Bonjour à tous,
La lecture du très instructif ouvrage de Georges Guitton, "
La Poursuite victorieuse", publié chez Payot dès
1919, nous mène vers de nouveaux questionnements (un très, très grand merci à l'âme charitable, au bienfaiteur, qui m'a fourni ces pages).
Concernant la journée du 10 novembre, nous y apprenons ceci :
« Entre le canal et la Meuse, au milieu de la longue bande de terrain qu’il faut remonter pour atteindre la deuxième passerelle, voici, hélas, le corps d’un camarade, tombé en avant sur les genoux, la tête touchant terre. Je me penche : c’est un mitrailleur du 3e bataillon,
Jean Cloup, première victime de cette dure journée. »
Avant 10 heures, c’est le sous-lieutenant
Dupin qui est abattu par un tir de mitrailleuse ; son corps est ramené par le sergent
Giez, qui est tué à son tour peu après.
« C’est en dirigeant le repli de sa section, à la 9e, que
l’aspirant Laurent fut frappé, aux côtés du sergent Brugneaux. »
« Cependant, à Dom-le-Mesnil, malgré la vaillance de nos téléphonistes qui risquaient à chaque instant leur vie pour aller sous la mitraille renouer les fils coupés – c’est dans ce va-et-vient que
Charreton fut frappé mortellement […] »
« Quand
Dubois a été tué, pas loin du lieutenant Froutet, c’était des ouragans [
de balles]. »
«
Caporal Beaufils,
caporal Ducrocq, tombés héroïquement à leur poste de combat, en refusant de se rendre à l’ennemi qui les encerclait. »
«
Devertu, caporal à la 3e section, est tué, dans la position à genoux, presque sur le coup. […]
Caroy, qui s’était porté en avant de la maisonnette, est gravement atteint au-dessus du cœur. Charriez se précipite à son secours aux abords d’un tas de rails, et le trouve râlant. »
« Quand
Grelier est tombé, de la 5e, Guérif, malgré son tof-tof (fusil-mitrailleur) qui l’embarrassait bien, est allé le chercher ; et Grelier est mort quasi dans ses bras. Frappés à mort aussi le
sergent D’Hoker, de la 9e, le
sergent Cally, de la 10e, le
sergent Mainguet, de la 11e. »
L'évocation de ces noms permet à présent d'établir une liste plus fine des tués du 10 ou du 11 au sein du 415e RI, selon leur affectation et leur lieu d'inhumation originel, lorsqu'il est connu ("D-l-M" pour Dom-le-Mesnil, "V-M" pour Vrigne-Meuse) :
2e compagnie
(V-M) BETHUIZEAU Alfred
(V-M) DUBOIS Julien Ferdinand
(V-M) GUEDON Ernest (tué le 10, à 8 heures)
3e compagnie
(V-M) ACHILLE Julien
(V-M) DELMAS Paul
(V-M) JOUVE Noël Henri
(V-M) LACAPERE Gérard
(V-M) LAURENT Auguste, aspirant (tué le 10)
5e compagnie
(V-M) CARROY Léon (tué le 10)
(V-M) DEVERTU Paul (tué le 10)
(V-M) RENARD François
6e compagnie
(D-l-M) DUPIN Charles Alexandre, sous-lieutenant (tué le 10, à 9 heures)
(D-l-M) GARREAU Julien (tué le 10, à 10 heures)
(D-l-M) GIEZ Just (tué le 10)
(V-M) GRELIER André (tué le 10)
(D-l-M) MARDUEL Jean Louis
(D-l-M) NICOLAÏ Sébastien (tué le 10, à 8 heures)
7e compagnie
(V-M) FABRE Léon
(V-M) LEMAITRE Edouard Marcel
9e compagnie
(V-M) COSTE Roger
(V-M) D’HOKER Marius (tué le 10)
(V-M) TREBUCHON Augustin
(V-M) WUILLAUME Henri
10e compagnie
BACON Roger (tué le 10, à 14 heures)
(V-M) BEAUFILS Narcisse (tué le 10)
(D-l-M) CALLY Théodore (tué le 10)
(V-M) GACHET Jean
11e compagnie
(V-M) BALLARIN Blaise
(D-l-M) MAINGUET Samuel, sergent (tué le 10)
(V-M) MONTAGNE Adolphe (tué le 10, à midi)
(V-M) RIBO Henri
CM1
(V-M) REYNAUD Henri
(V-M) SICARD Thomas
CM2
(D-l-M) SOUCAZE Thomas
CM3
(D-l-M) CLOUP Jean (tué le 10)
(V-M) CORS Henri
(V-M) HOUIS Emile
(V-M) JAMOT Emile
CHR
(D-l-M) CHARRETON Louis (tué le 10)
1er bataillon
(V-M) IMBAULT Raymond
3e bataillon
(V-M) SALUT Victor
Affectation inconnue
