Les condamnations des cours martiales américaines

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air339
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Re: Les condamnations des cours martiales américaines

Message par air339 »

Bonjour Eric,


Merci pour le partage de cette étude. Si je lis bien, il est trop tôt pour en tirer des conclusions, les cas relevés n’étant pas tous avérés. Il est intéressant de voir la justice nord-américaine se pencher sur ces accusations graves, et cela demanderait une contextualisation :

- Est-ce propre au fonctionnement de la justice nord-américaine ?
- Ceci faisait-il suite à des campagnes de presse ?
- Y avait-t-il un enjeu politique, par exemple anti-Wilson ?

Sans vouloir minimiser ces accusations, il est avéré dans toutes les armées (dans tous les groupements humains) que l’autorité conférée tend à dériver et conduit à de graves abus, indiquant des pratiques culturelles d’autant plus révoltantes qu’elles sont éloignées des nôtres. L’AEF ne se conduit pas bien différemment des autres armées, et les discours sur la défense de la « Civilisation », du « Droit » sont essentiellement à destination des civils et des pays neutres, nos « PCDF » l’avaient bien compris !

Ces cas renvoient aussi vers la notion de témoignage : le discours socialement admis (un soldat pendu par les pouces, qui pourrait croire cela en France ? un mythe, une rumeur ne prend que sur une croyance préexistante), la sincérité des témoins, la fiabilité de leur mémoire (des quantités d’expérimentations, les avancées de la neuro-science montrent combien la mémoire reconstruit un événement !).

Bien cordialement,

Régis
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Eric Mansuy
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Re: Les condamnations des cours martiales américaines

Message par Eric Mansuy »

Bonjour à tous,
Bonjour Régis,

Pour essayer de répondre à tes intéressantes questions :

"Est-ce propre au fonctionnement de la justice nord-américaine ?"
Une constante du fonctionnement de la démocratie américaine consiste à tenter de faire la lumière, au Congrès – que ce soit à la chambre des représentants ou au sénat – sur certains événements susceptibles de poser question, ou sur lesquels l’attention dudit Congrès a été attirée. Ainsi est-ce dans le cadre d’une commission des affaires militaires de la chambre que le général Pershing est entendu quant aux pertes américaines du 11 novembre 1918, le 5 novembre 1919 ("Army Appropriation Bill, 1920: Hearings Before the Committee on Military Affairs, House of Representatives, Sixty-fifth Congress, Third Session"). 50 ans plus tard, c’est cette même chambre des représentants qui enquête et auditionne sur le massacre de My Lai. Concernant le sénat, nombreuses sont ses commissions d’enquête restées célèbres : pour ne citer que le domaine militaire, la commission sur la conduite de la Guerre de Sécession, la commission d’enquête sur l’attaque de Pearl Harbor, la commission sur les forces armées et la sous-commission sur le renseignement dans le cadre de l’affaire dite des "Pentagon Papers", la commission sur l’aide militaire secrète (dite "Irangate" et "Contras" du Nicaragua), dans le domaine politique, la commission spéciale sur la campagne présidentielle (le célèbre scandale du Watergate).

"Ceci faisait-il suite à des campagnes de presse ?
Y avait-t-il un enjeu politique, par exemple anti-Wilson ?
"
Les faits nous montrent que l’une ou l’autre de ces deux démarches est généralement le point de départ d’une enquête et / ou de la création d’une commission ou sous-commission : la révélation dans la presse d’un événement particulier, ou l’envoi de courriers par un citoyen ou un groupe de citoyens à l’adresse de l’une des composantes du Congrès. Dans une contextualisation historique, je reprendrai l’un des exemples que je citais ci-dessus : l’attention du sénat sur la dégradation de la situation militaire au Vietnam est attirée très tôt, dès janvier 1966, par un journaliste ayant interviewé plus de 200 soldats, lequel en informe le sénateur Fulbright par courrier ; les « auditions télévisées » initiées par ce dernier, même si elles ne mèneront pas au retrait américain, vont causer une profonde érosion de l’adhésion du peuple à l’engagement militaire, le soutien de la population au président passant de 63% avant le début des débats à 49% après ceux-ci. Il y a ici un excellent exemple de la manière dont peuvent fonctionner ces commissions, au-delà d’engagements politiques partisans : le sénateur J. William Fulbright et le président Lyndon B. Johnson étaient certes tous deux démocrates, mais également des adversaires acharnés, en particulier dans le domaine des droits civiques. Le sénateur a-t-il saisi cette occasion, début 1966, pour s’opposer à nouveau frontalement au président ? Possible.
Dans le même ordre d'idées, Ron Ridenhour, début 1969, écrivait au Congrès au sujet du massacre de My Lai (je traduis) : "J'avais pensé envoyer tout ceci à des journaux, des magazines, et des chaînes de télévision, mais j'ai le sentiment qu'une enquête et une action du Congrès des Etats-Unis est la procédure adéquate, et en tant que citoyen consciencieux, je ne souhaite pas ternir l'image du soldat américain aux yeux du monde."

