Mon Grand-Père était-il un "bon tireur"?

ALVF
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Re: Mon Grand-Père était-il un "bon tireur"?

Message par ALVF »

Bonsoir,

La mention des "bons tireurs" apparaît assez souvent dans les JMO et surtout dans les Mémoires.
L'instruction du tir a longtemps été assez négligée en France où l'Empereur Napoléon jugeait que l'important pour l'Infanterie était de tirer vite et par feu de salves.Il faut attendre la Monarchie de Juillet et la création des "Chasseurs d'Orléans" devenus "Chasseurs de Vincennes" pour que l'instruction du tir soit portée à un très haut niveau à partir de 1840 (adoption des carabines) et surtout quand la France se dota de la "carabine à tige modèle 1846" dont le tir extrêmement précis révolutionna la tactique et même la stratégie.Pendant la guerre de Crimée, les Chasseurs et les Zouaves, équipés d'armes "à tige" purent abattre par des tirs individuels de précision des travailleurs et des artilleurs russes à 6 à 700 mètres de distance au grand étonnement de nos alliés anglais.
Ce résultat est le fruit du travail du Duc d'Orléans, des Chasseurs à pied et de l'Ecole de Vincennes qui établirent les bases scientifiques du tir de l'infanterie.
Afin de distinguer les bons tireurs et de stimuler l'émulation individuelle et collective, des récompenses de tir sont créées, assorties d'avantages matériels (gratification, jours de permissions, etc...).On distingue sur les photographies les "bons tireurs" au port d'insignes particuliers que nos ancêtres étaient particulièrement fiers de porter.
Ce sujet se propose de résumer la création de ces insignes.
La source de documentation fut longtemps un excellent article du Professeur Georges Dillemann "Les récompenses de tir" paru en 1991 dans le n° 101 de la Revue de la Société des Amis du Musée de l'Armée où le professeur estime que "l'épinglette d'honneur" semble apparaître en 1855 sous le Second Empire.Ayant acquis récemment une série de très vieux règlements relatifs à l'Instruction du Tir, ayant appartenu au dernier Général de brigade nommé par Napoléon III au début de la guerre de 1870 et blessé mortellement près de Sedan, il est maintenant possible de dater la création de ces épinglettes à 1845 au moins, donc sous la Monarchie de Juillet.
En effet, l' Instruction provisoire sur le tir du 15 juillet 1845 institue dans tous les régiments d'Infanterie des récompenses de tir sous la forme de:
-2 prix de tir attribués aux meilleurs sous-officiers à la suite des exercices annuels (moyenne des tirs) et du concours annuel organisé devant un général au moment de l'Inspection annuelle du Régiment ou du Bataillon formant Corps.
-6 prix de tir attribués aux caporaux et soldats dans les mêmes conditions.
La récompense est l'épinglette à grenade et à chaîne d'argent assortie (l'épinglette était une petite tige destinée à nettoyer les cheminées des fusils et carabines à piston), le 1er Prix est attribué au meilleur tireur du régiment quelque soit son grade.
A noter que l'épinglette de 1845 comporte une étoile au centre de la grenade (L'étoile sera conservée par la seule Gendarmerie après 1885).
Image
Epinglette prévue par l'Instruction du 15 juillet 1845.

