Mont-sur-Meurthe : 26 août 1914

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Guilhem LAURENT
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Re: Mont-sur-Meurthe : 26 août 1914

Message par Guilhem LAURENT »

Bonjour à toutes et à tous,

Voici un article extrait de la Revue d'Infanterie (41e année – 1er août 1932 – 81e volume – n° 479 : pages 267 à 297) dans lequel le lieutenant-colonel Guigues (lieutenant au moment des faits) relate les combats auxquels il a participé à la tête de la 9e compagnie du 61e régiment d'infanterie de Privas.

En ce jour anniversaire, j'ai pensé qu'il était bon de vous faire découvrir ou redécouvrir pour certains ce témoignage. Cet article fait suite à deux autres articles parus dans la même revue qui reviennent sur les journées du 18 au 22 août. Si celles-ci vous intéressent, je peux vous les communiquer. J'avais réalisé un petit croquis qui permettait de mieux suivre ces combats de Mont-sur-Meurthe, malheureusement, n'étant pas sur mon ordinateur, j'ai du mal avec le FTP de celui qui me permet de vous envoyer ce récit. C'est bien dommage !

Bonne lecture !


L'infanterie dans un combat pour la possession d'un village
Le 3e bataillon du 61e régiment d'infanterie au combat de Mont-sur-Meurthe (25 et 26 août 1914)



Dans un précédent article, nous avons étudié l'engagement du 61e régiment d'infanterie, au cours de la bataille du 20 août 1914, en Lorraine, et sa retraite jusqu'à la Moselle. Nous nous proposons, aujourd'hui, d'exposer l'action particulière du 3e bataillon de ce régiment pour l'occupation du village Mont-sur-Meurthe, pendant la bataille de la Meurthe, les 24, 25 et 26 août 1914.


Situation le 24 au matin et journée du 24 août


L'attente


Le 24 août, au matin, le 61e régiment d'infanterie était rassemblé aux environs du château de Ferrières (sud-ouest de Saffais), prêt à se porter en avant.

Les effectifs et son matériel étaient ceux qui lui étaient restés après la bataille du 20 août ; c'est-à-dire, très réduits pour la plupart de ses unités, dont l'encadrement temporaire était assuré par des gradés subalternes ou des soldats. Au 3e bataillon : les 9e, 11e et 12e compagnies avaient chacune un officier commandant la compagnie et la 10e compagnie, un adjudant-chef.

Vers l'est, dans la région de Lunéville et au sud-ouest de cette ville, la bataille paraissait fortement engagée, car la canonnade se faisait entendre violente et continue.

Aucun ordre ne vint modifier la situation du régiment au cours de la journée, qui fut, de ce fait, une journée de repos pour les troupes. A la nuit, on sut qu'on devait bivouaquer sur place, tout en se tenant prêt à marcher au premier signal.

Le colonel, dont la blessure reçue le 20 août commençait à présenter de sérieux symptômes d'aggravation, dut quitter le commandement du régiment qui fut exercé temporairement par le commandant du 2e bataillon.

D'abondantes distributions furent faites, mais leur préparation fut rendue difficile par la perte d'une grande quantité d'ustensiles de campement et aussi par la casse que des projectiles avaient fait subir à un certain nombre de ces précieux objets. Ces inconvénients, auxquels il avait pu être remédié les jours précédents, dans les villages, prenaient du fait du bivouac, une importance plus grande. Cependant, grâce à l'ingéniosité du soldat et aussi à quelques ressources offertes par le château de Ferrières, il fut possible d'assurer une préparation convenable des vivres distribués. Il faut dire qu'on se montrait peu exigeant, au cours de cette période de la guerre, pendant laquelle les privations étaient fréquemment imposées par les évènements.



Journée du 25 août


Une nuit de bivouac, très humide, avait engourdi les hommes qui, dès la première heure, étaient debout pour se réchauffer. Un certain nombre de feux avaient été allumés et étaient très entourés.

La bataille continuait vers l'est et le 61e régiment d'infanterie s'attendait à marcher d'un moment à l'autre.


L'approche

A 11 heures, il recevait, en effet, l'ordre de se porter, à travers champs, en direction de Blainville-sur-l'Eau. On apprenait, en même temps, qu'une action combinée des Ier et IIe armées françaises était engagée sur la Meurthe, contre l'armée allemande qui opérait en Lorraine.

C'est avec le plus grand entrain que les hommes entreprirent ce mouvement, à l'issue duquel ils espéraient prendre leur revanche sur les Allemands.

Après une marche d'approche très fatigante, canonnée, à longue portée, par l'artillerie ennemie, mais, heureusement, sans dommage, le régiment arrivait, vers 17 h 30, par Charmois et la voie ferrée, aux environs ouest de Blainville. Comme l'artillerie française paraissait avoir tenu tête à l'artillerie allemande par des ripostes violentes, les hommes étaient pleins de confiance.

Un arrêt assez long fut marqué aux environs de Blainville pour la remise en ordre des unités. Cette opération est indispensable pour toute troupe d'infanterie qui vient d'exécuter un assez long déplacement à travers champs. Si elle n'est pas faite à temps, les unités s'allongent et ne sont plus en main ; d'autre part, la fatigue des hommes est considérablement augmentée. Le temps employée à remettre de l'ordre n'est jamais du temps perdu, au contraire.

Le commandant du régiment recevait, vers 18 heures, l'ordre de dépasser Blainville et de pousser rapidement un bataillon à Mont-sur-Meurthe (2 kilomètres à l'est de Blainville).

Comme conséquence de cet ordre, le IIIe bataillon du 61e, formant l'avant-garde, franchira rapidement Blainville et poussera sur Mont, le plus vite possible, en suivant la route. Le gros du régiment maintenu provisoirement à la sortie est de Blainville, se tiendra en mesure de suivre le IIIe bataillon, dès que ce dernier occupera Mont.

D'après les renseignements connus, l'ennemi serait en pleine retraite et se replierait rapidement vers le nord-est.

Au reçu de l'ordre verbal donné par le commandant du régiment, le commandant du IIIe bataillon prescrivait à la 10e compagnie de déborder Blainville par le sud et de s'installer à la sortie est, face à Mont, pendant que le gros du bataillon, précédé de la 9e compagnie, pénétrerait dans le village en poussant une patrouille le long de la Meurthe. La marche sur Mont serait reprise dès que tout le bataillon aurait atteint les débouchés est de Blainville.

Un prisonnier du 9e régiment d'infanterie bavarois fut fait par la 9e compagnie, aux abords ouest de Blainville, alors qu'il se dissimulait au milieu d'un groupe de morts de son régiment, tombés là en défendant l'accès du village ; mais il fut impossible d'obtenir de lui le moindre renseignement. Dans Blainville, quelques incendies avaient été allumés par les Allemands, contraints d'évacuer précipitamment en y abandonnant des blessés et du matériel, ainsi qu'un pont d'équipage, jeté sur la Meurthe à la sortie ouest du village.


La marche sur Mont

Le mouvement du IIIe bataillon du 61e pour dépasser Blainville s'exécuta sans incidents, mais avec précaution, et la nuit commençait à tomber lorsqu'il entreprit sa marche sur Mont.

Précédé par quelques éclaireurs montés, le bataillon suivait la route en colonne, avec la 12e compagnie en tête.

A la canonnade de la journée et au tir de mousqueterie entendu vers la fin de l'après-midi avait subitement succédé le calme. La nuit semblait avoir arrêté la bataille et la marche commençait dans la plus grand tranquillité : on avait l'impression d'exécuter une marche de nuit du temps de paix.


Méprise

C'est dans cette situation que, tout à coup, à courte distance, sur le flanc droit du IIIe bataillon du 61e, une violente fusillade éclatait, qui amorçait un mouvement de panique rapidement enrayé, d'ailleurs, par les officiers, les gradés ou fonctionnaires gradés. On parvint à faire coucher tout le monde ; mais, dans les rangs, un certain nombre d'hommes avaient commencé à tirer sans ordre et au jugé, ce qui déclenchait une fusillade nourrie pour répondre, bien ou mal, à celle qui avait occasionné la surprise. Ce n'est qu'à grand-peine que les officiers purent faire cesser ce feu désordonné du côté du IIIe bataillon du 61e, tandis qu'il continuait dans la troupe qui l'avait commencé. Mais, grâce au silence qui s'établit du côté du IIIe bataillon du 61, on put entendre, du côté opposé, des commandements en français. Les officiers parlementèrent alors et on finit par savoir qu'il s'agissait d'une colonne amie qui marchait à hauteur du IIIe bataillon du 61e, sur le chemin de terre à 500 mètres au sud de la route de Blainville – Mont et parallèle à celle-ci.