Pour en revenir à ce qui nous occupe, j’ai déjà eu l’occasion de mettre en ligne ce qui concerne les pertes américaines du 11 novembre 1918, et les tenants et aboutissants purement politiques de cette affaire : viewtopic.php?t=11016
Pour les auditions de 1921-1922 sur les exécutions dans un cadre légal et les exécutions "extrajudiciaires", l’affaire débute à l’initiative de Thomas Watson, sénateur de Géorgie, qui était opposé à l’entrée en guerre des Etats-Unis et au "Selective Service Act". Il est alors membre du Sénat en tant que démocrate, alors que le président Harding est républicain. Dans le même temps, la 67e mandature du Congrès, siégeant de mars 1921 à mars 1923, a la même couleur politique que Harding, avec une majorité républicaine à la chambre tout comme au sénat. L’on pourrait donc y voir une forme de revanche des républicains sur les démocrates, dont le « président du temps de guerre », Wilson. Peut-être n’est-ce pas si simpliste mais pas impossible : en 1966, Fulbright et Johnson étaient des adversaires au sein d’un même camp ; en 1918, la situation était identique avec Watson et Wilson.

Le 21 novembre 1921, le sénateur Brandegee prend la présidence de la commission qui enquêtera sur les exécutions, et surtout les soupçons d’exécutions extrajudiciaires. Il est républicain. La commission, sous sa présidence, comprend quatre autres sénateurs : Ernst (républicain), Willis (républicain), Overman (démocrate), Shields (démocrate). Voilà pour le pan politique de l’affaire.

En ce qui concerne la manière dont elle a débuté, il faut remonter au 31 octobre 1921, en séance. Le sénateur Thomas Watson, que j’ai mentionné ci-dessus, fait alors une déclaration que je vous traduis (elle fait suite à la publication de plusieurs articles du Washington Times du 31 octobre 1921 sur la convention annuelle des anciens combattants à Kansas City (à laquelle Foch assistait, d’ailleurs)) : "Il n’y eut pas de censure du courrier privé au cours de la Guerre de Sécession, de la Guerre d’Indépendance, de la Guerre de 1812 ou de la guerre contre l’Espagne. Dans la guerre menée au-delà de l’océan, la censure la plus inflexible a prévalu, et nul soldat n’a pu informer ses amis, qui auraient pu en faire écho à l’entour, de la façon dont ils étaient traités. Notre peuple n’a jamais rien su des pratiques barbares infligées à nos soldats avant que les troupiers ne reviennent au pays et ne se mettent à révéler une partie de ce qu’ils avaient connu. Comme je recevais des anciens combattants à mon domicile, j’étais impressionné par les pauses qu’ils marquaient à certains moments. Il y avait des choses qu’ils ne voulaient pas dire, et ces choses ont été tues. "Hard-Boiled Smith" [Smith le dur-à-cuire] n’était pas un cas isolé quant au traitement brutal des hommes sous son commandement, alors qu’il se trouvait si loin de nous qu’il n’imaginait pas que sa sauvagerie envers les soldats puisse être entendue en Amérique. Combien sont les sénateurs qui savent qu’il n’était pas rare qu’un deuxième classe soit abattu par ses officiers pour s’être plaint de leur insolence ? Que sur des potences, étaient pendus des hommes, jour après jour, qui n’étaient pas passés en cour martiale ou n’avaient pas été traduits en justice ? Combien sont les sénateurs qui le savent ? J’ai eu, et ai encore, la photographie de l’une de ces potences, sur laquelle, quand elle a été prise, 21 hommes blancs avaient déjà été exécutés à l’aube, pendant que d’autres attendaient leur tour dans les prisons des camps, matin après matin."

Avant que ne soit créée la commission ad hoc, d’autres déclarations vont être faites devant le sénat, car le sénateur Watson commence à recevoir quantité de lettres, au moment où des témoignages sont en outre publiés par la presse de différents états. Il évoque les pendaisons de Gièvres le 1er novembre, puis celles de Bazoilles-sur-Meuse et l’affaire Frey le 3 novembre, les pendaisons d’Is-sur-Tille le 4, des exécutions sommaires et des exactions le 5 et le 7.

Au final, ce qui semble avoir motivé Watson dans sa quête de la vérité sur le sujet a plusieurs aspects :
- une opposition à l’entrée en guerre des Etats-Unis et à la conscription : leur corolaire a été l’expression d’un militarisme dont il dénonce ouvertement la pire facette, à savoir la cruauté dont les conscrits ont fait l’objet, le plus souvent de la part d’une caste d’officiers de profession. Cette position lui fera d’ailleurs prêter le flanc à une critique selon laquelle son seul et unique objectif est de souiller l’armée américaine, à laquelle nul ne saurait s’en prendre, puisqu’elle a vaincu pour la liberté du monde et la sauvegarde de ses droits ;
- le dégoût affiché d’un secret d’état, une omerta militaire censément fondée sur le fait que, en quelque sorte, « la fin justifiait les moyens » : comment aurait-on pu vaincre sans l’adhésion pleine et entière, l’obéissance de la troupe ? Rien de nouveau ici en ce qui concerne l’opposition à la pratique d'un autoritarisme exubérant et de la justice militaire, certes, mais ce qui est plus nouveau est la volonté de mettre en lumière le recours aux exécutions sommaires ou extrajudiciaires ;
- la défense du "petit peuple" : Thomas Watson, qui n’était pas qu’un "démocrate par défaut", si l’on peut dire, a surtout été deux fois candidat à la présidence des Etats-Unis, en 1904 et 1908, en tant que représentant du Populist Party, se distinguant par sa défense des petits exploitants et des Afro-Américains (rappelons que Thomas Watson était un géorgien blanc) ; cependant, mieux vaut ne pas avoir la naïveté de chercher chez Watson une forme de militantisme égalitaire ou la lutte d’un héraut des droits civiques, comme a pu l’être W.E.B Du Bois à la même période, car le personnage a des facettes plus ambiguës, pour ne pas dire plus sombres.

