalier en Capote bleue. LE MARQUIS DE PELLEPORT


Il a de tout dans les héroïsmes que cette guerre a suscités. Il y a l’enthousiasme des plus jeunes âmes, il y a la froide résolution des hommes ayant fondé une famille, édifié et garni leur maison ; il y a l’obéissance au devoir civique, si dur qu’il puisse paraître ; il y a la volonté de fournir l’exemple ; enfin, puisées en des sources qui nous semblaient perdues, il y a l’orgueil de famille et la notion qu’aux mieux nés il appartient de mieux combattre et de mieux mourir.
En 71, nous avons vu une de ces troupes choisies affronter tout entière la mort, comme si chaque soldat tirant l’épée en sa propre cause se sentait emporté par le souci de son nom à, la défense de sa cause. Mais les zouaves de Charette vivaient entre gens d’éducation pareille, sous des chefs de leur choix. Ceci n’est plus de mise : il n’existe plus à présent de corps d’élite où l’on a trié ses compagnons, où l’on a élu ses officiers ; il y a l’immense masse où l’on plonge et où l’on nage. Il n’y a plus de privilèges, même communs ; il y a la nation, vaste océan d’hommes, où ceux qui forment l’élite sont les plus braves, les plus hardis, les plus dispos pour la lutte, les plus avisés pour la conduire, non ceux qui ont les belles façons et les manières polies. L’opinion des soldats met au rang supérieur ceux auxquels ils recon-naissent le tempérament d’être des chefs ; ils précipitent dans les ténèbres extérieures, et avec quelle moue de dédain, quel tranquille et définitif mépris, ceux en qui ils sentent, avec la volonté de se garer des périls quels qu’ils soient, la volonté de garder leurs aises, de manger et de boire à leur convenance. Il n’est que deux façons de sortir de la foule soit, comme a dit le poète, " s’évader en haut ", soit choir au bourbier. Ceux qui ont chu, plaignons-les, car la vie qu’ils se sont gardée ne sera pas enviable ; ils la paieront, tout le temps qu’ils la vivront, de ce qu’on pourra appeler une déconsidération distinguée. Ce qui pour les jeunes gens est une gêne et un ennui, pour un homme mûr une souffrance, qu’est-ce pour un vieillard disposé à des maladies et touché par des infirmités ? Réalise-t-on, se dit-on : " Il y a la chance de tomber en combattant." ; ceci va ; mais en attendant, il y a la certitude de vivre en rompant avec toutes ses habitudes, en se dépouillant de tout ce qui fut l’agrément, la consolation, la joie de l’existence de se retrouver, tel Bias, avec sa fortune dans sa musette et de devenir un numéro dans le rang comme l’ordonne le caporal : " Numérotez-vous ! "
Ainsi a fait très simplement pourtant Wladimir-Louis-William Mac-Kechny de La Fite-Pelleport, marquis de Pelleport, âgé de cinquante-neuf ans.
Sa maison remonte par filiation suivie au douzième siècle et tint un État important en Champagne et Languedoc. Mais les Pelleport aimaient les armes. Abraham-Antoine ayant acquis en 1674 le régiment de Mesnil-Montauban, qui fut réformé en 1679, traita en 1694 du régiment de Méré avec lequel il combattit brillamment sur la Meuse et en Flandre, et qui fut réformé en l698 ; Pelleport était alors maréchal de camp et il fut ensuite lieutenant-général. Cela, gagné par le sang, valait bien qu’on y sacrifiât sa fortune, et telle était ou à peu près la destinée de ceux qui servaient le Roi dans ses armées, qui y faisaient carrière et ne se retiraient point capitaines, avec la croix de Saint-Louis.
Les Pelleport avaient de qui tenir étant apparentés à Abraham de Fabert, lequel ayant épousé une sœur de Mme de Pelleport, fut le parrain de son fils. Ceci est pour le militaire, et ne sait-on pas que la seconde femme de Bernardin de Saint-Pierre était une Pelleport et quelles circonstances romanesques accompagnèrent la seconde union de l’auteur de Paul et Virginie ? A la Révolution, les Pelleport avaient émigré ; leur fortune déjà fort atteinte acheva de périr par les confiscations ; aucun d’eux ne pensa à la refaire par une mésalliance. Ils restèrent de sang pur et de race noble. Wladimir de Pelleport avait quatorze ans lorsqu’il perdit son père ; il était pauvre et dut s'employer pour vivre. Ingénieur, il partit pour l’Égypte, où, moyennant un long séjour, il acquit une aisance honnête, non sans compromettre sa santé. Retiré, il se fixa en son château de Champlevrier, près de Luzy en Nivernais. Il avait le goût des recherches généalogiques et historiques et il s’appliqua à des travaux de longue haleine, comme de retrouver tous les descendants de son aïeul Dominique-Richard de Clevaut. Ceux-ci figurent en quarante-six tableaux in-folio et l’on y trouve toute la France noble et une bonne partie de l’Europe ; la deuxième partie devait comprendre des notices sur les familles figurant en ces tableaux, et c’eût été un livre bien curieux, car moins il est loisible de s’attacher aux entreprises des généalogistes à la pièce, plus il est désirable d’entendre les intéressés en leur propre cause.