L'arrivée à Mont

Il n'y avait eu, par miracle, ni morts ni blessés ! Mais cette méprise énerva les hommes. Il pouvait être 20 heures, lorsque le IIIe bataillon du 61e atteignit Mont sans autre incident (4). Dans la rue principale, ou put constater, autant que la nuit le permit, que l'ennemi avait abandonné du matériel, des animaux, des voitures, des motocyclettes et des bicyclettes : indices évidents d'un départ précipité. Le village paraissait abandonné par les habitants, lorsque apparut un vieillard, sortant d'une cave, et joyeusement surpris de voir des Français. Il signala que les autres habitants étaient dans leurs caves, par ordre des Allemands. Comme on lui demandait des indications sur la retraite de l'ennemi, il déclara ignorer à quel moment et comment cette retraite s'était produite ; mais il ne croyait pas que l'ennemi eût retiré tous ses éléments des environs de Lunéville, les troupes allemandes ayant été très nombreuses dans cette région, au cours de la journée, notamment à Réhainviller. Cette indication, qui aurait dû retenir l'attention du commandant du IIIe bataillon du 61e , à qui elle était donnée, fut jugée périmée et comme, d'autre part, l'ordre arrivait de pousser sur Réhainviller pour y cantonner, on ne s'attarda pas à Mont, dont on négligea de faire fouiller les maisons. Le bataillon étant en colonne de route, il fut remis en marche sans délai ; le bonhomme servait de guide, une lanterne à la main pour sortir du village et franchir le pont. A ce moment-là, le commandant et les officiers du bataillon étaient persuadés qu'ils ne trouveraient pas l'ennemi. Un renseignement, envoyé par le colonel et émanant du commandement, précisait, en effet, que l'ennemi précipitait sa retraite : elle prenait même des allures de déroute.

Ces renseignements, qui s'accordait si bien avec le désir de chacun, fut accueilli avec faveur et ce fut, par suite, allègrement que la marche fut reprise pour se porter sur Réhainviller.

C'est état d'esprit, qui faisait oublier les réactions possibles de l'ennemi, devait être cause d'une dure déception pour les unités du IIIe bataillon du 61e. Alors que le vieux guide conseillait la prudence, on était presque tenté, dans les rangs, d'entonner une chanson de route, tant on voulait croire à la fuite de l'ennemi.


Première tentative de déboucher de Mont

C'est optimisme ne tarda pas à être cruellement démenti

[croquis]

En effet, au moment où la compagnie de tête du bataillon s'engageait sur le pont de la Mortagne, à la sortie est de Mont, un tir de mitrailleuses très nourri partait de la rive opposée et balayait le pont. Les balles passaient heureusement haut ; mais, instinctivement, les unités qui étaient dans l'axe du tir se couchaient ; quant à celle qui étaient en arrière et encore ne dehors de cet axe, elle commençaient à se désunir. Des fraction se précipitaient dans les maison ; d'autres refluaient vers l'intérieur du village. La surprise avait produit son effet, mais l'ordre était rapidement établi dans les unités.

Le commandant du bataillon, qui marchait en tête et qui se trouvait à l'entrée ouest du pont, avait été mis au courant. Dès que l'ordre fut rétabli, il ordonna une nouvelle tentative de franchissement et se mit à la tête du bataillon. Mais l'ennemi veillait, et un tir plus nourri que le premier venait clouer de nouveau le bataillon sur place.


Enervement et désordre

Au même moment, des hommes appartenant aux unités qui n'avaient pas atteint le pont, ouvraient le feu au jugé et semaient ainsi un désordre considérable dans les rangs. Les factions qui étaient au mont, se croyant prises entre deux feux, reculaient rapidement sur l'intérieur du village et venaient s'entasser dans la rue principale avec les autres unités. Il s'ensuivait un très grand désordre que les officiers ne parvenaient à arrêter qu'après de longs efforts. Si, à c moment-là, quelques fractions ennemies avaient pénétré dans le village, nul doute que celui-ci n'eût été perdu par le bataillon. A quoi bon ne pas l'avouer ? Et il y a matière à enseignement jusque dans cet aveu pénible à notre amour-propre.

De telles situations ne manquent pas d'être délicates par les conséquences graves qu'elles sont susceptibles d'entraîner. Les paniques trouvent, le plus souvent, leur origine dans l'énervement des troupes. Or, les unités du IIIe bataillon du 61e avaient éprouvé deux surprises désagréables au cours de la soirée et il n'en fallait pas davantage pour atteindre leur moral et leur faire perdre la confiance qui, quelques instants auparavant, les jetait en avant.

L'intervention énergique des officiers ne tarda pas à faire rentrer chacun dans l'ordre, malgré les difficultés causées par une nuit obscure ; mais c'eût été folie que de renouveler, dans ces conditions, une tentative de franchissement du pont.


Nécessité, pour le chef, d'affirmer son activité.

Pour ramener le calme, et affirmer l'autorité du chef, dans les moments critiques du combat, il est nécessaire de reprendre sans délai la troupe en main, en la faisant agir au commandement, lorsque la chose est possible ; quelques mouvements de précision, énergiquement commandés, suffisent, le plus souvent, pour rendre à chacun son sang-froid. C'est ce que firent les officiers du IIIe bataillon du 61e, lorsque leurs unités eurent été ralliées à l'abri du tir de l'ennemi. Nous avons, personnellement, usé de ce procédé en maintes circonstances critiques, au cours de la guerre : il nous a toujours donné les résultats attendus. Son usage, à bon escient, ne peut qu'augmenter le prestige et l'ascendant du chef vis-à-vis de sa troupe.


Cantonnement d'alerte

Devant l'impossibilité de déboucher de Mont, le commandant du IIIe bataillon du 61e ordonna aux compagnies de tête (11e et 9e compagnies) de tenir la lisière est du village : la 9e compagnie, au sud de la route, la 12e compagnie au nord. Il rendit compte de la situation au commandant du régiment, en lui demandant de nouveaux ordres.

Le commandant du régiment, qui venait d'arriver à Mont, en même temps que le général commandant la division, vint, personnellement, se mettre au courant de la situation, en informa le général qui donna l'ordre au bataillon de s'installer à Mont, en cantonnement d'alerte, et de se tenir prêt à en déboucher, le lendemain, à la première heure, en direction de Réhainviller.

Le commandant du bataillon organisa sans délai l'occupation et la défense du cantonnement. On était au contact de l'ennemi et cette situation exigeait, naturellement, des précautions particulières.


Les dispositions prises en vue de la défense du village.

Examinons, d'une part, les dispositions prises par le IIIe bataillon du 61e et, d'autre part, les évènements de la nuit.

La garde des issues, ainsi que celle des lisières est du village, était confiée aux 9e et 11e compagnie. La 9e ayant la route incluse qui, formant la rue principale, conduit au pont sur la Mortagne et la lisière au sud de cette route ; la 11e compagnie, gardant la lisière au nord de la route. Les 10e et 12e compagnies à l'intérieur du village.

Les 9e et 10e compagnies s'installent de part et d'autre de la route, occupant les granges et les remises du rez-de-chaussée des maisons. Cantonnement d'alerte pour tout le monde. En cas d'attaque, la 9e compagnie défendra l'accès du pont et la partie de la lisière dont elle a la garde ; la 11e compagnie, la lisière au nord de la route. Les 10e et 12e compagnies, ralliées à l'intérieur du village, recevront des ordres en temps utile. On ne sait rien des troupes qui peuvent opérer à droite et à gauche. A droite, vers Lamath, on entend encore de fréquents tirs de mitrailleuses et d'armes individuelles.

Les dispositions à prendre en pareil cas ne peuvent être compliquées si on ne veut pas courir le risque, presque certain, de les rendre inopérantes. La nuit, dans une localité inconnue que l'ennemi vient d'abandonner, mais dont il tient les débouchés sous son feu, on ne peut que parer au plus pressé, c'est à dire interdire les voies d'accès. Toute astuce d'école, toute disposition savante augmente les risques d'énervement de la troupe et rend plus difficile la tâche des cadres, sans aucun bénéfice pour la défense.

C'est ainsi que les commandants des 9e et 11e compagnies avaient compris leurs mission. Ils firent donc obstruer toutes les issues par où l'irruption était possible ; elles furent, en outre, gardées chacune par un poste ; quant à l'issue principale formée par la route conduisant au pont, le commandant de la 9e compagnie la fit très sérieusement barricader. Au un poste d'une section, installé dans une remise voisine, furent confiées sa garde et sa défense, tandis que le reste de la compagnie était cantonné dans la remise suivante. Pour compléter la défense, le commandant de la 9e compagnie demanda des mitrailleuses destinées, le cas échéant, à balayer le pont ; mais ces engins, qui avaient été maintenus en arrière, avec le gros du régiment, ne lui furent pas accordés. En face, les Allemands en avaient cependant, et ils les employèrent, au cours de la nuit, à faire des tirs de harcèlement sur le village. Si ces tirs n'occasionnèrent aucune perte ils obtinrent ce résultat qu'ils gênèrent et agacèrent les défenseurs.