(V-M) BOURROUILH Jean Pascal
(V-M) DUCROCQ Julien Emile (tué le 10)
(D-l-M) DUPOUY Adrien
HARNICHARD Louis
MICHELAND Louis
(V-M) PRORIOL Jean
(V-M) VIGROUX Camille
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Le 11 novembre, Guitton note : « 10 h. 45. Une salve de 150 s’abat sur Dom-le-Mesnil. 10 h. 57. Les mitrailleuses tirent des deux côtés. » Le 12, Dupin et Charreton ont déjà été inhumés à Dom-le-Mesnil. Il ajoute : « Dans la soirée du 11 et la matinée du lendemain, on rapporta dans ce même village encore une dizaine de corps. Mais pourquoi ramener en-deçà de la Meuse ceux qui avaient eu le cœur de la franchir ? Ne serait-il pas plus glorieux pour eux de reposer là où ils étaient tombés ? On fixa donc aux brancardiers comme point de rassemblement le cimetière de Vrignes-Meuse. […] Le mardi soir, trente-trois corps étaient alignés dans l’église de Vrignes. »
C'est le 13 novembre que le plus surprenant reste à lire, avec
la découverte des corps de Trébuchon et Coste :
« Vers 7 heures, tandis que le régiment s’ébranlait, on vint me signaler encore deux cadavres qui n’avaient pu être relevés, dans les bois, à quinze cents mètres au Nord de la fabrique de phosphates. Comment les transporter ? Les sapeurs étant déjà partis pour Vrignes, je résolus de faire appel à la population civile de Dom-le-Mesnil. A la messe de huit heures et demie, j’exposai mon embarras et demandai s’il n’y aurait pas, dans le village, des hommes robustes qui accepteraient de venir m’aider. De toutes parts, je vis de suite des têtes faisant signe que oui. « Et s’il y a aussi, ajoutai-je, des jeunes gens ou des enfants qui veulent se joindre à nous, ils pourraient battre les taillis et les ravins, pour bien s’assurer que nous ne laissons personne sans sépulture… » Toutes les têtes des enfants de chœur s’inclinèrent d’un seul coup et des oui, oui, montèrent vers l’autel. Voyant cet empressement, je poursuivis : « S’il y a même d’autres personnes du village qui désirent nous accompagner, elles seront les bienvenues ; on n’est jamais trop, quand il s’agit de faire cortège à nos Morts et de prier pour eux. » Je donnai rendez-vous à tout le monde devant l’église pour 11 heures.
Quand, à l’heure dite, j’arrivai sur le perron du presbytère, je trouvai bien là tous les éléments valides de Dom-le-Mesnil : porteurs de brancards, enfants de chœur au complet avec la croix de procession, chantres, femmes et jeunes filles, dont plusieurs avaient le chapelet en main, vieux et vieilles, quelques-uns marchant avec deux bâtons – « Quoi ? Grand-mère, vous aussi ! – Je crois bien : on me donnerait cent francs pour ne pas y aller que je les voudrais pas ! »
Et je partis de l’avant pour cacher mon émotion. D’emblée, je venais d’acquérir la conviction que nos braves enfants du 415e ne seraient pas oubliés. J’allai tout d’une traite jusque de l’autre côté des passerelles. Là, on fit halte, pour attendre les retardataires, sur le tertre qui avait, dimanche matin, abrité le P.C. du 1er bataillon. De cette élévation, comme d’une pointe d’éventail, l’œil, par ce temps radieux, embrassait tout le vaste hémicycle où s’était déroulée la bataille, les collines boisées au Nord, et à droite les pentes dénudées de la cote 249 ; il fut facile de retracer les principales phases du combat. Mais pendant tout ce récit, quelle flamme dans les yeux qui se fixaient sur moi ! Les fronts – surtout des jeunes gens – étaient plissés, les regards tendus. Manifestement, tous faisaient effort pour graver en leur mémoire les épisodes racontés et les noms de ceux qui avaient dirigé la lutte.