Les travaux de cabinet n’avaient point atteint l’apparence physique de M. de Pelleport. A cinquante-huit ans passés, c’était un beau vieillard, droit et sec, portant entière sa barbe blanche une figure très noble, très française.
Le 1er août de l’an dernier, il était avec les siens en son château lorsque le tocsin sonna au clocher de l’église ; de tous les points de l’horizon, le signal renvoyé rebondissait en bruits sinistres et graves : M. de Pelleport alla s’informer au village. Quand il revint, il dit seulement : " C’est la guerre ! " Son parti était pris. Le lendemain, à l’aube, il vint à Autun s’engager. Cinquante-neuf ans, un cœur en mauvais état, c’étaient de mauvaises conditions pour être admis ; mais M. de Pelleport intrigua si bien qu’il obtint de revêtir la capote du 29e. Il y a trois siècles, en pareil cas, un Pelleport eût levé un régiment ; au vingtième siècle, n’ayant que sa peau et son fils, M. de Pelleport les donna. Il apporta surtout à son régiment un exemple : " Je vois, écrit-il, que mon exemple fait du bien ; j’ai vu un jeune soldat me regarder les larmes aux yeux." ; quand le soldat Pelleport passe devant les officiers attablés au café, ils se lèvent pour lui rendre son salut. Le général de Maud’huy, qui commande la division, le croise, lui fait signe d’approcher et dit au colonel : " Colonel, aussitôt après le premier combat, vous nommerez Pelleport premier soldat " et, se tournant vers lui : " C'est le premier grade et le plus beau " — " le seul qu’il ambitionne ", ajoute le colonel.
Le 16, au premier combat, dans un bois, c’est lui qui entraîne sa compagnie ; il est populaire dans toute l’armée, acclamé par les troupes qui le rencontrent on l’appelle " le vieux père ", ce qui le vexe un peu.
Le 20, après moins de cinq jours de campagne, sa compagnie, au combat de Sarrebourg, est désignée pour aller, avec une autre, remplacer un bataillon décimé. Elle atteint sans pertes les bords de la Sarre, où elle reste en première ligne de cinq heures du matin à midi. A midi, le capitaine commande : " Baïonnette au canon pour charger ! " A peine debout, Pelleport est renversé par une balle, qui fracture deux fois la cuisse et écorne le bassin. Les Allemands le ramassent, le portent à une ambulance, et, de là, il écrit à sa femme : " Je me suis conduit en Pelleport."
C’est la même pensée qu’il exprimait au départ, quand il écrivait : " J'ai communié pour que Dieu me fasse la grâce de me conduire pour la plus grande gloire de son nom et pour l'honneur de notre maison."
A l’ambulance allemande, pas une plainte, refus d’être mis dans une chambre particulière, volonté affirmée de rester avec les soldats. Il meurt dans la nuit du 26 au 27.
Son nom est à l’ordre de l’armée : " Pelleport. A donné le plus bel exemple de patriotisme en s’engageant à cinquante-neuf ans pour la durée de la guerre. A pris part à toutes les opérations du début de la campagne, faisant l’admiration du régiment par son endurance, son entrain et la beauté de son caractère. Le 20 août, à Sarrebourg, s’est précipité à l’assaut en tête de sa compagnie, a eu la cuisse et le bassin fracassés par un éclat d’obus. Est mort au champ d'honneur ".
Ceci est beau et figurera bien dans le chartrier des Pelleport ; son fils, officier du génie, au feu depuis un an, y déposera avec orgueil ce moderne parchemin, digne des autres. On a cité de beaux exemples d’engagés volontaires, un haut fonctionnaire de l’instruction publique et un membre du Conseil d’État. Le cas de M. de Pelleport peut être mis au moins en parallèle ; il n’avait ni responsabilité, même morale, à supporter, ni profit, même moral, à tirer. Il ne demandait rien, il n’attendait rien ; ce qu’il faisait suffisait à sa conscience et la montrait si haute et si pure que l’admiration qu’on éprouve se nuance d’un pieux respect.
C’est un chevalier des vieux âges qui est tombé pour la France d’à présent. L’on cherche l’armure et l’on touche cette capote de drap grossier. Le culte des ancêtres a formé ce caractère inflexible, cette âme qu’illumine et console le passé. Dans la lutte pour l’antique patrie, celle pour qui, depuis neuf cents ans, les Pelleport combattaient comme des chefs, il arrive en soldat, et il tombe aux premiers jours et au premier rang. Par là, étant à part et peut-être unique, il vaut bien qu’on le salue.