Dans les unités le service fut organisé de manière à maintenir, en permanence, la moitié des effectifs sous les armes, tandis que l'autre moitié se reposait équipée. L'intérieur des cantonnements était éclairé et les officiers veillaient avec leurs unités. La situation était telle qu'on ne pouvait prendre trop de précautions pour être sous les armes à la première alerte et aussi pour maintenir le moral des hommes, si d'aventure il restait atteint, chez quelques-uns, par les évènements de la soirée. En tout cas, le devoir est de rester avec eux, au milieu d'eux, prêt à intervenir pour arrêter la moindre défaillance. Car les hommes, surtout ceux dont le courage est ébranlé, aiment bien avoir leurs chefs.


Les évènements de la nuit

Au cours de la nuit, plusieurs alertes firent prendre les armes à toutes les unités du bataillon ; certaines se mirent à tirer dès qu'elles furent sur leurs emplacements de ralliement, sans s'inquiéter de savoir où elles dirigeaient leurs feux. Les officiers eurent, chaque fois, beaucoup de mal à faire cesser ces tirs, dangereux pour les amis, plus que pour l'ennemi qui n'avait rien fait pour les provoquer. Cela non plus n'est pas glorieux, mais c'est la guerre.

Enervement, hallucinations, tirailleries… Résultat : néant – sauf que les officiers et les gradés furent toute la nuit sur pied !

C'est donc après une soirée sans distributions et une nuit sans repos que, le 26 août, pour les compagnies du IIIe bataillon du 61e, le jour se leva.



Journée du 26 août


L'attente

Suivant l'ordre reçu la veille, les compagnies du bataillon, rassemblées au jour, à l'intérieure des locaux leur ayant servi de cantonnement, étaient prêtes à partir au premier signal.

Le calme avait, maintenant, succédé aux tirailleries inutiles de la nuit et on s'attendait à pouvoir déboucher de Mont pour continuer le mouvement sur Réhainviller et Lunéville.


Les ordres

Le commandant du bataillon avait renouvelé ses ordres de la veille pour le débouché de Mont ; c'est-à-dire : la 12e compagnie formant l'avant-garde franchirait, tout d'abord, le pont, suivie, aussi rapidement que possible, par les trois autres compagnies dès qu'elle serait à même de couvrir leur débouché. Il semble que cette organisation du débouché manquait de prévoyance et qu'elle ne donnait pas, à cette opération, le maximum de chances pour sa réussite.

Les abords du village, et même les lisières est, se prêtaient parfaitement à l'installation d'unités susceptibles d'appuyer, éventuellement, le débouché de la compagnie d'avant-garde du bataillon. On pouvait y employer soit deux compagnies, couvrant de leurs feux le passage des deux premières, soit, mieux encore, les mitrailleuses du régiment qui auraient battu systématiquement les abords est du pont. En outre, il eût été prudent d'exécuter une courte préparation d'artillerie sur l'agglomération de Mortagne. Ces précautions, étant donnée l'importance de l'opération, n'avaient rien d'exagéré. Elles ne constituaient qu'un minimum qu'il eût été nécessaire de réaliser et que le commandement aurait dû préparer au cours de la nuit.

Au lieu de cela, on allait foncer tête baissée sur l'obstacle, car il paraissait évident que l'ennemi chercherait, au moins, à ralentir l'avance française de ce côté : la situation était vraiment trop à son avantage pour qu'il négligeât cette chance. Il était d'ailleurs facile de s'en assurer en lançant une patrouille sur le pont et en organisant, dès le jour, un service d'observation destiné à surveiller tous les mouvements de l'ennemi. Mais, à cette période de la guerre, on oubliait et même on méprisait la recherche du renseignement dans les unités d'infanterie : ce fut la cause de biens des déboires. Sous le prétexte d'aller vite, on chargeait l'obstacle, parfois sans connaître où il était ni ce qu'il valait. Au total, on avait perdu du temps puisque, lorsque l'obstacle résistait, il fallait s'arrêter, monter une nouvelle affaire et demander l'appui de l'artillerie, après avoir subi, presque toujours, des pertes élevées. La puissance du feu n'était pas évaluée à sa juste valeur par bon nombre d'officiers qui, de ce fait, s'imaginaient que le mouvement, bien lancé, devait suffire, dans la plupart des cas, à liquider la situation.


Deuxième tentative de déboucher de Mont

Vers 6 heures, l'ordre fut donné de se porter en avant. La 12e compagnie vint se former dans la rue principale, sa tête à hauteur des dernières maisons de la lisière est du village, comme s'il s'agissait de se mettre en route loin de l'ennemi. Le commandant du bataillon, qui était le commandant titulaire de la 12e compagnie, surveillait, dans cette unité, l'exécution des ordres donnés pour l'échelonnement des sections, tandis que les 9e et 11e compagnies commençaient à se rassembler devant leurs cantonnements, dans la rue principale. De ce fait, la partie est de la rue principale présentait un entassement considérable d'hommes : sur la chaussée, la 12e compagnie en colonne par quatre ; de part et d'autre de cette chaussée, respectivement les 9e et 11e compagnies. Naturellement, l'ennemi, qui avait sans doute attendu le moment le plus favorable, profitait de l'occasion qui lui était offerte et, au moment où la tête de la 12e compagnie allait se mettre en mouvement vers le pont, un feu très violent de mitrailleuses, venant de la rive droite de la Mortagne, balayait le pont et s'abattait dans la rue principale ainsi que sur les lisières est du village. La partie de la rue principale, qui se trouve exactement dans l'axe de pont, c'est-à-dire celle où s'étaient entassées les 12e, 11e et 9e compagnies, fut vivement balayée : des morts et des blessés jonchaient la chaussée et les hommes se précipitaient à l'abri des maisons. L'artillerie allemande, prévenue sans aucun doute des rassemblements qui avaient lieu dans Mont, commençait à canonner le village, notamment les abords de l'église et les lisières est. La flèche du clocher fut rapidement entamée et les tirs fusants, dirigés sur les lisières, rendaient bientôt celles-ci intenables. L'instant paraissait critique, car on pouvait craindre une tentative de l'ennemi pour reprendre Mont, dont la défense, malgré les ordres, n'avait pas été organisée, ou fort mal, par les occupants, qui espéraient pouvoir en déboucher sans difficultés. Là, encore, l'idée d'offensive à outrance avait fait négliger l'essentiel. L'occupation et l'organisation défensive du village de Mont-sur-Meurthe, dès le 25 août au soir, aurait dû être considérée par le commandement supérieur comme un problème à résoudre par lui, afin de préparer, avec le maximum de chances, de réussite, le débouché du lendemain.

Nul doute qu'il allait être maintenant impossible, au IIIe bataillon du 61e, avec ses seuls moyens, de franchir le pont. D'autre part, il semblait que l'ennemi, qu'on croyait en pleine retraite, avait l'intention de faire tête sérieusement, car la canonnade et la fusillade avaient repris avec violence vers Lunéville et le long de la Mortagne, notamment dans la direction de Lamath. On ignorait, en outre, ce qui se passait dans la forêt de Vitrimont qui domine la vallée de la Meurthe et, par suite, le village de Mont.


La défense de Mont

Le commandant du bataillon rendit compte de sa situation au commandant du régiment et reçut, peut à près, l'ordre de tenir le village et de le défendre face à l'est, tandis que le IIe bataillon, s'installant dans la vallée de la Meurthe, viendrait assurer la défense face à la forêt de Vitrimont et à la direction de Réhainviller. Aucune indication ne put être donnée sur ce qui se passait au sud de Mont : le Ier bataillon, avec le commandant du régiment, étaient maintenus à Blainville.

Conformément aux ordres du commandant du bataillon, la 12e compagnie défendra la route menant au pont et la lisière du village au sud de cette route. La 10e compagnie, en liaison avec la 12e compagnie à la route, par sa droite, et avec le IIe bataillon du 61e, par sa gauche, défendra la lisière de village au sud de la route. En arrière, maintenues dans le village, sous les ordres du commandant de la 9e compagnie, les 9e et 11e compagnies se tiendront en mesure, soit de renforcer la défense des lisières, soit de contre-attaquer les fractions ennemies qui pénétreraient dans le village. le commandant du bataillon se porte à la lisière sud avec la 12e compagnie : il veut diriger personnellement l'organisation de la défense des lisières.

L'ennemi se contente de harceler le village par des tirs d'artillerie et d'infanterie, mais ne tente aucune attaque d'abord, ce qui permet de mettre, sans trop de mal,les unités en place. Les hommes maintenus à l'intérieur du village et abrités dans les maisons subissaient, pour la première fois, un bombardement dans une localité. Ils firent bonne contenance, mais ils auraient préféré se trouver en terrain libre et, aussi entendre le canon ami riposter à celui de l'ennemi.