Le "Projet d'Instruction sur le tir des carabines d'infanterie avec les balles à culot" imprimé en 1850 reprend les mêmes récompenses en portant le nombre de récompenses des caporaux, sapeurs, clairons et soldats à 9 par Régiment.
L' "Instruction sur le tir du 1er novembre 1867" fixe à 12 le nombre d'épinglettes par Corps, dont une attribuée au 1er Prix à grenade et chaîne d'or.Cette instruction distingue aussi les "tireurs de 1ère classe" qui sont autorisés à porter un an un Cor de chasse brodé sur la manche gauche (brodé or pour les sous-officiers et en drap jonquille pour les caporaux et soldats).La Grenade est ornée de l'Aigle Impérial de 1852 à 1870:
Image
Epinglette du Second Empire (collection Dillemann).
Après "l'année terrible", le meilleur manuel de tir de l'Armée française est le "Manuel de l'Instructeur de Tir du 19 novembre 1872", instrument pédagogique remarquable qui prévoit dans le domaine de notre étude l'attribution des insignes cor de chasse sur la base de 15 sous-officiers et de 90 pour les caporaux et soldats par Régiment (6 sous-officiers et 40 caporaux et soldats dans les bataillons formant corps).
Les épinglettes sont distribuées sur la base de 1 à grenade dorée et chaîne d'argent au 1er Prix, de 10 à grenade et chaîne d'argent et de 14 à grenade et chaîne de cuivre par Régiment (1, 5 et 6 dans les bataillons formant Corps).
Enfin, le "Règlement sur l'Instruction du Tir du 11 novembre 1882" rédigé pour modifier le précédent manuel jugé "trop élitiste" par la République attribue les récompenses de tir sur la base suivante, la Grenade de l'Epinglette est remplacée par un Cor de Chasse (à l'exception de la Gendarmerie qui conserve la grenade):
Image
Image
Les règlements suivants seront simplifiés mais maintiendront les récompenses de tir qui faisaient la fierté de nos ancêtres:
ImageImage
Image
Port de l'Epinglette avec Cor de chasse et de l'Insigne Cor de Chasse par des soldats des années 1880 à 1905 environ.

Pour conclure sur les "Bons Tireurs", ce petit extrait du livre de Henry Jacques Hardouin "L'épopée garibaldienne"-Debresse-1939, où l'auteur évoque son régiment, le 46ème R.I en Argonne en décembre 1914, après un tir d'artillerie sur les organisations allemandes: "...les allemands sortent de leurs tannières...Le Caporal Huget, le premier tireur du régiment attend cette occasion pour faire son carton...".
Ce caporal devait porter fièrement son épinglette les jours de sortie en ville avant le 2 août 1914, désormais, l'instruction du tir porte ses fruits mortels...
Cordialement,
Guy François.
DominiqueCamusso
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Re: Mon Grand-Père était-il un "bon tireur"?

Message par DominiqueCamusso »

Bonsoir
voilà qui vient bien compléter les messages
pages1418/forum-pages-histoire/recompen ... 6144_1.htm
et
pages1418/photos-14-18/uniformes/chasse-sujet_271_1.htm
initiés autour des insignes de tireur d'élite
Merci
Cordialement
Dominique
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Stephan @gosto
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Re: Mon Grand-Père était-il un "bon tireur"?

Message par Stephan @gosto »

Bonjour,

En voici un du 74e qui, semble-t-il, aimait les collectionner.

Image

Bonne soirée.

Stéphan

P.S. Guy, si le temps ne vous manque pas, je vous rappelle ce fil sur lequel vous m'avez laissé un peu sur ma faim :
pages1418/forum-pages-histoire/autre/ca ... htm#t91914
ICI > LE 74e R.I.
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Charraud Jerome
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Re: Mon Grand-Père était-il un "bon tireur"?

Message par Charraud Jerome »

Bonsoir
Guy, j'admire le superbe tireur du 90e. Merci pour le cliché.
Mon grand père, un bon tireur, je ne sais pas. Mais, il semblerait que chaque soldat avait un carnet de tir qui permettait de suivre son instruction au tir.
Voici celui du soldat Collin du 90e RI en 1893 qui fut classé tireur de 1e classe avec un total de 78 points. Ceci lui donnait donc droit à participation aux concours de tir.

Tireur 1e classe: + de 75 pts (Droit à participation au concours de tir)
Tireur 2e classe: + de 35 pts
Tireur 3e classe: moins de 35 pts

ImageImage

Cordialement
Jérôme Charraud
Les 68, 90, 268 et 290e RI dans la GG
Les soldats de l'Indre tombés pendant la GG
"" Avançons, gais lurons, garnements, de notre vieux régiment."
Image
ALVF
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Re: Mon Grand-Père était-il un "bon tireur"?

Message par ALVF »

Bonjour,

Encore un porteur de l'épinglette et de l'insigne au Cor de Chasse, mais il est possible de nommer ce "bon tireur", il s'agit du caporal Louvel Henri du 67ème RI, photographié en 1901:
Image
Caporal Louvel Henri du 67ème RI en 1901.

Cordialement,
Guy François.
nono26
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Re: Mon Grand-Père était-il un "bon tireur"?

Message par nono26 »


Bonjour à tous,

Très intéressant dossier..
Permettez moi une question en léger rapport avec ce sujet..
Qu'en était il en face ?