Quant à la "mémoire reconstruite" d’un événement, si traumatisant soit-il, les auditions menées en 1921 et 1922 auront en effet la vertu de montrer à quel point certains souvenirs prétendument prégnants ont pu devenir imprécis, ne serait-ce que seulement 2 à 3 ans après les faits en question. Finalement, certains témoignages s'avèreront rapidement irrecevables, car soit infondés, soit farfelus, entre autres.

Bien cordialement,
Eric Mansuy
"Un pauvre diable a toujours eu pitié de son semblable, et rien ne ressemble plus à un soldat allemand dans sa tranchée que le soldat français dans la sienne. Ce sont deux pauvres bougres, voilà tout." Capitaine Paul Rimbault.
air339
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Re: Les condamnations des cours martiales américaines

Message par air339 »

Bonsoir Eric,



Merci pour ces réponses étayées, je vois que le sujet est largement maîtrisé !

Comment comprendre ces "pratiques barbares", selon les terme du sénateur T. Watson ? Il me semble que l'intervention américaine aux Philippines avait aussi eu de tristes échos...


Bien cordialement,

Régis
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Eric Mansuy
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Re: Les condamnations des cours martiales américaines

Message par Eric Mansuy »

Rebonsoir,

Une synthèse on ne peut plus officielle, œuvre du service des archives du Congrès (qui fait suite à une première synthèse du Département d’Etat des années 1960), présente les « occurrences de l’emploi des forces armées américaines à l’étranger de 1798 à 2016 ». Ce document pour le moins original, outre le fait qu’il nous révèle qu’il s’est rarement écoulé une année durant laquelle les Etats-Unis ne soient intervenus à l’étranger, souvent « pour protéger leurs intérêts », depuis la fin du XVIIIe siècle (anecdote croustillante, l’existence d’une « guerre navale non déclarée contre la France », entre 1798 et 1800…), nous montre à quel point ce pays a eu l’occasion de faire usage de la force, pour des motifs plus ou moins légitimes (c’est plus facile à dire avec le recul, certes), et surtout d’en faire usage de manière plus ou moins poussée.

La situation qui nous intéresse est en fait double : l’usage de la force envers autrui, et l’usage de la force envers soi-même ; par « autrui », comprenons l’ennemi, mais aussi des populations civiles qui, soit habitent un pays occupé par les Américains et risquent donc – comme dans le cas de toute occupation – de faire les frais de cette situation (je doute qu’aucune armée au monde, dans l’histoire, n’ait jamais été fautive de la moindre exaction en terre occupée), soit habitent un pays que les Américains viennent libérer (et là aussi, hélas, l’histoire nous l’a prouvé, des exactions ne manquent pas de se produire) ; par « soi-même », comprenons les Américains portant un uniforme, et c’est là que la chose se complique : il faut alors distinguer les Américains majoritaires (Caucasiens) des minoritaires (Amérindiens et Afro-Américains surtout pour la période qui nous intéresse), les « bons » des « mauvais » soldats (les « bons » exécutent les ordres, les « mauvais » regroupent les minoritaires cités ci-dessus (aussi est-ce pourquoi ils sont commandés en très grande majorité par des Caucasiens), les condamnés (qui sont soit détenus, soit affectés à des corvées plus ou moins pénibles et / ou dangereuses), les lâches, les traîtres, les réfractaires, les objecteurs de conscience, etc.). Nation complexe et riche de diversité, la république américaine est également traversée par des luttes intestines, au gré des tensions et affrontements entre communautés, selon le pays d’origine de ses habitants : il n’est pas rare qu’aient du mal à cohabiter les Britanniques, les Scandinaves, les Italiens, les Russes, etc.

Hors des frontières nationales, les Etats-Unis feront tout autant usage de la force envers autrui qu’envers soi-même. La lecture d’Howard Zinn (avec les précautions d’usage, au regard des engagements d’un homme auquel le titre de patriote, durant la Seconde Guerre mondiale, cependant, ne saurait être contesté) est à ce titre révélatrice. Deux exemples, dans un cadre strictement militaire :
- au cours de la guerre hispano-américaine, plus connue comme « invasion de Cuba », en 1898, la victoire des Afro-Américains du 25th infantry regiment à El Caney les pousse vers les oubliettes de l’Histoire pendant que celle de San Juan fait les gros titres ;
- aux Philippines, entre 1899 et 1901, la répression américaine est déjà à l’œuvre mais c’est en 1906 surtout que le pire advient, avec le massacre des Moros à Bud Dajo (de 800 à 900 tués pour 91 pertes américaines).