Ils pouvait être 9 heures lorsque le commandant de la 9e compagnie apprenait que le IIe bataillon du 61e, qui était venu s'installer dans la vallée de la Meurthe, avait reçu, du commandant du régiment, l'ordre de se reporter sur Blainville. Il en rendit compte au commandant du bataillon. Ce repli, en découvrant la gauche du bataillon, donnait à l'ennemi la possibilité de s'infiltrer par la vallée de la Meurthe et de déborder Mont par le nord. Il chargea, en même temps, la 11e compagnie de s'installer aux lisières nord du village afin de surveiller la vallée et les débouchés sud de la forêt de Vitrimont.

Bientôt la 11e compagnie signalait que des groupes ennemis avaient pénétré dans la vallée, entre le village et la forêt, et que d'autres fractions les suivaient, tandis que des tirs de mitrailleuses, paraissant provenir de la forêt de Vitrimont, battaient les lisières nord de Mont.

Compte rendu de cette situation fut adressé sans retard au commandant du bataillon par le commandant de la 9e compagnie, qui prescrivit, en même temps, à l'une de ses sections, de prolonger la 11e compagnie face à la Meurthe.

Il attirait, en outre, l'attention du commandant du bataillon sur la nécessité de barrer, sans délai, le couloir de la vallée et lui demandait de venir se rendre, personnellement, compte de la situation.

Sans se déplacer le commandant du bataillon, après avoir critiqué le repli du IIe bataillon, ordonnait au commandant de la 9e compagnie de maintenir les 9e et 11e compagnies sur leurs emplacements en vue d'une contre-attaque possible. Il ajoutait que la 12e compagnie souffrait beaucoup du feu de l'ennemi et qu'une infiltration par le sud du village était également à craindre.


Tentatives allemandes de réoccupation de Mont.

Mais, dans la vallée, la situation commençait à devenir dangereuse pour les défenseurs du village. Des patrouilles envoyées le long de la Meurthe s'étaient heurtées à des fractions ennemies qui se renforçaient sous la protection de mitrailleuses bien placées, dont les feux rendaient intenable l'occupation de la lisière nord. Après un échange à courte distance, de coups de fusil avec ces ennemis, les fractions de la 11e compagnie abandonnaient la lisière nord pour se replier à l'intérieur du village et les premiers groupes ennemis atteignaient cette lisière aux abords du débouché de la rue qui, passant à l'ouest de l'église, descend vers la Meurthe. La menace de débordement par le nord se précisait maintenant et il était urgent d'y parer. Le mieux serait de tenter une contre-attaque par la vallée, car, chercher à bousculer l'ennemi en utilisant la rue principale qui descend vers la Meurthe, serait une folie tant cette voie d'accès était battue par le feu.

Tout en rendant compte de la situation nouvelle, le commandant de la 9e compagnie faisait porter une section à hauteur de la partie ouest du mur de clôture du parc situé à la corne ouest du village, et lui prescrivait de surveiller, face à l'est, la vallée de la Meurthe et la lisière nord du village. Il estimait, en effet, que le danger, de ce côté, devenait de plus en plus pressant et qu'il fallait l'enrayer à tout prix. Contre-attaquer en détail les éléments qui avaient pénétré dans mOnt était une opération vaine si, par contre, on laissait à l'ennemi le loisir de déborder le village.

Mais que faisaient donc les autres bataillons pendant que se déroulaient ces évènements dans Mont ?


Les devoirs du chef au combat

Les officiers du IIIe bataillon du 61e avaient l'impression d'avoir été abandonnés à leur sort sans directive précise et le commandant du bataillon s'occupait trop des détails d'exécution dans un compagnie, - la sienne, - ce qui ne lui permettait pas d'agir sur l'ensemble et d'après les évènements du moment. Or, au combat, le chef d'une unité de l'importance d'un bataillon doit savoir adapter sa mission aux circonstances crées par la manœuvre de l'ennemi et ne pas s'accrocher à un schéma intangible. De plus, il a le devoir de se tenir personnellement au courant de la situation d'ensemble de ses unités afin de parer à l'imprévu par des manœuvre appropriées. Garder les lisières est de Mont ne suffisait pas pour empêcher l'ennemi de réoccuper cette localité. La mission étant de garder le village, il était nécessaire de manœuvrer en conséquence et d'arrêter, au plus tôt, les infiltrations dangereuses signalées dans la vallée de la Meurthe. Les dispositions initiales prises par le commandant du IIIe bataillon du 61e permettaient de parer aisément aux éventualités du combat, mais encore aurait-il fallu intervenir à temps et avec les moyens suffisants sur les poins menacés, c'est-à-dire, modifier, à la demande des évènements, les dispositions prises.


La menace allemande par la vallée de la Meurthe

Dans le village, aux abords du carrefour formé par la route de Lunéville et la rue qui, passant à l'ouest de l'église, descend vers la vallée de la Meurthe, l'artillerie ennemie lançait des rafales d'obus fusants, et les 9e et 11e compagnies, dont les gros étaient en position d'attente dans les maisons environnantes, commençaient à souffrir. De plus, les fractions qui tenaient encore la lisière nord signalaient de nouvelles infiltrations tandis qu'au nord de la route, les fractions de la 10e compagnie qui étaient à l'extrémité nord de la lisière, menacées sur leur flanc, commençaient à se replier vers l'église. La situation devenait grave de ce côté et il fallait aviser d'urgence car, de toute évidence, l'ennemi allait chercher à pénétrer dans le village par le nord.

Le commandant de la 10e compagnie rendit compte de sa situation au commandant du bataillon et en avisa le commandant de la 9e compagnie.

Ce dernier, prévenu que l'ennemi paraissait se renforcer, rendit compte à son tour au commandant du bataillon et lui demanda de l'autoriser à se porter en arrière du parc de Mont de manière à pouvoir s'engager dans la vallée ou, le cas échéant, enrayer la progression dans le village, en prenant d'enfilade les rues principales. Il insistait, à nouveau, pour que le commandant du bataillon vînt se rendre compte de la situation. Il pouvait être alors 10 heures ou 10 h 30.

La fusillade avait atteint une intensité effrayante aux abords du village et la bataille paraissait fortement engagée dans cette région qu'on croyait, la veille, évacuée par l'ennemi.

Comme, vers 11 heures, ni l'agent de transmission envoyé au commandant du bataillon n'était revenu ni un ordre nouveau n'était arrivé, le commandant de la 9e compagnie faisait rendre compte au commandant du bataillon qu'il se portait en arrière du parc de Mont, ainsi qu'il l'avait proposé dans son compte rendu précédent.

La 11e compagnie, ayant à sa charge la surveillance de la rue qui descend vers la Meurthe et la lisière nord du parc, maintenant la liaison avec la 10e compagnie, devra, le cas échéant, arrêter toute progression de l'ennemi venant du nord et cherchant à atteindre la route de Lunéville. La 9e compagnie, maintenant une section dans les maisons de l'îlot sud-est du village, à hauteur de la rue descendant vers la Meurthe, dans le but d'assurer éventuellement l'appui ou le recueil de la 12e compagnie, installera son gros à hauteur de la lisière ouest du parc de Mont, de manière à arrêter toute avance de l'ennemi par la vallée.

La 9e compagnie, utilisant les maisons au sud de la route, exécute son mouvement sans difficultés. Au moment où le commandant de cette unité arrive à hauteur de l'emplacement qu'il comptait occuper il constate que la menace de l'ennemi par la vallée n'a pas échappé au commandement. Il aperçoit, en effet, un bataillon ami qui, venant de la direction de Blainville, a entamé une progression méthodique sous le feu de l'artillerie ennemie ; puis, pris violemment à parti par des tirs de mitrailleuses paraissent venir de la forêt de Vitrimont, s'arrête, cloué au sol, entre Blainville et Mont.

De l'intérieur du village, le chef de la section de la 9e compagnie, laissée pour soutenir la 12e, signale que la lisière est est très violemment attaquée et que des fractions des 10e et 12e compagnies se replient vers le centre du village. Ce chef de section rend compte, également, qu'il n'a pu joindre le commandant du bataillon, qui s'est porté à l'extrême droite de la ligne de feu de la 12e compagnie, en un point où il est momentanément impossible d'accéder, à cause de la violence du feu de l'ennemi.

Il peut-être 11 h 30. La situation devient critique car on ne sait rien des intentions du commandant et le bataillon paraît abandonné à son sort, alors que, s'il n'est pas aidé, il court le risque de perdre le village. Le commandant du bataillon a-t-il pu mettre le commandant du régiment au courant de la situation ? Sait-il où se trouve ce dernier ? Dans le doute le commandant de la 9e compagnie établit un compte rendu et l'envoie à Blainville par un coureur avec mission de le remettre soit au commandant du régiment soit à tout autre officier rencontré.


Repli du IIIe bataillon du 61e.