Il me semble avoir lu que dans les premiers mois de la guerre, nos officiers ont payé un très lourd tribut aux marques très caractéristiques de leur grade qu'ils affichaient, et que sans doute, en face des tireurs "spécialisés" les attendaient...
Qu'en pensez vous ??

Merci en tout cas pour ce beau dossier ...

Très cordialement ...

Nono
ALVF
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Re: Mon Grand-Père était-il un "bon tireur"?

Message par ALVF »

Bonjour,

Merci de votre intérêt pour ce sujet!
Concernant la question de Nono, bien évidemment, l'instruction du tir était très poussée en Allemagne depuis longtemps.
Les Armées de Napoléon ont découvert dans les campagnes de l'est européen l'importance du tir ajusté individuel en étant soumises aux harcèlements des "Jäger" autrichiens équipés d'armes rayées.L'Allemagne n'était pas en reste et les unités de chasseurs prussiens incorporaient traditionnellement des "forestiers", "gardes-chasse", etc...tous habitués à l'utilisation des armes rayées.
C'est d'ailleurs ce qui a amené le Duc D'Orléans à créer les "Chasseurs" portant son nom, futurs "chasseurs de Vincennes puis chasseurs à pied" et à développer l'instruction du tir à un point jusque là inconnu en France.
A l'issue de la guerre de 1870, l'instruction "scientifique" du tir a été un moment en vigueur en France à l'image de ce qui existait en Prusse (tir sur un ennemi masqué par la contre-pente, tir plongeant de l'infanterie, etc...).De très savants ouvrages ont été écrits à ce sujet dans les années 1875 à 1890 en adaptant les pratiques aux nouveautés de l'armement de l'infanterie et aux caractéristiques balistiques des fusils de petit calibre.
Il a été d'usage, surtout en Allemagne, de comparer "l'excellence du tir de l'infanterie allemande" à la "médiocrité du tir de l'infanterie française" de 1870 à 1940.
Tout ceci est à nuancer, il est certain que l'instruction individuelle du tir n'a pas été toujours à la hauteur des circonstances en France où l'importance du tir collectif l'emportait sur le caractère "élitiste" de l'instruction indiduelle du tir.
Il convient toutefois de noter que l'instruction du tir sous la monarchie de juillet et le second empire a été remarquable pour l'époque.
Un simple examen des faits permet de constater:
-que lors des combats de la guerre de 1870-71 sous l'Empire, malgré des désastres importants, les pertes allemandes ont toujours été largement supérieures à celles des Armées impériales, notamment lors des batailles sous Metz et que l'essentiel de ces pertes est imputable au tir de l'infanterie française.
-que lors des combats menés sous le Gouvernement de la Défense Nationale, la proportion des pertes s'inverse, y compris lors des batailles indécises de l'Armée de la Loire.
Ces résultats sont sans aucun doute expliqués par la qualité de l'instruction du tir de l'Armée de Napoléon III, notamment au sein des Chasseurs et de l'Armée d'Afrique.
En 1914, les pertes importantes de la 1ère Division de la Garde lors de la bataille de Guise, notamment à Colonfay, sont dues essentiellement au tir de l'infanterie française (voir les statistiques des pertes de la Garde lors de cette bataille dans un sujet récent).
En 1914, les efforts effectués en dehors de l'Armée pour développer en France la pratique du Tir n'ont été en rien comparables à ce qui existait en Allemagne où les Sociétés de Tir étaient très nombreuses.Il serait d'ailleurs très intéressant, quitte à réveiller une guerre "nord-sud" (!), de comparer la pratique locale du tir en dehors de l'Armée en France.Les gros bataillons de tireurs "civils" sont situés dans le quart nord-est du pays ce qui n'exclut pas des variations locales.
A titre d'exemple, voici quels étaient les effectifs de la "Société de Tir de l'Armée Territoriale" de Lyon qui recensait plus de 7000 inscrits, tous habitants Lyon et sa banlieue.L'Armée accordait annuellement gratuitement 30 cartouches par personnel inscrit, vendait à prix très compétitifs des cartouches de guerre à la Société et lui détachait 40 fusils modèle 1874, 10 fusils modèle 1874-85 et 40 fusils modèle 1886 plus 5 revolvers, entretenus par ses soins.
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Effectifs de la Société de Tir de l'Armée Territoriale de Lyon en 1900.
Voici enfin le modèle de l'épinglette de tir du second empire, schéma tiré de: "Instruction sur le Tir de 1867":
Image
Cordialement,
Guy François.
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Achache
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Re: Mon Grand-Père était-il un "bon tireur"?