Ce proche contexte historique a, selon moi (mais je peux faire erreur), une importance majeure : nombreux sont les officiers généraux, mais aussi les officiers supérieurs, qui ont fait campagne à Cuba et / ou aux Philippines (voire ensuite : la Chine (révolte des Boxers de 1900), Panama (1903-1914), Cuba à nouveau (1906-1909), Haïti et la République Dominicaine (1914), le Mexique (1914-1917)), et se sont imprégnés de pratiques reproduites ensuite en France entre 1917 et 1919. En l’espèce, bon nombre de témoignages sont parvenus au sénateur Watson, et plus d’un témoin durant les auditions l’a confirmé : l’encadrement avait auprès des hommes une très mauvaise image. Et le fait est : bien des cas de brimade, de harcèlement, de brutalité, d’intimidation, voire au pire d’exécution sommaire, de sous-officiers ou d’officiers envers des subordonnés « récalcitrants » ont été signalés. De surcroît, les Américains que je qualifiais de minoritaires en nombre (Amérindiens et Afro-Américains) n’ont pas été plus particulièrement la cible de telles exactions que les Américains majoritaires. Malgré les zones d’ombre qui demeurent, un faisceau d’éléments révèle la réalité sordide de cet « usage de la force envers soi-même », mais il ne faut surtout pas négliger le fait que les Etats-Unis n’ont alors pas encore eu à livrer une telle guerre, obligeant à la confrontation à une armée régulière bien formée, bien entraînée, bien équipée, numériquement importante (rien à voir avec des rebelles aux équipements de fortune, combattus au cours d’expéditions plus ou moins brèves) ; comme l’écrivait et le déplorait Enoch H. Crowder dans son article « Court-Martial Sentences During the War », en 1919, la gangrène de la désertion a eu vite fait de montrer les limites d’un engagement individuel aveugle de la part du conscrit américain… Et c’est ainsi qu’il est parfois devenu l’objet de la répression de son commandement, dont une partie non négligeable des effectifs avait fait l’expérience d’une autre forme d’obéissance, dans des contextes opérationnels bien différents, et avec des hommes sous leurs ordres qui l’étaient tout autant. Quant à la « force envers autrui », les exemples ne manquent pas, qui montrent avec quelle fréquence elle a pu être employée à l’encontre de civil(e)s, en France puis en Allemagne, sans parler de la violence échangée entre membres du corps expéditionnaire : Caucasiens envers les Amérindiens ou Afro-Américains et inversement, « obéissants » envers les « réfractaires », etc.

Une histoire passionnante par bien des aspects, mais peut-être nous égarons-nous…

Bien cordialement,
Eric Mansuy
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air339
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Re: Les condamnations des cours martiales américaines

Message par air339 »

Bonjour Eric,


Merci pour le partage de ton érudition dans ce sujet.
Effectivement cela paraîtrait logique que l'encadrement ait reproduit des comportements hérités de ses derniers engagements. En arrière-fond il doit y avoir aussi une culture endogène qui légitime ces violences, certains officiers font usage de pratiques choquantes parce que ça s'est déjà fait, qu'ils pensent que cela peut encore se faire avec impunité.

Plus largement, on touche à la sociologie des groupes et leur pratique de la contrainte, avec ce qu'il est possible de faire aux membres du groupe, et ce qu'il est possible de faire au membre d'un autre groupe.
Peut-être existe-il déjà une étude comparée, par pays, des pratiques de violence usitées pendant la Grande guerre, et il n'est pas sûr que chaque nation en sorte avec les honneurs.

... On ne s'égare pas, à vrai dire on n'a jamais été aussi proche de l'essence même de la guerre, en tant que résolution de différents par la violence, jusqu'à l'homicide.


Bien cordialement,


Régis
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Eric Mansuy
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Re: Les condamnations des cours martiales américaines

Message par Eric Mansuy »

Bonjour à tous,
Bonjour Régis,

Je partage chacune de tes remarques. Je vais faire au mieux pour continuer l'exploration de ce sujet, laquelle est rendue excessivement complexe par l'éparpillement des sources et publications, dont une trop grande partie, dans un cas comme dans l'autre, reste inaccessible en ligne.

Parmi les aspects à étudier, demeurent :
- des cas concrets de cours martiales, tant en France - zone de l'avant, zone intermédiaire, zone de l'arrière - qu'aux Etats-Unis, qui ont abouti à une condamnation autre que la peine de mort ; leur compilation est en cours, je n'en suis qu'à l'entame ;

- les grâces présidentielles : quel en a été le nombre précis et le ratio par rapport aux peines (et lesquelles) ? Pourquoi et comment ont-elles été octroyées ou non ? Quels sont les délais d'obtention d'une grâce ? Etc.

- les exécutions "extrajudiciaires" : leur nombre doit, par essence, être impossible à connaître. Si des officiers supérieurs ou généraux n'ont pas caché, par déclaration écrite ou orale, avoir donné l'ordre de traduire en cour martiale et avoir approuvé l'exécution de X, Y ou Z, les exécutions que je qualifierai de "spontanées", sur le terrain, généralement pratiquées par un sous-officier ou un officier subalterne, restent extrêmement difficiles à trouver et à prouver ; en outre, elles ont généralement eu lieu hors de la vue de témoins, ou lesdits témoins ont pu faire l'objet d'intimidation. A contrario, il est plus simple de retrouver trace d'exécution de sous-officiers ou officiers par l'un de leurs subordonnés, j'aurai l'occasion d'y revenir.