Ce compte rendu est à peine parti que le commandant du bataillon, venant par la lisière sud du village, fait connaître au commandant de la 9e compagnie qu'il a reçu l'ordre, du commandant du régiment, de replier le bataillon entre Mont et Blainville. L'ennemi a pu pénétrer dans l'îlot "est" du village. Les ordres ont été donnés aux autres compagnies de se rallier à l'ouest de Mont, sous la protection de la 9e compagnie, qui, tenant les lisières ouest, devra arrêter la progression de l'ennemi par la rue principale et par les lisières sud et nord. Cette unité ralliera ensuite sans délai, le gros du bataillon, dès que sa mission sera terminée. Une contre-attaque menée par le 55e régiment d'infanterie doit être déclenchée sous peu pour réoccuper Mont et tenter d'en déboucher. Il semble qu'il aurait été prudent de maintenir les défenseurs des lisières sur leurs emplacements pour appuyer la contre-attaque. Il est vrai que, d'après les renseignements reçus par le commandant du IIIe bataillon du 61e, des unités amies installées entre Mont et Lamath tiendraient sous leur feu l'ennemi de la rive droite de la Mortagne et que, d'autre par, d'autres unités attaqueraient la forêt de Vitrimont.


Nécessité d'envoyer par plusieurs voies les renseignements importants.

Questionné par le commandant de la 9e compagnie sur la réception de son compte rendu envoyé vers 10 h 30, au sujet du déplacement du gros des 9e et 11e compagnies, le commandant du bataillon déclarait n'avoir pas reçu ce compte rendu. C'est là un fait, fréquent au combat, qui doit attirer l'attention de tous les chefs d'unité. Les conséquences de la non-arrivée à destination d'un renseignement important pouvant être considérables, il est indispensable de multiplier les envois de tels renseignements afin de leur donner le maximum de chances de parvenir. L'agent de transmission avait, sans doute, été tué ou blessé puisqu'il n'était par revenu et qu'on ne le revit plus.

Par petites fractions, les 10e 11e et 12e compagnies du 61e se replient à l'ouest de Mont, tandis que la 9e compagnie, disposée aux issues "possibles" pour l'ennemi, à cheval sur la route, à hauteur de l'îlot ouest du village, protège le mouvement. Aux abords est du village, le tir de mousqueterie ennemie fait rage tandis que son artillerie bombarde les abords nord et sud. La situation paraît critique, car, si la poussée de l'ennemi s'accentue dans Mont, cette localité sera complètement perdue.


La contre-attaque du 55e régiment d'infanterie

Le repli de la 9e compagnie va commencer lorsque, venant de Blainville, par la route et par compagnies successives, arrive un bataillon du 55e régiment d'infanterie qui se groupe en arrière des maisons de l'îlot ouest de Mont.

Le commandant de ce bataillon informe le commandant de la 9e compagnie du 61e régiment d'infanterie qu'il a pour mission de réoccuper Mont. Mis rapidement au courant de la situation ce commandant de bataillon ordonne au commandant de la 9e compagnie du 61e de suspendre l'exécution du mouvement de repli de son unité et de se mettre à ses ordres. Cette décision, logique en soi, était cependant contraire à l'ordre reçu de son chef direct, par le commandant de la 9e compagnie du 61e. Il en fit la remarque et demanda au commandant du bataillon du 55e de lui donner un ordre écrit. Cette demande, cependant naturelle et réglementaire, mit en fureur le chef à qui elle était adressé, mais le commandant de la 9e compagnie ne voulut pas démordre de sa demande.

Il allait, enfin, obtenir satisfaction, lorsque, sans en avoir été prévenus, les occupants de l'îlot ouest de Mont voyaient déboucher de la route venant de Blainville un deuxième bataillon du 55e régiment d'infanterie, colonel en tête. En atteignant Mont, les tambours et les clairons commençaient à battre et à sonner la charge tandis que l'artillerie française déclenchait un tir nourri sur l'autre rive de la Mortagne : c'était la contre-attaque annoncée.

Alors, ce fut la ruée dans le village, sans méthode, mais avec un entrain admirable. Le bataillon du 55e régiment d'infanterie arrivé le premier, avec la 9e compagnie du 61e en tête, se précipita dans la rue qui, longeant le parc de Mont, conduit vers l'église et à la lisière est du village, la baïonnette haute. Le commandant de la 9e compagnie n'avait plus hésité : quoi qu'il pût lui arriver, il avait entraîné, vers la partie nord du village, le bataillon du 55e avec lequel il se trouvait tandis que l'autre bataillon de ce régiment s'était élancé par la route qui forme la rue principale.

De la plupart des maisons de l'îlot est, notamment vers l'église, partent des coups de feu. Les assaillants de la partie nord s'arrêtent un instant à hauteur de la rue transversale qui descend vers la Meurthe en passant un peu à l'ouest de l'église. Puis, tandis qu'une compagnie descend vers la Meurthe pour longer la lisière nord du village, les autres, se précipitent vers les maisons entourant l'église et délivrent, après avoir mis hors de combat leurs gardiens, deux sections de la 10e compagnie du 61e capturées par les Allemands au moment où ils avaient pénétré dans Mont.

Déjà désarmées, ces deux sections reçoivent l'ordre de reprendre leurs armes et de se tenir là où elles se trouvent, aux ordres du commandant de la 9e compagnie du 61e. Les groupes ennemis fuient maintenant par les issues en contournant les maisons. Ils paraissent peu nombreux et, cependant, leur défense a provoqué des pertes et disloqué un peu l'attaque. Le commandant de la 9e compagnie n'a plus de liaison avec le commandant du bataillon du 55e, néanmoins, il pousse rapidement une fraction à la lisière est tandis qu'il fait fouiller les maisons autour de l'église. Dans les caves où se sont enfermés les habitants, quelques ennemis sont pris ainsi que dans les autres pièces d'habitation des maisons. On devrait les interroger mais le temps manque car il faut avancer au plus tôt. On les réunit ; une des section de la 10e compagnie du 61e est chargée de leur garde en attendant qu'on puisse les renvoyer en arrière. Il aurait cependant été intéressant, pour le commandant de la 9e compagnie du 61e, de recueillir les renseignements qui pouvaient l'intéresser immédiatement : forces ennemies qui ont pénétré dans le village, gros des unités qui ont fourni ces forces, appui de leurs armes automatiques, points atteints, etc… Malheureusement, on ne pense pas à tout. D'ailleurs, on ne saurait trop répéter que, à cette période de la guerre, l'importance du service des renseignements n'était même pas soupçonnée dans les petites unités d'infanterie. On a, heureusement, fait des progrès depuis.

A gauche, vers la lisière nord, l'ennemi paraît se replier, mais le tir des mitrailleuses venant de la forêt de Vitrimont rend les abords extérieurs de cette lisière intenables. Aussi, les fractions du 55e qui longent cette lisière se jettent-elles dans les maisons pour s'abriter et chercher à riposter ensuite. Dans la rue principale il est impossible aux fractions de l'autre bataillon du 55e régiment d'infanterie de s'approcher du pont ; elles doivent également utiliser l'abri offert par les maisons, pour chercher à atteindre les lisières est.

Vers l'église, le commandant de la 9e compagnie du 61e, suivi de quelques fractions du 55e, fait un nouveau bond qui lui permet d'atteindre la lisière est du village et de se mettre en liaison, par sa droite, sur cette lisière, avec une compagnie du 55e. On cherche immédiatement à organiser les feux et à s'abriter, en attendant qu'une tentative sérieuse puisse être entreprise pour franchir le pont.

Il peut être alors 13 heures ! Mais on voudrait avoir des ordres, savoir quoi faire : malheureusement, on ne sait où trouver le commandant du bataillon du 55e régiment d'infanterie ni le colonel. On profite de l'accalmie pour aménager la lisière et, tant bien que mal, on rallie les égarés, puis on envoie à Blainville, sous escorte, les prisonniers.


Les réactions de l'ennemi

L'ennemi ne tarde pas à troubler l'accalmie : des tirs violents de mitrailleuses et d'artillerie, venant de l'est, s'abattent de nouveau sur les lisières et dans le village, tandis que, de la forêt de Vitrimont, les tirs de mitrailleuses harcèlent, à l'intérieur de Mont, les points de passage obligés. Il en résulte que les occupants du village ne sont jamais certains d'être abrités car les coups viennent de front, de flanc et même de derrière. Une fraction de la 9e compagnie, commandée par un sergent, est ainsi décimée sur la place de l'église au moment où elle se portait à la lisière est. Cette lisière devient bientôt intenable pour les occupants qui commencent à subir des pertes sérieuses et qui, à cause des tirs de harcèlement dirigés dans les rues, ne peuvent plus communiquer directement lorsque la largeur d'une rue les sépare.


L'abandon de l'îlot est de Mont.

