10401, 10402, 10403

Audet
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10401, 10402, 10403

Message par Audet »

Bonjour,

Pensez-vous qu'il soit utopique de retrouver des descendants de 10401, 10402 et 10403.

Texte extrait des Mémoires du Général Sylvestre Audet - événement se situant en 1904 en Algérie :

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Ce voyage dans le Sud me donna l'occasion de recruter trois magnifiques nègres qui devaient être l'ornement de ma Section.

Et ceci est toute une histoire.

Au cours d'une de mes promenades à cheval aux alentours de Ghardaïa, j'avais rencontré un groupe de prisonniers du Bureau Arabe, travaillant à une piste. Parmi eux se trouvaient trois jeunes nègres à la mine éveillée qui avaient été appointés de quelques jours de prison pour avoir volé un chamelon… et l'avoir mangé. Comme je les avais regardés avec une sympathie amusée, ils vinrent m'exprimer leur désir de s'engager aux tirailleurs. Je les invitais à se rendre à Laghouat, où je m'occuperais d'eux.

En effet, quelques jours plus tard, après mon retour de voyage, je trouvai un matin mes trois nègres assis devant la porte du quartier et m'attendant. Je les amenai au capitaine Benoît, qui les agréa d'enthousiasme et, en manière d'accueil, leur jeta des pains de munition, dont on faisait à ce moment la distribution, que les trois bougres affamés dévorèrent sur le champ. Le lendemain ils étaient incorporés sous les matricules 10.401, 10.402, 10.403. Le capitaine les affecta à ma section.

J'étais très fier de mes trois nègres qui firent tout de suite d'excellents tirailleurs. Je les aimais pour leurs manières de grands enfants et pour l'attachement qu'ils me montraient. Comme ils s'appelaient tous les trois Barka – comme à peu près tous les nègres, on ne les nommait jamais que par leur numéro matricule. Le plus vigoureux et le plus gai était 10.401.
Il était un peu mon garde du corps. Aux manœuvres et dans les déplacements, il aidait mon ordonnance et surveillait ma tente. C'était toujours lui qui me prenait sur son dos pour traverser les oueds et éviter de me mouiller les pieds. Bien sûr il avait ses défauts. Comme tous les nègres il avait ses moments de folie et devenait brutal : il fallait le mettre en prison. Un temps il disparut du quartier par passion pour une négresse aux puissants appas qui se nommait, je me souviens, Messaouda. Il était incapable de conserver un sou et je ne lui donnais ses primes d'engagement et de rengagement que par petites sommes. Mais, en dépit de ses incartades, un bon soldat et pas sot.

Quand je quittai, en 1910, le régiment, mes nègres me firent des adieux touchants. Je ne pensais plus les revoir.

Douze ans passèrent.

En novembre 1022, étant commandant, j'accompagnai le Maréchal Pétain au Maroc. Reçu magnifiquement par le Maréchal Lyautey, il fit à Rabat une entrée solennelle, escorté par tout un régiment de Chasseurs d'Afrique, au milieu d'un grand concours de population française et indigène. Il fut logé dans un des jolis bengalows du jardin de la Première Résidence et j'avais ma chambre auprès de la sienne.
Or, le lendemain de notre arrivée, je fus réveillé de bonne heure par le bruit d'une dispute dans le jardin. On vint me dire qu'on ne pouvait venir à bout de deux nègres, qui voulaient à toute force me voir. Je sortis et trouvai devant moi, avec leur bonne figure et riant de toutes leurs dents blanches, 10.401 et 10.402. Stupéfaction ! Ils m'avaient reconnu la veille dans la suite du Maréchal et ils avaient bousculé les gardes des portes pour venir jusqu'à moi.

Je leur fis raconter leur histoire. 10.403 était mort. Eux avaient fait la guerre valeureusement : ils portaient la médaille militaire et la Croix de Guerre. Libérés au Maroc, ils avaient en récompense de leurs beaux services, reçu un emploi à la Résidence. J'étais heureux de retrouver ces deux braves compagnons de ma jeunesse militaire et touché de leur fidélité.

Dix-sept ans passèrent encore.

A l'été de 1939, j'étais général de division, commandant la division et la région de Meknès. Ayant à voir le Général Noguès, Résident Général, je débarquai d'auto une après-midi sur l'explanade de la nouvelle Résidence, le long des jardins, et m'avançai à pied vers la porte d'entrée, sous le porche de laquelle se tenaient quelques chaouchs en brillant uniforme bleu. L'un d'eux, qui paraissait le chef, un nègre à barbe grise, vint au devant de moi d'un air étrange, comme hébété. J'hésitai une seconde à le reconnaître, mais pas d'erreur : c'était bien lui. Je l'abordai en le pointant du doigt. - »Toi, 10401 ! » - « Oui, mon Général ».

Il avait presque les larmes aux yeux et me baisa à l'épaule. Je lui pris affectueusement les mains.

« Ah, mon vieux 10.401, que d'années ont passé depuis le temps où j'étais ton lieutenant. Tu as maintenant le poil blanc – et moi aussi. Mais je vois que tu as une belle place, de bons serviteurs et un bien bel uniforme. »

Je lui demandais des nouvelles de 10.402, qui était employé quelque part au Maroc. Ce soir-là les chaouchs de la Résidence durent entendre des histoires magnifiques de la jeunesse de 10.401, où je tenais une place considérable.

Quelques semaines plus tard c'était la mobilisation. Je l'ai perdu de vue.

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Bien amicalement à vous,

Marie-Laure Munsch-Pfaender,
Marie-Laure Munsch-Pfaender,
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Achache
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Re: 10401, 10402, 10403

Message par Achache »

Bonjour,
Du fait de la Médaille militaire, et avec un peu de chance..., on doit pouvoir les retrouver par la JO :
https://gallica.bnf.fr/services/engine/ ... ARKA%22%29

Bien à vous,
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Achache
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loloastre
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Re: 10401, 10402, 10403

Message par loloastre »

Bonjour Marie-Laure,
Une autre piste : les registres des "engagés et appelés des anciennes colonies françaises - archives matriculaires (1866-1918)" disponibles sur le site Mémoire des hommes > Recrutement et parcours individuels > Regisrtes d'enrôlement.
Je tente un lien : https://www.memoiredeshommes.sga.defens ... _Alg%E9rie
Cordialement,
loloastre
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