Puis on se remit en marche, lentement, à cause des barbelés où les robes s’accrochaient. On contempla longuement le talus du chemin de fer, avec ses niches individuelles creusées tout du long à un mètre l’une de l’autre : c’est là qu’ils s’étaient repliés, là qu’ils avaient tenu tout un jour, là qu’ils avaient dormi, là que plusieurs avaient été tués. C’est derrière une de ces mottes de gazon que tu t’étais mis à l’abri, pauvre ami N***
[ce doit être Sébastien Nicolaï], croyant être en sécurité. Mais tu commis l’imprudence de lever la tête, une demi-seconde seulement ; c’en fut assez : un d’en face t’avait aperçu. Il braqua sa mitrailleuse sur ton frêle rempart ; il le laboura du sillon de ses balles, il le faucha rageusement, faisant voleter la terre autour de ta tête, il le rasa… et ton casque ne fut pas assez fort… Nous récitâmes une prière pour toi, pour les autres, et l’on passa.
A la fabrique de phosphates, la colonne se scinda, les uns montant à gauche, à pic, par les clairières, les autres suivant le creux du ravin par lequel dimanche, entre 9 et 10 heures, s’était glissé le gros de l’infiltration allemande. On fouillait avec soin tous les taillis, tous les fourrés, où un de nos braves aurait pu se traîner pour mourir. Il y eut près d’une demi-heure de recherches, dans un silence émouvant : l’œil cherchait à voir, mais redoutait encore plus de trop trouver… Puis soudain, en haut, vers la droite, des clameurs ; des enfants accourent à bout de souffle, en faisant de grands signes.
Ils avaient trouvé Trébuchon ; Coste était à une centaine de mètres plus au Nord dans le coin d’une clairière… Tandis que les plus vaillants continuaient à battre les bois en avant, les deux cadavres avaient été rapprochés ; et les enfants, les femmes, les vieux s’étaient massés tout autour, pleurant et priant. Aussitôt, les chants liturgiques commencèrent. Je ne crois pas que jamais levée de corps fut plus touchante. Les assistants sentaient si bien qu’ils avaient ici la mission de remplacer les familles absentes, qui ne savaient rien encore de la triste vérité, et qui peut-être, à la suite de l’armistice, étaient en train d’écrire à leurs enfants des lettres de joie sur leur prochain retour !
On se mit en procession, la croix en tête ; et le cortège se dirigea lentement, à mi-pente de la cote 249, droit en direction du clocher de Vrignes-Meuse. Tout le long du trajet, la psalmodie alterna avec les prières. […] »
Le lieu où les fractions se sont séparées pour partir à la recherche de corps est "la Carcanerie" chez Grasset :
Chez Guitton, il s'agit donc de "la fabrique de phosphates" :
Ce lieu est à présent "L'Equarrissage" :
La portion encadrée en rouge me semble correspondre au secteur où les corps de Trébuchon et Coste auraient été retrouvés, avant que la procession ne parte vers Vrigne-Meuse (flèche bleue), à "mi-pente" vers le clocher du village. L'on est loin d'un talus de voie de chemin de fer où le corps de Trébuchon est censé avoir été retrouvé par Gazareth :
http://www.leparisien.fr/espace-premium ... 302379.php
L'on est également loin de la formule "Où est donc passé Trébuchon ? [...]
On ne cherche pas bien longtemps."
https://books.google.fr/books?id=uIthDw ... er&f=false
De quoi soulever bien des questions, dont celle-ci : pourquoi le témoignage de Gazareth est-il
uniquement - ou presque, à très peu de choses près - celui sur lequel s'appuie l'histoire de Trébuchon telle que racontée, reprise, relayée depuis près de 20 ans, en faisant fi de celui de Guitton ?
Bien cordialement,
Eric Mansuy