Le feu atteint une telle violence qu'il devient impossible de se maintenir plus longtemps dans l'îlot est du village. Aussi, par petites fractions, en utilisant les maisons et les cours , les unités abandonnent la lisière et se rallient en arrière du parc de Mont, reperdant ainsi le terrain reconquis. La 9e compagnie du 61e, reformée autour de son chef, a perdu du monde dans cette contre-attaque. Le commandant de cette unité, entraîné dans cette opération, ignorant où se trouve le gros de son bataillon, se met aux ordres du colonel commandant le 55e régiment d'infanterie, en lui demandant de vouloir bien faire le nécessaire, aussitôt que possible, pour prévenir le commandant du 61e de cette situation.


Accalmie

Une nouvelle accalmie se produit, au cours de laquelle on reforme les unités tout en se gardant contre une tentative possible, de l'ennemi pour déboucher à l'ouest du village. Des fractions importantes ont réussi à pénétrer de nouveau dans l'îlot est mais ne paraissent pas disposées à progresser. Les flancs nord et sud de Mont sont surveillés par des fractions du 55e régiment d'infanterie.

Ainsi, ce village que l'ennemi avait évacué et dont le pont paraissait pouvoir être franchi aisément la veille, était encore passé, en partie, entre ses mains. Et pourtant, il fallait en déboucher ! Mais, pour cela, il était nécessaire que le commandement organisât sans retard une opération puissante, ordonnée et alimentée, sans laquelle on ne déboucherait jamais, tout en perdant beaucoup de monde.


Nouvelle attaque de Mont.

Le commandement paraît enfin avoir compris cette nécessité, puisqu'il fait ordonner que l'attaque, appuyée par l'artillerie, reprendra dans le courant de l'après-midi, menée par la 60e brigade : tandis que le 55e régiment d'infanterie, cherchant à pénétrer dans Mont, débordera, en outre, le village par le sud et tentera de franchir la Mortagne entre Mont et Lamath, si nécessaire, le 61e régiment d'infanterie poussera un bataillon par Blainville et la vallée de la Meurthe pour déborder le village par le nord ; d'autres unités attaqueront les fractions ennemies de la forêt de Vitrimont. Les deux derniers bataillons du 61e régiment d'infanterie devront être prêts à soutenir, le cas échéant, l'attaque du 55e régiment d'infanterie. La 9e compagnie du 61e était maintenue à Mont à la disposition du colonel commandant le 55e régiment d'infanterie : le commandant de cette compagnie conservait momentanément sous ses ordres les deux sections de la 10e compagnie délivrées au cours de la contre-attaque à l'intérieur du village.

Il peut-être 15 heures lorsque l'ordre arrive d'attaquer. Le 55e régiment d'infanterie, rassemblé en arrière des dernières maisons de l'îlot ouest de Mont, sera couvert à gauche par la 9e compagnie du 61e. Cette compagnie, placée en arrière du parc, assurera la liaison avec le bataillon du 61e qui doit opérer dans la vallée. L'artillerie française ouvre un feu violent sur la rive droite de la Mortagne et, quelques minutes après, le 55e régiment d'infanterie, par bataillons successifs, s'élance en avant, en cherchant à déborder Mont par le sud tandis qu'une compagnie désignée pénètrera dans le village même. Mais au même moment, l'artillerie ennemie et les mitrailleuses lancent leurs projectiles sur cette première colonne qui, à toutes vitesse, fait un rapide bond en avant tandis qu'un deuxième bataillon s'élance à son tour : après quelques bonds les deux bataillons sont cloués au sol. Leurs pertes sont élevées, surtout en officiers.


La réoccupation de Mont

Au nord du village la progression dans la vallée a été également enrayée. Il paraît évident qu'on ne réussira pas cette nouvelle manœuvre, mais le colonel commandant le 55e décide de réoccuper entièrement le village afin d'empêcher l'ennemi d'en déboucher face à Blainville. Il lance alors la 9e compagnie du 61e et son dernier bataillon qui réussissent encore une fois à nettoyer l'îlot est et à réoccuper les lisières face à Mortagne. Mont est définitivement aux mains du 55e régiment d'artillerie.

La 9e compagnie du 61e et les deux sections de la 10e compagnie de ce régiment qui ont coopéré de bout en bout aux deux contre-attaques sont remises à la disposition de leur colonel qui reforme ses unités à Blainville. A la nuit ces fractions rallient le gros de leur bataillon après avoir laissé sur le terrain leurs morts et leurs blessés. La 9e compagnie qui comptait encore 120 hommes au départ du château de Ferrières est réduite à 90 hommes : débris exténués, mourant de faim et de fatigue, d'une belle unité, qui le 20 août au matin, menait 240 hommes et 3 officiers au baptême du feu.


Nécessité des ordres écrits

L'ensemble du IIIe bataillon du 61e avait perdu une centaine d'hommes et était réduit à deux officiers.

Le commandant de la 9e compagnie était invité par son commandant de bataillon à rendre compte des raisons pour lesquelles il n'avait pas quitté Mont à la suite du bataillon ainsi qu'il en avait reçu l'ordre au moment où ce dernier s'était replié. On lui reprochait d'avoir manqué gravement à la discipline. Malgré les explications données par le commandant de cette unité il fallut que le colonel commandant le 55e régiment d'infanterie attestât l'exactitude des déclarations faites par cet officier. Encore une fois, cet incident prouve qu'un chef qui prend d'autorité, sous ses ordres, une fraction ou une unité ne relevant pas de son commandement, doit lui donner un ordre écrit et rendre compte au chef direct de la fraction ou de l'unité qu'il a cru devoir distraire de sa mission.


Le bilan de la journée

En fin de journée le village de Mont-sur-Meurthe restait entre les mains du 55e régiment d'infanterie, mais aucun élément de la 30e division n'avait pu déboucher du pont sur la Mortagne. La bataille continuait autour de Lunéville et sur la Mortagne ; le 61e régiment d'infanterie, décimé, était placé provisoirement en réserve, à Blainville, pour y être recomplété.

En attendant, il travaillait à l'organisation défensive de Blainville, puis de Mont, et, le 31 août, recomplété en hommes et particulièrement en cadres, il était de nouveau engagé devant Lunéville. Relevé le 2 septembre il prenait le chemin qui devait lui permettre de participer, dans la région de Sermaize, à partir du 8 septembre, avec la IIIe armée française, à la bataille de la Marne.


Lieutenant-colonel Guigues




Bien cordialement à toutes et à tous

Guilhem LAURENT
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patrick corbon
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Re: Mont-sur-Meurthe : 26 août 1914

Message par patrick corbon »

Bonjour à tous,

Merci Guilhem pour ce texte fort révélateur de nos lacunes manoeuvrières.
A noter que dans ce texte on est loin au 61 RI de la doctrine de l’offensive à outrance trop souvent mise en avant pour justifier de nos échecs. De fait, elle n’était plus vraiment d’actualité mais la nouvelle doctrine issue du grand état major, plus pondérée, n’avait pas encore eu le temps d’être mise en pratique et de pénétrer toutes les mentalités pour faire son effet. Au déclenchement de la guerre, l’absence de nouveaux règlements d’emploi remaniés à l’attention des petites unités nous a placé face à un vide doctrinal propice au commandement selon le tempérament des chefs. On peut voir de tout.
Les procédés ici employés conservent un caractère rigide avec peu d’initiatives aux petites unités. L’infanterie manœuvre encore en bloc compact selon la formule « victoire = masse + vitesse ». Il semble que l’on tienne déjà compte de la prépondérance du feu sur la mobilité (Une mitrailleuse = pratiquement 1 compagnie qui tire à répétition) car on ne discerne pas vraiment le dynamisme de l’attaque brusque propre à bousculer l’ennemi si chère à Grandmaison. Une certaine pondération est de mise mais l’accumulation d’effectifs (on alimente la bataille) nuit au soucis d’économie des forces (Village surchargé en troupes transformé en piège à feux). Par contre il apparaît nettement le manque de méthode et la timidité manœuvrière. La faillite de la combinaison feu, mouvement et commandement est significative dans cet exemple.
L’absence de renseignements, l’insouciance de la protection du déplacement en avant fait place très vite au contact à une préoccupation excessive de sécurité, un souci abusif de protéger les flancs d’où le ralentissement de la manœuvre puis sa stagnation. On s’accroche au village, on attend les ordres. Niveau brigade (Cette fois-ci doctrine Grandmaison), bien que l’on attaque pas à outrance on alimente la bataille d’où accumulation excessive des troupes dans le piège à obus et à balles de mitrailleuses. On peut relever toutes les lacunes de l’époque en matière de liaison, qu’elles soient internes ou inter armes.

Ce texte permet très facilement de comprendre le pourquoi de l’enlisement des fronts qui a conduit à l’impossibilité de toute stratégie par faillite de la tactique sur le champ de bataille. Même les allemands, qui possédaient une approche plus moderne du combat (Prédilection pour fixer l’ennemi puis le déborder) finirent par s’entêter dans la lutte frontale. Ce type de procédé appliqué à plus grande échelle a donné la course à la mer, chaque faillite locale a conduit a un nouveau débordement entraînant une nouvelle faillite locale etc.
Cordialement
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Stephan @gosto
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Re: Mont-sur-Meurthe : 26 août 1914

Message par Stephan @gosto »

Bonjour,

Guilhem, encore une fois merci pour ce texte instructif.