Frédéric Masson, de l’Académie française.

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Bien amicalement à vous,
Daniel.
alain13
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Re: Un étrange monsieur de Pelleport

Message par alain13 »



Bonsoir Daniel,
Bonsoir à tous,

On peut imaginer l'étonnement des poilus qui l'ont croisé et même du général Maud'huy, mais encore plus celui des soldats allemands qui l'ont vu charger baïonnette au canon, et qui l'ont recueilli blessé !
Car si le soldat Pelleport a 59 ans, lorsque l'on voit sa photo, il fait facilement une ou deux dizaines de plus avec sa longue barbe blanche et ses moustaches .....incroyable !!!!
Merci pour ce complément d'info qui intéressera peut-être encore Eric qui était à sa recherche, il y a pas mal d'années de çà. :)

Cordialement,
alain
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Eric Mansuy
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Re: Un étrange monsieur de Pelleport

Message par Eric Mansuy »

Bonjour à tous,

Merci pour ces ajouts qui, je vous le confirme, Alain, m'intéressent. Il me reste à localiser sa sépulture, mais ce ne sera pas pour ce matin.

Bien cordialement,
Eric Mansuy
"Un pauvre diable a toujours eu pitié de son semblable, et rien ne ressemble plus à un soldat allemand dans sa tranchée que le soldat français dans la sienne. Ce sont deux pauvres bougres, voilà tout." Capitaine Paul Rimbault.
Arnaud Memorial
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Re: Un étrange monsieur de Pelleport

Message par Arnaud Memorial »

Bonjour à tous,

Le nom du comte Wladimir de Pelleport est inscrit au Mémorial de Dormans (ici ,en bas de colonne), sa famille ayant fait un don.

J'avais donc cherché à en savoir un peu plus.
Sans certitude, Éric, il serait inhumé à Chiddes (58), commune où la famille de sa femme possédait un château et où il résidait.
Info wikipédia :
"Des lettres de lui et les compte-rendus de son engagement et de ses obsèques ont été publiés à l'époque par le journal 'La croix'.

Inhumé au cimetière communal ? dans une chapelle, au château ? ...
Le journal 'la croix' nous en dirait peut-être plus mais il ne semble pas être numérisé.

Cordialement,
Arnaud
Rutilius
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Re: Un étrange monsieur de Pelleport

Message par Rutilius »


Bonjour à tous,

L’acte de décès de Wladimir PELLEPORT de LA FITE a été transcrit à Chiddes (Nièvre) — commune sur le territoire de laquelle est édifié le château de Champlevrier dans lequel il résidait —, le 28 juin 1920.

—> http://www.memoiredeshommes.sga.defense ... 1910293275

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Bien amicalement à vous,
Daniel.
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