- le traitement du corps du fusillé, que j'ai coutume de nommer "cet encombrant cadavre" ; des témoignages plus ou moins divergents, et parfois totalement échevelés, ont été produits concernant la découverte des corps des pendus, au moment où ils étaient relevés de leur site d'inhumation originel pour être regroupés ou restitués. Au dire de certains, le traitement réservé à ces corps ne peut que poser des questions morales sur lesquelles se greffent, contexte historique oblige, les problématiques liées à la place des Afro-Américains au sein du corps expéditionnaire et, plus simplement, de la sphère publique américaine.

A suivre, donc.

Bien sincèrement,
Eric Mansuy
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Re: Les condamnations des cours martiales américaines

Message par Eric Mansuy »

Bonjour à tous,

Une pratique bien particulière au sein de la 82nd division, en novembre 1918, un "étiquetage" des baladeurs entre les lignes, avant leur comparution, et des déserteurs, après leur condamnation :
https://catalog.archives.gov/id/55222259

Cette division, étrangement, ne se distingue pas outre mesure des autres en ce qui concerne le nombre d'infractions, délits et crimes, à cette période. En effet, à la lecture du rapport du Juge Avocat Général (1919), l'on apprend ceci :

Nombre de cas sur lesquels une cour martiale générale a statué entre le 1er juillet 1918 et le 30 juin 1919 :
55 (40 condamnés, 15 acquittés)

Juillet 1918 : 1 condamné ; août 1918 : 0 ; septembre 1918 : 3 condamnés ; octobre 1918 : 2 condamnés ; novembre 1918 : 0 ; décembre 1918 : 0

Jours passés en détention par l’ensemble des accusés, entre la mise en détention initiale et l’ultime action d’un processus de révision :
Nombre de jours : 1.761
Moyenne du nombre de jours pour l’ensemble des accusés : 51,79

Jours passés en détention par l’ensemble des accusés, entre la mise en détention initiale et la comparution en cour martiale :
Nombre de jours : 1.484
Moyenne du nombre de jours pour l’ensemble des accusés : 43,64

Jours passés en détention par l’ensemble des accusés, entre la comparution en cour martiale et l’ultime action d’un processus de révision :
Nombre de jours : 277
Moyenne du nombre de jours pour l’ensemble des accusés : 8,15

Il nous est impossible de trouver dans les documents existants, le délai entre la commission de l'infraction, du délit ou du crime, et la comparution en cour martiale. En outre, la période couverte brouille la lecture de la mise en pratique de la justice militaire américaine, entre le temps de guerre, et la période post-armistice.

Au final, cette photo (il en existe une autre aux Archives Nationales, présentant uniquement l'homme situé à gauche) pose question au regard des éléments chiffrés correspondants : puisque nul condamné n'est enregistré dans les statistiques du Juge Avocat Général pour la 82nd division en novembre 1918, cette photo pourrait concerner des hommes traduits devant une cour martiale spéciale ou une cour martiale sommaire. Intéressant document, dans tous les cas.

Bien cordialement,
Eric Mansuy
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Eric Mansuy
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Re: Les condamnations des cours martiales américaines

Message par Eric Mansuy »

Bonjour à tous,

Passionnante lecture que celle de « Disappearing Doughboys. The American Expeditionary Forces’ Straggler Crisis in the Meuse-Argonne », de Richard S. Faulkner. En voici les grandes lignes.

La cavalerie de la First Army, inemployée faute d’une spectaculaire percée des lignes allemandes, est chargée d’effectuer des patrouilles à l’arrière des lignes américaines, et d’y appréhender les hommes qui ont abandonné le combat.

Le général Hunter Liggett a estimé que 100.000 soldats avaient fui leur unité au cours du premier mois de l’offensive Meuse-Argonne, soit environ 10% des effectifs engagés.

A Raucourt, le 8 octobre 1918, un lieutenant dénombre 600 à 700 manquants au sein de la 1st division. Le 12 octobre, la police militaire de la 36th division a rattrapé 500 hommes de la division. Pour le mois d’octobre 1918, les unités de la police militaire de la Second Army ont arrêté 439 hommes pour absence illégale, puis 370 pour les mêmes charges en novembre.

La fuite prend de telles proportions que les postes d’interception des fuyards, qui existent au niveau divisionnaire, doivent être doublés par une ligne de postes à l’échelon des brigades, les troupes chargées des interceptions étant prélevées sur les réserves. A la première fuite, les hommes appréhendés sont renvoyés vers leur unité ; à la seconde fuite, ils sont remis à la police militaire en vue d’être traduits en cour martiale, et reçoivent en outre un type de corvée qui soit le plus désagréable possible.
C’est à ce moment que le I Corps met également en place la brimade consistant à faire porter une pancarte aux fuyards rattrapés.

Le 18 octobre 1918, le nombre des fuyards est tel au sein de la First Army que le V Corps crée un « barrage des vagabonds » (« Hobo barrage ») fort de 4.500 hommes. Leur rôle consiste à fouiller les abris, les maisons, les hôpitaux, les gares, les foyers de la Y.M.C.A., afin d’y dénicher d’éventuels fuyards. Dans un second temps, le V Corps crée également trois tribunaux, à Recicourt, Avocourt et Montfaucon, afin d’y interroger les manquants retrouvés, en vue d’y faire la part entre « vrais déserteurs » et « arrêtés à tort ». En peu de temps, le « barrage des vagabonds » arrête 719 soldats, et en redirige 150 vers leur unité.