Patrick, merci pour tes commentaires très intéressants. Je viens de terminer la lecture de "La chair et l'acier" de Goya. Tes réflexions et celles de Goya vont dans le même sens, et me paraissent très pertinentes. As-tu lu ce livre et, le cas échéant, pourrais-tu me dire ce que tu en as pensé ? Pour ma part, je crois que je place ce livre à côté de ces quelques incontournables piliers de bibliothèque qui nous permettent de vr aiment mieux comprendre certains aspects du conflit.

Amicalement,

Stéphan
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Guilhem LAURENT
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Re: Mont-sur-Meurthe : 26 août 1914

Message par Guilhem LAURENT »

Bonjour à toutes et à tous,

Merci Patrick et Stéphan pour vos réponses.

Je ne suis pas spécialiste dans la tactique militaire, mon binôme au service militaire pourrait vous le confirmer... :lol: mais j'ai apprécié à sa juste valeur votre analyse Patrick. Je m'y rallie modestement.

A la lecture de cette série d'articles (période du 18 au 26 août 1914 pour le 61e R.I.), nous pouvons voir en effet, les lacunes de l'époque, bien connues aujourd'hui, qui auront des conséquences désastreuses :


* erreurs tactiques flagrantes des officiers supérieurs

* où sont les mitrailleuses ?

* où est l'artillerie ?

* inexistance du renseignement

* très mauvaises transmissions



Mais bon, plus de 90 ans après, derrière un ordinateur, il est bien plus facile pour moi d'analyser tout cela...

Patrick, si cela vous intéresse, je peux vous communiquer les deux articles précédents qui reviennent sur l'épisode malheureux de Dieuze, les 19 et 20 août 1914.

Bien cordialement à vous

Guilhem LAURENT
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patrick corbon
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Re: Mont-sur-Meurthe : 26 août 1914

Message par patrick corbon »

Bonjour à tous, bonjour Stephan, bonjour Guilhem,

Merci Stephan pour la référence car je n'ai pas lu "La chair et l'acier" de Goya. Je vais tâcher de me procurer ce livre qui paraît intéressant. Pour les autres extraits, merci Guilhem, je tâcherai de les récupérer via la BNUS de Strasbourg si je ne les ai pas déjà.

Effectivement ce texte est très riche en enseignements. Il est d'autant plus intéressant que l'historique sommaire du 61 est plus que succinct sur ce combat. Dommages que l'on ne connaisse pas la situation amie au sud et au nord de Mont. Pour la poursuite de l'action décrite cela n'a pas du être simple car face à Mont il y avait la 4 ID allemande renforcée apparement d'une brigade d'ersatz de la garde. Si tu es intéressé j'ai les cartes des positions allemandes les 24/08 et 3/09 (Extraites de schlacht in Lothringen und die Vogesen). Je dois avoir aussi la "la manœuvre de Lorraine" de Pugens et la bataille de Lorraine de Stoehr.

Cordialement
Patrick
Yvick Herniou
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Re: Mont-sur-Meurthe : 26 août 1914

Message par Yvick Herniou »

Bonjour à tous,

Bravo pour ce débat qui en rappel bien d'autres pour beaucoup d'unités au contact avec l'ennemi. Il est vrai qu'en lisant ce remarquable document présenté par Guilhem, j'ai l'impression de relire un certain nombre de témoignages qui parlent de désorganisation et d’improvisation ! On est loin de l’offensive à tout prix.

Pour la période d'août 1914, les demandes en appui (artillerie et génie) sont énormes mais la mobilisation des moyens restent sur les axes principaux et les fantassins, quel que soit la subdivision d'arme : lignards, chasseurs, légionnaires, coloniaux, zouaves..., font ce qu'ils peuvent devant une machine allemande qui avance malgré des résistances fantastiques.

Les mitrailleuses ? Vaste sujet de mécontentement !! Elles appartenaient à l'artillerie en 1870. Seule l’artillerie géraient et le résultat est connu. Il suffit de lire les règlements d'utilisation de l’époque de ces pièces automatiques. Pourtant, les unités (régiments, bataillons) ont été dotées de ces armes au pouvoir de tir efficace bien avant 1914. Mais il en aurait fallu beaucoup plus puisque les compagnies dans les bataillons n’avaient, bien souvent, la priorité du combat et devaient manœuvrer malgré tout !

Les transmissions d’ordres, de consignes et autre compte-rendu restent également un sujet de mécontentement. Pourtant, des témoignages rapportent l’histoire incroyable des agents de liaison. Mais il est vrai que le moment est résumé pour la plupart du temps au système D du coureur ainsi qu’à la chance.

Quant aux renseignements, rapidement dépassés par les informations les plus diverses, n'arrivent plus à donner l'essentiel sur l'ennemi. Les synthèses de situation arrivent bien souvent trop tard ou sont inexploitables voire inexploitées… pour les divisions de cavalerie comme les divisions d'infanterie. Les renseignements sont comme tous les services d'état-major, ils n'ont pratiquement plus d'yeux. Et les positions des unités changent.

Beaucoup d’officiers, supérieurs comme généraux, de l’époque n’ont pas rempli leur mission dès le début des combats. Ils n’étaient pas à la hauteur de ce que la situation imposait. Il suffit de lire les ouvrages sur les généraux. Ces officiers étaient plus carriéristes et visaient surtout un statut social. Enfin, n’oublions pas l’affaire des fiches qui a ralenti un nombre important d’officiers dans leur carrière au dépens de certains qui ont vu leur promotion rapide « comme l’éclair ». Il suffit de se rappeler du commandant Driant et de ses camarades de promotion pour voir les différences !
Par contre pour Polytechnique, l’arme savante, destinait les officiers qui passaient par cette école aux armes de l’artillerie et du génie.

C'est vrai aussi derrière le PC c'est très facile de faire et de démolire les situations ! Je suis d'accord avec Guilhem.

Pour les deux articles, si c'est encore possible, je serais intéressé. Merci d'avance.

Cordialement,
Yvick Herniou
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Guilhem LAURENT
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Re: Mont-sur-Meurthe : 26 août 1914

Message par Guilhem LAURENT »

Bonjour à toutes et à tous,

Merci pour vos réponses. Je m'absente durant deux jours. Yvick et Patrick, à mon retour, je mettrai en ligne les deux articles précédents afin que tout le monde puisse en profiter, et donc, connaître un peu mieux les combats qui ont précédé ceux de Mont-sur-Meurthe, autour de Dieuze, les 19 et 20 août 1914. Patrick, si tu peux scanner les positions allemandes, ce serait bien. De mon côté, j'insèrerai mon modeste croquis dans les jours qui viennent. Pour les deux bouquins que tu cites à la fin de ton message, s'il y a un passage sur ces combats, je suis preneur. Je ne sais plus si j'ai l'état des pertes pour ces combats de Mont-sur-Meurthe. Il me semble bien que je dois avoir cela quelque part...

Pour ce qui est du témoignage de Guigues, n'oublions pas qu'en tant que lieutenant, il commandait alors la 9e compagnie. Il était au coeur des combats, et donc concerné à plus d'un titre par ces faits subis ou provoqués. Quelques années plus tard, au début des années 30, devenu lieutenant-colonel, il décrit ses évènements sans préciser qu'il était à la tête de cette compagnie. Les lecteurs de l'article, ne peuvent savoir que le "commandant de la 9e compagnie" et le lieutenant-colonel Guigues ne font qu'un. Si vous lisez bien son témoignage, il me semble que le "travail", le mérite, de cet officier sont quand même mis un peut trop en valeur...

Bien cordialement à vous.

Guilhem LAURENT
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mounette_girl
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Re: Mont-sur-Meurthe : 26 août 1914

Message par mounette_girl »

Re-bonjour à toutes et tous.
Dans un autre fil, j'ai évoqué les autres combats en Lorraine occupée (Moselle), car ça "chauffait" aussi du côté de Frémery, Oriocourt etc..., les 19 et 20 août 1914 ! Je pense utile d'en reparler ici.

Voici ce qu'en a dit mon grand-père (à ce moment là au 146° RI - 9° Cie - Troupes de couverture) :

Lettre non datée, de G. Ducloux (autour du 15 août) :
"Vendredi 1 heure du matin - Aux avants-postes.
Je te griffonne 2 mots à la lumière d'une bougie après une vive alerte sur Chambrey que nous occupons. Je t'envoie cette carte par un douanier qui fera de son mieux pour la faire parvenir
--- Cela va chauffer je crois. Que Dieu nous garde.