Message par Achache »


Les gros bataillons de tireurs "civils" sont situés dans le quart nord-est du pays ce qui n'exclut pas des variations locales.
Je ne sais pas ce qu'il en était ailleurs, mais il y avait une Société de Tir jusque dans mon petit village, qui, effet, se situe dans le Nord Est... -et j'ignore si mon grand père était bon tireur, mais il était trésorier de cette Société...

A titre documentaire, pour ceux que ces Sociétés intéressent, voir leur journal :

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb3287 ... nal.langFR

Bien à vous,

[:achache:1]
Achache
Émouvante forêt, qu'avons-nous fait de toi ?
Un funèbre charnier, hanté par des fantômes.
M. BOIGEY/LAMBERT, La Forêt d'Argonne, 1915
ALVF
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Re: Mon Grand-Père était-il un "bon tireur"?

Message par ALVF »

Bonjour,

Pourquoi faut-il que le journal "Nord Eclair" se croit obligé de préciser que le stand de Tourcoing n'était fréquenté en 1914 que par des "patrons"!
Je doute qu'il y ait eu 3000 patrons à Tourcoing en 1914 de même que 7000 à Lyon à la même époque!
On doit trouver plus facilement les "patrons" dans les "grandes" parties de chasse qu'au stand de tir!
Il est certain qu'un fusil de guerre coûtait cher en 1914, c'est d'ailleurs pour cette raison que l'Armée avait détaché près d'une centaine d'armes à la Société de tir de l'Armée Territoriale de Lyon comme je l'ai mentionné plus haut.
Membre de la Fédération Française de Tir depuis près de quarante ans dans de multiples sociétés de tir civiles et militaires, je peux témoigner que le tir était, est et restera encore longtemps, je l'espère, un sport POPULAIRE (au sens propre du mot!), n'en déplaise aux journalistes en mal de sensation et aux nostalgiques d'on ne sait quel ordre social à construire!
Cordialement,
Guy François.
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Re: Mon Grand-Père était-il un "bon tireur"?

Message par Piou-Piou »

Bonjour,

Pourquoi faut-il que le journal "Nord Eclair" se croit obligé de préciser que le stand de Tourcoing n'était fréquenté en 1914 que par des "patrons"!
Je doute qu'il y ait eu 3000 patrons à Tourcoing en 1914 de même que 7000 à Lyon à la même époque!
On doit trouver plus facilement les "patrons" dans les "grandes" parties de chasse qu'au stand de tir!
Il est certain qu'un fusil de guerre coûtait cher en 1914, c'est d'ailleurs pour cette raison que l'Armée avait détaché près d'une centaine d'armes à la Société de tir de l'Armée Territoriale de Lyon comme je l'ai mentionné plus haut.
Membre de la Fédération Française de Tir depuis près de quarante ans dans de multiples sociétés de tir civiles et militaires, je peux témoigner que le tir était, est et restera encore longtemps, je l'espère, un sport POPULAIRE (au sens propre du mot!), n'en déplaise aux journalistes en mal de sensation et aux nostalgiques d'on ne sait quel ordre social à construire!
Cordialement,
Guy François.

Bonsoir ou bonjour à toutes et tous,
Bonsoir ou bonjour Guy François,

Tireur depuis un peu plus de trente ans, F.S.T.N, licencié tir sportif de précision et récréatif.
En effet les journalistes en mal de sensation ou autres, les armes ne servent pas à éloigner l'autres mais rapprochent les hommes dans une même passion pacifique, il suffit de se rendre sur un pas de tir (invité bien entendu).

Menbre du club A.O.C de la base de Florennes et du camp Roi Albert de Marche-en-Famennes tir à 600m.
Vous connaisser peut-être ? rencontrons souvent nos amis Français lors de rencontres inter club ou multi calibres.

Cordialement.
Phil.

P.S : Je suis patron d'une petite entreprise familliale, artisant couvreur, je déteste la chasse mais je participe au tir sur pigeon d'argile, tir aux clays.
Phil.
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