Au sein de la 82nd division, le général Duncan, qui la commande, en arrive à ordonner à ses subordonnés d’instaurer des serre-files derrière chaque section, qui renforcent les postes d’interception, et d’employer à plein les unités de police militaire. Les chefs de section ont pour ordre de vérifier des listes de présents à chaque halte, ou à chaque accalmie durant le combat, pour être en mesure de distinguer les hommes perdus au combat des manquants. Cette méthode permet d’accroître les effectifs combattants de la 82nd division de plus de 500 hommes entre le 25 et le 29 octobre 1918. Le 30 octobre, le général commandant la 89th division ordonne à ses unités de police militaire d’installer leurs postes d’interception à 300 mètres derrière la ligne de feu, et de marcher sur les talons de l’infanterie.

Les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous. Dans un rapport daté du 21 octobre 1918, l’inspecteur général du corps expéditionnaire, le général Brewster, note qu’en dépit des efforts déployés, il reste assez facile de « se perdre » entre les lignes, surtout de nuit. Le commandant d’une brigade s’oppose même au flux des « absentéistes » en raccompagnant certains vers les lignes, menaçant de les abattre lui-même. Le capitaine qui a assisté à la scène ne manque pas de préciser qu’après avoir d’abord obtempéré, les fuyards s’arrangeaient rapidement pour fuir à nouveau par un autre itinéraire…

Au bout du compte, solutionner ce problème se révèle impossible : le commandant de la prévôté de la Second Army, le 9 novembre 1918, prévient ses subordonnés que l’abandon de poste a réussi à devenir une menace pour le succès des opérations, et il leur ordonne de prendre les mesures les plus agressives, fermes et immédiates pour appréhender ces hommes et les renvoyer à leur place sur la ligne de feu. L’épidémie de fuites est si grave que les fuyards appréhendés sont issus de 22 divisions du corps expéditionnaire. Les officiers de terrain se plaignent alors de la faiblesse et de la partialité des cours martiales, dont les membres ne saisissent pas la gravité des faits, quand, par exemple, une fraction se trouve engagée alors que l’un des siens a fui avec les munitions…
Qui plus est, les officiers supérieurs ont mis leurs officiers subalternes en position de ne pouvoir punir des fautifs qu’en les réintégrant à leur unité. Double peine : ces officiers subalternes, et les sous-officiers, sont accusés par leurs officiers supérieurs de n’avoir pas su faire régner la discipline.

L’épidémie d’abandons de poste est due à la conjonction de ces facteurs : une mobilisation de masse, des carences dans l’entraînement, des dysfonctionnements dans le déploiement, la réalité du champ de bataille. Dans les rangs de la 82nd division, cette réalité se traduit par un nombre imprécis de manquants à l’issue du combat, mais censé être considérable, car les hommes se sont perdus dans les bois ou durant la nuit ; cependant, leur attitude et leur volonté de se battre plaident pour leur bonne foi. Des soldats, séparés de leur unité sous un bombardement ou pendant un mouvement, en viennent alors à errer, ou trouvent une autre unité à « intégrer ». Un combattant de la 91st division, en compagnie de deux camarades, passe ainsi trois jours à combattre dans les rangs d’autres unités, au gré de leurs rencontres.

Les cas d’abandon de poste, bien sûr, ne datent pas de la fin de la guerre. Durant l’été 1918, la police militaire de la 2nd division remarque que l’abandon de poste et le pillage vont de pair, dus aux difficultés croissantes pour les hommes engagés de s’alimenter. Il en va de même pendant l’offensive de Saint-Mihiel. Or, la problématique du ravitaillement en vivres ne fera qu’empirer durant l’offensive Meuse-Argonne, aggravée par l’incapacité – voire le désintérêt ou l’incompétence – de certains officiers à permettre à leurs hommes de se nourrir. La situation prend parfois une telle tournure, a contrario, qu’un capitaine désigne quatre hommes, « jugés bons voleurs », pour aller glaner de quoi manger à l’arrière des lignes, avant de partir lui-même en expédition avec huit hommes.

La dégradation de la discipline dans les unités s’ajoute donc à des carences nutritionnelles mais aussi vestimentaires. Les rangs sont décimés par la dysenterie, l’épuisement, les troubles gastriques, la grippe. En octobre 1918, le médecin inspecteur général de la 82nd division fait état des ravages de ladite grippe, des diarrhées, de l’éreintement. La pratique du commandement et de l’encadrement, qui révèle son incapacité à assurer aux combattants le confort nécessaire et minimal pour mener à bien leur mission, est clairement pointée. Le délitement est visible : lorsque la 79th division est relevée par la 3rd division, la seconde réussit à armer une compagnie de mitrailleuses avec tout le matériel abandonné par la première ; les hommes relevés ne se soucient plus de discipline. Qui plus est, les roulements, rotations, renforts, remplacements, mutations des officiers, au gré des combats, n’aident en rien à entraver cet accroissement de l’indiscipline : de plus en plus, des hommes abandonnent leur poste, non pas parce qu’ils ne veulent ouvertement plus se battre, mais parce qu’il est devenu on ne peut plus simple de le faire, faute d’un encadrement pour s’y opposer, et pour ramener ces combattants « perdus » vers leur unité. Dans le même temps, deux catégories de manquants coexistent : les déserteurs « professionnels », désireux de fuir le combat, et les « manquants temporaires », qui font une pause durant les combats, puis regagnent leur unité (un officier les baptisera les « trou-d’obuseux » : des hommes qui se jettent dans un trou d’obus au cours de la progression de leur unité, et y restent, patientant pendant que leurs camarades avancent…). Parmi ceux qui ont décidé d’abandonner la lutte, certains n’hésitent pas à loger dans des abris allemands capturés, et à y vivre confortablement : des hommes de la police militaire de la 32nd division découvrent 90 déserteurs dans un abri allemand, début octobre 1918.