Sur agenda de G. Ducloux - Mercredi 19 août 1914 :
"1 heure - Toujours en station près de la grand gare - Froid vif.
3 h 1/2 petit jour - Rejoignons emplacement petit poste - Patrouille va fouiller jusqu'à Laneuveville- Rencontre uhlans quittant pays - Rapport du lieutenant Etienne au Commandant - À 5 heures, ordre offensive générale - Compagnie nous rejoint - Le 5° hussards passe pour éclairer 146° régiment - Sommes à gauche du bataillon - Viande et café portés à dos - Suivons la voie ferrée de Château-Salins en disposition combat.
Arrivée gare Oriocourt - Croix rouge flotte sur couvent - En face nous, Delme, au pied côte - Passons à gauche Laneuveville tranchées et fils de fer - Viviers - Faxe - Descente vallée de la Nied, traversée près Oron , en position près du cimetière de 3 h à 5 h - Mangeons conserve avec lieutenant - À droite, allemands occupent Lucy - leur artillerie démolie par la nôtre installée en face - À 7 heures arrivons à Fremery abandonné - Feu, café, oeufs - Couchons grange.

Jeudi 20 août 1914 :
Réveil 3 h 1/2 - Café - Commandant fait rentrer dans les granges se reposer - 5 h, obus et balles crépitent - Sortons de Fremery à droite, rampant fossé - 12° part en avant - Ennemi dans le bois tire sans se faire voir, appuyé par artillerie qui met feu au village - Tenons tête une heure - 12° se replie - Capitaine attend ordre - puis décide gagner ferme à gauche - traversons vivement village, glissons dans une pâture - Allemands avancent en tirant - Je suis blessé au bras gauche - Munier me fait pansement - Adieu - Allemands montent - Je me traîne - Caporal Guirmot blessé - Dabsboury et quelques hommes font feu dans une avoine sur les allemands qui montent village - Me rejoignent et lentement battent en retraite - Repasse à Viviers où je me cache fagot - Obus tombent sans relâche - Oriocourt flambe - Je suis voie ferrée Fresnes - La tuilerie et la forêt de Gremecey - Convoi + (croix rouge) du 18° corps amène à Bioncourt , puis à Brin où l'on couche."

Amicalement.
Mounette.

Pour info :
Chambrey (57170)
Laneuveville-en-Saulnois (57590)
Oriocourt (57590)
Oron (57590)
Lucy (57590)
Fremery (57590)
Fresnes en Saulnois (57170)
Gremecey (57170)
Bioncourt (57170)
Brin sur Seille (54280)
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mounette_girl
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Re: Mont-sur-Meurthe : 26 août 1914

Message par mounette_girl »

Bien sûr !
C'est un petit bout d'Histoire, avec un grand H, et ça ne peut pas m'appartenir en propre !
Bonsoir à toutes et tous, et bonne nuit.
Amicalement.
Mounette.
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Guilhem LAURENT
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Re: Mont-sur-Meurthe : 26 août 1914

Message par Guilhem LAURENT »

Bonjour à toutes et à tous,

Merci à Patrick, Stéphan, Yvick, Claude et Mounette pour leurs réponses.

Comme promis, je vous mets quelques documents :

1°) Une carte de la région pour situer le village de Mont (au centre de la carte, au sud de la forêt de Vitrimont, tirée du bouquin de Gabriel Hanotaux "Histoire illustrée de la guerre de 1914", afin de situer Mont-sur-Meurthe.

http://digicoll.library.wisc.edu/cgi-bi ... 41&isize=M


2°) Le croquis dont je m'étais efforcé de faire une copie... Oui, je sais, ce n'est pas terrible, mais cela permet de mieux comprendre le récit du lieutenant-colonel Guigues.


Image


3°) Une photo du pont de Mont sur la Meurthe, ou tout du moins ce qu'il en reste... Il s'agit du pont routier et ferroviaire au nord du village, si j'analyse bien le cliché.


Image


4°) Etat des pertes du 61e R.I. durant cette journée du 26 août 1914 :

- Tués : 11 hommes de troupe
- Blessés : 4 officiers et 168 hommes de troupe
- Disparus : 66 hommes de troupe

Les officiers blessés sont : Capitaine Canac, lieutenants Stéphanopoli, Turrel et Preud'homme. Attention, je ne suis pas certain de l'orthographe.


5°) Etat des pertes du 55e R.I. durant cette journée du 26 août 1914

- Tués : 2 officiers et 73 hommes de troupe
- Blessés : 8 officiers et 244 hommes de troupe
- Disparus : 418 hommes de troupe

Le capitaine Armand Poussardin et le lieutenant Honoré Garceau seront au nombre des victimes. Les officiers blessés sont : les capitaines Genty et Péchou, les sous-lieutenants Dupuy, Causse, Réynouard, Pigourier, Régnault et Delibes.


6°) Les troupes concernées par les combats autour de Mont-sur-Meurthe appartenaient à la 30e D.I. déjà très éprouvée à Lagarde (11 août) et Dieuze (19 et 20 août). Les unités concernaient étaient : 61e R.I., 40e, 55e, 58e et 173e R.I. Voici des extraits de leurs J.M.O. (sauf le 173e que je n'ai pas et le 61e qui n'existe pas) pour les journées des 25 et 26 août. Les pertes totales de la division sont :

- Tués : 7 officiers dont le commandant Jean Anfriani du 173e R.I. et 129 hommes de troupe
- Blessés : 26 officiers et 324 hommes de troupe
- Disparus : 775 hommes de troupes.


journée du 25 août 1914

55e R.I.

Le 55e marche vers le nord-est par la ferme du "corbeau" et arrive au nord-est de Blainville où cantonne le 3e bataillon, le 1er et le 2e bivouaquent entre Dombasle et Blainville.


40e R.I.

5h : reprise de l'offensive. Le régiment marche sur la ferme Leumont, colonnes doubles. Le 58e à droite, le 173e à gauche.

9h : le régiment atteint la ferme Leumont, le 3e bataillon s'établit sur la crête sud. Deux compagnies du 1er bataillon garnissent les ouvrages sur les pentes nord-est. Deux compagnies en réserve dans la ferme. La ferme subit un violent bombardement qui ne cause que des pertes très légères.

15h : le 61e et les deux compagnies du 1er bataillon en réserve enlèvent le bois brûlé (bois entre la ferme Leumont et Charmois).

16h : notre artillerie écrase les allemands dans la forêt de Charmois et dans Charmois.

18h : ordre de se porter en avant. Les allemands sont refoulés sur Mont.

23h : bivouac devant Blainville.


58e R.I.

Cantonnement d'alerte à Blainville.



Journée du 26 août

55e R.I.

Combat de Mont. Le village occupé encore en partie par l'ennemi est dégagé à la baïonnette. Le 55e attaque entre Mont et le bois, les lignes des tranchées ennemies. Les allemands passent la Meurthe et vont occuper la ligne Lunéville – Rehainviller. Plusieurs prisonniers, enlèvement d'une mitrailleuse d'une ambulance. Le régiment a subi de grosses pertes par le feu de nombreuses pièces d'artillerie lourde : environ 300 hommes. Plusieurs officiers ; les capitaines Poussardin, Péchou, le lieutenant Garceau tués, beaucoup sont blessés. Cantonnement à Mont.


40e R.I.

5h 20 : continuation de la poursuite
le XVe corps dans la direction de Lunéville – Hénaménil.
le XVIe corps à droite par Fraimbois – Marainviller.
le XXe corps à gauche par Valhey – Bezanges-la-Petite.

8h : le régiment est à cheval sur la route Blainville – Mont, le 61e en avant attaque Mont ; reçus par un feu intense de mitrailleuses, éprouvés déjà par des obus de gros calibres, certains éléments du 61e refluent vers Blainville où les obus les poursuivent. Le commandant Santini, le capitaine Gruson adjoint au colonel, le lieutenant Touret porte-drapeau, le lieutenant Roman, l'adjudant Santolini arrêtent les fuyards et les ramènent à leur régiment.

15h : prise de Mont.

16h : construction de tranchées sur la ligne 800 mètres sud de Mont jusqu'à la parallèle de la ferme Saint-Antoine.


58e R.I.

Continuation de la poursuite dans la direction de Lunéville – Hénarménil par le XVe corps d'armée. Le bataillon du 58e RI marche derrière deux groupes d'artillerie divisionnaire. Départ de Blainville à 4h 50. Le bataillon traverse la Meurthe sur un pont construit par le Génie allemand et pénètre dans la forêt de Vitrimont. A droite se trouve le XVIe corps d'armée, à gauche le XXe corps d'armée. Le bataillon repousse des détachements ennemis et traverse le pont de Mont. Il atteint la gare de Mont qu'il organise défensivement. Pertes : 25



Tous les états des pertes cités dans ce message sont tirés des archives du 15e C.A., carton 22 N 1052 (S.H.D.)

Voilà les petits plus que je voulais vous communiquer sur ce combat du 26 août 1914.

Je suis preneur si vous avez plus d'infos, sur le 173e notamment, photos de Mont-sur-Meurthe...

Bien cordialement à toutes et à tous

Guilhem LAURENT
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