Autre fait mis en exergue : l’abandon de poste d’un nombre croissant de sous-officiers, qui incitent parfois des hommes à les suivre, et il n’est pas rare que le phénomène implique même des officiers. Quant aux raisons susceptibles de pousser des hommes à déserter, l’une de celles-ci tient à la mise en relation des chances de survie au combat – sous un commandement plus ou moins compétent – et d’une éventuelle – ou hypothétique – traduction en cour martiale. Parmi eux sont essentiellement pointés les renforts, des recrues peu ou mal formées qui ont vite le choix entre devenir de la chair à canon et déserter. En conséquence, leur arrivée – puis leur attitude – a un impact extrêmement négatif sur le moral et la cohésion de l’unité qu’ils intègrent.

En fin de compte, pendant qu’ils sont affairés à débusquer les fuyards, les cavaliers et membres des unités de police militaire ne peuvent s’atteler à des tâches qui auraient grandement nécessité leur aide, comme le désengorgement des axes de communication au cours de l’offensive.

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Ce que l’on peut conclure de ces pages, hormis le fait – loin d’être accessoire – que la réussite relative de l’offensive Meuse-Argonne a relevé du miracle, alors que régnait le double péril épidémique de la grippe et de la désertion, est ce qui suit :
- un mésusage, par obligation, de certains effectifs (cavalerie, police militaire), et leur immobilisation à l’arrière des lignes ;
- un mésusage de l’encadrement au front, au niveau le plus élémentaire parfois de la section ;
- la mise en porte-à-faux des sous-officiers et officiers de terrain par les officiers supérieurs ;
- les résultats insatisfaisants de la traque des « manquants » ;
- l’inefficacité de certaines cours martiales ;
- les carences du ravitaillement ;
- les limites de l’endurance morale ;
- les limites de l’endurance physique.

Il est très intéressant de s’apercevoir – mais est-ce si surprenant ? – que ce qui s’est produit au sein de l’armée française, à l’entrée en guerre, en août-septembre 1914, s’est reproduit au sein de l’armée américaine, à l’entrée en guerre d’une grande partie de ses effectifs jusque-là inemployés, en septembre-octobre 1918 : abandon de poste et / ou mutilation volontaire dans un cas, désertion de plus ou moins longue durée dans l’autre ; défiance et / ou indiscipline envers le commandement dans les deux cas ; usage intensif de la prévôté (voire de la cavalerie) et de la police militaire ; limites de l’endurance morale et de l’endurance physique dans les deux cas ; indifférence à la gravité des peines encourues dans les deux cas.
A cette différence près, toute relative : le risque du conseil de guerre, côté français en 1914, bien moindre que la crainte de la cour martiale côté américain en 1918 (ou, dans tous les cas, certainement pas pour y être condamné à mort). Différence toute relative, cependant, tant les faits, les témoignages, les faisceaux de suspicion, portent à conclure que des sous-officiers et officiers américains se sont substitués, sur la ligne de feu, aux cours martiales, et sont allés jusqu'à exécuter…

Bien cordialement,
Eric Mansuy
"Un pauvre diable a toujours eu pitié de son semblable, et rien ne ressemble plus à un soldat allemand dans sa tranchée que le soldat français dans la sienne. Ce sont deux pauvres bougres, voilà tout." Capitaine Paul Rimbault.
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solcarlus
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Re: Les condamnations des cours martiales américaines

Message par solcarlus »

Bonjour.

C'est avec avidité que j'ai dévoré ce dernier exposé. Merci.

Sol.
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Eric Mansuy
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Re: Les condamnations des cours martiales américaines

Message par Eric Mansuy »

Bonjour à tous,
Et merci de suivre ces pages.

Deux exemples de cour martiale générale, extraits des archives du capitaine - et futur président - Harry S. Truman, artilleur au sein de la 35th division en 1918. Un cas intéressant au front, et un cas non moins intéressant en cantonnement.

Bien cordialement,
Eric Mansuy

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QG 35th division
Corps Expéditionnaire Américain
13 décembre 1918

Ordre de la cour martiale générale n°130

Devant une cour martiale générale réunie au quartier général du 137th infantry regiment, Corps Expéditionnaire Américain, le 30 novembre 1918, en vertu du paragraphe 3 de l’ordre spécial n°264 (QG de la 35th division), en date du 1er novembre 1918, a été poursuivi et jugé :

Le soldat de 2e classe Louis D. Gibson, company G, 137th infantry (2181630).

Accusations.
Accusation n°1 : violation de l’article 86 du code militaire du temps de guerre.
Caractérisation n°1 : en ce que le soldat de 2e classe Louis D. Gibson, N°2181630, company G, 137th infantry, montant la garde en tant que sentinelle (tireur au Chauchat) en temps de guerre, dans un secteur de la ligne de front tenu par sa compagnie, a été trouvé endormi à son poste, le 17 août 1918 ou aux environs dudit jour, à 4 heures 20.

Plaidoyer.
Caractérisation n°1, accusation n°1 : coupable.
Accusation n°1 : coupable.

Conclusions.
Caractérisation n°1, accusation n°1 : coupable.
Accusation n°1 : coupable.

Verdict.
Condamné à être libéré du service sans certificat de bonne conduite ; condamné à payer toute indemnité perçue ou due ; condamné aux travaux forcés pour une durée de deux (2) ans, et incarcéré en un lieu choisi par l’autorité compétente.

Action.
Dans le cas présent, de Louis D. Gibson, soldat de 2e classe, company G, 137th infantry, le verdict de la cour est considéré comme inadéquat. L’accusé occupait une position avancée, dans laquelle son inattention était susceptible de mettre la vie de nombre de ses camarades en danger, et où son devoir premier était de faire montre de la plus extrême vigilance, toute mise en défaut de celle-ci devant être punie avec la plus grande sévérité. Dans ces circonstances, l’autorité de révision ne peut recevoir les recommandations de clémence exprimées par des membres de la cour ayant jugé l’accusé. En raison desdites recommandations, le verdict ne sera pas suivi de révision. Le verdict est approuvé, et sera dûment exécuté. Le lieu où le prisonnier sera incarcéré sous bonne garde est la prison militaire du camp de Saint-Sulpice, France, A.P.O. 705.

Pour le général Traub,
H.S. Hawkins
Colonel, état-major général
Chef d’état-major

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QG 35th division
Corps Expéditionnaire Américain
9 janvier 1919

Ordre de la cour martiale générale n°132

Devant une cour martiale générale réunie au poste de commandement du 137th infantry regiment, le 27 décembre 1918, en vertu du paragraphe 3 de l’ordre spécial n°264 (QG de la 35th division), en date du 1er décembre 1918, a été poursuivi et jugé :

Le soldat de 2e classe Robert Jerome, company I, 137th infantry.

Accusations.
Accusation n°1 : violation de l’article 58 du code militaire du temps de guerre.
Caractérisation n°1 : en ce que le soldat de 2e classe Robert Jerome, company I, 137th infantry a, à Arches, France, le 30 juin 1918 ou aux environs dudit jour, déserté le service dû aux Etats-Unis, et s’est trouvé en état de désertion jusqu’à son arrestation, le 3 juillet 1918 ou aux environs dudit jour.

Accusation n°2 : violation de l’article 61 du code militaire du temps de guerre.
Caractérisation n°1 : en ce que le soldat de 2e classe Robert Jerome, company I, 137th infantry s’est, à Arches, France, absenté du service sans autorisation, du 13 juillet 1918 environ au 6 octobre 1918 environ.

Accusation n°3 : violation de l’article 96 du code militaire du temps de guerre.
Caractérisation n°1 : en ce que le soldat de 2e classe Robert Jerome, company I, 137th infantry est, à Arches, France, sans autorisation, apparu vêtu d’un uniforme de l’armée française, le 3 juillet 1918 ou aux environs dudit jour.
Caractérisation n°2 : en ce que le soldat de 2e classe Robert Jerome, company I, 137th infantry, détenu à la prison du 61st infantry, à Arches, France, s’est évadé de ladite prison, le 13 juillet 1918 ou aux environs dudit jour.

Plaidoyer.
Caractérisation n°1, accusation n°1 : non coupable.
Accusation n°1 : non coupable.
Caractérisation n°1, accusation n°2 : non coupable.
Accusation n°2 : non coupable.
Caractérisation n°1, accusation n°3 : coupable.
Caractérisation n°2, accusation n°3 : coupable.
Accusation n°3 : coupable.

Conclusions.
Caractérisation n°1, accusation n°1 : non coupable.
Accusation n°1 : non coupable.
Caractérisation n°1, accusation n°2 : non coupable.
Accusation n°2 : non coupable.
Caractérisation n°1, accusation n°3 : coupable.
Caractérisation n°2, accusation n°3 : coupable.
Accusation n°3 : coupable.

Verdict.
Condamné à perdre les deux tiers (2/3) de sa solde, chaque mois, pour une durée de trois mois.

Action.
Dans le cas présent, du soldat de 2e classe Robert Jerome, company I, 137th infantry, le verdict de la cour est désapprouvé. Il existe une absence totale de preuves tangibles dans le dossier, et les preuves fournies manquent entièrement de pertinence et d’adéquation, et sont préjudiciables à l’accusé. L’explication du président de la cour, demandée en cas de « plaider coupable », est totalement erronée et fallacieuse. L’ignorance de la cour et la présentation inadaptée de l’affaire par l’assistant au juge avocat, ont créé des conditions qui ne peuvent être corrigées par une révision, et en raison de la nécessaire désapprobation résultant desdites conditions, l’accusé se soustrait à une condamnation, malgré les aveux par lui formulés d’avoir été coupable de la commission de graves délits.

Pour le général Dugan,
H.S. Hawkins
Colonel, état-major général
Chef d’état-major
"Un pauvre diable a toujours eu pitié de son semblable, et rien ne ressemble plus à un soldat allemand dans sa tranchée que le soldat français dans la sienne. Ce sont deux pauvres bougres, voilà tout." Capitaine Paul Rimbault.
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